Intervention de Razzy Hammadi

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRazzy Hammadi, rapporteur :

Notre rapport comporte une quinzaine de propositions pour moderniser la fiscalité qui pèse sur mos produits agroalimentaires. Nous avons souhaité entendre les arguments du plus nombre. Le nombre des auditions auxquelles nous avons procédé le démontre. Nous avons également souhaité comparer la situation de la France avec les politiques menées dans les autres pays européens.

Notre premier constat est celui d'une accumulation historique de taxes qui n'a quasiment pas son pareil en Europe. Outre les redevances et les contributions volontaires, on recense vingt-et-une taxes directement liées à des produits alimentaires et pesant le plus souvent sur l'amont des filières, c'est-à-dire le producteur ou l'importateur, sachant qu'il s'y ajoute la TVA, intervenant au stade de la vente des produits au consommateur final. Le produit de ces taxes est de 4,7 milliards d'euros avec des rendements très hétérogènes. Les quatre taxes pesant sur les boissons alcoolisées ou sucrées rapportent plus de 4,1 milliards d'euros, tandis que huit taxes ont un faible rendement, compris entre 10 et 150 millions d'euros chacune, et neuf taxes ont un rendement inférieur à 10 millions d'euros. Ces micro-taxes provoquent une maxi-complexité ; leur utilité doit donc être démontrée.

Le consommateur final a rarement connaissance de ces taxes, sauf des plus rentables ; pourtant elles pèsent lourdement sur certaines filières de production sans s'inscrire nécessairement dans une logique sanitaire ou environnementale. Elles peuvent menacer économiquement la survie de certaines d'entre elles. C'est par exemple le cas des taxes sur les farines ou sur les huiles, dont la liquidation et le recouvrement posent des problèmes importants, en particulier quand il faut trouver la quantité d'huile ou de farine incorporée dans le produit fini – comme un biscuit par exemple. Cela suppose la transmission, notamment à l'administration des douanes, de formulaires papier. La complexité de ces procédures pénalise souvent les exportations françaises alors qu'elles en sont normalement exonérées. En sens inverse, l'application de ces taxes aux importations qui y sont en principe soumises reste lacunaire pour les mêmes raisons.

Il existe sept tarifs selon les différentes huiles végétales et c'est l'huile d'olive qui est la plus taxée. Ces taxes ont été créées au début des années 1960, uniquement dans un objectif de rendement budgétaire. Le rapport propose leur suppression. L'objectif n'est pas de priver les organismes affectataires, en l'occurrence la Mutualité sociale agricole, de leurs ressources : je précise que toutes les fois où la mission propose la suppression d'une taxe, elle préconise d'affecter un produit équivalent à l'organisme qui en bénéficie actuellement. Les taxes sur les huiles et les farines représentent au total 170 millions d'euros, qu'il nous faut donc compenser par d'autres recettes, j'y reviendrai.

Concernant les huiles, et notamment l'huile de palme, sujet actuellement débattu dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif à la biodiversité, les critères à prendre en compte devraient être ceux du développement durable au sens large et ne sauraient cibler un type d'huile en particulier.

Parmi les taxes dont nous recommandons la suppression figure le droit spécifique sur les boissons non alcooliques qui constitue pour la MSA une recette de 75 millions d'euros mais donne lieu à de trop nombreux cas de cumuls d'imposition. La mission propose aussi de supprimer plusieurs autres petites taxes peu rentables, qui sont affectées à d'autres organismes : la taxe sur les céréales, la taxe sur les produits de la mer, la taxe pour le développement de l'industrie des corps gras, les droits sur les produits bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique protégée, ou encore la taxe sur les boissons dites énergisantes. Finalement, si vous vous engagez dans la procédure de l'appellation protégée, vous devenez redevables d'une taxe !

Dans le cas des boissons dites énergisantes, si la suppression nous paraît préférable, c'est tout simplement parce que la taxe a « manqué sa cible » : pour des raisons liées à son histoire juridique, elle est devenue une taxe sur les boissons caféinées et ne rapporte plus que 3 millions d'euros, provenant de boissons telles que les cafés latte, mais nullement des boissons énergisantes, dont la composition a été modifiée pour éviter la taxe.

Au total, la mission propose donc de supprimer huit taxes pesant spécifiquement sur des produits agroalimentaires et ne paraissant plus justifiées : cela représente au total, pour les organismes affectataires, une perte de recettes estimée à 296 millions d'euros. Si nous y parvenons, nous aurons donc déjà fait un grand pas vers la simplification de notre système fiscal, au profit de nos producteurs, de nos entreprises mais aussi de nos consommateurs.

La recherche d'une plus grande simplicité et neutralité fiscale devrait aussi nous guider pour ce qui concerne les taux de TVA applicables à l'alimentation à domicile : actuellement, le taux appliqué est de 5,5 %, sauf dans quatre cas où le taux normal de 20 % est applicable par exception. Nous proposons d'appliquer le taux réduit de 5,5 % à la margarine (constituée d'huiles végétales), car il n'existe aucune raison nutritionnelle de maintenir un écart de 15 points avec le beurre, constitué de graisses animales et beaucoup plus riche en acides gras saturés : nous avons consulté à ce sujet les parlements des autres États membres du Conseil de l'Europe et il en ressort que, parmi la trentaine de réponses reçues, seule la Belgique taxe différemment ces deux produits, et encore avec écart de taux trois fois moins importants qu'en France.

