Les frontières terrestres sont relativement faciles à contrôler mais c'est plus difficile pour les frontières maritimes, et ce pour des raisons tant techniques que juridiques. Si vous trouvez quelqu'un en haute mer, vous avez le devoir de le sauver. Vous pouvez le reconduire dans un territoire en dehors de l'Union européenne mais seulement à condition qu'il n'y soit pas exposé à un danger de mort ou de torture ; ce sont les termes de la Convention de Genève. L'accord avec la Turquie consiste justement à permettre à l'Europe d'avoir un port sûr à l'extérieur.
Nous devons travailler sur le sujet de hot spots en dehors de l'Europe, en veillant à ce qu'un hébergement sûr soit possible dans ces pays. C'est plus facile à dire qu'à faire. Il faut l'accord de ces pays et ils se font payer cher. C'est pourtant impératif et urgent. Le sauvetage vers l'Italie crée un appel d'air. On estime à 10 000 le nombre de morts sur la route méditerranéenne, à 14 000 celui des sauvetages. Quand nous sauvons des gens et les conduisons en Italie, c'est une bonne affaire pour les passeurs, mais nous ne pouvons pourtant pas laisser ces personnes se noyer.
L'année dernière, nous avons accueilli environ un million de réfugiés en Allemagne. Je dis « environ » car nos bases de données étaient distinctes et séparées, pour des raisons de protection des données. Si quelqu'un avait été enregistré à Hambourg et se rendait ensuite à Munich, les Munichois ne savaient pas qu'il avait été à Hambourg. Si une autre personne partait en Suède, il restait compté parmi les réfugiés en Allemagne. L'automne dernier, certains jours plus de mille personnes sont parties vers les pays nordiques. Nous avons modifié le système et sommes en train de comparer les chiffres avec les autres pays.
Ceux qui partent des côtes libyennes ne viennent pas de Syrie ou d'Irak, ils ne font pas le détour de la Turquie par la Libye vers l'Europe ; ce sont presque tous des Africains, ce qui complique encore la tâche.
Beaucoup de réfugiés disent que le policier allemand est le premier policier qui soit sympathique vis-à-vis d'eux, et nous n'avons pas l'intention de changer cela. Cependant, l'élément le plus fort de l'appel d'air, ce sont nos prestations sociales très élevées par rapport à la moyenne européenne. Or notre Cour constitutionnelle ne nous permet pas de réduire ces prestations. Nous coopérons avec la France pour travailler à un système d'asile européen commun, en vue d'un début de nivellement des prestations sociales.
On a peut-être eu le sentiment que la Chancelière s'était prêtée à des centaines de photos, mais il s'agit seulement de deux ou trois, lors d'une visite unique. On la critiquait avant cela de ne pas se rendre dans les camps de réfugiés.
La longueur des procédures et le faible quota de retours ont aussi contribué à l'appel d'air. C'est pourquoi nous avons changé nos lois sur l'asile et renforcé les retours : nous allons passer à 100 000 retours, forcés ou volontaires. Ce n'est pas encore suffisant. La faute n'en est pas seulement aux autorités allemandes, si cela n'a pas toujours bien fonctionné ; c'est aussi dû aux pays d'origine. Si quelqu'un jette son passeport, le pays peut dire qu'il n'est pas établi que la personne est un de ses ressortissants, et il est difficile d'éloigner la personne dans ces conditions.
La position des ministres de l'intérieur allemand et français, comme de tous les autres ministres de l'intérieur européens, est d'établir un lien entre migrations et politique de développement : more for more mais aussi less for less. Le pays qui n'est pas prêt à recevoir ses ressortissants doit en subir les conséquences dans d'autres domaines politiques. Cette position n'est pas partagée par les ministres des affaires étrangères ou de la coopération, qui s'opposent à ce genre de contreparties.
En ce qui concerne l'Euro, je ne connais pas précisément les règles de l'UEFA mais la disqualification devrait à mon sens être possible. C'est une règle qui existe en Allemagne, ainsi que d'autres : le ministre de l'intérieur du Land peut par exemple ordonner qu'un match se déroule sans spectateurs. Le contre-argument à une telle mesure est que la violence se produira alors dans les rues, en dehors des stades. Il faut donc bien réfléchir. Des amendes peuvent également être prononcées. C'est à l'UEFA d'en décider. Celle-ci affirme que, les billets étant nominatifs, il faut contrôler l'identité des personnes à l'entrée ; j'ai entendu dire que cela n'a pas toujours été le cas.
Il se trouve des personnes venues en Europe en tant que réfugiés parmi les auteurs des attentats de Paris. Il convient tout de même d'indiquer que ces personnes ont été enregistrées cinq ou six foix à Leros ; il est possible que cela ait eu pour but de lancer un débat sur la présence de terroristes parmi les réfugiés.
