La séance est ouverte.
La séance est ouverte à seize heures.
La parole est à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et monsieur les rapporteurs thématiques, mesdames et messieurs les députés, chacun, dans cet hémicycle, peut ressentir le besoin profond qu’a notre pays de se réapproprier l’idée républicaine.
La République est souvent invoquée, convoquée, mais la lucidité nous impose de dire qu’elle a perdu de sa force dans l’esprit de certains de nos concitoyens. Ceux-là se sont lassés des mots. Il n’y a plus que des actes, que des preuves, qui puissent les convaincre que la République mérite encore d’être notre idéal commun, le socle de notre identité.
Sous les effets conjugués d’une crise économique longue, d’attaques terroristes meurtrières, de discriminations répétées, de petites lâchetés face à de grands dangers, la République s’est essoufflée, elle s’est tarie : ses idéaux ont perdu de leur lisibilité chez les plus faibles. Pour lui redonner de la vigueur, il faudra une action déterminée de l’État mais aussi l’engagement des citoyens.
Il faut que l’État tienne ses promesses : c’est le volet « égalité » de ce projet de loi. Il faut que les citoyens s’engagent : c’est le volet « citoyenneté ». Les deux dimensions sont complémentaires et essentielles.
L’égalité, c’est donner aux jeunes, quelles que soient leur origine et leur condition, la possibilité de se soigner, d’accéder à leurs droits, de s’insérer. Tel est l’objet du deuxième chapitre du titre Ier. L’égalité, c’est lutter contre les phénomènes de ghettoïsation par une politique volontariste de mixité sociale par le logement. C’est l’objet du titre II qui sera présenté par Emmanuelle Cosse.
L’égalité, c’est enfin lutter contre les discriminations et donner plus à ceux qui ont moins – pour apprendre notre langue commune, pour accéder à la fonction publique, pour disposer des mêmes services publics dans tous les territoires. Pour cela, il s’agit de donner la parole à ceux qui vivent dans nos quartiers prioritaires, en renforçant les outils de démocratie participative que sont les conseils citoyens. C’est l’objet principal du titre III qui sera présenté par Ericka Bareigts.
L’État, mesdames et messieurs les députés, a perdu de son crédit faute d’avoir su faire valoir concrètement l’égalité dans toute une série de situations de la vie quotidienne, particulièrement dans certains territoires. Nous devons réparer ces injustices, même si nous ne les avons pas voulues, et peut-être parce que nous ne les avons pas voulues.
Les trois comités interministériels relatifs à l’égalité et à la citoyenneté ne poursuivaient pas d’autres buts, depuis les attentats de janvier 2015. Ils ont déjà permis de grandes avancées : doublement des crédits du service civique, création du plan « Citoyens du sport », création de la Grande École du numérique, création des contrats starters, ouverture de 50 % de places supplémentaires dans les établissements public d’insertion de la défense, création de l’Agence France Entrepreneur, nouveaux plans de prévention de la radicalisation…
Mais il fallait aller plus loin encore et le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté est le débouché législatif logique de ces comités.
L’État doit donc se montrer à la hauteur, mais les citoyens eux-mêmes doivent aussi manifester leur envie de République. Nous voulons les encourager à le faire par la promotion de l’engagement sous toutes ses formes. Il s’agit de susciter une véritable culture de l’engagement dans notre pays.
Le titre Ier du projet de loi, intitulé dans le texte initial « Citoyenneté et émancipation des jeunes », comporte de nombreuses dispositions dans ce sens, renforcées par les travaux en commission : l’élargissement des possibilités d’exercice du service civique, la reconnaissance de l’engagement dans les diplômes de l’enseignement supérieur – faisant écho à la reconnaissance dans le monde du travail via le compte personnel d’activité – et la création de la réserve citoyenne, judicieusement renommée « réserve civique » par la commission spéciale.
