Intervention de Pierre Vimont

Réunion du 4 mai 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Pierre Vimont, envoyé spécial du ministre des Affaires étrangères pour la préparation de la conférence internationale de relance du processus de paix au Proche-Orient :

Vous avez raison de le souligner, madame la présidente : la sécurité d'Israël a toujours été un point essentiel pour le gouvernement israélien, et le devient de plus en plus, avec la question de la reconnaissance de l'État hébreu, ainsi que nous avons pu l'observer dans toutes les négociations récentes, notamment à l'occasion des efforts de médiation de John Kerry.

La nature de la menace a-t-elle vraiment changé ? Oui et non. Sur le terrain, on assiste à une violence de plus en plus individuelle et, donc, de moins en moins contrôlable. Ainsi que certains l'ont fait remarquer, les deux mouvements d'intifada que nous avons connus dans le passé avaient une forme d'organisation, un caractère quelque peu collectif. Aujourd'hui, il s'agit d'individus qui décident, tout d'un coup, d'aller frapper leur voisin ou d'attaquer le premier passant qu'ils rencontrent dans la rue. Cette violence est particulièrement préoccupante, car il est très difficile aux autorités palestiniennes de la contrôler, ainsi qu'elles le soulignent elles-mêmes : elles ne peuvent pas être derrière chacun de leurs citoyens. Elle illustre le profond découragement et la profonde frustration que vous avez relevés, madame la présidente : ces gestes individuels sont commis par des personnes qui disent ouvertement – elles laissent souvent des témoignages derrière elles – qu'elles n'ont plus d'espoir dans le processus de paix et qu'elles ont le sentiment d'être abandonnées de tous, y compris de l'Autorité palestinienne. Ce sont, en quelque sorte, des gestes de désespoir. Cette forme d'insécurité est, en effet, nouvelle.

Quant à l'autre forme de menace que vous avez mentionnée, à savoir le risque de radicalisation et de présence de groupes de plus en plus radicalisés, elle est aussi réelle. Si nos partenaires israéliens tendent à la minimiser, les pays arabes, au contraire, soulignent que ce phénomène existe, tant dans leur propre société que dans les territoires occupés, à Gaza comme en Cisjordanie. Il faudra réagir face à ce phénomène, en ayant le courage de se poser un certain nombre de questions.

Le projet de résolution palestinien condamnant le processus de colonisation – ou « d'implantation » comme le disent les autorités israéliennes – est rédigé en des termes assez habituels, mais le gouvernement et les diplomates américains ont très vite fait savoir aux Palestiniens et aux pays qui appuient leur démarche qu'il serait très difficile pour eux de le soutenir dans le contexte électoral actuel. Dès lors, nous nous retrouvons dans une situation diplomatique assez classique : soit on va de l'avant avec le texte en l'état au risque d'être confronté à un veto américain qui créera encore plus de frustration et de désespoir sur le terrain, soit on essaie de modifier le texte pour le rendre acceptable pour la partie américaine, mais les Palestiniens trouveront alors qu'il n'a plus grand intérêt. C'est pourquoi nous avons, de même que d'autres, incité nos partenaires palestiniens à attendre, à laisser ses chances à l'initiative française et à voir comment elle se développe, avant, éventuellement, de rediscuter ensemble de ce projet de résolution.

Ainsi que je l'ai indiqué, la principale préoccupation russe était que le Quartet ne soit pas marginalisé, que son rôle ne soit pas remis en cause. Il reste un peu de cette inquiétude : si notre initiative allait de l'avant et débouchait sur un suivi ou sur telle ou telle méthode de travail, elle pourrait de nouveau, du point de vue russe, porter atteinte à la légitimité du Quartet. Nous leur avons dit que nous ne ferions rien sans en avoir discuté avec eux et avec tous nos autres partenaires, que la question du suivi était pour plus tard et que l'important était d'abord de réussir la réunion du mois de mai et la conférence finale avant la fin de l'année.

Autre motif éventuel de perplexité à Moscou : les Russes ayant eux-mêmes essayé de réunir une conférence internationale et n'ayant pas pu le faire, ils ont un peu le sentiment que nous marchons sur leurs brisées ; ils se demandent pourquoi nous réussirions là où ils ont échoué. Il faudra prendre en compte cette sensibilité.

S'agissant des pays arabes, il nous semblait que leurs priorités actuelles étaient ailleurs : la Syrie, le Yémen, la Libye, le Liban, les relations avec l'Iran, la sécurité à l'intérieur de leur propre territoire. Or, lors des contacts que nous avons eus avec eux, ils nous ont tous dit – et je crois que ce n'était pas purement du discours diplomatique ou de la langue de bois – que le processus de paix restait un dossier tout à fait essentiel à leurs yeux. Nous allons voir au cours des prochaines semaines si ces paroles se traduisent en actes, mais j'ai le sentiment qu'ils étaient assez sérieux lorsqu'ils soulignaient leur volonté de nous aider, qu'il s'agisse de l'Égypte, de l'Arabie saoudite ou de la Jordanie. Nous allons avoir encore de nombreux contacts avec ces pays ainsi qu'avec d'autres, notamment le Maroc, le Liban et des États du Golfe.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion