Intervention de Emmanuelle Cosse

Réunion du 7 juin 2016 à 16h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté

Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable :

Je vous remercie d'avoir organisé cette audition qui va nous permettre d'échanger avant le débat législatif proprement dit. Je vous prie par avance de bien vouloir m'excuser de devoir partir à dix-huit heures : je dois me rendre à Saint-Denis, où, vous le savez, s'est déroulé un terrible incendie. Si j'évoque cet accident, c'est qu'il est beaucoup question, dans ce projet de loi, de la mixité sociale. La concentration de la pauvreté, du mal-logement, de l'habitat insalubre et des marchands de sommeil dans certaines villes de France n'est pas qu'une vue de l'esprit. Vous êtes nombreux ici à être fortement impliqués en matière de logement et à bien connaître ces sujets. Il ne faut jamais oublier que les politiques que nous menons ont un impact considérable sur la vie quotidienne de nos concitoyens.

Le volet du projet de loi que je m'apprête à défendre s'inscrit dans le cadre d'une récente et vigoureuse évolution législative qui a impliqué plusieurs d'entre vous : Michel Piron, rapporteur de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, Audrey Linkenheld, rapporteure de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social ainsi que de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), Annick Lepetit, rapporteure de la loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, et François Pupponi, rapporteur de la loi ayant permis la réforme d'Action logement, mais également Benoist Apparu, qui fut ministre chargé du logement avant 2012. Au cours de ces dernières années, nous avons voulu améliorer considérablement l'ensemble du corpus législatif sur les questions de logement pour rendre nos politiques plus efficaces et plus équitables, mais aussi pour doter nos territoires d'outils qui répondent enfin aux besoins de logement de notre pays. Malgré une hausse de la construction, ces besoins restent en effet importants. Souvenons-nous que la loi SRU, adoptée il y a quinze ans, a permis de construire plus de 450 000 logements sociaux dans des communes déficitaires. Même s'il reste beaucoup à faire pour qu'elle soit mieux appliquée et mieux adaptée aux territoires, elle a porté ses fruits. Quant à la loi instituant le droit au logement opposable (DALO), elle a permis le relogement plus de 100 000 personnes.

Je tiens à répéter ce que je vous ai déjà dit à plusieurs reprises : ce projet de loi n'est pas un énième texte sur le logement. Il vise à favoriser l'égalité et la citoyenneté. Il tend à développer la mixité sociale grâce aux politiques de logement et à remettre en question des pratiques anciennes de ségrégation territoriale. Les propositions qui vous sont faites sont aussi liées aux travaux qui ont été menés dans le cadre de trois comités interministériels « Égalité et citoyenneté ». Elles s'inspirent par ailleurs de réflexions qui avaient déjà été présentées lors de la discussion du projet de loi ALUR et au cours de la grande concertation sur les attributions de logements sociaux – qui, en raison d'un chevauchement des calendriers, n'avait pas donné lieu à une traduction législative immédiate. Enfin, ce texte s'inscrit pleinement dans le cadre de la réforme des intercommunalités qui impose des fusions de communes, la création de très grandes intercommunalités et la recomposition de nombreux territoires. Cette réforme implique que nous adaptions certaines dispositions pour assurer un équilibre entre l'affirmation d'objectifs nationaux et leur régionalisation, afin de mieux répondre aux besoins des territoires.

Le titre II du projet de loi se décline en trois parties.

La première pose quelques principes majeurs en matière d'attribution de logements sociaux. Elle énonce l'objectif d'attribution de 25 % de logements sociaux aux ménages du premier quartile de revenus en dehors des quartiers de la politique de la ville (QPV). Certes, cet objectif appelle beaucoup de remarques, mais il nous faut être lucides. Nous essayons de retenir des chiffres justes, mais ce n'est pas toujours entièrement possible, car nous n'avons pas toujours les statistiques relatives aux revenus des ménages entrant dans le logement social. Au niveau national, 19 % des logements sociaux sont attribués à ce premier quartile en dehors des QPV. Mais, à l'échelle régionale, voire intercommunale, ce chiffre tombe à 11 % en Île-de-France, à 16 % dans l'agglomération lyonnaise et à moins de 10 % dans de nombreux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), quand d'autres sont à 30 %. Cela est très lié à la localisation des logements sociaux, certes. Mais on s'aperçoit aussi que les ménages du premier quartile sont assez faiblement représentés dans l'ensemble des attributions de logements sociaux. Cela nous conduit à nous interroger sur les politiques d'attribution en tant que telles et à nous demander, à dossiers équivalents, quel ménage emporte l'attribution quand les revenus sont sensiblement différents.

Le projet de loi prévoit aussi d'améliorer la transparence et la coordination de ces attributions. Si les territoires ont fait énormément de progrès en la matière, il faut aussi que la loi apporte une impulsion très forte. Je tiens à le souligner d'emblée : je souhaite que l'application de ces dispositions se fasse avec les territoires et non pas que ces derniers subissent les décisions de l'État. Il convient de responsabiliser les territoires qui doivent certes respecter ces principes, mais aussi être pleinement engagés en ce domaine. C'est le cas dans beaucoup d'entre eux – où les conférences intercommunales du logement se mettent en place et où la pratique évolue fortement –, mais pas partout. Il nous faut donc montrer que la mobilisation est à la fois nationale et locale.

