Intervention de Michel Lesage

Séance en hémicycle du 14 juin 2016 à 15h00
Droit humain à l'eau potable et à l'assainissement — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Lesage, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée de la biodiversité, monsieur le président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, mes chers collègues, je tiens à vous exprimer ma joie et ma fierté de voir l’Assemblée nationale examiner une proposition de loi sur l’eau, et d’en être le rapporteur.

L’eau est un sujet dont on parle trop peu dans cet hémicycle. Cette proposition de loi concerne la mise en oeuvre du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement, c’est-à-dire l’accès à l’eau pour tous. C’est un enjeu fort, comme tous les défis auxquels nous sommes confrontés concernant l’eau.

L’eau est tellement indispensable à la vie, tellement indissociable de nos existences que l’on en vient presque à négliger son importance, à oublier qu’elle doit être considérée comme un bien commun et sanctuarisée en tant que tel.

« Dis-moi ce que tu fais de ton eau, je te dirai qui tu es », écrit Erik Orsenna. Oui, l’eau est bien le reflet de nos communautés humaines. Elle est un marqueur de l’état de notre société et symbolise tous les défis que nous devons relever : la gestion de nos ressources naturelles, le développement, la dignité humaine, l’accès à la santé et à la sécurité alimentaire. L’eau est donc une question éminemment politique, car nous sommes confrontés à de multiples enjeux la concernant.

Ces enjeux sont de nature quantitative : si l’eau est un bien commun, ainsi que je le rappelais, c’est aussi un patrimoine partagé. L’eau est une ressource unique, mais ses usages sont multiples et, souvent, conflictuels.

Les enjeux sont également qualitatifs. Le temps de l’eau facile est désormais révolu. L’eau est devenue une ressource fragile. Seulement 35 % des eaux de surface sont en bon état écologique et les sources de pollution se multiplient.

Lors de la COP21, les gaz à effet de serre et la transition énergétique ont tenu le haut du pavé. J’ai eu l’occasion déjà de souligner ici que de mon point de vue, et malgré les efforts de certains, l’eau n’avait pas eu toute sa place dans les débats. Il faut se réjouir de l’accord international arraché le 12 décembre 2015 à l’unanimité des 195 États parties. Il est toutefois regrettable que le mot « eau » ne soit mentionné dans aucun des vingt-neuf articles du compromis final. Il est en effet évident que les changements climatiques sont aussi des changements aquatiques, comme on le dit parfois.

En outre, l’eau menacée peut à son tour devenir menaçante et causer des ravages, comme en témoigne la multiplication d’événements extrêmes, qu’il s’agisse de sécheresse ou d’inondations, telles que celles que nous avons subies récemment. Près de 90 % des catastrophes naturelles sont liées à l’eau. L’eau, source de vie, peut alors devenir source de drames, de morts et de conflits.

Dans le monde – et j’en viendrai à la France dans quelques instants, soyez rassurés, mais l’enjeu dépasse largement les frontières de notre pays –, 800 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau et 4 milliards, soit la moitié de l’humanité, boivent de l’eau considérée comme douteuse. Enfin, plus de 2 milliards de personnes manquent d’un assainissement permettant une vie digne. Ainsi, même si en 2010 les Nations unies ont reconnu le droit à l’eau potable et à l’assainissement comme un droit de l’homme, force est de constater que l’accès à l’eau potable est loin d’être une réalité pour tous.

Vous me direz que la situation en France est différente. Il est vrai que, dans notre pays, l’eau potable coule aujourd’hui au robinet et à tout moment dans 99 % des logements, et que 90 % des habitations sont raccordées à l’assainissement. Cependant, depuis une douzaine d’années, de nombreux rapports et travaux parlementaires ont mis l’accent sur les lacunes du droit à l’eau pour tous dans notre pays ; le Conseil d’État, le Conseil économique, social et environnemental, le Comité national de l’eau, le Conseil général de l’environnement et du développement durable – ou CGEDD. Ce dernier, dans un rapport publié début 2016, a souligné ces difficultés.

Elles concernent deux catégories de population. Premièrement, sont touchées les personnes démunies qui ont du mal à payer leur eau. Près d’un million de ménages ont accès à l’eau à un coût considéré comme excessif par rapport à leurs revenus, puisqu’il correspond à 3 % de ceux-ci. Il existe en effet un consensus entre les États de l’OCDE pour considérer ce niveau comme inabordable. Deuxièmement, le droit à l’eau n’est pas effectif pour plus de 100 000 personnes qui n’ont pas un accès direct ou permanent à l’eau et à l’assainissement : personnes sans domicile fixe, personnes vivant en habitat précaire, demandeurs d’asile ou réfugiés. Malheureusement, vous le savez, 8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, et leur situation est avant tout imputable au logement et aux charges afférentes – énergie et eau.

