Commission des affaires étrangères

Réunion du 1er juin 2016 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Son Exc M Jean-Michel Casa, ambassadeur de France en Argentine

La séance est ouverte à neuf heures trente.

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Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Jean-Michel Casa, ambassadeur de France en Argentine. L'élection présidentielle de fin 2015 a porté au pouvoir M. Mauricio Macri. C'est le début d'une ère nouvelle, à double titre : c'est la première fois en effet que le péronisme enregistre une telle défaite depuis la fin de la dictature. C'est aussi la première fois que le Président doit composer avec un Parlement d'opposition. Tout cela donne un paysage politique aussi complexe qu'en France.

Au plan économique, la situation est particulièrement dégradée. L'Argentine est à cet égard un cas d'espèce des plus intéressants, car elle a connu tous les phénomènes économiques, notamment l'hyper-inflation, la disparition de la monnaie et la réapparition spontanée d'une monnaie alternative. Vous nous ferez part de votre analyse des premières mesures de redressement annoncées et de la capacité du gouvernement à poursuivre ces réformes.

Au plan international, on nous indique que la stratégie globale de « réouverture de l'Argentine au monde » se traduit par une volonté de réengager une relation avec l'Europe et les Etats-Unis, au détriment de la Chine et de la Russie avec lesquels l'ex-présidente Cristina Kirchner entretenait une relation très proche. Quelles sont les conséquences pour la France ? Nous serons évidemment intéressés par ce que vous nous direz de l'état de nos relations bilatérales.

Nous avons reçu hier M. Samper, secrétaire général de l'UNASUR et ancien président colombien, qui nous a parlé des projets d'intégration sud-américaine. Vous nous éclairerez sur ce point, car nous nous perdons un peu entre les différentes initiatives, les différents sigles.

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Son Exc Jean-Michel Casa, ambassadeur de France en Argentine

Je voudrais d'abord souligner ce qui constitue pour moi un fil directeur. Ce pays a été très marqué par son effondrement de 2001-2002. Le président radical De La Rùa, n'a pas réussi à redresser une situation très dégradée. Sont ensuite arrivés Nestor, puis Cristina Kirchner, qui ont beaucoup marqué leur époque.

L'Argentine se caractérise par un fonctionnement politique très atypique. Le péronisme est un phénomène qui ne se compare à aucun autre, car il couvre un spectre qui va de l'extrême droite à l'extrême gauche. Le couple Kirchner représentait l'extrême gauche (on pourrait dire plus ou moins l'équivalent de notre Parti de gauche).

Les élections de novembre 2015 ont marqué une rupture. On a dû pour la première fois organiser un second tour – en général, le Président est élu au premier tour, car 40 % des suffrages suffisent. M. Macri est souvent présenté comme un représentant de la droite libérale. Je serais plus nuancé. Il a été pendant huit ans maire de Buenos Aires, où sa gestion a été plutôt centriste et moderne, avec par exemple une priorité au développement durable, une grande ouverture sur les questions sociétales du type « mariage pour tous », ou encore une politique active de logement social. L'Alliance nouvelle qui vient d'arriver au pouvoir est une coalition originale. Pour la première fois, l'Argentine n'est dirigée ni par un Péroniste, ni par un Radical. Mais M. Macri est allié au Parti radical.

Le Parti radical incarne historiquement la démocratie argentine ; il est très bien implanté dans tout le pays. La coalition comprend aussi un petit parti de centre gauche d'inspiration chrétienne-sociale (« coalition civique »). Ce parti est notamment représenté au Gouvernement par le ministre des finances, A. Prat-Gay, lequel est actuellement à Paris, car l'Argentine a décidé d'adhérer à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Cette décision marque une rupture avec la politique d'autarcie qui a prédominé dans le passé, laquelle pouvait se comprendre suite au traumatisme de la crise de 2001-2002.

