Intervention de Jean-Michel Casa

Réunion du 1er juin 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Michel Casa :

Je vous remercie pour vos questions qui se complètent. Pour répondre à M. Launay, il y a eu un changement radical d'attitude sur la question du réchauffement climatique avant même la passation de pouvoir entre Mme Kirchner et M. Macri.

Mme Kirchner avait présenté une offre pour la COP21, qui, sous des présentations techniques habiles, n'était pas très sérieuse puisque qu'elle aurait consisté à contribuer à hauteur de quatre degrés à l'augmentation de la température mondiale. Elle a eu tout même l'intelligence d'accepter que ce soit, au nom du Président élu M. Macri, le président de l'agence environnementale de la ville de Buenos Aires qui aille négocier au nom de l'Argentine, au cours des derniers jours de la COP21, et sur des positions radicalement différentes, plus proches des deux degrés d'augmentation, et avec de vrais engagements sur la réduction des gaz à effet de serre.

Le nouveau président s'est engagé à corriger le bilan énergétique de manière très nette. Ses priorités concernent les énergies renouvelables, le nucléaire et l'hydroélectricité. Ce changement radical de position s'inscrit dans une volonté notamment de se ré-ouvrir au monde et de se démarquer du gouvernement antérieur.

S'agissant de l'AFD, nous en sommes au tout début, nous espérons, au mois de septembre ou d'octobre, une première mission d'identification, peut être en complément avec d'autres bailleurs de fonds comme la Banque interaméricaine de développement ou la BEI.

Monsieur le président, vous avez évoqué l'UNASUR, je vous suggère de prêter attention à une autre organisation internationale en expansion : la Corporation andine de développement (CAF). Cette dernière, qui est à l'origine essentiellement andine, couvre actuellement l'Amérique latine dans son ensemble. Elle est très efficace, notamment sur les dossiers de développement d'infrastructures ciblées. Cela pourrait être utile à la mission d'identification de l'AFD, pour savoir où est-ce que nous pouvons être présents, notamment sur les projets de ferroviaire, de signalisation, de remise à niveau ou de l'électrification.

S'agissant du contentieux avec GDF Suez, il est toujours pendant. La feuille de route y consacre un passage important, afin de résoudre ces contentieux si possible à l'amiable, et de ne pas attendre la fin des procédures. Il reste actuellement quatre autres contentieux, hérités des renationalisations sauvages, pour ne pas dire des spoliations, qui ont été pratiquées par l'administration Kirchner en 2002 et 2003. Celles-ci ont permis d'évincer, sans indemnisation, toutes les grandes entreprises du service public, et, notamment, les nôtres comme Suez Environnement.

Aujourd'hui, certaines entreprises ont été indemnisées dans le cadre du tribunal arbitral de la Banque mondiale, le CIRDI. Toutes ces procédures ont été réglées avec une véritable volonté du côté argentin de trouver un compromis.

Ce qui m'a le plus frappé, à l'exception d'EDF, qui a claqué la porte, est que la plupart des entreprises françaises sont restées dans le pays et souhaitent revenir sur le marché argentin. Néanmoins, elles souhaitent revenir dans des domaines différents, moins sensibles que la gestion des eaux par exemple. Les privatisations du Président Menem ont été, de ce point de vue, assez calamiteuses, avec des contrats mal négociés, ce qui a conduit à faire de ces entreprises des victimes expiatoires. Aujourd'hui, il y a une volonté de relance dans des conditions plus adaptées et sur des choses plus concrètes comme notamment, la gestion des déchets et la biomasse.

Je suis, hélas, en désaccord sur le fond avec l'analyse de M. Myard. On ne peut pas parler de « monnaie unique » dans le cas argentin, mais d'un arrimage du peso au dollar devenu artificiel. Ce lien automatique a mené la Banque centrale argentine à dépenser des sommes considérables pour assurer la parité. Le nouveau Gouvernement a réussi, grâce à la fin du contrôle des changes, à corriger cette situation et à mettre fin à ce que l'on appelait pudiquement le « marché bleu ».

Sur la mise en oeuvre de l'Accord de Paris, on assiste à un changement radical de politique en Argentine, avec la volonté affichée de rester en dessous des 2 degrés d'augmentation des émissions. Par ailleurs, l'Argentine dispose des deuxièmes réserves au monde de gaz non conventionnel. Il s'agit de gisements qui se situent entre le gaz conventionnel et le gaz non conventionnel et dont les effets sur l'environnement sont donc limités.

Sur la francophonie, même si la situation n'est plus ce qu'elle était dans le passé, l'Argentine demeure un pays de vieille tradition francophone. Le français a longtemps été la langue des élites dans toute la région. Pourquoi le choix d'intégrer l'OIF ? C'est le signe d'une ouverture encore une fois, mais aussi d'un intérêt marqué pour l'Afrique francophone (on peut à ce titre espérer une participation de l'Argentine aux opérations de maintien de la paix dans la zone), et un signe de sympathie à notre égard. Enfin, la francophonie en Argentine s'appuie sur un réseau de 70 alliances françaises, qui sont toutes très dynamiques, et autofinancées.

Au plan diplomatique, M. Macri renoue en effet avec une certaine empathie pour l'Europe, qui fait aussi la spécificité de l'Argentine. C'est un pays développé, plus proche au plan culturel de l'Europe que du reste de l'Amérique du Sud, et n'ayant pas une grande proximité avec les Etats-Unis du fait de l'éloignement géographique. Il n'y a ni pro ni anti-américanisme marqués en Argentine, à part peut-être à l'extrême gauche. On notera enfin la forte volonté du nouveau Président de renouer des liens forts avec les membres du Mercosur, sur le modèle européen (abolition des frontières et des droits de douanes) et d'oeuvrer à la relance des négociations commerciales avec l'Union européenne.

Au sujet des Malouines, Mme Kirchner avait réclamé, avec une certaine agressivité et non sans populisme, la souveraineté sur l'archipel par la voie diplomatique et l'application des résolutions de l'ONU. On observe de la part de M. Macri une claire volonté de jouer l'apaisement avec le Royaume-Uni.

Concernant le rapport à Cuba et aux Etats-Unis, d'abord, comme dans tous les pays d'Amérique latine et en tous les cas très clairement en Argentine, aussi bien chez les péronistes et les anti-péronistes, il n'y a jamais eu de politique pro-américaine anti-Cuba. Comme dans toute l'Amérique latine, les Argentins ont toujours considéré que les Américains avaient tort de déclarer un embargo, que c'était une manière d'enfoncer les pays dans son autarcie et soutiennent donc à fond la normalisation avec Cuba.

Quant à la politique d'apurement des comptes de la période dramatique de la dictature, il faut reconnaître à la période Kirchner d'avoir conduit une politique délibérée de justice et de vérité. Cela n'avait pas été le cas sous les premiers gouvernements démocratiques – cela venait trop tôt sous la présidence de Raúl Alfonsín ; et Carlos Menem a quasiment pratiqué une politique d'indifférence totale à ce sujet. C'est grâce à Néstor Kirchner puis Cristina Kirchner que le passé a été apuré : de nombreux responsables de la dictature sont en prison ou y sont morts, après avoir été jugés. Cette politique n'a absolument pas connu de rupture. Les relations sont parfois tendues avec certaines organisations de droits de l'homme, mais c'est plus le fait de ces organisations que de Mauricio Macri. La plupart de ces organisations étaient très liées à Madame Kirchner et recevaient de colossales subventions. Ces fortes sympathies avec la gauche du péronisme ont suscité des soupçons de remise en cause de la politique des droits de l'Homme, mais je n'en vois aucune trace.

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