Ce premier volet comporte de nombreuses autres dispositions, mais je ne les détaillerai pas toutes : sans doute m'interrogerez-vous à leur propos.

Le deuxième volet du titre II concerne la politique des loyers des bailleurs sociaux. Possibilité leur est donnée, à loyer constant au niveau global, de permuter la localisation de leurs loyers. Il ne s'agit pas de les autoriser à augmenter leurs loyers, mais de leur permettre, là où il y a concentration du même type de loyers à l'échelle d'un bâtiment, de les faire bouger pour obtenir une plus grande mixité. Cette disposition répond à une demande qui nous a été adressée par de nombreux bailleurs.

Deuxième point qui, je le sais, sera discuté : le renforcement du supplément de loyer de solidarité (SLS). Certains combattent le principe même du SLS, d'autres en demandent le renforcement. Aujourd'hui, le surloyer concerne 4 000 à 4 500 locataires – ce qui est peu comparé au million de locataires du monde HLM. Il soulève néanmoins une question de justice sociale : un locataire a-t-il, jusqu'à la fin de sa vie, un droit au maintien dans un logement HLM, quelle que soit l'évolution de ses ressources ? C'est en fonction de la réponse que nous y apporterons qu'il conviendra ou non de renforcer le SLS. Je ne doute pas que nous parviendrons, au terme de nos débats, à trouver une solution médiane.

Point important : le projet de loi renforce les dispositions de la loi SRU – ce que vous avez déjà fait en 2013, en faisant passer l'objectif de construction de logements sociaux de 20 à 25 % et en renforçant les amendes applicables en cas de manquement à cette obligation. Ces mesures ont prouvé leur efficacité dans les communes qui se sont engagées à respecter la loi. Les amendes ayant considérablement augmenté, beaucoup de communes ont été incitées à signer des contrats de mixité sociale et à changer de politique. Néanmoins, il reste encore plus de 1 000 communes déficitaires et 220 qui font l'objet d'un arrêté de carence. Si l'ensemble des communes déficitaires et « carencées » produisaient les logements exigés par la loi, cela représenterait 700 000 logements sociaux supplémentaires d'ici à 2025. On comprend à quel point ce serait précieux, quand on songe que, chaque année, nous nous battons pour accorder des agréments en vue de construire 120 000 logements sociaux, et que ce sont des communes ayant déjà 25 % de logements sociaux, mais souhaitant augmenter leur capacité d'accueil, qui font l'effort de construction le plus important.

L'État mène une action vigoureuse en faveur de l'application de la loi SRU, en reprenant des permis de construire en lieu et place des villes. Nous l'avons déjà fait dans plus de vingt communes, ce qui nous a permis de lancer des opérations de construction de quelque 2 000 logements. Le projet de loi prévoit aussi de renforcer les prérogatives du préfet, afin qu'il puisse imposer des programmes de logements sociaux aux communes carencées. Nous avons décidé de prévoir des mesures coercitives – par exemple la reprise du contingent du maire – envers celles qui ne sont pas dans la négociation. Enfin, nous souhaitons reprendre le contingent préfectoral délégué à certaines communes, car nous nous sommes rendu compte qu'il ne permettait pas de reloger les publics prioritaires dans des pourcentages acceptables.

Pour terminer sur le volet « SRU », je tiens à souligner que la nouvelle carte des intercommunalités et la loi du 18 janvier 2013 nous conduisent à nous interroger sur les effets de seuil induits dans de toutes petites communes concernées par la loi SRU, mais qui n'ont pas de demande de logement social, voire qui ne trouvent pas d'opérateur pour construire chez elles, notamment dans des zones détendues caractérisées par un fort taux de vacance. C'est une question annexe par rapport à la masse des logements à construire, mais il nous faut regarder plus finement comment la loi peut s'appliquer sur ces territoires.

Enfin, le projet de loi comporte plusieurs mesures d'habilitation. Je sais que vous aurez plaisir à les étudier une à une. Nous ne rouvrirons pas le débat que nous avons eu avec Action logement. Certaines de ces habilitations visent à simplifier et à codifier des textes ; d'autres concernent des sujets importants – celle relative au statut des résidences universitaires, nécessaire depuis l'évolution de la loi ALUR, et une autre à propos des polices spéciales de lutte contre l'habitat indigne, qui, étant trop nombreuses, doivent être unifiées, en lien avec les réflexions menées par les maires. Nous avons choisi de procéder par habilitation pour agir rapidement – ce qui ne nous empêchera pas d'organiser une concertation, y compris avec les parlementaires, comme je m'y suis engagée en ce qui concerne la loi réformant Action logement.

Nous restons à votre entière disposition pour répondre à vos questions, même techniques, concernant les mesures du projet de loi et leurs conséquences dans les territoires.

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