M. et Mme Kirchner ont mené une politique très à gauche, populiste, mais aussi de relance keynésienne par la consommation. Cette politique a d'abord permis un réel redressement, poussé par les prix élevés des matières premières agricoles, avec des taux de croissance « asiatiques » de 7-8 %. Mais ensuite la situation s'est dégradée et les deux dernières années ont été calamiteuses. La croissance de l'Argentine reposait trop exclusivement sur les matières premières et en particulier, sur le soja, qui est quasiment devenu une monoculture. Tout cela a conduit à un déficit budgétaire de l'ordre d'au moins 7 % du PIB, du fait du poids des dépenses sociales.

Autre changement marquant de 2015, le fait que l'on ait désormais un Parlement qui est clairement d'opposition. Les Péronistes ont conservé une majorité relative à l'Assemblée et une majorité écrasante au Sénat. Cela dit, ils sont très divisés et leur aile droite, qui domine à l'Assemblée, soutient M. Macri. Au Sénat, en revanche, toutes les composantes du péronisme sont présentes. Cela dit, le Sénat argentin a, encore plus que le Sénat français, un rôle de représentation des provinces : chacune de celles-ci désigne trois sénateurs ; ils sont très liés aux gouvernements locaux, et ceux-ci sont très dépendants des subsides du gouvernement central.

Au total, une opposition forte mais que le Gouvernement de M. Macri a su gérer et accommoder jusqu'à présent.

Son programme a consisté en une politique que je qualifierai de « sans faute », ou du moins répondant aux nécessités. M. Macri a hérité d'une situation budgétaire catastrophique avec des dépenses sociales très élevées, un recrutement d'agents publics important, dans des proportions qui n'ont rien à voir avec ce qu'on connaît en Europe : des dépenses indiscriminées, un gel des tarifs publics quasiment total et un déficit de l'ordre de moins de 7 % fin 2015. Le Gouvernement de M. Macri a donc voulu, dès le départ, restaurer les grands équilibres et ouvrir l'Argentine au monde après des années de kirchnerisme.

Concernant la dette publique, un certain nombre de fonds spéculatifs, les « fonds-vautours », avaient refusé sa restructuration et avaient multiplié les procédures.

Parmi les premières décisions de M. Macri, il y a eu la suppression du contrôle des changes, qui a fait passer la parité peso-dollar d'un taux de un à dix à un taux d'environ un à seize. On peut souligner également la suppression, dans un pays surtout agricole, d'une taxe sur les exportations qui freinait sa capacité d'accès aux marchés, et, de façon plus générale, la remise en cause d'un protectionnisme devenu caricatural. On ne pouvait pratiquement plus rien importer. Ce système a été remplacé par des licences quasi automatiques, ce qui a tout changé pour les entreprises.

Pour rétablir la confiance, le gouvernement de M. Macri a réussi à clore le contentieux avec les « fonds-vautours ». L'Argentine a bien négocié, ce qui lui a permis de revenir sur les marchés internationaux. Une première émission de dix-sept milliards de dollars a ainsi été lancée avec des taux d'intérêt de l'ordre de 7 %. L'Argentine avait été obligée de s'autofinancer et le faisait très mal. Dans ce contexte, aujourd'hui, il y a quelques difficultés, mais la remise à niveau était indispensable. Les déséquilibres étaient totalement hors de contrôle.

Une vraie difficulté dont souffre aujourd'hui l'Argentine est l'inflation, qui s'explique en partie par la remise au niveau des services publics. Le système de subventionnement de Mme Kirchner n'était pas soutenable, avec des factures d'électricité de l'ordre de 4 euros par mois pour une famille. Il en allait de même pour l'eau et la plupart des services publics. Les tarifs ont donc été réajustés à la hausse. Les Argentins payent donc cette politique avec un niveau d'inflation assez élevé.

L'ouverture au monde est un axe important de la politique de M. Macri. Mme Kirchner voulait s'éloigner des Etats-Unis et de l'Europe, et cet éloignement a été très marqué. On peut observer cette évolution avec la présence de M. Macri à Davos, ou la plus grande présence de l'Argentine dans le Mercosur, contrairement à la politique de protectionnisme interne au Mercosur de Kirchner, même si le Mercosur ne fonctionne pas au mieux aujourd'hui, ainsi que la réouverture de l'Argentine vis-à-vis de l'Europe. La décision de se réinvestir dans le Mercosur implique de relancer la négociation, même si les Argentins savent que ça sera long parce que les enjeux agricoles sont importants, de même que les enjeux industriels.

