Je suis de nouveau en piste, mais, paradoxalement, ma carrière est déjà terminée. En tout cas, j'essaierai de faire de mon mieux.
Vous avez raison, monsieur Baumel : les États-Unis sont en stand-by. Ils nous disent d'ailleurs volontiers que, dans la période précédant la désignation des deux candidats et l'élection proprement dite au début du mois de novembre, il leur est difficile de prendre des initiatives publiques spectaculaires. En revanche, contrairement à ce que l'on croit parfois, entre l'élection elle-même et la fin du mandat du président sortant au mois de janvier, il y a deux mois qui peuvent être très utiles, y compris sur ce dossier : c'est au cours de cette période que le président Clinton a annoncé publiquement les paramètres qui portent son nom, lesquels constituent toujours une base de référence précieuse. Plus intéressant encore : c'est aussi à cette époque de l'année, en 1988, que le président Reagan a reconnu l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), après quoi James Baker a déployé une diplomatie très active qui a débouché sur la conférence de Madrid en 1991. Certes, les choses ont sans doute été facilitées par le fait qu'une administration républicaine succédait à une autre, le président Reagan passant le témoin à son vice-président, George Bush père.
Vous avez posé une question fondamentale : les Américains trouvent-ils ou non une utilité ou un intérêt à notre initiative ? Je dois vous avouer qu'il est difficile d'y répondre pour le moment. Nous y verrons un peu plus clair à la faveur des discussions que nous aurons avec eux. Je crois qu'ils sont vraiment dans une phase de réflexion – brainstorming. Encore une fois, ils se demandent surtout s'il y a encore une marge de manoeuvre avant la fin de la présidence Obama et si, avec notre initiative, il est possible de réussir ce qu'ils n'ont pas réussi à l'époque, c'est-à-dire de dégager une forme de consensus de la communauté internationale autour de la solution des deux États. Il y a déjà de nombreux éléments ; il faut simplement les actualiser et, surtout, leur donner une nouvelle dynamique. À la différence de la médiation menée par John Kerry, qui était purement américaine, l'initiative française peut rassembler les pays arabes, l'Asie, l'Europe et d'autres partenaires encore. Tel est son intérêt et ce qui peut faire sa valeur ajoutée aux yeux des Américains. Encore une fois, nous allons continuer à discuter avec eux et nous verrons où nous allons.
Le Liban est un partenaire important. Il demande à être associé étroitement à notre processus. Nous n'avons pas pensé inviter le Liban pour le moment, car il ne fait pas partie du comité de la Ligue arabe qui s'occupe de ce dossier. Mais nous sommes bien évidemment en contact avec les Libanais et nous les associons.
Au-delà même du processus de paix, la question plus générale qui va se poser à terme est celle de la sécurité de toute la région : de la Syrie, de l'Irak, du Liban, du Yémen et d'autres pays encore. Cette question revient en permanence, et tous nos partenaires arabes la mettent sur la table assez naturellement. Nous faisons face, au fond, à un problème général de sécurité dans la région, de confrontation avec l'Iran pour certains de ces pays, de sécurité intérieure dans beaucoup de ces pays et de radicalisation des sociétés dans tous ces pays. Ce problème extrêmement délicat doit être traité à travers une grande conférence et des relations de pays à pays.
Vous m'avez interrogé, messieurs Myard et Asensi, sur les points durs. Si l'on considère le processus de paix avec un peu de recul historique, il y a cinq ou six points fondamentaux pour le statut final, en particulier le droit des réfugiés, la sécurité, le statut de Jérusalem, les frontières, auxquels le premier ministre israélien a ajouté la nature de l'État d'Israël, en posant la question de son caractère juif – Jewish state. Si l'on prend ces questions une par une, on constate, de manière frappante, qu'il y a eu énormément de progrès au cours des quinze ou vingt dernières années : le président Mahmoud Abbas a déjà dit des choses sur le droit des réfugiés ; un travail considérable a été fait sur le statut de Jérusalem. En réalité, on n'est pas très loin du but. Mais on n'a jamais réussi à aboutir à une solution sur aucun de ces points car, bien évidemment, chacun est lié à l'autre, et on ne pourra les régler que dans le cadre d'un accord global. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans la plupart des négociations diplomatiques.
