Contrairement à leur dénomination, les financements du PIA ne sont pas des « investissements » au sens budgétaire puisqu'il ne s'agit pas majoritairement d'immobilisations de l'État. Ce sont des dépenses d'intervention (subventions ou avances remboursables), des prêts, parfois des prises de participation.
Le PIA doit permettre d'effectuer ces dépenses à l'appui de priorités bien identifiées sur la durée, de façon lisible et significative. Le PIA décline ainsi les orientations fixées par la commission Juppé-Rocard de 2009, qui a retenu la protection de l'environnement comme une priorité afin d'agir sur les deux ressorts de la croissance économique, je cite : « l'économie de la connaissance et l'économie verte ».
Il me paraît utile de rappeler ses préconisations : « l'emprunt national doit être porteur de sens, d'espoir pour les générations futures, en facilitant la mutation du modèle actuel de l'économie vers un développement moins dépendant de la dépense publique, moins dépendant des énergies fossiles, davantage tourné vers la connaissance, adapté aux évolutions démographiques, articulé avec des positions industrielles d'excellence ». Il doit donc financer des « projets innovants et "transformants", c'est-à-dire des projets de nature à incarner ou à faciliter l'émergence des secteurs de l'économie de demain, compatibles avec les ambitions écologiques que l'on souhaite développer ».
La transition écologique nécessite en effet des solutions décarbonées auxquelles font aujourd'hui obstacle des verrous technologiques dans le domaine industriel ou des enjeux d'organisation, par exemple dans nos villes. L'innovation est donc essentielle mais elle est dans ce domaine plus coûteuse et plus risquée qu'ailleurs : les financeurs privés sont donc réticents à en assumer seuls les risques, malgré les mécanismes tarifaires ou fiscaux qui promeuvent la transition écologique. Ce défaut de marché nécessite un apport financier direct de l'État pour faire naître une offre compétitive et jouer un rôle de levier de la croissance verte.
Nous avons donc cherché à identifier cette orientation dans les dotations du PIA votées en 2010 et 2013.
Au total, devaient être destinés à la transition écologique 16,7 % des crédits du PIA 1, soit 5,85 milliards d'euros, dont 5,1 de dotations consommables, éclatés sur sept programmes relevant de quatre missions budgétaires distinctes pour des actions confiées à cinq opérateurs différents et 17,25 % des crédits du PIA 2, soit 2,07 milliards d'euros, exclusivement sous forme de dotations consommables, pour des actions toutes rattachées, cette fois, à la mission Écologie, et qui prolongent des actions créées par le PIA 1. Au total, 16,85 % des PIA devraient être consacrés à la transition écologique, pour près de 8 milliards d'euros.
Ces dotations financent des actions innovantes qui interviennent sur différents leviers.
Tout d'abord celui de la valorisation de la recherche, avec le financement par l'Agence nationale de la recherche (ANR) d'une dizaine d'instituts pour la transition énergétique, les ITE. Il s'agit de consortiums de droit privé réunissant industriels et établissements publics de recherche, partageant une même feuille de route, dans différents secteurs-clés de la transition écologique : la recherche conduite par les institutions publiques doit ainsi répondre aux enjeux industriels. L'ITE pilote la recherche de ses membres académiques puis en valorise les résultats auprès des membres industriels et du marché. La réussite de ces instituts doit se traduire par la mise au point de brevets trouvant des débouchés dans l'industrie afin de générer des revenus qui seront de nouvelles ressources pour l'institut.
Ensuite, avec 3,9 milliards de dotations initiales, la moitié des financements du PIA revient à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) pour financer des démonstrateurs, à un stade plus aval de l'innovation. Il s'agit de démontrer « grandeur nature » que des techniques nouvelles sont viables aux plans industriel et commercial. Ce ne sont pas toujours des innovations de rupture, mais aussi des améliorations dans la mise en oeuvre de technologies plus matures ayant des effets significatifs sur le développement durable. L'objectif est toujours de cofinancer des projets qui démontreront aux marchés visés que les nouvelles solutions sont viables et pourront à terme être financées sans subvention publique.