Pour que chaque jeune puisse trouver sa place dans la société et s’y engager, le titre Ier tend à compléter les dispositions favorisant leur autonomie sur les questions d’information, de santé, d’accès à la formation.
Le texte qui vous est présenté aujourd’hui a été nourri par une consultation numérique des citoyens, puis par les nombreux amendements débattus en commission spéciale. Je veux ici saluer le travail remarquable de sa présidente, Annick Lepetit, du rapporteur général, Razzy Hammadi, et des rapporteurs thématiques Valérie Corre, Philippe Bies et Marie-Anne Chapdelaine.
Je ne peux évoquer le millier d’amendements déposés, mais des avancées essentielles, souvent défendues par les rapporteurs, ont émergé. Le congé d’engagement, dont je rappelle qu’il est prévu qu’il soit de six jours fractionnables, a été étendu à de nouveaux bénéficiaires. Par ailleurs, ce congé pourra être rémunéré en cas d’accord de branche ou d’entreprise : nous en débattrons bientôt. La commission a voté la création d’une prémajorité associative qui permettra à des jeunes de 16 ans de créer et de gérer une association. Le service civique sera protégé dans sa spécificité, c’est-à-dire qu’il se distinguera de l’emploi de manière renforcée. La formation des volontaires et le suivi territorial du service civique ont aussi été améliorés.
Je retiens encore, parmi les amendements, celui qui consiste à donner à tous les volontaires une carte ouvrant les mêmes droits que ceux des étudiants, ou celui qui permet justement aux étudiants et aux salariés de bénéficier d’aménagements d’emploi du temps pour tenir compte de leur responsabilité associative ou de leur emploi.
Un autre sujet a été débattu en commission spéciale : celui de l’égalité des enfants devant le droit à l’éducation. Ce droit à l’éducation est intangible, parce qu’il relève de l’intérêt supérieur de l’enfant de disposer d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, dans le respect des lois de la République. Nous allons donc, je l’espère, modifier le régime d’ouverture des écoles privées hors contrat : nous passons d’une déclaration préalable à une autorisation préalable…
…c’est-à-dire qu’au lieu d’une simple déclaration en mairie et auprès de l’État, il faudra désormais disposer d’une autorisation délivrée après un délai raisonnable d’instruction pour être à la hauteur de la responsabilité qui est celle de l’État à l’égard de tous les enfants de notre pays.
Nous encourageons les collectivités à créer des conseils de jeunes pour que ceux-ci aient la possibilité d’exercer pleinement leur citoyenneté et que leur voix soit entendue. Nous renforçons aussi les pouvoirs des conseils citoyens en leur confiant un droit d’interpellation des délégués du Gouvernement que nous venons d’installer. Cette interpellation devra faire l’objet d’une information préalable des élus. Par ailleurs, les membres des conseils citoyens pourront aussi bénéficier du congé d’engagement. Voilà une partie du travail immense qui a été réalisé par la commission spéciale et je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à ce remarquable enrichissement du texte.
Ce projet, parce qu’il touche à ce qui nous est fondamental, parce que sa portée est considérable, a pu susciter d’autres ambitions, par exemple concernant la rénovation de notre vie démocratique.
Il est vrai qu’il s’agit là d’une urgence, tant le fossé semble se creuser entre les Français et leurs représentants. Ceux qui voudraient faire croire que c’est là l’apanage d’un camp seraient dans l’erreur ou dans le déni. L’humilité et la clairvoyance nous obligent à dire que ce sont les institutions elles-mêmes qui sont aujourd’hui interrogées, bousculées, parfois défiées.
Un peuple consulté peut laisser émerger son incompréhension, sa colère contre des institutions qui ne lui parlent plus. En l’occurrence, le Brexit est dans toutes les têtes. Associer les citoyens à l’élaboration de la loi comme cela a été fait pour ce projet, comme cela avait déjà été fait par Axelle Lemaire pour la loi pour une République numérique, est un élément de réponse. Nous pourrions imaginer que cette procédure devienne systématique pour les grands textes de notre République.