Malgré tous ces progrès, le manque de confiance entre les deux parties n'a pas permis de traiter le problème dans sa totalité et de déboucher sur un accord. Les « paramètres Clinton », que j'ai mentionnés précédemment, avaient représenté un effort impressionnant en ce sens. Le problème, c'est que la négociation n'a pas pu aller plus loin que la définition de ces paramètres. John Kerry a essayé de reprendre le processus en proposant ses propres paramètres aux deux parties, mais il n'a pas été davantage possible de déboucher sur quoi que ce soit.
L'année dernière, la diplomatie française a essayé de remettre sur la table, au Conseil de sécurité, un projet de résolution sur les paramètres, mais nous n'avons pas pu aller jusqu'au bout, là non plus. D'une part, la période n'était pas très favorable : nos amis américains, qui étaient en pleine discussion avec le Congrès sur l'accord nucléaire iranien, nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas essayer de faire passer simultanément auprès de celui-ci un deuxième dossier aussi lourd. Nous avons donc laissé tomber cette initiative, en tout cas pour le moment. D'autre part, il était très difficile de trouver un accord sur ces paramètres entre toutes les parties, y compris avec nos partenaires palestiniens, qui trouvaient que nous lâchions trop de lest et faisions trop de concessions pour obtenir un consensus ; en fin de compte, ils avaient eux-mêmes des difficultés à aller de l'avant sur notre projet de résolution.
Si nous essayons de reprendre ce travail autour des termes de référence et des paramètres, nous allons probablement rencontrer les mêmes difficultés. Mais nous allons voir ce que nous pouvons faire, avec le soutien de tous.
À certains égards, on peut en effet penser qu'il y a trop d'États autour de la table, monsieur Myard. Cependant, si nous voulons disposer, à l'issue du processus, d'un « paquet » substantiel, avec des mesures politiques, économiques et en matière de sécurité, ainsi que la relance du plan arabe de 2002, nous avons besoin de tous ces partenaires différents autour de la table. C'est cette « masse critique » qui peut, peut-être, faire la différence. C'est aussi en cela que consiste le changement de méthode : plutôt que de laisser tel ou tel membre de la communauté internationale se lancer dans une nouvelle initiative, nous essayons d'agir de manière solidaire avec d'autres, pour qu'on ait vraiment le sentiment que la communauté internationale prend ce problème à bras-le-corps.
Messieurs Asensi et Hamon, l'idée de Laurent Fabius était en effet d'utiliser la reconnaissance de l'État palestinien comme un levier. Toutefois, nous avons rencontré immédiatement une difficulté : en annonçant que, si cette initiative devait échouer – j'insiste sur ce point –, la suite logique serait la reconnaissance de l'État palestinien, nous perdions de nombreux partenaires qui étaient prêts à « monter à bord », notamment plusieurs pays européens. Compte tenu de ces réticences, nous avons préféré dire deux choses, ainsi que l'a fait récemment le ministre Jean-Marc Ayrault. Premièrement, que la question de la reconnaissance restait entière du point de vue du Gouvernement français – tout le monde est parfaitement conscient que votre assemblée a adopté une résolution sur ce point, mais il nous semble qu'il appartient au Gouvernement de prendre cette décision, souverainement, en fonction de ses mérites propres. Deuxièmement, que nous envisagions le lien entre notre initiative et la reconnaissance de l'État palestinien plutôt de manière positive, c'est-à-dire que, si notre initiative devait, par bonheur, relancer le processus de paix et aboutir à un accord, la reconnaissance de l'État palestinien en serait l'issue naturelle. Elle figure d'ailleurs parmi les points essentiels du plan de paix arabe – que nous voulons remettre à l'honneur –, avec la reconnaissance des frontières, le droit des réfugiés et la cessation de l'occupation des territoires palestiniens. Il nous a semblé plus logique de remettre les choses dans ce sens-là.