Le réengagement a également lieu vis-à-vis du Brésil (qui compte pour au moins 20 % des exportations argentines). Les économies argentine et brésilienne sont peut-être les économies les plus intégrées entre deux grands pays voisins, hors Union européenne.

On observe dans ce contexte une politique, non pas de rupture, mais de prise de distance avec la politique très marquée de Mme Kirchner de rapprochement avec la Chine et avec la Russie, plus d'ailleurs avec la Russie qu'avec la Chine. Avec la Russie, l'Argentine a bénéficié de l'effet d'aubaine lié aux sanctions et a vendu, en particulier, beaucoup de produits agricoles. Avec la Chine, c'était un choix plus délibéré, à la fois idéologique, et correspondant aussi aux intérêts bien compris de l'Argentine : le pays a ainsi pu acheter du matériel pour ce qui concerne les infrastructures (trains de banlieue, métros) à de très bas prix, bien que de très médiocre qualité, ce dont ils se rendent compte aujourd'hui.

Dans ce contexte, on assiste à un retour très remarqué de la France, puisque le Président de la République a été l'un des premiers à se rendre en Argentine après l'élection du Président Macri en février. C'était une visite très attendue et qui a été très réussie. Il y a en Argentine, quels que soient les gouvernements et les partis politiques – Madame Kirchner était un peu une exception – une francophilie politique extrêmement forte et marquée, où la France fait réellement figure de référence. Dans ce pays, qui parle espagnol et qui est composé à 60 de personnes d'origine italienne, la République française fait office de modèle politique. Cela a toujours été le cas : c'était vrai lorsque l'Argentine était la 11 ou 12ème puissance mondiale, dans les années 1890 juste devant la France. Nous restons à tous points de vue, une référence. L'Argentine est peut-être l'un des rares pays où nous avons à ce point une image de marque inentamée à tous points de vue (politiques, économiques, etc.).

La visite présidentielle s'est très bien passée : 27 accords ont été signés, dont une déclaration solennelle entre les deux présidents, qui ne s'appelle pas « partenariat stratégique » mais qui correspond globalement à ce que nous faisons avec le Brésil et le Mexique, et qui met vraiment l'Argentine au coeur de nos priorités en Amérique latine. Ces accords, très détaillés, sont pour une vingtaine d'entre eux très techniques. On relève aussi parmi eux un accord relatif à la coopération scientifique, technique et universitaire, qui est un des points forts de notre ancrage : cet accord a permis le renouvellement et la mise à jour de l'accord de coopération scientifique et technique signé en 1964 par le général de Gaulle, qui avait besoin d'être complété par une sorte de plan d'action, mais qui, 50 ans après, fonctionne toujours très bien . Une série d'accords techniques a aussi été conclue dans ce domaine, et notamment un accord entre le CNRS et son équivalent argentin.

D'autres accords interviennent dans des domaines des plus variés : la défense, le tourisme, le sport, etc. Un autre accord, qui n'avait pu se faire car les délais étaient trop courts, a été signé hier par Mme Malcorra, la ministre des affaires étrangères, et Jean-Marc Ayrault : il s'agit d'une feuille de route économique, qui constitue une véritable relance de nos relations. Cette feuille de route vient compléter le tableau de cette visite présidentielle, encore une fois extrêmement réussie, et qui marque un véritable retour de la France et plus généralement des Occidentaux, après des années d'absence liées à la crise de 2001-2002 et à la coupure des Argentins des marchés financiers internationaux. Cette feuille de route économique se traduit par une série de perspectives qui viennent compléter celles qui avaient été ouvertes lors de la visite présidentielle :

– la décision de l'Argentine d'adhérer à l'Organisation internationale de la Francophonie, l'Argentine ayant depuis déposé son dossier à temps pour le prochain sommet ;

– l'appui français à l'adhésion de l'Argentine à l'OCDE, et une offre technique pour coopérer ;

– la perspective de réouverture des financements Coface, totalement interrompus depuis 2002 ;

– la perspective d'une mission, d'abord d'exploration, de l'AFD, notamment pour participer au plan de relance des infrastructures, dans la mesure où l'Argentine est totalement sinistrée en termes d'infrastructures, ferroviaires notamment.