Le non-cumul d’un mandat parlementaire et d’un mandat exécutif,…
…beaucoup en ont parlé, depuis longtemps, mais c’est notre gouvernement qui l’a proposé, et c’est cette majorité qui l’a voté.
La prochaine étape ne réside-t-elle pas dans le non-cumul des mandats dans le temps ?
Ma conviction est qu’il faudrait aussi réfléchir à l’évolution de nos sociétés, à l’autonomie de la jeunesse, au sens de la majorité et des droits qui y sont attachés. À 16 ans, on peut se retrouver en isolement mais pas dans un isoloir : à quel sens de la responsabilité cette conception renvoie-t-elle ?
Je mesure parfaitement que ce sont là des débats de société d’envergure. Ils méritent une réflexion globale sur la rénovation de notre organisation démocratique – réflexion que les échéances à venir pourront favoriser, sans nul doute.
En établissant le non-cumul, qui manifestement n’est pas encore admis par tous,…
…en rendant paritaires les assemblées départementales, en instituant une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et des règles de contrôle strictes, cette majorité a démontré qu’elle était incontestablement le camp du progrès, et en l’occurrence du progrès démocratique.
Oui, je suis certain qu’avec ce projet de loi, une fois encore, les postures s’afficheront. Le travail en commission a d’ailleurs donné un avant-goût de cet affichage… Deux visions de la société, deux visions de la République vont se confronter. Et je sais que le camp du progrès sera uni dans cette confrontation pour promouvoir des mesures de justice et d’émancipation.
C’est en tout cas dans la clarté du débat démocratique que naissent les principales réformes de notre société.
Permettez-moi de les appeler de mes voeux, pour une République en actes. Ce projet de loi y contribuera largement.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
À mon tour je viens présenter l’une des briques du grand édifice du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté. Cet édifice est vaste parce que son ambition est grande : agir concrètement pour le plus bel objectif politique qui soit, celui du vivre-ensemble.
Nous devons partager un constat : le goût de faire ensemble, l’esprit collectif, la fraternité sont affaiblis et font l’objet d’attaques. Il y a bien sûr les formes extrêmes de violence qui visent à effriter les fondements de notre démocratie et à nous ériger les uns contre les autres. Mais se fait jour aussi un mouvement général de lassitude de l’autre, qui n’est pas franco-français mais existe largement en Europe.
Ce qui fonde ce projet de loi, et en l’espèce son titre II, c’est de trouver des réponses face à cette tentation du repli et de l’entre-soi, car la manière dont nous faisons société s’incarne particulièrement dans la façon dont nous occupons et partageons les espaces publics qui relient les espaces intimes entre eux.
Ce texte a fait l’objet d’un travail approfondi en commission spéciale. Je tiens à remercier la présidente, les rapporteurs et l’ensemble des parlementaires qui ont travaillé à son enrichissement. L’abondante production d’amendements atteste de votre engagement.
Nous devons être collectivement au rendez-vous du logement abordable et je suis certaine que nos travaux le permettront. Le défi qui nous est posé est décisif et s’inscrit dans une perspective de reconquête : faire du logement social le pivot d’un nouveau pacte urbain.
Après d’autres lois, depuis les premières lois sur l’habitat social à la fin du XIXe siècle jusqu’à la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové – ALUR – en passant par la loi Besson de 1990 ou la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains – SRU – dont nous avons fêté le quinzième anniversaire, il nous faut réaliser un nouveau pas vers la construction d’une société plus inclusive, plaçant l’habitat abordable au coeur de son projet de développement.
En 1894, la loi Siegfried établit un pont entre le travail et l’habitat pour loger la classe ouvrière. Cet indissociable lien entre logement abordable et monde de l’emploi ne cessera de se conforter tout au long du XXe siècle, jusqu’à la récente réforme d’Action Logement, discutée ici même il y a quelques semaines. Mais durant les années 1920 et 1930, la politique du logement se saisit de la question urbaine, même s’il faut attendre la période de reconstruction pour que l’État, poussé par la société civile et l’abbé Pierre, lance d’immenses chantiers afin de répondre à la crise des sans-logis et des bidonvilles. Il fallait construire, construire en masse et pour tout le monde. Construire de manière industrielle pour aller vite, au risque de créer des lieux qui deviendront plus tard des lieux d’exclusion.