Ce volet est complété par des financements relevant de Bpifrance avec une action dite « PIAVE », qui met en oeuvre les orientations de la politique industrielle et dont un volet concerne la transition écologique. S'y ajoutent les « prêts verts », à savoir des prêts bonifiés aux entreprises pour acquérir des équipements améliorant la compétitivité dans un sens favorable à l'environnement.
Une enveloppe de 1 milliard d'euros du PIA 1 a été attribuée aux projets urbains relevant de la démarche Éco Cités. Ces projets portés principalement par des collectivités territoriales sont innovants dans la mesure où leur démarche, dite « intégrée », traite simultanément différentes dimensions de la transition écologique dans l'urbanisme. Mais je souhaite le dire d'emblée, sur les 288 projets financés au titre de la démarche Éco Cités, il me semble que tous n'ont pas satisfait cette exigence, ce qui a pu dévoyer l'intention initiale. Ce volet a été complété, dans le PIA 2, par une action de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) pour vingt quartiers d'intérêt national de la politique de la ville.
Enfin, le PIA contribue depuis son lancement au financement du programme « Habiter mieux » géré par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). Ce programme apporte une aide financière et un accompagnement technique à des propriétaires aux revenus modestes pour la rénovation thermique de leurs logements. Le PIA cofinance donc également dans ce cas un investissement privé qui répond à un objectif de transition écologique. Il s'agit également de lutter contre la précarité énergétique, ce qui confère à ce volet une dimension sociale essentielle qui permet d'améliorer, sur la durée, le pouvoir d'achat des bénéficiaires.
Nous avons cherché à vérifier si ces différentes actions ont eu « l'effet additionnel par rapport aux financements budgétaires habituels » comme préconisé par la commission Juppé-Rocard. Nous avons dû constater que certaines dépenses ne se sont pas ajoutées à des crédits budgétaires existants mais s'y sont substituées : le PIA a pris le relais d'une partie de fonds préexistants de l'ADEME et sa montée en chargé a entraîné une diminution de dépenses effectuées auparavant par l'agence sur ses propres ressources. Surtout, 200 millions d'euros de l'action Ville de demain ont servi à compléter le financement d'un appel à projet ministériel en finançant douze projets de transports en commun en site propre, des tramways et des bus, sans caractère innovant.
Inversement, un volet de l'action « Projets territoriaux intégrés pour la transition énergétique » de la Caisse des dépôts et consignations, créé par le PIA 2, qui réservait 35 millions d'euros à des collectivités territoriales de taille moyenne, a finalement été vidé de tout objet car le ministère a financé directement ce projet, hors PIA, en utilisant l'« enveloppe spéciale transition énergétique » (ESTE) créée par l'article 20 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Ce fonds a été doté de 250 millions d'euros par la loi de finances rectificative pour 2015, montant qui devrait être porté à 750 millions d'ici 2017. Ce fonds a également été mobilisé en 2015 pour financer l'ANAH, parallèlement aux financements du PIA.
Nous constatons donc qu'il manque une vision d'ensemble des financements de la transition écologique provenant à la fois du PIA et du budget général. Or elle est essentielle pour préserver la doctrine d'emploi de financements du PIA, qui doivent être réservés à des actions qui ont un effet « transformant » et innovant.
Nous proposons donc que le Gouvernement justifie dans les documents annexés aux projets de lois de finances, au regard de l'état d'avancement du PIA, l'évolution des crédits budgétaires finançant la transition écologique. En particulier, l'articulation du futur PIA 3 et du fonds de financement de la transition énergétique doit être clarifiée. Nous proposons aussi que soit défini au sein du Commissariat général à l'investissement (CGI) un suivi transversal de ces financements.
Ceci est d'autant plus nécessaire que la disponibilité des financements du PIA peut détourner les porteurs de projet de faire appel autant que possible à des financements européens qui visent le même objet, comme les financements européens du programme Horizon 2020. Nous proposons donc de mieux formaliser l'identification des cofinancements européens.
Il convient également de rester vigilant sur les frais que prélèvent les opérateurs du PIA, pour mettre en oeuvre ces dépenses de l'État, particulièrement dans les cas de délégations entre opérateurs et d'interventions en fonds de fonds qui accroissent la part des frais.