Après la remise à plat de la situation économique (contrôle des changes, fin des subventions excessives aux services publics), qui était indispensable, les priorités du gouvernement, 5 ou 6 mois après les élections, concernent le maintien des politiques sociales et la mise en place d'un plan de relance des infrastructures. Celui-ci se fonde, en particulier, sur le renouveau du ferroviaire et, bien entendu, des infrastructures routières et des ports. Sur ce dernier point, l'Argentine est très largement sous-équipée, ce qui créé des engorgements et des goulets d'étranglement phénoménaux, notamment lors des grandes récoltes (en particulier celle du soja).

La feuille de route économique, signée hier, marque aussi un réengagement très marqué en matière énergétique. On y voit une volonté de s'engager sur le terrain des énergies renouvelables, l'Argentine présentant un potentiel considérable sur le plan solaire, éolien, et de l'énergie marine, aujourd'hui largement sous-exploité, et qui constitue probablement à terme une capacité de l'ordre de 25 % de son bilan énergétique. C'est également un pays qui a parmi les plus grandes réserves au monde de pétrole et de gaz non conventionnel, mais à de faibles profondeurs, ce qui lui permet de recourir à la technologie de la fracture hydraulique sans probablement de grand dommage pour l'environnement.

On observe également une volonté de relancer le nucléaire, l'Argentine étant le seul pays d'Amérique latine à avoir une vraie politique du nucléaire. Ils ont déjà trois centrales. La prochaine sera probablement chinoise, car ils ont décidé de poursuivre avec une technologie qui avait été choisie à l'époque, à savoir la technologie CANDU, technologie canadienne à eau lourde et uranium non enrichi, que seuls les Chinois continuent encore de maîtriser. Ils devraient, pour la cinquième centrale, passer à une technologie plus moderne, qui est la nôtre et celle de l'essentiel du monde aujourd'hui, et qui fait intervenir de l'uranium légèrement enrichi et de l'eau pressurisée.

Voilà le bilan de ces premiers mois et les perspectives : une vraie inquiétude sur le plan de l'inflation, une volonté du gouvernement de s'y attaquer tout en maintenant des aides sociales pour les personnes les plus défavorisées, une volonté ensuite d'absorber la hausse des services publics - qui était absolument nécessaire - avec des économies réalisées sur le plan budgétaire et une capacité, ainsi, de financer en partie les besoins en infrastructures.

Il y a une vraie volonté de relance, qui cette fois ne passe pas par des dépenses improductives à la manière du gouvernement de Kirchner. Celui-ci avait, encore l'année dernière, dépensé beaucoup d'argent de manière inutile, recruté des fonctionnaires par centaines, voire par milliers, dans un cadre, à la manière des États-Unis, où il n'y a pas réellement de statut de la fonction publique. Le gouvernement de M. Macri fait preuve d'une réelle volonté de sortir de cette politique très populiste et de remettre le pays à niveau, notamment en termes d'infrastructures.

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Merci monsieur l'ambassadeur pour votre exposé très complet. Ernesto Samper nous disait hier que l'Amérique latine était particulièrement concernée par la question du réchauffement climatique. L'Argentine aura une augmentation de la température moyenne plus importante que la moyenne mondiale. Quel est votre regard sur l'engagement de l'État argentin face à ce changement climatique et son rôle dans les négociations climatiques COP21 et COP22, notamment après l'arrivé au pouvoir du nouveau président, qui semble être plus ambitieux dans son positionnement sur ce sujet ?

Vous avez répondu à la question que je voulais vous poser sur le scenario du retour de l'AFD en Argentine, en évoquant notamment le plan de relance sur les infrastructures.

Ma dernière question porte sur la feuille de route économique signée hier : je crois que l'Argentine a dû payer quelques 400 millions d'euros pour rupture, qualifiée d'illicite, de contrat au moment où elle a renationalisé l'eau potable dans le pays. Est-ce que cette affaire a impacté nos relations diplomatiques ?