Vous soulignez, monsieur Rochebloine, que la solution des deux États s'éloigne. Telle est bien la réalité, en raison notamment – mais pas uniquement – de la politique de colonisation israélienne, avec des colonies qui, désormais, essaiment parfois de manière discontinue, ce qui rend les échanges de territoires et la solution dans son ensemble de plus en plus compliqués. Quand l'État israélien avait décidé de quitter Gaza, il lui avait fallu ramener 6 000 à 8 000 colons à l'intérieur des frontières d'Israël. Lorsque se posera, à l'approche d'un éventuel accord final, la question de l'évacuation d'un certain nombre de colonies de Cisjordanie, en tenant compte du fait que certaines d'entre elles pourraient demeurer en l'état tandis que d'autres devraient être démantelées, le nombre de colons à rapatrier serait supérieur à 100 000, voire à 150 000, selon les estimations faites par les meilleurs spécialistes. Ce travail sera donc extraordinairement difficile. Néanmoins, il faut continuer à avancer dans cette direction, la communauté internationale ayant toujours rappelé de manière unanime que la colonisation était illégale au regard du droit international. Il n'est donc pas question d'abandonner ce principe, lequel fait bien partie des termes de référence dans le cadre desquels nous entendons travailler.
Vous demandez, monsieur Cochet, si cela ne sera pas, une fois de plus, « une conférence pour rien ». Si nous prenons un peu de recul par rapport à l'ensemble du processus de paix, n'oublions pas que certaines conférences ont été des réussites, notamment la conférence de Madrid, que j'ai mentionnée, et les négociations d'Oslo. Certes, les résultats de ces conférences n'ont peut-être pas tous été mis en oeuvre. Notre intention est d'ailleurs de reprendre certaines décisions d'Oslo qui n'ont pas été appliquées et de les pousser plus loin, notamment en ce qui concerne la situation à Jérusalem-Est et l'évolution des trois zones A, B et C. Encore une fois, notre conférence vise à relancer tout ce qui a déjà pu être fait, et bien fait. Nous ne cherchons pas à tout prix à déboucher immédiatement sur un accord de paix. Nous savons que cela prendra plus de temps, car il faut arriver à convaincre les deux parties de se remettre autour de la table, ce qui n'est pas le cas actuellement. Notre objectif est plutôt, ainsi que je l'ai indiqué à plusieurs reprises, de permettre à la communauté internationale de manifester sa volonté de reprendre ce dossier en mains et de proposer des actions extrêmement concrètes pour relancer une dynamique. Si cela encourage les deux parties à se remettre autour de la table, ce sera une bonne chose. Les parties et les partenaires décideront du suivi qui pourra être donné à notre initiative. Encore une fois, nous souhaitons reprendre le problème et avancer étape par étape, un peu de la même manière que dans le cadre des processus de Madrid et d'Oslo, qui avaient prévu d'abord une autorité intérimaire, puis un statut final avec la reconnaissance de l'État palestinien. Instruits par l'expérience, nous savons que, à vouloir trop, on risque de n'aboutir à rien.
Vous avez raison, monsieur Poniatowski : la réconciliation interpalestinienne est un problème essentiel. Il est important de le garder à l'esprit, ne serait-ce que parce que Gaza concentre 40 % de la population palestinienne, constitue un poumon essentiel pour la future économie palestinienne et offre au futur État palestinien un accès à la mer dont il aura grandement besoin. Il y a actuellement des contacts informels et discrets entre le Fatah et le Hamas : d'une part, des discussions directes à Doha ; d'autre part, des contacts plus indirects par l'intermédiaire de l'Égypte, qui négocie avec le Hamas pour essayer de ramener la stabilité dans la zone du Sinaï et de régler le problème de sa frontière avec Gaza. Ces négociations sont difficiles – personne ne fait preuve d'un optimisme démesuré –, mais ont enregistré quelques progrès.
D'autre part, compte tenu du problème général de sécurité dans la région que j'ai évoqué tout à l'heure, d'autres partenaires arabes font pression sur le Hamas et le Fatah pour les ramener autour de la table et les pousser à un accord en vue de former un gouvernement d'union nationale. Nous sommes en contact avec toutes les parties qui négocient directement et suivons cela de très près. Bien sûr, si nous pouvions nous-mêmes aboutir à une réconciliation entre Palestiniens, le cas échéant à travers notre initiative, nous serions les premiers satisfaits. Mais, pour le moment, nous laissons les parties discuter entre elles et les médiateurs qui se sont proposés pour jouer ce rôle continuer leur travail.