Intervention de Véronique Louwagie

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie, présidente de la mission d'information :

J'ai eu le plaisir, en tant que présidente de la mission d'information, de travailler avec notre collègue Razzy Hammadi depuis le mois de janvier dernier sur ce sujet, vaste et varié, qu'est la taxation des produits agroalimentaires. Nous nous sommes notamment efforcés de prendre en compte les travaux menés, en 2014, par nos collègues sénateurs Yves Daudigny et Catherine Deroche sur la fiscalité comportementale – même si le champ de nos travaux, qui n'incluait pas le tabac, était un peu différent.

Le thème de notre mission couvrait un champ vaste non seulement par le nombre de taxes concernées – nous en avons identifié plus d'une vingtaine, qui s'ajoutent à la TVA –, mais aussi par la diversité des produits alimentaires concernés. À cet égard, nous avons opté pour une conception large de notre sujet d'étude : nous avons analysé les taxes qui pèsent, depuis la production jusqu'au consommateur final, non seulement sur les aliments, mais aussi sur les boissons, y compris l'eau, les sodas et les boissons alcoolisées, qui sont elles-mêmes très diverses et soumises à des droits d'accise différents. En revanche, nous nous sommes concentrés sur les seules impositions de toutes natures, et notre rapport ne mentionne que pour mémoire les nombreuses redevances et « contributions volontaires obligatoires » (CVO) qui sont la contrepartie d'un service rendu aux professionnels concernés et ont vocation à structurer les filières.

Au total, les vingt-et-une taxes identifiées par la mission représentent tout de même près de 4,7 milliards d'euros de recettes publiques, soit près de 15 % du rendement actuel de l'impôt sur les sociétés. Ces taxes sont présentées dans le rapport sous forme de tableau récapitulatif et y sont ensuite analysées.

Notre travail nous a conduits à rencontrer un grand nombre d'acteurs, au cours de la trentaine d'auditions que nous avons menées : producteurs agricoles, industries agroalimentaires, distributeurs, associations de consommateurs, et bien sûr les différentes administrations concernées, qu'il s'agisse de ministères ou d'organismes bénéficiant actuellement de l'affectation du produit de certaines taxes, tels que la Mutualité sociale agricole (MSA).

Nous avons eu pour objectif prioritaire de rechercher l'efficacité et une meilleure lisibilité de cette fiscalité, car les taxes existantes sont trop compliquées, trop nombreuses et fonctionnent parfois mal. On peut faire mieux et plus clairement en réformant notre système, sans dégrader les finances publiques – je laisserai au rapporteur le soin de vous présenter nos propositions. Les réponses que nous avons obtenues en interrogeant les parlements des États membres du Conseil de l'Europe, que je tiens à remercier de leur coopération, confirment que la sédimentation historique de taxes dont nous disposons dans ce domaine est une singularité : nous sommes le seul pays à disposer de certaines de ces taxes, parfois archaïques et difficiles à recouvrer, comme celles sur les farines ou sur les huiles végétales.

Nous avons constaté que les taxes existantes créaient de nombreuses distorsions économiques, et avaient parfois « manqué leur cible », comme c'est le cas par exemple de la taxe sur les boissons dites énergisantes, qui frappe d'autres boissons contenant de la caféine (telles que les cafés latte vendus au détail), mais pas les boissons énergisantes à proprement parler.

D'autres imperfections nous sont apparues en ce qui concerne la structure des taux de TVA : le taux de 5,5 % n'est pas applicable à tous les produits alimentaires : certains produits, comme le caviar, la confiserie, la margarine ou divers produits à base de chocolat restent taxés au taux de 20 %. Mais les exceptions qui conduisent à appliquer le taux normal de TVA ne sont pas toujours convaincantes et nuisent à la cohérence de l'ensemble : c'est notamment le cas pour la margarine et pour certains produits chocolatés – c'est ainsi que le rocher au chocolat n'est pas taxé de la même manière que le « mini-rocher », à composition identique, pour des raisons de poids et de diamètre. Le rapport comprend bien sûr d'autres exemples du même type, qui donnent lieu à de multiples distorsions fiscales entre produits extrêmement proches, et l'ensemble paraît assez absurde.

Nous avons aussi étudié la façon dont la taxe sur les boissons sucrées et édulcorées, mise en place en 2012 avec un taux relativement faible (environ 2,5 centimes par canette de 33 centilitres), n'a entraîné qu'une baisse légère et temporaire de la consommation, qui a ensuite continué à augmenter à partir de 2013. Dans ce domaine, les études montrent qu'il faut que la hausse de taxe soit sensible pour pouvoir entraîner un signal-prix clair et perceptible par les consommateurs ; ils peuvent alors reporter une partie de leur consommation vers d'autres produits, dont la consommation ne présente pas les mêmes inconvénients sanitaires.

En matière de boissons alcoolisées, nous avons constaté que la complexité du système actuel s'explique largement par les règles imposées par le droit de l'Union européenne et qu'il est important de préserver cette fiscalité, très productive et répondant à des objectifs de santé publique bien évidents.

D'une manière générale, et sans m'étendre sur les propositions du rapport, notre approche a consisté à privilégier le plus possible la neutralité fiscale, et de ne s'en éloigner que lorsqu'il y a de bonnes raisons de le faire, pour des motifs d'intérêt général et avec des outils qui fonctionnent. Nous avons donc voulu prendre en compte les préoccupations sanitaires ou environnementales, mais encore faut-il que cela puisse être efficace en pratique. Ainsi, notre travail a placé au centre de ses préoccupations le fonctionnement et l'impact économique de ces taxes, en lien avec la situation des producteurs agricoles, en amont dans chaque filière.

Ce voyage à travers notre fiscalité agroalimentaire a été instructif : il nous a montré qu'elle s'est trop compliquée au fil du temps, avec une certaine créativité qui s'exprime dans des lois qui ne sont pas toujours des lois de finances. Nous estimons que, pour un même montant global de recettes, nous pouvons faire mieux et plus simplement, en supprimant de nombreuses taxes.

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