Nous avons quelque 300 à 400 indices sur de possibles sympathisants de Daech, mais la plupart reposent sur des dénonciations calomnieuses. Plusieurs dizaines de procédures d'enquête sont ouvertes. Toutefois, personne ne peut dire que, parce qu'il n'y aurait plus de réfugiés, nous n'aurions plus de terroristes. L'auteur de l'attentat du Musée juif de Bruxelles s'est rendu à Bruxelles en passant par l'Allemagne et la France mais n'était pas un réfugié. L'enregistrement des réfugiés aux frontières extérieures doit être amélioré mais cela ne résoudra pas le problème du terrorisme.
En ce qui concerne les passeports falsifiés, il nous manque un entry-exit system. Une personne obtenant un visa dans un État tiers peut finalement ne pas voyager ; cela vous est peut-être déjà arrivé aux uns et aux autres. Dans un système où l'on ne contrôle que le visa, il n'est pas noté si la personne est entrée sur le territoire ou non, ni si elle est ressortie. Nous ne pouvons régler ce problème à l'intérieur de Schengen. Or nous devons savoir qui vient dans l'espace Schengen, notamment pour détecter les personnes qui restent au-delà des délais de leurs visas, de manière irrégulière. Ces dernières semaines, a donc été lancé, à notre demande, un tel système d'entrée et de sortie ; cela demande de mettre en place des banques de données d'enregistrement ainsi que d'autres dispositifs.
En ce qui concerne le populisme de droite, il existe un nouveau parti en Allemagne, l'AFD. Le NPD plus ancien fait l'objet d'une procédure d'interdiction devant notre Cour constitutionnelle. L'AFD est un parti populiste qui obtient environ 15 % des voix dans certaines élections régionales, et a même obtenu un score de 20 %. Il est porté par un mouvement – le même, plus ou moins, qui explique le succès de Donald Trump aux États-Unis – anti-establishment, anti-mondialisation, offrant des réponses simples à des questions complexes, avec une destructivité négative dans la communication.
Avant même les réfugiés, nous connaissions en Allemagne une certaine tendance à la brutalité du langage, avec des commentaires sur internet qui n'auraient pas paru il y a cinq ans ou alors seulement de manière anonyme. C'est un langage brutal vis-à-vis des journalistes, des femmes, des migrants… Le nombre d'attaques contre les hébergements d'asile a été multiplié par cinq. Les forces de police mais aussi les sauveteurs sont attaqués. La société a tendance à devenir plus brutale ; nous devons vraiment avoir un débat sur notre manière de vivre ensemble.
Les personnes susceptibles de représenter une menace terroriste sont entre 400 et 500 en Allemagne. Il y a ensuite la catégorie des personnes qui ont un contact spécial avec les premières, soit environ mille personnes. Toutes ne peuvent être surveillées en permanence, et ce n'est pas non plus utile. Il est plus judicieux de les suivre de manière couverte ou de surveiller les lieux où elles se rencontrent souvent, c'est-à-dire de leur permettre de circuler librement pour connaître leurs contacts. Le problème est celui des ressources de la police.
Il y a aussi des cas que nous connaissons moins. Il y a quelques semaines, une jeune fille d'à peine quinze ans a provoqué un contrôle policier à la gare centrale de Hanovre avant de poignarder un policier, qui a survécu. Cette personne avait été radicalisée à l'âge de onze ans. Elle ne figurait pas dans notre fichier de personnes susceptibles de constituer une menace. Malgré la qualité des services de sécurité, le succès n'est jamais sûr à 100 %.
Les événements de Cologne ont changé la situation. Nous avons modifié notre droit au sujet de l'expulsion des personnes, y compris pour les personnes vivant depuis un certain temps en Allemagne. En octobre, j'ai demandé que l'on établisse un bilan de la criminalité parmi les migrants. Le résultat est qu'il n'y a pas de surreprésentation de la violence due aux réfugiés, mais il existe des différences. Les Syriens sont en-dessous de la moyenne, les demandeurs d'asile des Balkans et d'Afrique du Nord sont au-dessus. Entre trois et quatre millions de Musulmans vivent en Allemagne. La plupart d'entre eux respectent les lois, sont de bons voisins, paient leurs impôts et ont un comportement absolument irréprochable.
En ce qui concerne la Turquie, si les conditions ne sont pas remplies, c'est à moi que revient la responsabilité de ne pas donner de visas. La Turquie elle aussi a besoin de bonnes relations avec l'Union européenne. Je suis contre l'intégration de la Turquie dans l'Union mais pour de bonnes relations avec elle. Il est aussi de notre intérêt de l'avoir comme partenaire de l'OTAN.
S'agissant de la protection des policiers, nous travaillons avec des caméras piétonnes, ou bodycams, qui permettent le recueil de preuves en cas d'actes dirigés contre les agents. Nous travaillons par ailleurs avec des physionomistes sur les cas de hooliganisme. Nous en avons envoyé en France pour l'Euro ; je vais les rencontrer tout à l'heure. Pour la première fois, le Gouvernement français a en outre donné son accord pour que nous envoyions des agents de police armés dans les trains de supporters allemands, et je m'en réjouis.