Permettez-moi, monsieur le président, d’apporter quelques précisions, mon propos liminaire n’ayant peut-être pas été suffisamment exhaustif, notamment en ce qui concerne le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.
À partir des chiffres, peut-on en déduire que la pauvreté explose ou que la France est dans une situation différente de celle des autres pays ? Qu’est-ce que le taux de pauvreté ? C’est très simple : il mesure, dan chaque pays, le nombre de personnes dont le revenu moyen se situe en dessous de 60 % du revenu médian. En France, pour une personne seule, cela représente un revenu mensuel inférieur à 970 euros. Pour l’année 2013, selon les chiffres de l’INSEE, le taux de pauvreté s’élevait à 14 %. À combien s’élevait-il en 2012 ? À 14,3 %. En 2003, il était à 13 %, tout comme en 2007. Le taux de pauvreté a donc augmenté au moment de la crise, durant le quinquennat précédent, entre 2007 et 2012. Aussi, même si la pauvreté reste beaucoup trop courante en France, même s’il est intolérable qu’elle frappe 8 millions de nos concitoyens, prétendre que le taux de pauvreté explose actuellement, c’est faux.
Pour l’année 2014, nous ne disposerons des chiffres qu’en septembre 2016, car ils sont établis à partir des données fiscales, soit avec un an de décalage, et il faut ensuite compter un an d’analyse. Il faut donc attendre deux ans pour disposer des chiffres d’un exercice donné. Et même lorsque nous disposerons des chiffres de 2014, on ne pourra pas dire qu’ils résulteront entièrement du plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale : une partie seulement de ces effets se seront fait sentir car la prime d’activité n’est entrée en vigueur que cette année et il faut aussi tenir compte de toutes les revalorisations – celles du RSA, du complément familial, de l’allocation de soutien familial, etc. Bref, les 2,7 milliards qui seront distribués aux 2,6 millions de ménages les plus démunis représentent le montant en année pleine du plan pauvreté à la fin des revalorisations.
Ainsi, même si la pauvreté n’explose pas, elle est stabilisée, avant même que le plan pauvreté n’entre dans son rythme de croisière. Dès lors, nous avons toutes les raisons de penser que, dans deux ans, lorsque nous disposerons des chiffres pour 2015 et 2016, c’est-à-dire les chiffres actuels, la pauvreté, en réalité, sera stabilisée, voire en diminution.
Pour le reste, comparons à ce qui se passe dans d’autres pays, notamment l’Allemagne, où le taux de chômage, chacun le sait ici, est bien inférieur à celui de la France – c’est du reste la raison pour laquelle on cite l’Allemagne en exemple, malgré les grandes différences selon les régions et les grandes villes, avec notamment le cas de Berlin. Le taux de pauvreté, en Allemagne est de 16 % – le seuil est à peu près identique, le revenu médian étant du même ordre de grandeur dans nos deux pays – et il augmente, il augmente même beaucoup plus qu’en France : il était de 15 % en 2012, pour ensuite progresser en très peu de temps d’1 point. La situation est donc bien plus inquiétante en Allemagne et, de fait, le même constat s’impose dans les autres pays européens. En France, que constatons-nous ? Notre système de protection sociale a servi d’amortisseur, en conséquence de quoi le taux de pauvreté a moins augmenté que dans d’autres pays et s’est désormais stabilisé. Pour autant, nous n’allons pas nous en satisfaire : loin de moi l’idée de faire un numéro d’autosatisfaction devant vous. Je tenais seulement à rétablir la réalité des chiffres.
Pour certains d’entre vous, l’augmentation de la pauvreté serait due à l’impuissance publique, d’autres se sont demandé pourquoi notre pays a sombré. Si l’on manque d’énergie à ce point, si l’on est autant résigné, on n’est plus bon pour le combat politique, je crois. Pour ma part, je ne suis absolument pas résignée. Évidemment, il reste énormément à faire. Les pouvoirs publics peuvent oeuvrer pour lutter contre la pauvreté, même s’ils ne sont pas les seuls, et tel est bien l’objectif du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.