Pour les produits à base de chocolat, l'application de la TVA nous a paru particulièrement peu cohérente, illisible et presque absurde, car elle conduit à taxer tantôt à 20 %, tantôt à 5,5 % des produits très proches. Ces règles sont beaucoup trop compliquées et distinctes des enjeux sanitaires pour être pertinentes. Elles n'ont été mises en place, il y a une dizaine d'années, que pour limiter la perte de recettes qu'engendrerait une application uniforme du taux de 5,5 % à ces produits. Nous proposons d'aller au bout de la logique et de clarifier le système en appliquant le taux de 5,5 % à tous les produits à base de chocolat, à l'exception des barres chocolatées, qui devraient toutes être soumises au taux de 20 % en raison de leur mode de consommation et de leur composition riche en acides gras saturés et, surtout, en sucres. Nous avons reçu des alertes d'organismes de prévention sanitaire au sujet de cas de diabète de type 2 chez des enfants de douze ans en milieu rural et dans certains quartiers.

D'après nos estimations et avec l'appui fourni par la direction de la législation fiscale, nous estimons que cette mesure, ajoutée à celle sur la margarine, entraînerait pour l'État une perte de recettes d'un peu plus de 300 millions d'euros. Nous proposons, là encore, de la compenser par l'augmentation d'autres recettes relevant de la fiscalité agroalimentaire.

Pour d'autres taxes, comme celles pesant sur les alcools, même lorsqu'elles rapportent peu comme celle sur les boissons dites « prémix », elles jouent un rôle sanitaire essentiel et il ne nous semble pas du tout envisageable d'en alléger le poids. Nous remarquons toutefois, comme la Cour des comptes l'a fait la semaine dernière dans un rapport public sur les politiques de lutte contre les consommations nocives d'alcool, qu'il existe de grandes différences de taxation entre types d'alcool. D'un point de vue sanitaire, il serait plus cohérent que la taxation soit toujours indexée sur la quantité d'alcool pur contenue dans ces boissons, mais il faut bien sûr tenir compte de la situation économique des filières concernées. Dans ce domaine, la stabilité nous paraît pour l'instant préférable, mais nous suggérons pour l'avenir, d'étudier une simplification des modalités de liquidation prévues par le droit de l'Union européenne pour ces divers droits d'accises.

J'ai indiqué tout à l'heure que nos propositions représentaient au total des baisses d'un montant global de près de 600 millions d'euros. Quelle recette peut-on mobiliser pour compenser ces mesures de simplification et d'harmonisation de notre fiscalité agroalimentaire ? Au vu des éléments recueillis en audition et dans divers documents dont la mission a pris connaissance, un droit d'accise déjà existant nous paraît pouvoir procurer le rendement attendu, tout en s'inscrivant dans une logique de santé publique dont la pertinence a été soulignée : la contribution sur les boissons sucrées. Nous proposons d'en augmenter le taux d'environ 14 euros par hectolitre, soit 4,6 centimes supplémentaires pour une canette de soda de 33 centilitres, ce qui devrait rapporter environ 590 millions d'euros. Comme pour l'estimation de l'impact des mesures de baisse, nous raisonnons ici à assiette constante, mais on peut estimer que cette hausse sensible serait bien répercutée sur les prix à la consommation et devrait donc entraîner une baisse des achats de ces boissons, au profit d'autres boissons non alcooliques ne présentant pas les mêmes inconvénients sanitaires, notamment en termes d'obésité et de diabète. Il ne nous paraît pas justifié, en revanche, de procéder à une hausse semblable sur les boissons édulcorées. Les données sur la situation économique de la filière sucrière française nous semblent montrer qu'elle serait bien en mesure de faire face à cette hausse, compte tenu de son dynamisme et de ses débouchés diversifiés – notamment au profit des biocarburants qui se développent.

La deuxième hypothèse que nous évoquons dans la proposition n° 11 consiste donc à élargir considérablement l'assiette de cette taxe pour instaurer une fiscalité des produits sucrés, en excluant les produits du terroir ou bénéficiant d'une appellation contrôlée.

Bien sûr, l'action sur les outils fiscaux ne peut être efficace, en matière de préservation de la santé publique comme de l'environnement, que si elle est combinée avec des mesures d'information et des campagnes de sensibilisation des consommateurs. Il nous semble d'ailleurs souhaitable de poursuivre les efforts pour améliorer l'étiquetage nutritionnel des produits comme le développement de filières de production dites « durables », et d'envisager une hausse des moyens alloués aux organismes publics en charge des politiques liées à l'alimentation et à la santé.

Enfin, sur le plan de la méthode, notre rapport rappelle qu'il est nettement préférable, pour assurer la cohérence de notre système fiscal, de réunir en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale l'ensemble des modifications de la fiscalité des produits agroalimentaires. Il est aujourd'hui contre-productif d'aborder ces sujets fiscaux dans d'autres textes de loi. Nous espérons dans un consensus multipartisan arriver à faire de cette règle non écrite une règle commune. Trop souvent, nous sommes conduits à regretter par la suite des initiatives prises au coup par coup. Ce voeu est traditionnel pour notre commission, mais nous avons constaté qu'il était important dans le cas de fiscalité agroalimentaire et il figure donc aussi parmi nos propositions.

Pour conclure, j'espère que ce rapport jettera les bases d'une rationalisation de notre fiscalité agroalimentaire et que vous serez sensibles à notre approche, qui s'est efforcée de privilégier l'efficacité économique, tout en prenant en compte les enjeux sanitaires, sociaux ou environnementaux mais aussi agricoles et industriels. Il nous appartiendra, cet automne lorsque nous examinerons les textes budgétaires, de veiller à ce que ces recommandations puissent aboutir à de réelles améliorations de notre législation.

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