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Quelle conclusion tirez-vous justement du fait que l'Argentine était dans un système de monnaie unique par rapport au dollar étasunien ? Quand il y a notamment une économie divergente, comment peut-on gérer un système de monnaie unique ? L'Argentine est un cas d'école.

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Monsieur l'ambassadeur, vous avez répondu dans votre exposé à un bon nombre de nos préoccupations sur la situation actuelle de l'Argentine et de ses difficultés économiques et financières. S'agissant du changement climatique, vous avez aussi évoqué une évolution politique dans la stratégie de la politique extérieure de l'Argentine. Sur ce point, je voudrais vous interroger sur la COP21, est-ce que vous pouvez confirmer l'engagement de l'Argentine dans ce processus ? Également, pouvez-vous confirmer la demande d'adhésion à l'OIF ? Quel est le sens de cette demande sinon de vouloir s'ouvrir au monde, notamment aux pays occidentaux ? Enfin, peut-on parler d'une spécificité de l'Argentine, ou ses perspectives d'avenir s'inscrivent-elles dans celles de l'ensemble du continent sud-américain ?

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Première question : concernant les relations avec la Grande Bretagne, est-ce que le dossier des Malouines est définitivement refermé ? Où en est-on et quelles sont les revendications ? Quelle est l'attitude du nouveau gouvernement sur ce dossier ?

Deuxième question : concernant les relations avec Cuba, est-ce que le réchauffement très net entre Cuba et les États-Unis a une influence sur la politique du nouveau gouvernement argentin ?

Enfin, dernière question, le dossier de l'époque militaire, à savoir les procès et la recherche en responsabilité, est-il définitivement refermé ?

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Jean-Michel Casa

Je vous remercie pour vos questions qui se complètent. Pour répondre à M. Launay, il y a eu un changement radical d'attitude sur la question du réchauffement climatique avant même la passation de pouvoir entre Mme Kirchner et M. Macri.

Mme Kirchner avait présenté une offre pour la COP21, qui, sous des présentations techniques habiles, n'était pas très sérieuse puisque qu'elle aurait consisté à contribuer à hauteur de quatre degrés à l'augmentation de la température mondiale. Elle a eu tout même l'intelligence d'accepter que ce soit, au nom du Président élu M. Macri, le président de l'agence environnementale de la ville de Buenos Aires qui aille négocier au nom de l'Argentine, au cours des derniers jours de la COP21, et sur des positions radicalement différentes, plus proches des deux degrés d'augmentation, et avec de vrais engagements sur la réduction des gaz à effet de serre.

Le nouveau président s'est engagé à corriger le bilan énergétique de manière très nette. Ses priorités concernent les énergies renouvelables, le nucléaire et l'hydroélectricité. Ce changement radical de position s'inscrit dans une volonté notamment de se ré-ouvrir au monde et de se démarquer du gouvernement antérieur.

S'agissant de l'AFD, nous en sommes au tout début, nous espérons, au mois de septembre ou d'octobre, une première mission d'identification, peut être en complément avec d'autres bailleurs de fonds comme la Banque interaméricaine de développement ou la BEI.

Monsieur le président, vous avez évoqué l'UNASUR, je vous suggère de prêter attention à une autre organisation internationale en expansion : la Corporation andine de développement (CAF). Cette dernière, qui est à l'origine essentiellement andine, couvre actuellement l'Amérique latine dans son ensemble. Elle est très efficace, notamment sur les dossiers de développement d'infrastructures ciblées. Cela pourrait être utile à la mission d'identification de l'AFD, pour savoir où est-ce que nous pouvons être présents, notamment sur les projets de ferroviaire, de signalisation, de remise à niveau ou de l'électrification.

S'agissant du contentieux avec GDF Suez, il est toujours pendant. La feuille de route y consacre un passage important, afin de résoudre ces contentieux si possible à l'amiable, et de ne pas attendre la fin des procédures. Il reste actuellement quatre autres contentieux, hérités des renationalisations sauvages, pour ne pas dire des spoliations, qui ont été pratiquées par l'administration Kirchner en 2002 et 2003. Celles-ci ont permis d'évincer, sans indemnisation, toutes les grandes entreprises du service public, et, notamment, les nôtres comme Suez Environnement.