La revalorisation des minima sociaux est certes importante mais il ne s’agit pas seulement de cela. Certains ont évoqué l’importance de l’éducation. Il va sans dire qu’elle est au centre du plan pluriannuel. Si l’éducation est une des priorités du Président de la République pour le quinquennat, c’est précisément parce que c’est un moyen de lutter contre la pauvreté. Quand nous entreprenons la réforme des collèges et que nous militons pour davantage de mixité, c’est évidemment pour lutter contre la pauvreté et éviter que certains élèves ne se retrouvent toujours dans les mêmes collèges, ce qui favorise la reproduction sociale et, en quelque sorte, rend la pauvreté héréditaire.
Afin de scolariser davantage d’enfants avant l’âge de trois ans – cela figure dans le plan pluriannuel –, il faut des enseignants, donc des fonctionnaires. Par conséquent, ceux qui veulent éliminer des effectifs d’enseignants et de fonctionnaires, ils ne sont en fait pas favorables à la scolarisation avant trois ans. Celle-ci a pourtant produit ses effets : en permettant aux enfants issus de familles plus précaires d’être intégrés à l’école plus tôt et d’y réussir, pour ensuite accéder aux études supérieures et avoir un emploi, elle contribue à lutter contre le déterminisme social. C’est dans cet esprit que nous menons de telles politiques, sur le long terme. Quand on s’assigne le but de lutter contre la pauvreté, une vision à long terme s’impose.
Cela m’amène à enchaîner sur une autre notion tout aussi importante : l’investissement social. On parle sans cesse de développement économique, d’investissement économique, mais l’investissement en faveur du développement social est au moins aussi importants. Il s’agit d’une notion simple : mener des politiques sociales publiques ne représente pas une charge ou un coût pour la société mais bien un investissement, car on évite ainsi toute une série de dépenses ultérieures. Je l’indique à l’attention de ceux qui ne se placent que sur un plan budgétaire. Ceux qui se placent au contraire sur un plan humain évitent des catastrophes sociales et sanitaires. Si l’on évite à des gens de se trouver à la rue, il y aura moins de dépenses de santé et aussi moins de catastrophes humaines.
L’investissement social est le fil conducteur du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. C’est la raison pour laquelle je lancerai prochainement une fondation pour l’investissement social, justement destinée à financer des projets dont le but est l’investissement social. Pourquoi créer une fondation et lancer de tels projets ? Pour qu’ils puissent être adossés à des projets de recherche. Il est important de disposer, en France, d’équipes universitaires travaillant sur ces sujets et démontrant que les politiques sociales sont un investissement. Cela se pratique dans beaucoup d’autres pays, notamment au Québec. Il importe que la France soit également à la pointe dans ce domaine.
Vous le voyez, le plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion est multidimensionnel.
Permettez-moi enfin d’évoquer la notion d’accompagnement. Une fois les minima sociaux accrus, une fois que l’on a pensé à la question de l’éducation, à la question du logement – en faisant en sorte d’accroître le nombre de structures d’hébergement et de logements sociaux –, à la question de l’accès à la formation professionnelle, et donc à celle de l’emploi, il ne faut pas oublier l’accompagnement social, l’accompagnement humain. Pour les personnes en situation de précarité, qui se sentent bien souvent stigmatisées par les institutions, par la population, par la société en général, qui ont perdu la confiance en elles, qui se retrouvent isolées – notamment les jeunes concernés par la garantie jeunes, car ils n’ont pas de famille sur laquelle compter et ne sont entourés que de gens qui leur disent qu’ils n’arriveront à rien –, pour toutes ces personnes, l’accompagnement est essentiel. Il leur permettra de reprendre confiance en eux-mêmes, envers la société et le système de protection sociale, et pourra les conduire à toutes les politiques d’insertion au sens large, c’est-à-dire d’accès au logement, à la mobilité, à l’emploi, à la garde d’enfants, etc. Depuis la dernière évaluation du plan pluriannuel, au mois d’avril dernier, l’accompagnement est devenu une priorité, notamment dans le cadre du plan d’action en faveur du travail social et du développement social. C’est un domaine extrêmement vaste et tous les ministères sont impliqués.
L’un d’entre vous a rappelé que l’ADN de la gauche était de lutter contre la précarité.