Tels sont les constats qui nous ont amenés à travailler sur cette proposition de loi en étroite relation avec de nombreuses associations et organisations non gouvernementales regroupées au sein d’une plate-forme coordonnée par la fondation de Danielle Mitterrand, France Libertés, le réseau Coordination eau Île-de-France et la Coalition eau. Elles doivent être remerciées et félicitées pour leur importante mobilisation. Cette élaboration partagée et l’implication de nos collègues députés Jean Glavany et Jean-Paul Chanteguet expliquent aussi que la proposition de loi ait été signée par plusieurs parlementaires, dans le cadre d’une démarche transpartisane. Je m’en félicite car, de mon point de vue, c’est trop rare dans cette assemblée. Ce texte est le fruit de trois ans de travail, de nombreuses auditions et réunions.

Le contenu concret de cette proposition s’articule en quatre points.

L’article 1er permet à la France d’introduire le droit à l’eau et à l’assainissement dans son ordre juridique interne et de le définir concrètement au travers de plusieurs exigences : chaque personne doit pouvoir disposer chaque jour d’une quantité suffisante d’eau potable pour répondre aux besoins élémentaires, accéder aux équipements lui permettant d’assurer son hygiène, son intimité et sa dignité, utiliser les services d’eau et d’assainissement dans des conditions compatibles avec ses ressources.

Les articles suivants déclinent les objectifs inscrits à l’article 1er. L’article 2 prévoit ainsi d’introduire dans le code de la santé publique l’obligation pour les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale de prendre les mesures nécessaires pour répondre à ces objectifs. Concrètement, toutes les collectivités doivent installer et entretenir des équipements de distribution gratuite d’eau potable. En outre, doivent être accessibles à toute personne, dans chaque commune de plus de 3 500 habitants des toilettes publiques gratuites, et dans les communes de plus de 15 000 habitants des douches gratuites.

Nous considérons que ces dispositions ne devraient pas être difficiles à mettre en oeuvre, car les collectivités sont toutes alimentées en eau potable au moyen de points d’eau ou de bornes-fontaines. Pour les collectivités de plus de 3 500 habitants, qui sont moins de 10 000 en France, soit 7 % de la totalité, des toilettes publiques existent déjà, en particulier sur les terrains de sport. Cette disposition présente un intérêt pour toutes les personnes, et pas seulement pour les personnes en situation d’exclusion, puisque la mise à disposition de tels équipements est aussi un enjeu de santé, d’hygiène et de salubrité publique. Les touristes pourront aussi en bénéficier, bien entendu.

J’ajoute que ces dispositions sont recommandées depuis de nombreuses années par le Conseil d’État, le Comité national de l’eau, l’Association des maires de France et le CGEDD.

Les articles 3, 4, 5 et 6 créent une allocation forfaitaire d’eau pour les personnes raccordées au réseau mais en situation de précarité. Cette allocation nous paraît indispensable pour lutter contre la précarité et parce que les dispositifs actuels tels que le Fonds de solidarité pour le logement – le FSL – interviennent de manière curative. Ils sont stigmatisants, hétérogènes et très souvent inefficaces, puisque plus de 50 % des personnes qui pourraient y prétendre ne font pas la demande.

Le député André Flajolet soulignait, dans l’exposé des motifs d’une proposition de loi qu’il avait déposée en 2010 sur le même sujet, que l’intervention au travers du FSL, « nécessaire pour apporter une réponse aux situations les plus complexes […] ne permet[tait] pas d’assurer une mise en oeuvre complète et équitable de ce droit d’accès à l’eau au niveau national ».

Nous proposons donc un dispositif national de solidarité à caractère préventif, lisible, simple en direction des bénéficiaires du RSA socle ou de la CMU complémentaire. Ce système pourrait évoluer vers le chèque énergie, ce que je suggère dans un amendement.

Le financement de cette mesure a fait l’objet de nombreuses réflexions, de nombreux débats ; c’est le point le plus délicat. Plusieurs options peuvent être envisagées. Plusieurs de nos collègues proposent, à travers des amendements, un financement assis sur une taxe sur le tabac ou sur une taxe sur le chiffre d’affaires des délégations de service public de l’eau. Cette dernière proposition aurait cependant pour conséquence d’augmenter les factures des usagers. Ce n’est pas l’hypothèse que nous retenons.

Nous proposions pour notre part d’instaurer une contribution exceptionnelle sur les eaux embouteillées. Ayant constaté qu’elle ne convenait pas à nos collègues et qu’elle posait problème sur tous les bancs de cette assemblée, il m’a paru finalement nécessaire de déposer un amendement à l’article 5 pour supprimer la disposition créant cette taxe additionnelle. Le fonds de solidarité pour le droit à l’eau serait néanmoins bien créé au sein du Fonds de solidarité pour le logement et abondé par le budget général de l’État, qui apporte déjà 15 milliards d’euros chaque année à ce fonds national.

Je tiens ici à souligner avec force à quel point il est important de conserver dans la proposition de loi le principe de financement de l’allocation par la solidarité nationale ; à défaut, le texte serait vidé de sa substance.

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