Intervention de Pierre Vimont

Réunion du 4 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Pierre Vimont, envoyé spécial du ministre des Affaires étrangères pour la préparation de la conférence internationale de relance du processus de paix au Proche-Orient :

Merci, madame la présidente, de m'avoir invité. Je vais essayer de vous expliquer en quelques mots l'objectif de cette initiative, son calendrier et la manière dont nous espérons procéder.

Cette initiative repose sur un double constat, que partagent d'ailleurs tous nos partenaires, y compris nos partenaires israéliens, ce qui est déjà, en soi, une bonne chose. Premièrement, la situation sur le terrain se détériore de plus en plus, la violence grandit et, si la communauté internationale ne donne pas le sentiment qu'elle souhaite se saisir de ce dossier, il y a un risque d'escalade et de glissement vers davantage de violence encore. Deuxièmement, pour toutes les raisons que l'on connaît, le processus de paix est, pour le moment, enlisé. Plus grave encore peut-être : par-delà les efforts menés par les Américains ou par d'autres, avec tout ce qui se passe sur le terrain, notamment la progression de la colonisation israélienne, tous ceux qui s'occupent de ce dossier ont le sentiment que la solution des deux États est en train de reculer, voire de s'évanouir. Or, en réalité, en dépit de tout ce que l'on peut raconter ici ou là, il n'y a pas d'autre option : la solution d'un État unique paraît très peu réaliste ; la plupart de nos partenaires n'y croient guère, même du côté israélien. Dès lors, tout le sens de l'initiative française, c'est de redonner à la solution des deux États une dynamique propre qui semble aujourd'hui manquer.

En termes de procédure, ainsi que vous l'avez indiqué, madame la présidente, notre idée est de travailler en deux étapes : une réunion initiale le 30 mai autour d'un certain nombre de ministres que M. Ayrault a invités, puis, sur cette base, un processus avec des groupes de travail qui seront probablement mis en place après le 30 mai, lequel déboucherait sur une conférence finale avant la fin de l'année, à l'occasion de laquelle on dégagerait une sorte de consensus entre les participants.

Nous commençons avec un groupe de pays que nous ne souhaitons pas trop nombreux, car nous voulons que cette conférence soit efficace. Nous avons lancé une vingtaine d'invitations, tout d'abord aux quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi qu'aux membres du comité de la Ligue arabe chargé de s'occuper plus directement du processus de paix, à savoir l'Égypte, le Maroc et la Jordanie, auxquels nous avons associé l'Arabie saoudite compte tenu du rôle qu'elle avait joué en 2002 dans le lancement de l'initiative de paix arabe ou « plan de Beyrouth ». Nous avons aussi convié un certain nombre d'autres pays : le Japon, qui exerce actuellement la présidence du G7 ; l'Indonésie, qui vient d'accueillir un sommet de l'Organisation de la coopération islamique sur le problème israélo-palestinien ; la Norvège, qui joue un rôle important en matière d'assistance économique et qui copréside le comité de liaison ad hoc chargé de coordonner l'aide à la population palestinienne. Nous avons ajouté quelques pays européens en raison du rôle qu'ils jouent : l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Suède, ainsi que la Pologne, compte tenu de la position prise par le groupe de Visegrád. Inutile de vous dire que d'autres pays européens ont immédiatement demandé à participer. Nous sommes en train de voir si nous pouvons élargir un peu le format, mais nous voulons, encore une fois, lui conserver un caractère relativement restreint.

Par la suite, nous entendons, d'une part, ouvrir le processus à tous ceux qui souhaiteront participer, que ce soit aux réunions des groupes de travail ou à la conférence finale, et, d'autre part, bien sûr, faire participer les deux parties prenantes, Israël et l'Autorité palestinienne. Pour la réunion initiale, nous avons souhaité réunir les représentants de la communauté internationale sans les deux parties. Celles-ci ont d'ailleurs assez facilement accepté ce principe.

Comment nos différents partenaires ont-ils réagi ?

