Intervention de Jean Lassalle

Séance en hémicycle du 14 juin 2016 à 15h00
Discrimination et précarité sociale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Lassalle :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme tous les orateurs qui m’ont précédé, je ne peux que constater la bonne disposition qui préside à ce texte. Au premier abord, qui pourrait y être défavorable ?

Nous avons déjà 8,5 millions de pauvres et personne ne sait à quel chiffre ce fléau s’arrêtera. J’ai encore en mémoire nos discussions, la semaine dernière, à propos des paradis fiscaux et des rémunérations des vrais maîtres de notre pays et du monde, contre lesquels, disions-nous, nous ne pouvons mener aucune action : agir au niveau mondial risquerait d’affaiblir nos entreprises ; agir au niveau européen est impossible en raison d’une directive européenne en cours d’élaboration ; agir en France, c’est prendre le risque d’attirer sur soi les foudres du Conseil constitutionnel.

Résultat : même si nous avons beaucoup discuté, même si les échanges et la prise de conscience ont été de grande qualité, comment nous convaincre que nous avons encore une once de pouvoir, dès lors que nous consentons à une telle situation ? La réalité, d’ailleurs, n’échappe plus à personne. Nous réussirons encore une fois à la maquiller mais nous ne le ferons pas encore longtemps ; pour nous en convaincre, il suffit d’observer l’état d’esprit de nos compatriotes et, hélas, leur profond rejet de ce que nous sommes et de ce que nous faisons.

Inscrire dans la loi un critère de discrimination en raison de la précarité sociale, en faveur de ceux qui n’ont plus rien, part évidemment d’un bon sentiment. Toutefois, plusieurs collègues l’ont souligné, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Cette disposition ne sera pas sans engendrer des difficultés. Au demeurant, nous disposons déjà des textes permettant de résoudre le problème. Les hommes et les femmes que, nous tous, nous recevons dans nos permanences nous suffisent pour connaître l’état de misère noire dans lequel certains ont chuté, parfois très vite et depuis longtemps, pour quelques-uns de père en fils – tout le monde n’a pas eu la chance de voir son arrière-grand-père travailler.

Ne l’oublions pas, nous sommes gravement responsables de ne pas avoir vu venir ce changement de monde, depuis une vingtaine voire une trentaine ans, nous n’avons pas su échapper au piège de l’hégémonie financière, qui a tout pris en main et nous interdit aujourd’hui d’agir tout en nous obligeant à faire semblant. Car il s’agit bien de cela : nous allons faire semblant. Oui, c’est une situation kafkaïenne à laquelle doivent faire face de plus en plus de nos compatriotes. Nous n’avons plus d’industrie, nous avons perdu 750 000 emplois, no remplacés, au cours des quinze dernières années, l’agriculture est à l’agonie et chacun sait dans quel état se trouvent notre artisanat et nos petites entreprises, nos villages et nos banlieues.

Ce n’est pas en se plaignant qu’on refait le monde, c’est en reprenant en main son destin et en ouvrant le vrai débat. J’espère que cela pourra avoir lieu dans les mois à venir, afin de savoir pourquoi un grand pays comme le nôtre est descendu si bas, pourquoi il a sombré, pourquoi il se trouve maintenant dans l’incapacité absolue de faire face à ses devoirs. Si nous faisions le point sur ces questions, notamment sur la dette, sur la dérive de la construction européenne et sur la mondialisation, sans doute obtiendrions-nous quelques réponses.

En attendant, je l’assume, même si cela me sera vivement reproché, je ne peux décidément plus faire semblant : j’en suis désolé, madame la secrétaire d’État, car votre action part d’un très bon sentiment et peut-être mènerais-je la même si j’étais à votre place – je n’y suis pas –, mais je voterai contre ce texte.

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