Hélas, le chômage est passé par là : l’idéal des grands ensembles a tourné court et ce qui devait être un urbanisme de rêve, sans voiture, avec un espace pour chaque fonction, des logements spacieux et lumineux, l’abolition de la rue, s’est mué en relégation sociale.
La diversité sociale, qui était la clé du succès de ces quartiers, s’est peu à peu effacée : les plus aisés sont partis, puis les moins aisés, mais qui pouvaient quand même. Seuls sont restés ceux qui n’avaient plus d’autre choix.
Ce n’est pas tout de construire, encore faut-il prendre soin du devenir des immeubles, des quartiers et, surtout, des familles qui y vivent. L’histoire du logement social résulte ainsi d’une tension entre une vision universaliste, idéaliste, qui fait la spécificité du modèle français, et une pratique résiduelle tendant à consacrer ce type de logement au seul usage des pauvres. Au coeur de cette tension : l’accession à la propriété privée qui, dans notre imaginaire, est le seul parcours résidentiel réussi.
Pour ma part, je crois que nous pouvons nous accorder sur une approche généraliste, celle-là même du logement social en France. Oui, le logement social a une vocation sociale ! Non, il ne doit pas rassembler qu’un seul type de population ! Oui, il doit tenir l’impératif du droit au logement opposable et de la mixité sociale – comme d’ailleurs le logement privé !
Rappelons que le logement social est potentiellement celui d’une grande majorité de Français : 70 % d’entre eux ont un revenu inférieur au plafond de ressources,…
…c’est-à-dire qu’ils gagnent par exemple moins de 2 200 euros à deux pour un couple sans enfant – 2 900 euros en Île-de-France.
Rappelons aussi que le logement social joue un rôle économique majeur, contracyclique, en période de crise : le secteur du bâtiment est le fer de lance de la reprise. Je tiens ici, devant vous, à insister sur la qualité des bâtis et la performance thermique, qui est 30 % supérieure dans le parc social par rapport à l’ensemble du parc résidentiel. Le logement social n’est pas un logement au rabais mais un logement de qualité et d’innovation.
Rappelons enfin que si, aujourd’hui, le logement social focalise tant l’attention, c’est que pendant trop longtemps on a cru aux bienfaits d’un marché du logement s’équilibrant de lui-même. Nous savons bien ce qu’il en est encore aujourd’hui : comme l’a rappelé en 2013 le rapport de Louis Gallois sur les freins à la compétitivité, la cherté du logement en France et le manque de logement abordable constituent un frein à la mobilité professionnelle, donc à l’emploi.
Les grandes vagues spéculatives ont eu des effets fous sur les marchés locatifs, comme on a pu l’observer pendant les années 2000 dans les grandes métropoles. La production d’un logement abordable, en « social » comme dans le privé, est donc la clé pour sortir de la crise du logement que nous connaissons.
C’est pourquoi, depuis 2012, le Gouvernement a engagé une mobilisation générale en faveur du logement. Récemment encore, il a tenu ses engagements et sécurisé des financements : à côté des aides à l’accession et à l’investissement locatif, il a consolidé les aides à la pierre, à travers une participation affirmée de l’État et des bailleurs sociaux, et mis en place notamment un dispositif de prêts de haut de bilan pour aider les bailleurs sociaux volontaristes.
Nous pouvons nous réjouir d’avoir atteint l’an dernier une production de 120 000 logements sociaux neufs et engagé la programmation de 140 000 logements pour l’année 2016. Au total, regardez les chiffres de la dernière année : ce sont près de 398 000 logements qui auront été autorisés d’avril 2015 à avril 2016.