Nous émettons ces réserves car nous sommes persuadées que le pilotage actuel, interministériel, du PIA, qui permet de sortir des « approches en silo », constitue un réel atout dans le domaine de la transition écologique.
La qualité des choix d'investissements tient à la méthode : les aides sont attribuées au terme d'appels à projets qui visent à faire émerger mais aussi à orienter les initiatives des différents acteurs de la transition écologique ; de même les aides consistent en un cofinancement qui complète un investissement privé avec un objectif d'effet de levier de la dépense publique et parfois de retours financiers avec un intéressement de l'État.
Nous avons constaté que le suivi de l'avancement des projets par les opérateurs est effectif. Il se traduit par la définition d'étapes de poursuite ou d'arrêt de projet dites « go no go ». L'ANR a par exemple su prendre précocement une telle décision concernant l'ITE IDEEL, qui était paralysé par les divergences entre ses membres.
De même, les ajustements opérés au fur et à mesure par les opérateurs ont amélioré de façon significative la mise en oeuvre des programmes. L'ADEME a par exemple simplifié ses procédures d'appels à projets et diversifié ses domaines d'intervention.
Si nous avons auditionné des directeurs d'administration et des responsables des opérateurs qui se sont pleinement saisis des enjeux du PIA, nous devons cependant regretter que ni la ministre de l'écologie ni le ministre de l'économie – compétent au titre de la politique industrielle – n'aient pu répondre à l'invitation de la MEC.
C'est d'autant plus regrettable que nous pensons que le suivi des effets du PIA peut être amélioré non seulement au regard des différents objectifs de la transition écologique, mais aussi en matière d'activité et d'emploi. Les évaluations ne sont que partielles, et les indicateurs trop nombreux et non harmonisés, ne permettent pas au CGI de fournir une évaluation d'ensemble.
Il est également possible d'améliorer les effets du PIA. En premier lieu, l'accès des PME aux financements peut être accru. Leur part est aujourd'hui insuffisante : 24 % des financements de l'ADEME, pour des PME associées à des projets portés par des grandes entreprises à titre principal. C'est regrettable car l'effet d'incitation à l'innovation est beaucoup plus fort pour les PME. Nous proposons donc que le CGI fixe aux opérateurs des objectifs précis d'accès des PME aux financements du PIA, et que l'état d'avancement des actions soit évalué non seulement en fonction des montants engagés mais également du nombre de projets financés.
L'ADEME a d'ailleurs fait des efforts, en réservant aux PME des éco-industries les appels à projets spécifiques dits « Initiative IPME ». Dans ce cadre, les pôles de compétitivité peuvent d'ores et déjà accompagner les PME vers les fonds du PIA. Mais tous ne remplissent pas aujourd'hui suffisamment cette mission. Nous proposons donc que l'activité des pôles de compétitivité soit évaluée au regard de leur valeur ajoutée en termes de soutien aux PME et ETI dans les appels à projet du PIA.
Nous pensons également que les financements du PIA peuvent être mieux adaptés en fonction des situations des entreprises. Les modalités de remboursement des avances, en cas de succès du projet, pourraient être définies avec plus de souplesse, alors qu'elles ont été standardisées dans le but, louable, de gagner du temps entre la sélection du projet et la signature du contrat.
En matière d'intervention en fonds propres, nous pensons qu'il faut améliorer le dialogue entre Bpifrance et l'ADEME, qui interviennent toutes deux de façon distincte, mais également conjointement dans le fonds écotechnologies, dotée de 150 millions d'euros délégués par l'ADEME à Bpifrance. La gouvernance de ce fonds a été jugée difficile par la Cour des comptes comme par France Stratégie. Il semble que s'opposent une approche plus « prudentielle » de Bpifrance et celle de l'ADEME qui, à partir d'une stratégie de filières, accepte de prendre un peu plus de risques pour garantir un continuum de financements et accompagner le développement des PME.
Si les financements du PIA en fonds propres doivent être des investissements « avisés » assumant un risque comparable à celui des investisseurs privés, il reste qu'une bonne connaissance des perspectives des filières innovantes doit permettre d'adapter la prise de risque publique aux exigences de la transition écologique. Ceci appelle une convergence des approches de Bpifrance et de l'ADEME.