Intervention de Philippe Nauche

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Nauche, rapporteur pour avis :

Nous passons d'un sujet très général à un sujet très resserré ! Comme vous l'avez rappelé, Madame la présidente, notre commission s'est saisie pour avis de cet accord dont le principal objet est de rationaliser le secteur missilier européen, en créant des structures dénommées « centres d'excellence » au sein des filiales française et britannique du groupe MBDA. Ces centres techniques permettront de consolider l'expertise commune de MBDA-France et MBDA-UK dans des domaines technologiques et des sous-systèmes déterminés.

Au-delà des activités qui ont vocation à rester strictement nationales, ces centres seront de deux types. Dans les centres dits « fédérés », le partage des compétences entre les filiales nationales s'opérera de manière équilibrée, instaurant une co-dépendance entre les deux États. Dans les centres dits « prédominants spécialisés », l'une des deux parties détiendra la grande majorité des compétences. Chaque État deviendra donc presqu'intégralement dépendant de l'autre dans certains domaines.

L'accord donne un cadre à cette dépendance mutuelle, tout en préservant l'autonomie stratégique des parties, la sécurité de leurs approvisionnements et l'indépendance de leur politique extérieure, notamment dans le domaine des exportations d'armement.

Il me paraît utile d'effectuer quelques rappels sur le groupe MBDA qui, dans le domaine de la coopération industrielle européenne en matière de défense, peut être qualifié d'exemplaire. Issu de la fusion du groupe MBD, d'Aerospatiale Matra et d'Alenia Marconi Systems, le groupe MBDA a été créé en 2001, devenant dès lors le leader européen à dimension mondiale dans le domaine des missiles et systèmes de missiles. MBD étant lui-même issu de la fusion, opérée en 1996, entre le français Matra Défense et le Britannique BAe Dynamics, le rapprochement et l'intégration entre les parties française et britannique est un processus entamé il y a 20 ans. À cet égard, cet accord ne constitue qu'une étape supplémentaire et, somme toute, naturelle dans l'histoire du groupe.

Entre 2006 et 2012, MBDA a d'abord mené un processus d'intégration de ses activités opérationnelles, qui a fait de lui un modèle unique sur la scène industrielle européenne dans le domaine de la défense. Puis, à compter de 2013, le groupe s'est engagé dans une phase de spécialisation de ses activités à l'échelle européenne. Tel est l'objet de l'initiative « One MBDA », processus d'optimisation de la base industrielle du groupe, mené sur le périmètre France et Royaume-Uni. La création des centres d'excellence telle qu'elle est prévue par l'accord en constitue le coeur. Je rappellerai que MBDA compte d'autres filiales qui ne sont pas concernées par cet accord, en Italie, en Allemagne, en Espagne et aux États-Unis.

Cet accord s'inscrit dans un cadre institutionnel solide et constant quant aux objectifs poursuivis. Par ordre chronologique, on peut citer :

– l'accord-cadre de juillet 2000 visant à faciliter les restructurations et le fonctionnement de l'industrie européenne de défense. Ses États signataires indiquaient chercher à « faciliter les restructurations industrielles », et reconnaissaient que celles-ci « peuvent conduire à la création de sociétés transnationales de défense et à l'acceptation d'une dépendance réciproque » ;

– le traité de Lancaster House de 2010, dont l'article 2 stipule en particulier que la coopération entre la France et le Royaume-Uni : « couvre notamment le développement de leurs bases industrielles et technologiques de défense et de centres d'excellence autour de technologies clés, en développant entre elles une interdépendance plus grande » ;

– enfin, le sommet franco-britannique de Brize-Norton du 31 janvier 2014 avait appelé à un approfondissement de la coopération bilatérale dans le domaine des systèmes de missiles.

Que vise cet accord ? Globalement, l'objectif recherché est double. Tout d'abord, cette stratégie d'intégration permettra de renforcer la compétitivité du groupe MDBA, en minimisant les redondances et les investissements dupliqués entre les deux filiales. L'accord sera donc positif au niveau industriel. Il permettra également, par ricochet, la réduction de la charge de développement des missiles produits par MBDA. Cela pourra donc se traduire par une diminution du coût d'acquisition de ce type d'équipements pour les armées française et britannique – du moins peut-on l'espérer. L'accord sera donc également positif pour les autorités publiques de nos deux pays.

Le mécanisme retenu pour atteindre ce double objectif est la constitution de huit centres d'excellence. Premier type, les « centres d'excellence fédérés » sont des centres combinant les expertises et les compétences situées au sein de deux filiales. Celles-ci et, par conséquent, les deux pays, conserveront un niveau « significatif et équilibré » de compétences dans les quatre domaines suivants : charges militaires complexes, systèmes de navigation inertielle, algorithmes et logiciels.

Quels seront les principes de fonctionnement de ces centres ? Leurs équipes seront constituées des personnels spécialistes du domaine considéré relevant des deux filiales. En revanche et logiquement, leur pilotage sera partagé selon le principe de gouvernance unique : un seul responsable aura autorité sur les équipes françaises comme britanniques d'un même centre d'excellence fédéré. Chacun d'entre eux sera le maître d'oeuvre unique interne de MBDA pour les solutions relatives à son domaine, que celles-ci se rapportent à des projets français, britanniques ou menés en coopération.

