Sur ce point encore, la position du SGDSN semble avoir évolué : il propose en effet de faciliter le recueil d'informations de terrain par les militaires.
Tout au long de nos travaux, nous avons pu avoir le sentiment que les positions respectives des ministères de l'Intérieur et de la Défense ont pu être parfois éloignées, et que c'est au prix d'une formulation très elliptique sur certains points que le rapport au Parlement a pu reposer sur un consensus trouvé dans les travaux interministériels. Ceci vaut l'« information d'intérêt opérationnel », mais aussi pour un autre sujet : la coordination des forces de sécurité intérieure et des armées dans la planification et la conduite des opérations sur le territoire national.
On le dit souvent : la culture de la planification est « dans l'ADN » des militaires, et nos états-majors y excellent. C'est bien entendu exact. Il n'en demeure pas moins que s'agissant du territoire national, on a le droit de penser qu'une planification mieux coordonnée entre les armées et les forces de sécurité intérieure aurait des avantages.
D'ailleurs, au fur et à mesure que nous avancions dans nos travaux, nous avons eu le sentiment que l'opération Sentinelle n'aurait pas pris la même forme en 2015 si elle avait pu faire l'objet d'une planification mieux coordonnée au préalable. Si tel avait été le cas, la majeure partie des effectifs seraient-ils accaparés depuis janvier 2015 par des gardes statiques, que les militaires ont beaucoup de mal à remplacer par des gardes plus dynamiques ? La gestion de l'« information d'intérêt opérationnel » ne serait-elle pas mieux encadrée ? Les interventions des différentes forces n'auraient-elles pas pu être mieux coordonnées, par exemple lors de l'assaut donné le 18 novembre à Saint-Denis ? Les problèmes d'interconnexion des systèmes d'information et de communication entre la police et les armées n'auraient-ils pas été traités davantage en amont ?
Voilà, à la lumière de l'opération Sentinelle, certaines des questions qu'une planification « à froid » permet de trancher avant que ne se posent des problèmes sur le terrain.
Or force est de constater que si le ministère de la Défense dispose d'un CPCO dont l'efficacité est reconnue, tel n'est pas le cas à l'échelle interministérielle. Certes, la cellule interministérielle de crise (CIC) se réunit place Beauvau. Mais il s'agit d'un organisme de niveau ministériel ; c'est donc un organe de pilotage politique des opérations, qui n'est ni permanent, ni doté des moyens d'un véritable centre d'opérations. Le ministère de l'Intérieur ne dispose pas d'un tel centre : le fameux fumoir du ministre en a été un succédané, mais sa mise en place peu anticipée fait surtout apparaître le besoin d'une structure plus robuste.
Par nature, les opérations de sécurité sur le territoire national ont un caractère interministériel. La création de la CIC en témoigne. Intérieur, défense, mais aussi santé, transports, énergie, etc. : la coopération interministérielle ‒ on pourrait même dire : l'intégration interministérielle ‒ est cruciale dans la gestion des crises actuelles. Aussi la planification et la conduite des opérations de sécurité sur le territoire national doit-elle reposer sur une structure interministérielle, un véritable centre d'opérations interministériel.
Une telle structure pourrait, a minima, travailler à la planification « à froid » des opérations, c'est-à-dire définir les rôles respectifs des forces de sécurité intérieure et des armées, leurs modes de communication, etc. A maxima, elle pourrait assurer la conduite coordonnée des opérations des différentes forces, notamment dans un scénario de crise ou d'assaut, comme les 13 et 18 novembre derniers.
C'est pourquoi nous plaidons en faveur de la constitution d'un centre interministériel de planification et de conduite des opérations de gestion des crises sur le territoire national. La spécificité du territoire national le désigne naturellement pour être placé au ministère de l'Intérieur, par exemple sous la direction d'un préfet. Il devrait pouvoir être interconnecté avec les moyens existants, comme le CPCO.