Intervention de Olivier Audibert Troin

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Audibert Troin, rapporteur :

Tout cela forme, comme nous le disons dans notre rapport, la « généalogie » de l'opération Sentinelle.

Nous ne voulons pas dire par là que Sentinelle ne marque en rien une rupture ; mais nous voulons souligner que l'engagement des armées sur le territoire national n'est pas en soi une nouveauté. Avec Sentinelle, on a changé d'échelle, mais pas vraiment changé de modèle.

La nouveauté tient avant tout au volume des forces engagées : schématiquement, c'est dix fois plus qu'avec Vigipirate ; 10 000 au lieu de 1 000. La nouveauté tient aussi au contexte de la mission : le terrorisme « militarisé » à but djihadiste. Nous ne nous étendrons pas maintenant sur la description de cette menace, que chacun ici connaît bien, si ce n'est pour souligner que les modes d'action quasi-militaires appellent un certain degré de « militarité » dans le dispositif de protection. D'ailleurs, la police elle-même s'équipe d'armes de guerre ; face à la kalachnikov, on peut difficilement faire moins que le FAMAS et le gilet pare-balles lourd…

Cet important déploiement militaire semble appelé à durer, et c'est là qu'il y a un changement de paradigme. En effet, si 10 000 hommes ont été engagés en janvier 2015, c'était conforme au contrat opérationnel des armées ‒ le « contrat de protection ». Toutefois, ni le Livre blanc ni aucun document doctrinal ne fixait expressément de durée maximale à un tel engagement. Implicitement, personne n'imaginait qu'il puisse durer plus d'un mois ; mais rien ne l'interdisait explicitement.

Et pourtant, l'opération dure, et le président de la République a décidé de la pérenniser, le 29 avril 2015, en Conseil de défense. De janvier à fin février 2015, l'effectif engagé gravitait autour de 10 000 hommes ; il a été ramené aux alentours de 7 000 de mars à novembre 2015, mais guère en deçà, en dépit de quelques allégements pendant l'été ; et depuis les attentats du 13 novembre, ce sont en permanence 10 000 hommes qui sont engagés.

C'est là que se situe la rupture : lorsque l'on est passé d'une logique d'engagement massif, mais ponctuel, à une logique d'engagement massif et durable. C'est là que les contrats opérationnels des armées ont été dépassés, une première fois au printemps 2015, et une nouvelle fois à la fin de l'année 2015. En effet, l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) l'été dernier a révisé à la hausse les effectifs du « contrat opérationnel de protection », mais elle a fixé un plafond de 7 000 hommes déployés dans la durée, avec un « surge » possible à 10 000 hommes pour un mois seulement ; or, cela fait maintenant plus de sept mois que l'effectif de la force Sentinelle s'établit à 10 000 hommes.

C'est donc là, dans la « capacité à durer » sur le territoire national, que réside la difficulté. C'est là que l'équation sous-tendant la gestion des armées est devenue intenable, surtout pour l'armée de terre.

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