Mesdames et messieurs les députés, aujourd’hui, nous inscrivons nos pas dans ceux de nos aînés. Ils ont avec courage obligé toute les communes à participer à la solidarité nationale en construisant du logement social partout où il y en a besoin. Je tiens à rendre hommage à Louis Besson et à toutes celles et ceux qui ont oeuvré à ses côtés à la loi Solidarité et renouvellement urbains en 2000. Elle est un pilier de notre droit au logement abordable et un texte fondateur en matière de mixité sociale. Il nous revient désormais de la prolonger, non plus seulement pour construire mais pour habiter partout. Tout est fait pour construire plus de logements : il s’agit maintenant de renforcer les leviers qualitatifs des politiques de l’habitat au bénéfice de celles et ceux qui les occupent.
On peut vivre aujourd’hui en France dans une agglomération urbaine tout en étant coupé du monde. On peut vivre dans des quartiers totalement relégués. Toutes les régions de France connaissent des quartiers enclavés où les habitants se considèrent comme les grands oubliés de la République, où l’on vit comme assigné à résidence… L’apartheid dont parlait le Premier ministre après les attentats de Charlie est une réalité. Il résulte non seulement de logiques urbaines datées, mais également de logiques de ségrégation entretenues parfois délibérément. Certains élus, aiguillonnés par leur population, modèlent leur territoire avec autant de murailles invisibles mais bien étanches en bloquant des programmes de logements sociaux ou encore un projet de transport en commun qui créerait un pont avec un quartier populaire.
J’ai d’ailleurs noté que nombre d’amendements déposés par l’opposition visaient à démanteler la loi SRU ou, encore, à rendre plus difficile la mise en place des aires d’accueil des gens du voyage. Je vous le dis ici et je le dis aux Françaises et aux Français : ce projet de loi vise justement à renforcer les ressorts du vivre ensemble, grâce à des logiques de solidarité qui doivent s’imposer à toutes et tous, car il n’y a pas de ghettos de riches sans ghettos de pauvres.
Au moment où les échelles d’intervention publique évoluent avec la mise en oeuvre d’une réforme intercommunale majeure, mon objectif est d’encourager les acteurs des territoires – à commencer par les élus locaux – qui font de la diversité une richesse et qui se battent pour que les villes intègrent ceux qui sont « hors des circuits de la vie sociale », pour reprendre une expression de Louis Besson.
Après la loi SRU, la loi Égalité et citoyenneté est une étape supplémentaire vers la constitution de bassins de vie équilibrés et hospitaliers. Dans la lignée de la loi ALUR qui a consacré la responsabilisation accrue des acteurs locaux, mais également de la loi de janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public, elle vise à s’appuyer sur les points forts des territoires pour mettre en place des politiques de peuplement en dentelle, fines et adaptées aux besoins spécifiques des habitants en fonction des territoires.
En ce sens, ce projet de loi vous propose d’agir sur l’offre de logements en veillant à leur bonne répartition spatiale et à leur diversité, mais il propose aussi d’agir sur le parc social existant en réformant les attributions des logements sociaux et les politiques de loyers afin qu’elles constituent des leviers justes et équitables de mixité sociale.
Pour cela, un meilleur pilotage des attributions sera mis en place : 25 % des attributions réalisées en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville – QPV – devront être destinées aux 25 % des ménages les plus pauvres du fichier de demandeurs de logement social. Cette mesure forte, qui s’ajoute à l’objectif – rehaussé par la loi relative à la mobilisation du foncier public – de production de 20 %, voire 25 % de logements locatifs sociaux dans chaque commune, permettra aux ménages modestes d’accéder à des quartiers qui leur sont aujourd’hui le plus souvent interdits.