Second type de centres : les quatre « centres d'excellence prédominants spécialisés ». Ils permettront de consolider à titre principal sur le territoire d'un des deux États certaines compétences et expertises, seules des capacités résiduelles pouvant subsister sur le territoire de l'autre État. On peut également parler de capacités de réversibilité qui serviront à couvrir les besoins essentiels nationaux, mais qui pourront également être renforcées si nécessaire. Il s'agira, en somme, de spécialiser l'une des deux filiales. De fait, l'accord impliquera l'arrêt de certaines capacités nationales liées aux technologies concernées, celui-ci étant compensé par le développement d'autres capacités en vertu de la spécialisation. En effet, les domaines couverts par ces centres doivent permettre de parvenir à un équilibre technologique et industriel global dans la répartition des compétences entre les deux filiales, et donc entre les deux États. Sont concernés les domaines suivants : les calculateurs de missiles et les équipements de test en France ; les liaisons de données missiles et les actionneurs missiles au Royaume-Uni.

Il est évident que l'existence des centres d'excellence n'est concevable que dans l'hypothèse où les deux parties mettront en place des procédures adaptées concernant les transferts de produits liés à la défense. À cet égard, la délivrance de licences globales constituera l'un des éléments-clés de leur bon fonctionnement en fluidifiant le circuit de transfert.

Les transferts entre les filiales française et britannique sont actuellement soumis à la délivrance préalable d'une licence individuelle. Pour ce qui concerne la partie française, chaque opération nécessite le dépôt d'une demande spécifique devant la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Un tel processus entraîne donc la multiplication des délais d'instruction et de traitement qui sont parfois incompatibles avec les exigences d'un travail mené en coopération au niveau industriel. Des licences globales peuvent être accordées mais elles ne concernent qu'un type de produit, et non « la totalité du domaine d'activités de chacun des centres d'excellence », ainsi que l'envisage l'article 8 de l'accord.

Je rappelle que, alors que la licence individuelle est délivrée pour une opération spécifique de transfert – même menée en plusieurs fois –, les licences globales permettent le transfert, pour une durée déterminée, de produits liés à la défense sans limitation de quantité ni de montant.

D'aucuns pourraient s'interroger sur les conséquences de l'accord pour notre politique d'exportation, ces derniers mois ayant montré que tous les pays européens ne partageaient pas forcément les mêmes vues en la matière.

L'article 9 stipule expressément qu'aucune demande de vente ne pourra être refusée par l'un ou l'autre État signataire, sauf pour des motifs de politique étrangère et de sécurité nationale. Notamment, un tel refus ne peut être opposé pour des raisons de concurrence industrielle et commerciale, dans l'hypothèse où les deux parties chercheraient à vendre au même tiers un système de missiles, ou une plateforme pouvant être équipée d'un système de missiles équivalents.

Les deux parties doivent donc convenir de principes communs dans ce domaine. Un certain nombre de stipulations sont prévues par l'accord pour minimiser les risques de non-concordance. Des échanges entre MBDA et les parties permettront ainsi d'élaborer des listes partagées de destinataires des éléments produits par les centres d'excellence. D'après les informations qui m'ont été transmises, les organismes français et britannique de contrôle des exportations d'armement sont actuellement en cours de discussion sur un processus de gestion de ces listes. Celles-ci seront évidemment révisables. Par ailleurs, les parties s'obligent à une information mutuelle en cas de vente à un tiers, et ce avant la signature du contrat.

En outre, l'article 6 stipule que les parties s'engagent réciproquement à garantir la sécurité d'approvisionnement concernant les éléments produits par les centres d'excellence. Cette obligation présente un caractère absolu puisqu'elle est valable en temps de paix comme en temps de crise ou de conflit armé.

Pour ce qui concerne les modalités de gouvernance de l'accord, l'article 5 crée une instance de pilotage spécifique ad hoc : le « comité en charge de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles ». Il sera notamment chargé de la supervision de l'accord au niveau exécutif, du suivi des activités des centres d'excellence, ou encore de l'appréciation de l'opportunité d'une extension de l'accord à de nouveaux centres d'excellence.

En effet, l'article 12 pose le principe d'un élargissement possible des centres d'excellence à d'autres États, « en vue d'associer en temps voulu d'autres composantes nationales de MBDA ».

Je souhaiterais aborder un dernier point. Le hasard du calendrier fait que nous examinons cet accord le 22 juin. Il n'aura pas échappé aux plus observateurs d'entre nous que demain nous serons donc le 23 juin, et que le 23 juin les électeurs britanniques seront appelés à voter pour ou contre le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne.

Quelles seraient les conséquences d'un « Brexit » pour la mise en oeuvre de cet accord ? En substance, celle-ci n'en serait pas affectée.

En effet, notre coopération en matière de défense s'est toujours construite dans un cadre bilatéral et, « Brexit » ou non, le Royaume-Uni est et restera un partenaire majeur en tant que tel, et en tant que membre de l'Alliance atlantique. Par ailleurs, d'un point de vue plus technique, les opérations concernant les produits liés à la défense réalisées entre nos deux pays s'opéreraient selon les mêmes modalités. En effet les exportations, à l'extérieur de l'Union européenne donc, sont soumises aux mêmes dispositions en matière de contrôle que les transferts effectués au sein de l'Union européenne. Le bon fonctionnement « au quotidien » des centres d'excellence sera donc assuré, quelle que soit l'issue du vote. Mais comme diraient nos amis britanniques : wait and see… (Sourires)

Telles sont les principales stipulations de l'accord et les principales remarques que je souhaitais formuler. Pour résumer et conclure, je dirais que cet accord s'appuie sur les liens forts qui existent entre les communautés de défense et les forces armées françaises et britanniques, et qu'il s'inscrit en outre dans la continuité d'une relation bilatérale exemplaire en la matière. Il en constitue une étape supplémentaire et importante, et je vous demande donc d'en autoriser l'approbation.

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