Aujourd'hui, certaines entreprises ont été indemnisées dans le cadre du tribunal arbitral de la Banque mondiale, le CIRDI. Toutes ces procédures ont été réglées avec une véritable volonté du côté argentin de trouver un compromis.

Ce qui m'a le plus frappé, à l'exception d'EDF, qui a claqué la porte, est que la plupart des entreprises françaises sont restées dans le pays et souhaitent revenir sur le marché argentin. Néanmoins, elles souhaitent revenir dans des domaines différents, moins sensibles que la gestion des eaux par exemple. Les privatisations du Président Menem ont été, de ce point de vue, assez calamiteuses, avec des contrats mal négociés, ce qui a conduit à faire de ces entreprises des victimes expiatoires. Aujourd'hui, il y a une volonté de relance dans des conditions plus adaptées et sur des choses plus concrètes comme notamment, la gestion des déchets et la biomasse.

Je suis, hélas, en désaccord sur le fond avec l'analyse de M. Myard. On ne peut pas parler de « monnaie unique » dans le cas argentin, mais d'un arrimage du peso au dollar devenu artificiel. Ce lien automatique a mené la Banque centrale argentine à dépenser des sommes considérables pour assurer la parité. Le nouveau Gouvernement a réussi, grâce à la fin du contrôle des changes, à corriger cette situation et à mettre fin à ce que l'on appelait pudiquement le « marché bleu ».

Sur la mise en oeuvre de l'Accord de Paris, on assiste à un changement radical de politique en Argentine, avec la volonté affichée de rester en dessous des 2 degrés d'augmentation des émissions. Par ailleurs, l'Argentine dispose des deuxièmes réserves au monde de gaz non conventionnel. Il s'agit de gisements qui se situent entre le gaz conventionnel et le gaz non conventionnel et dont les effets sur l'environnement sont donc limités.

Sur la francophonie, même si la situation n'est plus ce qu'elle était dans le passé, l'Argentine demeure un pays de vieille tradition francophone. Le français a longtemps été la langue des élites dans toute la région. Pourquoi le choix d'intégrer l'OIF ? C'est le signe d'une ouverture encore une fois, mais aussi d'un intérêt marqué pour l'Afrique francophone (on peut à ce titre espérer une participation de l'Argentine aux opérations de maintien de la paix dans la zone), et un signe de sympathie à notre égard. Enfin, la francophonie en Argentine s'appuie sur un réseau de 70 alliances françaises, qui sont toutes très dynamiques, et autofinancées.

Au plan diplomatique, M. Macri renoue en effet avec une certaine empathie pour l'Europe, qui fait aussi la spécificité de l'Argentine. C'est un pays développé, plus proche au plan culturel de l'Europe que du reste de l'Amérique du Sud, et n'ayant pas une grande proximité avec les Etats-Unis du fait de l'éloignement géographique. Il n'y a ni pro ni anti-américanisme marqués en Argentine, à part peut-être à l'extrême gauche. On notera enfin la forte volonté du nouveau Président de renouer des liens forts avec les membres du Mercosur, sur le modèle européen (abolition des frontières et des droits de douanes) et d'oeuvrer à la relance des négociations commerciales avec l'Union européenne.

Au sujet des Malouines, Mme Kirchner avait réclamé, avec une certaine agressivité et non sans populisme, la souveraineté sur l'archipel par la voie diplomatique et l'application des résolutions de l'ONU. On observe de la part de M. Macri une claire volonté de jouer l'apaisement avec le Royaume-Uni.

Concernant le rapport à Cuba et aux Etats-Unis, d'abord, comme dans tous les pays d'Amérique latine et en tous les cas très clairement en Argentine, aussi bien chez les péronistes et les anti-péronistes, il n'y a jamais eu de politique pro-américaine anti-Cuba. Comme dans toute l'Amérique latine, les Argentins ont toujours considéré que les Américains avaient tort de déclarer un embargo, que c'était une manière d'enfoncer les pays dans son autarcie et soutiennent donc à fond la normalisation avec Cuba.