Afin de tenir compte des spécificités locales et suite à un travail approfondi avec les députés en commission spéciale, le Gouvernement a proposé que ce taux de 25 % puisse être modulé, avec l’accord des représentants de l’État, par les conférences intercommunales délégataires des aides à la pierre. Par ailleurs, un taux similaire de 25 % s’appliquera également à Action Logement et aux collectivités territoriales afin qu’ils consacrent 25 % de leurs attributions aux ménages prioritaires et à ceux reconnus au titre du droit au logement opposable.
Sur ce point, qui a occupé tant de nos débats, veillons à ne pas opposer mixité sociale et droit au logement. C’est là tout l’équilibre de nos discussions. La nécessaire mixité que nous appelons de nos voeux implique d’abord et avant tout de permettre aux ménages modestes le franchissement de portes qui leur sont aujourd’hui fermées.
Mais attention à ne pas faire de la mixité un paravent de l’exclusion : refuser un logement à un ménage prioritaire dans les QPV revient à le laisser sans solution. Ce n’est pas ma vision des combats de la gauche : je veux ouvrir tous les quartiers à tous les ménages. Donc, je ne remplacerai pas une interdiction par une autre.
Pour autant, je comprends très bien la volonté de certains d’entre vous de travailler à des moyens permettant de diversifier la population dans des quartiers fragiles. C’est pourquoi je pense que nous pouvons travailler ensemble à créer du droit positif et du droit d’accès, et non du droit de séparation ou d’exclusion. Aussi, je vous proposerai que l’on puisse s’accorder, au plan local, sur un principe de définition systématique d’objectifs de diversification pour l’ensemble des publics accueillis afin de répondre aux besoins de mixité sociale que vous exprimez, tout en garantissant la valeur inclusive du logement social.
En outre, le Gouvernement vous propose avec ce texte de favoriser une plus grande transparence dans les attributions. Les conférences intercommunales devront définir publiquement les orientations relatives aux attributions sur leurs territoires et les bailleurs sociaux seront obligés de publier les logements vacants d’ici 2020, date qui a d’ailleurs été avancée en commission.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux, le projet de loi prévoit également d’offrir des libertés supplémentaires aux bailleurs sociaux afin notamment de leur permettre de mettre en place une nouvelle politique de loyers. Le travail en commission spéciale a également permis d’évoluer sur un autre point : il est proposé de renforcer le supplément de loyer de solidarité pour les ménages qui dépassent les plafonds de ressources tout en maintenant la nécessaire exigence de mixité sociale que les élus ont souhaité défendre en commission.
Enfin, parce que la mise en oeuvre de la loi SRU demeure une exigence première, il est proposé de donner à l’État des moyens supplémentaires pour imposer des programmes de logements sociaux là où la volonté politique locale est insuffisante. Je vous rappelle, si cela est nécessaire, que si toutes les communes déficitaires respectaient leurs objectifs selon la loi SRU, 750 000 logements sociaux seraient construits d’ici 2025 !
La procédure de carence sera également clarifiée et mise en cohérence sur les plans régional et national afin de rendre la loi SRU plus pertinente et cohérente avec les besoins et les réalités des territoires. Le périmètre d’application sera notamment recentré afin de supprimer certains écueils de la loi, ce qui rendra d’autant plus légitime la fermeté à l’endroit des communes réfractaires à l’objectif national de mixité sociale.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, l’objectif de ce titre II du projet de loi Égalité et citoyenneté. Alors que nous commençons la dernière ligne droite de ce quinquennat, vous avez là l’opportunité d’enrichir et de voter un projet de justice et de progrès. N’oublions jamais que l’autonomie, la réussite scolaire ou professionnelle, le bien-être, la vie de famille, la construction personnelle sont d’autant plus faciles que l’on dispose d’un logement digne. Avoir un chez soi, au-delà d’un simple toit, c’est une exigence quotidienne pour des millions de nos concitoyens, à laquelle nous devons toute notre mobilisation.
