En effet, il ne faut pas voir Sentinelle comme « l'alpha et l'oméga » de ce que les armées peuvent faire en matière de protection du territoire national. Sentinelle est, en quelque sorte, la portion émergée de l'iceberg : c'est la plus visible, mais il faut se garder d'y limiter toute réflexion sur la place des armées sur le territoire national. En ce sens ‒ et c'est la première chose que souligne notre rapport ‒, l'opération Sentinelle n'est pas une rupture en soi. En effet, depuis des décennies, ce sont les armées qui assurent la protection du territoire national pour ses approches maritimes et l'on connaît les enjeux de sécurité qui s'y attachent, notamment en Méditerranée. Elles assurent aussi la protection de l'espace aérien, au titre de ce que l'on appelle la « posture permanente de sûreté aérienne ». Dans ces espaces, dans ces deux « milieux » (maritime et aérien), les armées sont même en première ligne : elles n'interviennent pas en appui de forces de sécurité intérieure, elles sont dites « primo-intervenantes ».
Le Gouvernement nous a remis le 4 mars dernier un rapport sur les conditions d'emploi des forces armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population, et ce rapport propose de créer une « posture de protection terrestre » : ainsi, il fait fond sur ce qui existe déjà pour les milieux aérien et maritime, modulo certaines spécificités du milieu terrestre sur lesquelles nous reviendrons.
Sentinelle a aussi fait fond sur Vigipirate : cela fait plus de vingt ans déjà que nos armées patrouillent dans les rues. Nous avons donc une longue histoire de contribution des armées à la protection du territoire national. Alors, me dira-t-on, Vigipirate, c'était le « bas du spectre » de l'intensité militaire : les FAMAS des hommes en patrouille n'étaient même pas chargés. Certes, mais l'armée de terre a aussi été engagée à un plus haut niveau de ce spectre sur le territoire national, en appui de la gendarmerie, en Guyane. C'est l'opération Harpie, qui dure dans sa forme actuelle depuis huit ans. Nous n'avons pas eu le temps de nous rendre en Guyane pour y étudier la planification et la conduite de cette opération, mais elle mériterait assurément que la commission s'y intéresse, en quelque sorte dans le cadre du suivi de nos travaux. Bref, nos armées sont engagées depuis longtemps sur le territoire national pour des missions de protection, et ce, sans même parler de leurs missions intérieures en cas de catastrophe naturelle, comme on en a connu encore récemment.