Mes chers collègues, il n’y a plus de place pour les réponses trop simplistes et la recherche permanente de boucs émissaires – ce qui évite du reste de regarder la réalité en face. Évidemment ces fractures, ces tensions et ces contradictions ne se régleront pas en un jour. Mais cela ne doit pas nous empêcher de tout mettre en oeuvre pour les régler quand même. Aujourd’hui nous sommes réunis pour poser les fondations d’une société plus à même d’engendrer elle-même les réponses à ses propres difficultés.
Cela a été dit, ce projet de loi est la traduction législative des décisions prises lors des trois comités interministériels consacrés à l’égalité et à la citoyenneté. Il s’inscrit dans un tout cohérent, aussi large dans son champ d’application que dans ses ambitions.
De nombreux députés, quels que soient leurs domaines de prédilection, se sont intéressés à ce texte. Étant donné le nombre important de sujets traités, la constitution d’une commission spéciale a été la réponse adéquate, permettant de mobiliser des parlementaires de toutes les commissions et de travailler dans de bonnes conditions.
Ainsi, nous avons pu organiser quatre tables rondes, sur la jeunesse, le logement, la politique de la ville et les discriminations. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, et l’historien Patrick Weil nous ont éclairés de leurs expériences et de leurs réflexions. Parallèlement, les rapporteurs ont réalisé plus de 200 auditions afin d’enrichir le projet de loi. La commission spéciale s’est réunie pendant plus de trente-trois heures et a examiné 1 063 amendements. En tant que présidente, je tiens à saluer la présence des ministres, qui ont largement participé à nos débats, ainsi que le travail des rapporteurs, Valérie Corre, Philippe Bies, Marie-Anne Chapdelaine et Razzy Hammadi.
Nos échanges ont été riches et constructifs. Au final, 351 amendements ont été adoptés, dont une vingtaine ne venant pas de la majorité – ce qui n’est pas négligeable. Ce travail a permis d’améliorer le texte initial sur de nombreux points. Je pense à ce progrès social indéniable que constitue le congé d’engagement : c’est à la fois une reconnaissance de l’importance et de l’utilité du monde associatif et un moyen d’encourager et de faciliter l’engagement des personnes qui le font vivre. La commission l’a renforcé en l’ouvrant aux membres des conseils citoyens et en laissant à la négociation, au sein des entreprises ou des branches, le soin de déterminer sa rémunération éventuelle. Nous ouvrons ici un droit nouveau, en faisant suffisamment confiance aux acteurs de terrain pour qu’ils l’adaptent le mieux possible à leur réalité quotidienne.
La généralisation du service civique constitue également un grand progrès dans l’organisation de l’engagement de la jeunesse. Les conséquences seront importantes car nous posons les bases d’une société où, bientôt, la moitié d’une classe d’âge donnera plusieurs mois de sa vie aux autres. Cet altruisme bienveillant ne peut avoir qu’un impact positif sur la société, sur notre capacité à mieux vivre ensemble. Nous avons eu à coeur d’organiser le mieux possible cette montée en charge. Nous avons notamment clarifié les règles pour que ce service civique ne devienne pas un sous-salariat et reste fidèle à son objectif premier, l’engagement de la jeunesse pour l’intérêt général.
Cette jeunesse, nous en prenons également soin. Chaque jeune de 16 à 23 ans bénéficiera désormais d’une information individualisée sur ses droits en matière de couverture santé, de dispositifs de prévention ou d’examens gratuits de santé.
La recherche de l’intérêt général inspire aussi les nombreuses mesures du texte touchant au logement et à la politique de la ville. C’est un grand chantier que nous avons commencé dès 2012, et dont la loi ALUR de 2013 et la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014 ont posé les jalons. Aujourd’hui, nous les renforçons pour mieux casser les logiques qui, pendant trop longtemps, ont fabriqué de véritables ghettos, de pauvres comme de riches, dans nos villes et leurs périphéries.
Les débats en commission spéciale ont été nombreux et passionnés sur ce sujet. Car, au-delà de leur technicité qui donne parfois aux observateurs l’impression que nous parlons une langue étrangère, ces questions sont politiques, et fondamentales. La mixité sociale s’oppose-t-elle au droit au logement ? Comment résorber les ghettos d’aujourd’hui sans risquer de fabriquer ceux de demain ? Je ne doute pas que ces débats, qui marquent aussi les clivages entre la droite et la gauche, se poursuivront dans l’hémicycle.
Mais ils ne devront pas nous faire perdre de vue les mesures concrètes dont bénéficient nos compatriotes. En 2014, nous avons créé les conseils citoyens, dans les quartiers de la politique de la ville. Aujourd’hui, nous leur offrons un véritable droit d’interpellation du préfet, pour des difficultés particulières rencontrées sur leurs territoires. En commission, nous avons créé le délégué du préfet, afin que les habitants de ces quartiers puissent s’adresser directement à un référent identifié, disposant de réelles compétences.
Renforcer la citoyenneté, c’est aussi mettre les institutions au niveau des citoyens, donner à ceux-ci toute la place qui leur revient dans les décisions qui les concernent. Renforcer la citoyenneté, c’est mieux lutter contre les discriminations qui minent encore trop notre société. La commission spéciale s’est montrée attentive à cette question, en allongeant et en précisant la liste des critères de discrimination. Le racisme, l’homophobie et le sexisme sont désormais des circonstances aggravantes pour les crimes et les délits. Afin de mieux lutter contre les préjugés, la diversité de la société devra aussi être plus visible dans les médias. Les obligations des sociétés de l’audiovisuel public, de ce point de vue, sont renforcées.
Les derniers amendements adoptés en commission n’en ont pas moins une très forte portée symbolique. Je pense notamment à l’abrogation de vieilles dispositions normatives relatives à l’esclavage.
Toutes ces avancées ne sont qu’une partie de ce que contient ce projet de loi. Les jours qui viennent nous permettront de l’améliorer et de le compléter. Je sais que le texte issu de nos débats parlera à nos concitoyens, car chacun d’entre eux pourra se retrouver dans l’une ou l’autre des mesures proposées. Ce texte mêle à la fois le symbolique et le concret, la défense des valeurs et le renforcement des outils juridiques, l’égalité et le code pénal, la citoyenneté et le logement social. Nous posons les fondations de la société de demain, pour qu’elle soit plus ouverte, plus tolérante, plus solidaire. Lorsque nous aurons achevé l’examen du texte, à la fin de la semaine, nous pourrons être fiers du travail accompli !