Quant à la politique d'apurement des comptes de la période dramatique de la dictature, il faut reconnaître à la période Kirchner d'avoir conduit une politique délibérée de justice et de vérité. Cela n'avait pas été le cas sous les premiers gouvernements démocratiques – cela venait trop tôt sous la présidence de Raúl Alfonsín ; et Carlos Menem a quasiment pratiqué une politique d'indifférence totale à ce sujet. C'est grâce à Néstor Kirchner puis Cristina Kirchner que le passé a été apuré : de nombreux responsables de la dictature sont en prison ou y sont morts, après avoir été jugés. Cette politique n'a absolument pas connu de rupture. Les relations sont parfois tendues avec certaines organisations de droits de l'homme, mais c'est plus le fait de ces organisations que de Mauricio Macri. La plupart de ces organisations étaient très liées à Madame Kirchner et recevaient de colossales subventions. Ces fortes sympathies avec la gauche du péronisme ont suscité des soupçons de remise en cause de la politique des droits de l'Homme, mais je n'en vois aucune trace.

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En matière de commerce extérieur, que vous avez évoqué, quelles sont les potentialités pour la France ? En matière d'armement, au moment où la France vend des avions et des sous-marins, y a-t-il des opportunités en Argentine ? Enfin, Business France est-il présent en Argentine ?

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Jean-Michel Casa

En matière de commerce extérieur, la France est dans une position extrêmement favorable. Nous avons un excédent d'un milliard d'euros, ce qui en fait notre 13ème excédent dans le monde, avec un taux de couverture de l'ordre de 350 % des exportations par rapport aux importations. On se défend donc très bien, notamment grâce à la présence d'entreprises implantées depuis très longtemps : 250 entreprises qui importent énormément d'intrants, notamment dans l'industrie automobile, qui effectuent le montage sur place mais importent beaucoup.

Le gouvernement de M. Macri a engagé une politique d'ouverture. On est sorti d'une période de protectionnisme au cours de laquelle les importations, y compris de pièces détachées, étaient l'exception, avec une dernière année de gouvernement Kirchner qui a été un cauchemar pour les entreprises, notamment françaises. La situation s'est considérablement ouverte et nous avions déjà un excédent. Il ne faut néanmoins pas s'en satisfaire et continuer à être présent. Nous le serons sur les marchés d'infrastructures qui vont s'ouvrir. La feuille de route qui a été signée hier respecte nos intérêts offensifs, c'est-à-dire nos intérêts en matière d'infrastructures routières et ferroviaires, de coopération spatiale – nous avons une coopération spatiale exceptionnelle avec deux satellites de télécommunications lancés et la perspective d'un troisième satellite confirmée. Il y a aussi une réouverture de la concurrence dans le secteur nucléaire, alors que Mme Kirchner avait conclu avec les Chinois et les Russes ; nous avons des chances si nous présentons une offre compétitive – sans doute de type Atméa qui correspond aux besoins de l'Argentine – techniquement raisonnable et avec des financements, la reprise des financements Coface étant très importants de ce point de vue-là.

En matière d'armements, on part de très loin. Pour résumer, depuis 1983 et le retour à la démocratie, les militaires ont été « punis », à juste titre. Les budgets militaires ont été réduits au maximum. Il n'y a pas un avion qui vole, ils ont des dizaines de super-Etendards cloués au sol qui n'ont pratiquement plus volé depuis la guerre des Malouines. Nous avons déjà repris une coopération militaire. Nous avons un contrat pour rénover quatre super-Etendards et des perspectives pour vendre des Mirage F1retirés du service en France et qui seraient remis en état. En matière navale, c'est un peu moins net. Les Argentins ne peuvent pas continuer à avoir un outil de défense complètement sinistré. Les militaires sont vaccinés contre toute intervention dans la vie politique ; leur silence est très éloquent. Leur priorité, plus que la défense au sens strict, sera le continuum sécurité-défense.