Commençons par les deux parties concernées, Israël et l'Autorité palestinienne. Mahmoud Abbas et toute son équipe soutiennent très fortement notre initiative. Ils ont déclaré eux-mêmes qu'ils voulaient travailler en bonne entente et se coordonner avec nous. De ce fait, ils ont décidé de reporter à plus tard l'examen du projet de résolution condamnant la colonisation israélienne qu'ils ont déposé au Conseil de sécurité et qui rencontrait une assez forte résistance d'un certain nombre de partenaires. Ils se détermineront à la lumière des progrès de l'initiative française.

Pour leur part, les Israéliens ont, à ce stade, une position d'attente. On ne peut pas dire qu'ils manifestent un immense enthousiasme à l'égard de notre initiative. Ainsi que vous l'avez indiqué, madame la présidente, ils sont soucieux de préserver la négociation bilatérale directe avec l'Autorité palestinienne. Ils craignent que, à travers notre initiative, nous ne réintroduisions une dimension multilatérale qui les préoccupe. Nous leur avons fait valoir qu'il y a déjà eu, dans le passé, des interventions multilatérales, ne serait-ce qu'à travers toutes les résolutions qui ont été adoptées par le Conseil de sécurité depuis la résolution 242 de 1967, et que notre objectif était non pas d'empêcher les négociations directes – même l'Autorité palestinienne estime qu'elles sont nécessaires pour entrer dans un certain nombre de détails de ce que pourrait être le statut final –, mais de réaffirmer les grands termes de référence d'un accord de paix. Il s'agissait pour la communauté internationale de se rendre utile et de remettre en selle l'ensemble du processus de paix et la solution des deux États, à travers un ensemble d'actions – assistance économique, garanties de sécurité, mesures de désescalade – qui rétabliraient un début de confiance sur le terrain et redonneraient un caractère opérationnel à l'initiative de paix arabe de 2002. Pour le moment, les Israéliens attendent de voir quelles vont être les réponses de nos partenaires et comment le processus va s'engager avant de nous donner davantage d'indications sur leur position.

Les représentants du Quartet étaient un peu méfiants à l'égard de notre initiative, car ils avaient le sentiment que nous allions, en quelque sorte, les marginaliser. Nous avons indiqué que notre intention n'était pas du tout celle-là, mais, au contraire, de tirer parti du rapport qu'ils doivent en principe fournir avant la fin du mois. Nous avons donc souligné qu'il pouvait y avoir un enchaînement assez naturel entre leur rapport et notre propre réunion de la fin du mois : nous pourrions reprendre un certain nombre des recommandations qu'ils pourraient faire et voir, à partir de ce moment-là, comment avancer tous ensemble.

Les partenaires européens soutiennent notre initiative, avec des degrés variés d'enthousiasme. Il y a quelques semaines, le ministre s'est exprimé sur ce sujet au Conseil des affaires étrangères et a obtenu un accord de principe de tous les partenaires. Nous allons donc de l'avant, en les tenant informés. Pour ma part, je suis intervenu à Bruxelles devant le Comité politique et de sécurité (COPS). Ainsi, nous parlons avec tous ceux qui souhaitent nous entendre.

Nous parlons aussi beaucoup avec les Russes, que nous sommes allés voir. En tant que membre du Quartet, statut important à ses yeux, la Russie était, elle aussi, un peu inquiète. Nos efforts pour dissiper tout malentendu ont été, je crois, utiles. Comme beaucoup d'autres, les Russes attendent la réaction des Américains.

Le problème est en effet de savoir ce que ceux-ci vont faire avec le processus de paix pendant les derniers mois de l'administration Obama : prendront-ils une nouvelle initiative ? Vous avez rappelé, madame la présidente, que le président Obama lui-même avait émis quelques doutes à ce sujet. Lors des discussions que nous avons avec eux, nous sentons néanmoins une certaine frustration, les efforts de John Kerry n'ayant pas pu aboutir, et une volonté de voir si, à travers notre initiative, il peut y avoir une manière, au minimum, de laisser un testament, voire de favoriser un consensus de la communauté internationale autour d'une nouvelle ligne d'action possible. Nous en saurons davantage à l'occasion de la visite de John Kerry lundi prochain à Paris. Nous allons essayer de leur donner un peu de confiance dans notre initiative et voir comment nous pouvons travailler ensemble.

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