Dans un contexte difficile, nous pouvons ainsi consolider les valeurs républicaines d’égalité et d’émancipation. Aux exigences accrues en matière d’efficacité des politiques publiques, nous pouvons offrir un pacte territorial renforcé entre État, collectivités, bailleurs et usagers. Grâce à un égal accès à un habitat mieux partagé, nous pouvons faire en sorte que les Françaises et les Français puissent retrouver à la fois confiance en l’autre et confiance en l’avenir
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
Madame la présidente, madame la présidente de la commission spéciale – chère Annick, monsieur le rapporteur général – cher Razzy, madame la rapporteure – chère Marie-Anne, madame la rapporteure Valérie Corre, monsieur le rapporteur Philippe Bies, mesdames et messieurs les députés, Pierre Nora nous enseignait que la République est un combat, un combat permanent. Je crois qu’il en est de même pour l’égalité : elle ne se décrète pas mais se construit au jour le jour et c’est notamment dans cette salle, coeur battant de la démocratie, qu’ont été franchies des étapes visant à rendre l’égalité réelle.
Ce combat s’accompagne d’un devoir de vigilance continu car aucun principe, aucune victoire ne seront jamais gravés dans le marbre. Si toutes les générations ne travaillent pas continûment à interroger ces principes, à les pérenniser, à les ancrer dans le temps présent, alors pèse sur la République le risque du délitement.
Jamais la nécessité de les rappeler n’aura été aussi forte, d’une part parce qu’ils sont attaqués par ceux qui souhaitent détruire ce que nous représentons – un modèle de démocratie – et d’autre part, parce que trop de nos concitoyens considèrent que le message républicain est illusoire et que les réalités qu’ils vivent quotidiennement le démentent.
Donner corps à la devise républicaine : tel est notre projet. J’ai le combat pour l’égalité chevillé au corps. Il est à la source même de mon engagement en politique, peut-être parce que j’ai connu les regards qui enferment et les tentatives d’exclusion d’une République que certains voudraient uniforme. Députée hier, aujourd’hui secrétaire d’État de la République, je souhaite l’avènement de cette France de toutes les couleurs et de toutes les différences. C’est avec fierté que nous allons la faire vivre, ici, ensemble, au cours de nos débats !
Je vais travailler à ce que la France se regarde telle qu’elle est, forte de toute sa diversité, forte de cette richesse intrinsèque sur laquelle elle doit s’appuyer. Mener le combat de l’égalité et de la justice sociale, telle est la feuille de route de ce Gouvernement. Le titre III « Pour l’égalité réelle » et les mesures qu’il contient servent cette ambition.
L’égalité réelle, c’est donner à chacun les moyens de s’insérer pleinement dans la République. C’est aussi combattre les déterminismes sociaux et territoriaux, les mécanismes d’exclusion qui minent la cohésion de notre pays et déconstruisent le lien social.
Tel est l’objectif de ce titre. Avant d’en exposer le contenu, je souhaite souligner la grande qualité du travail mené en commission, sous la remarquable présidence d’Annick Lepetit. Je tiens notamment à saluer le rapporteur général, Razzy Hammadi, ainsi que la rapporteure Marie-Anne Chapdelaine, pour leur excellent travail.
Le titre III comporte quatre chapitres. Le premier concerne le renforcement de la démocratie participative au coeur des villes. Nous constatons tous, au coeur des territoires, à quel point la demande de démocratie participative et directe est forte. L’une des réponses apportées par le Gouvernement a été d’associer les citoyens à la définition des politiques publiques dans les villes, afin que les décisions tiennent compte de l’avis des habitants. Les conseils citoyens ont été créés par la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014. Avec Patrick Kanner, nous allons renforcer leur pouvoir, afin de donner plus de force à la parole citoyenne.