Une des grandes priorités du gouvernement de M. Macri, après la relance de la croissance, c'est la lutte contre le narcotrafic. Même s'il a des relations avec le Vatican qui ne sont pas très chaleureuses – le parti de M. Macri est un parti de centre-droit atypique, très laïc, qui a soutenu le mariage pour tous – il a repris une des expressions du Pape François selon laquelle l'Argentine était en train de glisser peu à peu vers la situation d'un Etat de narcotrafic de type mexicain. Il y a une volonté aujourd'hui de reprendre en main la lutte contre les cartels de la drogue.

Je m'attarde un peu sur ce point car c'est très significatif. L'Argentine est entourée de deux des plus gros Etats producteurs de drogue : le Paraguay qui est le deuxième Etat producteur de cannabis et la Bolivie qui est le premier producteur de coca. Contrairement à ce qu'a longtemps soutenu le gouvernement argentin, il y a aussi une forme de production en Argentine même, une implantation massive. L'axe principal de circulation est l'axe fluvial qui descend du Paraguay. Le fleuve Paraguay se poursuit par le fleuve Paraná qui coupe le pays en deux, et se jette dans le Rio de la Plata, avec un port qui est le premier du pays. Rosario est un port intérieur, avec près de 100 kilomètres de zone portuaire dans le très large delta du fleuve Paraná. C'est par là que passent toutes les barges qui viennent du nord avec les cargaisons de soja. On trouve parfois beaucoup d'autres choses que du soja dans les barges. Ce port est aussi le seul accès de la Bolivie vers l'extérieur car le fleuve Paraguay se poursuit au nord.

Sur le plan militaire, les Argentins vont donc sans doute privilégier le dual. Les Mirages pourraient ainsi avoir une utilisation dissuasive et obliger à poser au sol tous les petits avions dont on peut supposer qu'ils ne se contentent pas de transporter des passagers pour faire du tourisme de luxe. On a donc de bonnes perspectives avec nos Mirage F1 retirés du service. Il faut voir à quel tarif on les négocie et à quel tarif les Argentins négocient leur remise en état par les entreprises du secteur.

Enfin, Business France est non seulement présent mais a même ouvert, au début de cette année, un bureau de plein exercice. Elle travaillait auparavant depuis Sao Paulo. Ce nouveau bureau de plein exercice, qui s'occupe notamment des PME, enregistre des premiers résultats très encourageants. Cette présence manquait. On a la chance d'avoir en Argentine un dispositif qui fonctionne bien, parce que les services s'entendent très bien. Nous avons la chance d'avoir regroupé sur un même plateau de bureaux tout près de l'ambassade le service économique régional, Business France et la Chambre de commerce et d'industrie franco-argentine, ce qui crée des synergies notamment entre Business France et la Chambre, particulièrement pour l'accompagnement des VIE. Il y a près de 60 VIE dans le pays, qui ne coûtent pas cher aux contribuables et qui sont pour la plupart des personnes brillantes et bien formées qui très souvent restent sur place, recrutées par les entreprises locales ou depuis Paris.

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Je vous remercie pour votre propos et vos réponses très complètes. On est frappé par un chiffre que vous avez donné : une émission obligataire publique de 17 milliards de dollars au taux de 6 à 7 %, c'est-à-dire un taux inférieur à celui de la Grèce aujourd'hui. Pour un pays indépendant qui sort du défaut c'est tout à fait extraordinaire.

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Jean-Michel Casa

Et avec des offres d'achat qui ont atteint près de 80 milliards.

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Pour répondre à M. Myard : l'accrochage des monnaies n'est pas la même chose qu'une monnaie unique mais cela a des effets pervers. Si vous décidez de vous accrocher à une monnaie, comme cela a longtemps été le cas de la monnaie irlandaise, paradoxalement accrochée à la livre sterling, vous avez l'inconvénient d'une parité fixe, mais vous n'avez pas l'avantage de la monnaie unique européenne d'avoir la couverture d'une banque centrale et un gouverneur qui peut, par sa simple parole, provoquer des résultats très intéressants et faire baisser les taux de marché.

Il me reste Monsieur l'ambassadeur, à vous remercier pour votre présence.

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Jean-Michel Casa

C'est moi qui vous remercie de m'avoir invité.

La séance est levée à dix heures quarante-cinq.