Intervention de Thomas de Maizière

Réunion du 15 juin 2016 à 8h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Thomas de Maizière, ministre de l'Intérieur de la République fédérale d'Allemagne.2--> :

Je vous présente mes excuses pour ne pas parler français, alors que j'ai un nom français, étant le descendant d'une famille huguenote. J'ai appris à l'école le latin et le grec, ainsi que l'anglais ; le français en a souffert.

C'est la deuxième fois que je me présente devant une Commission du Parlement français, car je suis déjà venu avec Jean-Yves Le Drian en tant que ministre de la défense. Je ressens comme un grand honneur que vous acceptiez de m'accueillir à une heure si matinale pour discuter.

Je confirme que Bernard Cazeneuve et moi avons une relation personnelle très étroite, marquée de confiance. Aucune initiative européenne n'est prise sans que nous n'en ayons parlé, aucune position n'est arrêtée sans que nous ne nous soyons concertés, et nous nous concertons même sur l'ordre de prise de parole. La coopération ne pourrait être plus étroite. Je rencontre Bernard beaucoup plus souvent que certains collègues allemands, bavarois ou berlinois.

L'Allemagne n'a pas été épargnée par le terrorisme. Il y a quelques mois, un attentat commis à Istanbul a causé la mort de douze Allemands. Des attaques terroristes ont également eu lieu sur le territoire allemand, mais c'étaient de petites attaques. Quand, comme avant-hier, un policier français et sa compagne sont assassinés à leur domicile, cela touche profondément les Allemands. Les attaques terroristes qui ont lieu ailleurs nous touchent aussi, bien sûr, mais pas à un tel degré.

La France et l'Allemagne échangent des informations. C'est ainsi grâce à une information française que nous avons pu arrêter en Allemagne trois personnes dont nous supposons qu'elles avaient prévu de commettre un attentat à Düsseldorf.

C'est un grand mérite de la France, et de Bernard Cazeneuve en particulier, que nous ayons davantage avancé en Europe dans la lutte contre le terrorisme ces douze derniers mois qu'au cours des dix dernières années. Nous avons ainsi adopté la directive sur les données relatives aux passagers aériens, nous avons modifié le mode d'accès au SIS et nous sommes en train de modifier le code frontières Schengen en vue d'un contrôle systématique. Nous avons également lancé un travail de modification du règlement Eurodac, l'objectif étant d'enregistrer les noms en plus des empreintes digitales ; on se demande bien pourquoi cela n'a pas été prévu dès le départ.

L'Allemagne et la France ont par ailleurs mis l'interopérabilité des fichiers à l'ordre du jour. Pour les migrations, le tourisme, la sécurité, nos banques de données sont entièrement séparées. Un tel système a été conçu comme un moyen de protéger les données mais nous devons changer les modes opératoires. Il faut créer des interfaces entre Eurodac, le PNR, le SIS..., et nous y travaillons. Nous sommes également en train de créer une base de données des services de renseignement, à La Haye, au sein d'un groupe de travail contre le terrorisme. C'est encore plus compliqué, mais, cela dit, les services de renseignement européens échangent déjà ; c'est un grand progrès accompli ces douze derniers mois. Il reste beaucoup à faire. Nous n'avons pas encore, par exemple, une définition commune de la personne susceptible de constituer une menace.

Avant d'en venir aux migrations, je voudrais dire un mot de l'Euro 2016. Lorsque l'Allemagne et la France se rencontrent sur un terrain de football, l'amitié s'arrête, mais cela ne sera pas avant la demi-finale ou la finale. En dehors des stades, nous avons la plus étroite coopération. Nous avons transmis 2 500 noms de hooligans à la France et interdit à plusieurs personnes, notamment en lien avec l'extrémisme de droite, de sortir d'Allemagne. Certaines d'entre elles ont cependant franchi la frontière.

L'alcool joue un rôle dans la violence du hooliganisme et je soutiens la position de Bernard Cazeneuve quand à la nécessité d'interdire l'alcool sur certains lieux sensibles. Je suis également admiratif des procédures rapides que la France a prises ; cela me servira d'exemple en Allemagne, où le droit le permet mais où c'est rarement appliqué.

J'ai une grande confiance à l'égard des services de sécurité français. Je trouve étrange la polémique sur le travail de ces services alors que n'est pas discutée la violence des hooligans. Nous avons en Allemagne, malheureusement, une grande expérience du hooliganisme. Ce qui s'est passé entre supporters russes et anglais n'est pas spontané ; c'est quelque chose d'organisé, de préparé bien en amont. Il faut en être conscient.

En ce qui concerne les migrations, l'Allemagne et la France ont été les premiers pays à apporter une aide à Frontex. Nous nous sommes rendus ensemble, Bernard et moi, à Athènes, où nous avons eu un entretien mémorable avec notre homologue grec. Nous soutenons le règlement Frontex pour la création d'une force européenne de garde-côtes et souhaitons fortement que la Commission européenne fasse des migrations un axe central de son action. Nous nous félicitons de la communication de l'Union sur l'idée d'entretiens avec des États tiers. Eurodac sera en outre renforcé.

L'accord avec la Turquie a conduit à la fermeture de la route des Balkans. À première vue, les chiffres ont baissé mais nous ne savons pas ce qu'il en sera à plus long terme ; le président turc est un personnage assez singulier. Nos efforts doivent à présent être dirigés vers la Méditerranée. L'Italie se comporte mieux désormais. Les chiffres de juin indiquent une augmentation ces derniers jours depuis la Libye. La méthode de la Turquie est la bonne et devra être transposée à l'Afrique du Nord. Nous ne voulons pas donner une prime à la venue irrégulière en permettant de rester en Europe. Il faut travailler sur des contingents à la réinstallation et empêcher les autres de venir. Le retour est déjà difficile pour la Turquie mais ce le sera plus encore pour la Libye et l'Égypte.

L'Allemagne n'a pas ouvert les frontières, comme on l'entend souvent dire. Les frontières étaient ouvertes : la question était de savoir s'il fallait les fermer. C'est le Premier ministre autrichien qui a appelé la Chancelière allemande, et non l'inverse, dans la nuit du 4 au 5 septembre, pour répondre à une situation humanitaire particulière à Budapest. L'appel d'air ne vient pas de cette décision mais de la situation des réfugiés dans son ensemble et de la décision des Hongrois de construire une clôture. Cela peut être vérifié par les chiffres.

Nous souhaitons maintenir Schengen et ce n'est possible que si la protection aux frontières extérieures fonctionne. C'est donc là que doivent porter nos efforts. Ce sont encore 150 personnes qui arrivent en Allemagne chaque jour. Nous avons changé beaucoup de lois de notre pays, modifié le droit d'asile, en réaction au grand nombre de migrants, et la situation a été maîtrisée. Nous avons raccourci les procédures d'asile et nous souhaitons renforcer les retours mais nous nous engageons aussi vis-à-vis de ceux dont nous supposons qu'ils resteront. Nous devons être fermes sur les retours mais déterminés à assurer l'intégration de ceux qui ont besoin d'une protection.

La libéralisation des visas était une initiative franco-allemande. Nous espérons à présent que le Parlement européen adoptera avant la pause de l'été, ou à défaut juste après la pause, un mécanisme de suspension en cas d'abus de demandes d'asile et de séjours illégaux, selon une procédure courte et même à la demande d'un État membre. Le mécanisme sera applicable à toutes les décisions futures mais aussi à celles déjà prises jusque-là. Enfin, l'Allemagne et la France sont en phase sur les décisions concernant la Géorgie et l'Ukraine.

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