Intervention de Jean-François Gérard-Varet

Réunion du 7 juin 2016 à 9h30
Commission d'enquête sur la fibromyalgie

Jean-François Gérard-Varet, conseiller ordinal, membre de la section « Santé publique et démographie médicale » du Conseil national de l'ordre des médecins :

Médecin de campagne et gériatre hospitalier en Bourgogne, j'ai eu à suivre des patients atteints de l'affection complexe qu'est la fibromyalgie. Intéressé par cette pathologie, j'ai constitué un réseau de correspondants pour tenter de la comprendre. C'est pourquoi M. Patrick Bouet, président de l'Ordre des médecins, m'a dépêché aujourd'hui. J'ai aussi eu l'occasion de m'entretenir de la fibromyalgie avec des amis universitaires, au nombre desquels M. Patrick Giniès, médecin responsable du centre d'évaluation et de traitement de la douleur (CETD) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier. Il vous éclairerait utilement sur les hypothèses que l'on forme sur cette maladie – puisque c'est bien d'hypothèses qu'il s'agit : à ce jour, cette pathologie se résume à ce que je dirai être un grand flou pluri-focal. Elle a été décrite au XIXe siècle, revue par les Canadiens et les Américains, et étudiée il y a une quarantaine d'années par le professeur Marcel-Francis Kahn, rhumatologue à l'hôpital Bichat. En 1990, le Collège américain de rhumatologie s'est attaché à donner des bases un peu plus solides à ce syndrome. Au stade où nous en sommes, la cadre est celui d'un ensemble de symptômes apparents, cliniques et subjectifs, sans preuves apportées par des examens paracliniques complémentaires. Le syndrome est là mais les causes n'en sont pas connues, non plus que le traitement possible.

Les trois symptômes associés les plus importants sont une polyalgie diffuse, une fatigue chronique et des troubles du sommeil. Peuvent y être associés de nombreux autres troubles : colopathie fonctionnelle, maux de tête, douleurs ventrales ou vésicales, dysautonomie, hypotension, anxiété, dépression, troubles cognitifs… Mais, à l'examen clinique, le médecin saisi de ces plaintes ne trouve quasiment rien, mis à part les points douloureux recensés par le Collège américain de rhumatologie et dont je vous dirai un mot. C'est pourquoi le corps médical a si longtemps buté sur la reconnaissance de cette pathologie. Parce qu'ils n'avaient rien trouvé à l'examen clinique ni par le biais des examens paracliniques complémentaires – analyse de sang, imagerie de recherche, biopsie musculaire, analyse de nerfs –, certains médecins ont considéré que la maladie n'existait pas ; bref, l'incompréhensibilité du syndrome a eu pour conséquence, pendant longtemps, une sorte de fuite intellectuelle. Les choses ne se sont un peu améliorées que depuis une quinzaine d'années mais, aucun substrat anatomo-pathologique ne confirmant une lésion, nous restons face à un trouble fonctionnel.

Le Collège américain de rhumatologie a fait la liste de dix-huit points sensibles à la palpation. Pour s'orienter vers un diagnostic de fibromyalgie, il faut en premier lieu que les douleurs dont le patient se plaint soient confirmées par la pression douloureuse d'au moins onze de ces dix-huit points – mais on sait qu'un individu fatigué ou déprimé peut aussi être dolent.

Les comorbidités ont également troublé le corps médical. Au nombre des pathologies associées, je citerai en premier lieu le syndrome dépressif majeur, sans que l'on sache déterminer s'il précède le développement de la fibromyalgie, s'il lui est consécutif ou si le terrain favorise la survenue des deux affections ; les dernières recherches semblent démontrer qu'il accompagne la fibromyalgie sans en être nécessairement à l'origine. On a également constaté des troubles anxieux généralisés, si graves que l'on a parlé de catastrophisme, décrit des névroses accompagnantes, et même mentionné le stress post-traumatique comme pouvant déclencher une fibromyalgie. Tout cela a beaucoup perturbé les médecins depuis trente ans : à chaque fois, les aspects psychiatriques l'emportaient sur la pathologie clinique apparente, ce qui explique l'errance diagnostique.

L'épidémiologie montre une très nette prévalence de la maladie chez les femmes : huit cas sur dix décrits les concernent. Diverses hypothèses sont formulées pour expliquer cette disparité, la première étant une différence des systèmes neurologiques selon les sexes. Le système neurologique se subdivise entre le cerveau et les nerfs, qui transmettent les informations et la douleur. L'hypothèse a été émise d'une influence hormonale – les oestrogènes étant moins puissants contre la douleur que les androgènes –, ou encore que, le seuil de la douleur étant plus bas chez la femme, elle la perçoit plus vite que l'homme. On compte aussi, dans la liste des comorbidités, les fibromyalgies associées : polyarthrite rhumatoïde, spondylarthrite, lupus érythémateux disséminé, syndrome de Sjögren… Le professeur Giniès m'a dit que, dans certains cas, une fois la pathologie associée traitée, la fibromyalgie disparaissait. Ces pathologies connexes ajoutent à la complexité du diagnostic. Enfin, il existe un syndrome dit de fatigue chronique. Parce que, dans la fibromyalgie, la fatigue musculaire entraîne l'épuisement de l'organisme, certains ont longtemps pensé qu'il s'agissait d'une même pathologie sous deux masques. Il n'en est rien pour l'instant.

J'en viens aux conséquences pathologiques de ce syndrome et à ses conséquences sociales, qui sont les plus importantes. L'évolution se fait vers une forme chronique. Si l'on excepte les suicides possibles en cas de dépression aiguë, elle n'est pas létale : il se produit une lente altération de l'organisme touché.

Pour ce qui est de la physiopathologie de cette affection, plusieurs hypothèses ont été émises – elles demeurent des hypothèses. L'imagerie selon le procédé de tomographie par émission de positrons (TEP) montre qu'une zone du cerveau s'active en cas de douleur, l'imagerie fonctionnelle traduisant en couleurs le système électrochimique qu'est le cerveau, et donc les flux qui interviennent – l'épilepsie est un exemple de perturbation de l'activité électrochimique cérébrale.

De nombreuses hypothèses sont formulées actuellement, de nouvelles recherches étant rendues possibles par les nanotechnologies et les neurosciences. On envisage ainsi des traitements par des neuromédiateurs, corps chimiques enzymatiques présents dans le cerveau. Ainsi, l'une des caractéristiques de la maladie de Parkinson est la baisse de la dopamine : si on administre de la dopamine au malade, le tremblement disparaît. Le rôle de la sérotonine ou de la noradrénaline a été beaucoup évoqué dans le syndrome fibromyalgique car, outre que leur taux dans le cerveau est diminué chez les dépressifs, ces neurotransmetteurs interviennent dans le contrôle de la douleur. Mais l'on en reste à des hypothèses de recherche.

En résumé, la fibromyalgie est un désordre du système central de la douleur – et des corps chimiques intracérébraux et de la transmission de la douleur par la fibre nerveuse périphérique. L'hypothèse de causes neuroendocriniennes a également été évoquée mais, selon certains chercheurs, le dérèglement de l'hypothalamus ou de l'hypophyse serait une conséquence de la maladie plutôt que sa cause.

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