Ces trois amendements, qui représentent l'espoir d'une énorme avancée pour des populations de plusieurs millions de personnes – des peuples, pourrais-je dire –, s'inscrivent dans le prolongement d'un discours prononcé par le Président de la République en Guadeloupe pour l'inauguration du Mémorial ACTe, le 10 mai 2015, lors duquel il a affirmé, devant cinq chefs d'État et une vingtaine de délégations, vouloir s'acquitter de la dette morale à l'égard d'Haïti.
La révolte des esclaves dans le territoire français de Saint-Domingue a abouti en 1793 à une première abolition française de l'esclavage qui sera généralisée par la Convention à l'ensemble des colonies françaises quelques mois plus tard. Haïti arrachera finalement son indépendance le 1er janvier 1804. Vingt et un ans plus tard, en 1825, Charles X envoyait sur place une armada de quatorze bâtiments de guerre afin de signifier aux responsables de la première République noire que, pour rester libre et souveraine, celle-ci devait s'acquitter d'un tribut de 150 millions de francs-or.
Confronté à l'incapacité d'honorer cette « dette », le jeune État a signé un traité de paix et d'amitié avec son créancier le 12 février 1838, par lequel la France acceptait de reconnaître l'indépendance pleine et entière de la République d'Haïti tout en réduisant les sommes dues à 60 millions. L'indemnité versée, qui s'élèvera finalement à 90 millions de francs-or, sera financée par un système bancaire français permettant à la France de contrôler les finances haïtiennes jusqu'au début du XXe siècle. Cette « dette de l'indépendance » ne sera acquittée qu'en 1883 par Haïti – de façon « impeccable », comme l'a dit Régis Debray – du moins pour ce qui est du principal, car les emprunts et les intérêts contractés auprès des banques françaises, puis américaines n'ont, eux, été définitivement soldés qu'en 1952.
Sans prétendre à une quelconque réparation financière, notre amendement propose d'abroger symboliquement l'ordonnance du 17 avril 1825, conformément aux valeurs actuelles de la République française : on ne peut laisser subsister dans notre corpus juridique ce texte profondément injuste. Chaque année, la France aide Haïti à hauteur de plusieurs millions d'euros et, en en ce moment même, la région Guadeloupe mandatée par l'ensemble des régions françaises construit un lycée français en Haïti. À côté de cette aide matérielle, la majorité de gauche et, au-delà, notre assemblée tout entière, s'honoreraient de prendre la décision symbolique, mais très attendue, consistant à abroger l'ordonnance de Charles X du 17 avril 1825. C'est l'objet de l'amendement CS677.
L'amendement CS680 a un objet similaire, puisqu'il vise à l'abrogation de la loi du 30 avril 1849, relative à l'indemnité de 120 millions de francs accordée aux colons par suite de l'abolition de l'esclavage. Cette indemnité a été réglée aux colons de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion, et il en a été prélevé un huitième « pour servir à l'établissement d'une banque de prêt et d'escompte dans chacune de ces colonies » – la dernière a fait faillite il y a une dizaine d'années en Martinique. Si la portée de cet amendement est, là encore, largement symbolique, il pourrait toutefois également trouver une application concrète, des collectifs guadeloupéens ayant lancé une action en justice contre l'État français pour obtenir une réparation collective en faveur des descendants d'esclaves : deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont ainsi été déposées et, après avoir été examinées par la Cour de cassation, devraient être transmises au Conseil constitutionnel. En tout état de cause, le simple souci de cohérence nous empêche de laisser cohabiter, à côté de la loi de 2001 reconnaissant que l'esclavage est un crime contre l'humanité, un texte certes ancien, mais toujours présent, tendant à indemniser ceux-là mêmes qui ont commis ce crime !
Enfin, l'amendement CS676 vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport relatif à l'abrogation du décret du 24 novembre 1849 relatif à la répartition de l'indemnité coloniale et de l'article 5 du décret relatif à l'abolition de l'esclavage dans les colonies et les possessions françaises du 27 avril 1848 puisque, par leur nature, ces textes, contrairement à la loi du 30 avril 1849 précitée, ne sont pas abrogeables par voie parlementaire.
Nous ne voulons pas réécrire l'histoire, et c'est donc bien l'abrogation – c'est-à-dire la suppression à partir de maintenant, pour l'avenir – de ces dispositions honteuses que nous demandons, et non leur retrait. Le 16 pluviôse an II – 4 février 1794 –, la Convention s'est prononcée par acclamation pour l'abolition de l'esclavage. Je vous propose aujourd'hui de renouer avec cet esprit révolutionnaire !