Intervention de Yves Bertoncini

Réunion du 1er juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Yves Bertoncini :

Je vous remercie pour vos nombreuses questions, je vais essayer d'y répondre en les reprenant dans l'ordre.

MM. Christophe Caresche et Pierre Lequiller, j'avais conclu mon propos introductif par une référence à votre excellent rapport sur l'influence française au sein de l'Union européenne, vous me permettez donc de boucler la boucle.

Je crois qu'il ne faut pas être trop pessimistes, même si sur les sujets économiques, sociaux et budgétaires les Français sont franco-sceptiques, et les Européens aussi.

Un pays qui n'arrive pas à respecter des engagements auxquels il a librement souscrit et qui qualifie ces derniers de « dogme » perd à la fois de sa crédibilité et des marges de manoeuvre, puisqu'il doit s'en remettre aux marchés financiers. Cela dessert l'influence de la France, notamment vis-à-vis de l'Allemagne, et c'est dommage car cela obère la capacité de notre pays à promouvoir de nouvelles réformes pour la zone euro, qui pourtant sont nécessaires. Il faut mettre notre maison en ordre avant de vouloir modifier les règles de vie du village.

Il est aussi difficile pour la France d'aller plus loin en matière économique et budgétaire car elle a, dans les faits, déjà beaucoup obtenu, qu'il s'agisse de solidarité vis-à-vis des pays en crise, de l'union bancaire, de l'assouplissement des règles du pacte de stabilité, du lancement du plan Juncker ou encore de l'action - très peu orthodoxe pour des yeux allemands - de la banque centrale européenne.

Si la France est en difficulté sur ces thèmes, son influence reste importante sur d'autres sujets tels le terrorisme ou la sécurité, sur lesquels elle est très active, notamment au Sahel, et qui sont les urgences du moment. Plus que sur les sujets économiques ou budgétaires - à mon avis gelés par la perspective des élections françaises puis allemandes prévues en 2017 -, ce sont sur ces sujets de sécurité qu'il faudrait engager une initiative après le 23 juin, d'autant que les opinions publiques seraient sans doute réceptives à une proposition de pacte de sécurité permettant d'agir à la source – y compris par de nouveaux moyens militaires dans certains pays, dont l'Allemagne –, aux frontières et sur nos territoires grâce à une coopération policière et judiciaire approfondie. La France se grandirait si elle présentait des propositions sur ce registre, où elle est forte, et qui concerne l'ensemble des États membres, y compris le Royaume-Uni, quel que soit le résultat du référendum.

Cela implique toutefois un geste de la France, celui de valoriser l'attitude de l'Allemagne vis-à-vis des réfugiés et de respecter son engagement d'en accueillir 30 000 en deux ans. À la mi-mai, 543 réfugiés relocalisés ont été accueillis – ainsi que 221 réfugiés réinstallés) –, il faudrait donc à ce rythme 45 ans… alors qu'il est évident que la France peut les accueillir. Notre pays est deux fois moins dense que l'Allemagne.

Se recentrer sur le noyau dur originel n'est pas la solution, cela ne correspond ni aux besoins du moment ni au génie français, et je ne suis pas convaincu que les pays fondateurs soient d'ailleurs partants. Il suffit de regarder l'attitude des Pays-Bas ou de l'Allemagne. Ce dont nous avons besoin, c'est d'un double agenda positif, l'un pour la zone euro, et l'autre pour les 28.

S'agissant des pays de Višegrad, il faut avoir un dialogue exigeant avec eux, et tenir un discours sur les valeurs européennes, mais surtout sur le respect des principes communs. Ces pays n'expriment pas de crise d'appartenance, bien au contraire, ils souhaitent rester dans l'Europe car elle leur apporte beaucoup, en investissements directs étrangers, en transferts budgétaires et en termes de liberté de circulation. Certes, ils ne sont pas habitués à accueillir des étrangers, mais il est facile de les rassurer sur ce point : les étrangers ne veulent pas aller chez eux, tout comme ils ne veulent pas venir en France d'ailleurs. Ce déficit d'attractivité est un autre signe de faiblesse, je le souligne. Mais il leur faut assumer une partie de ce qui pour eux représente un inconvénient : dans une maison commune, on se doit de respecter des règles. Des solutions commencent à s'esquisser d'ailleurs, avec une alternative : l'accueil physique ou une participation au financement, un peu à l'image du système mis en place pour le logement social par la loi SRU dans notre pays.

Ce qui s'est produit voilà quelques jours en Autriche traduit en partie un phénomène d'angoisse vis-à-vis d'un flux des réfugiés, complètement chaotique, avec non seulement les 90 000 personnes qui ont déposé une demande d'asile en Autriche – pays huit fois moins peuplé que la France, je le rappelle – mais aussi les centaines de milliers d'autres qui ont simplement traversé ce pays pour aller en Allemagne. Mais il y a aussi une dimension proprement autrichienne dans le résultat des élections présidentielles, avec la remise en cause de la gouvernance bipartisane en place depuis 1945, alternativement puis sous la forme d'une grande coalition, et la recherche d'alternatives, soit vers une extrême droite relookée soit, plus à gauche, vers les Verts. Cette résistance civique - il n'y a pas eu d'appel au front républicain – montre d'une part qu'élire des forces d'extrême droite, qui pourtant se réclament du peuple, reste un problème pour les citoyens européens, et, d'autre part, que la balle est dans le camp des partis de gouvernement, qui doivent changer à la fois leurs pratiques et les hommes qui les incarnent. Les sociaux-démocrates l'ont fait en Autriche, en changeant le chancelier, les conservateurs ont dans leurs rangs un homme qui pourrait incarner ce mouvement, l'actuel ministre des affaires étrangères, qui a 29 ans.

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