L’article 34 leur reconnaît le pouvoir d’interpellation, et le travail en commission a permis d’améliorer encore le dispositif. D’abord en apportant des précisions sur les modalités de l’interpellation des pouvoirs publics par les conseils citoyens : le rôle des élus et celui du comité de pilotage du contrat de ville sont précisés, et c’est une bonne chose. Ensuite, en rétablissant les délégués du Gouvernement dans le projet de loi, ce qui sera utile à la résolution de problèmes nécessitant des missions ponctuelles. Ce chapitre constitue une vraie avancée en faveur de la prise en compte de l’expression citoyenne et de sa juste reconnaissance au service d’une action publique modernisée.
Le deuxième volet de ce titre concerne la maîtrise de la langue française. Aujourd’hui, ce sont près de 6 millions de personnes qui rencontrent des difficultés avec la maîtrise du français, dont 3 millions sont confrontées à l’illettrisme, en incluant les outre-mer.
Or maîtriser la langue française, c’est pouvoir être inclus dans la société, s’insérer et progresser professionnellement, exercer sa citoyenneté et accéder à ses droits. Cette ambition s’inscrit dans la continuité de l’action gouvernementale. En effet, la lutte contre l’illettrisme a été déclarée grande cause nationale pour l’année 2013. La même année, la loi du 8 juillet d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a renforcé le rôle de l’institution scolaire dans la prévention de l’illettrisme, et l’année suivante a été adoptée une réforme majeure de la formation professionnelle avec la loi du 5 mars 2014 qui offre de nouvelles opportunités de formation à la maîtrise de la langue.
Mais ces dispositifs laissent encore une part importante de la population sans perspective de formation, en particulier celles et ceux qui souhaitent améliorer leur maîtrise du français. Agir pour l’égalité réelle, c’est permettre une meilleure maîtrise de la langue française par tous, et à tout âge. Dans le cadre de la formation continue, toute personne pourra ainsi bénéficier d’une formation lui permettant d’améliorer sa maîtrise de la langue française et de vivre ainsi pleinement sa citoyenneté dans la République. Il en sera de même pour le dispositif d’intégration des étrangers. Les avancées de ce texte en matière de maîtrise de la langue française seront complétées par la création d’une Agence de la langue française pour la cohésion sociale au 1er janvier 2017.
Le troisième volet de ce titre poursuit l’objectif de diversifier les recrutements de notre fonction publique et d’ouvrir plus largement les portes de notre administration. La diversité des talents et des profils est une richesse. Avec Annick Girardin, ministre de la fonction publique, nous souhaitons que notre fonction publique, garante des principes républicains et de la poursuite de l’intérêt général, puisse en bénéficier. Et cela pose bien évidemment la question des conditions d’accès. Pour diversifier le recrutement des agents publics, le projet de loi prévoit d’ouvrir encore davantage l’accès à la fonction publique par la voie du troisième concours, qui sera généralisée pour les trois fonctions publiques.
Toute personne, quelle que soit l’activité professionnelle qu’elle a exercée ou exerce, pourra candidater au troisième concours. Le seul critère pris en compte pour se présenter à ce type de concours sera la durée de l’activité exercée, et les périodes d’apprentissage seront prises en compte dans ce cadre. Grâce à ces mesures, le vivier de candidats sera élargi. Mais, surtout, cette mesure est le gage que des personnes aux compétences plus variées, issues d’expériences plus larges, pourront passer ces concours. Elle sera complétée, sur proposition du Gouvernement, par la mise en place d’un dispositif de prérecrutement des jeunes sans emploi dans la fonction publique d’État, qui seront accompagnés pour présenter et réussir les épreuves des concours externes.
Afin de garantir la diversité de profils et l’égal accès à la fonction publique, plusieurs avancées ont été permises par le travail en commission. Par exemple, le Gouvernement devra désormais publier tous les deux ans un rapport sur la lutte contre les discriminations et la prise en compte de la diversité de la société française dans les trois fonctions publiques.
Le titre III a l’ambition de déconstruire les mécanismes d’exclusion et d’inclure l’ensemble des citoyens dans la République. C’est cette logique qui a présidé à la création du secrétariat d’État auprès du Premier ministre chargé de l’égalité réelle. Je fais de la définition et de la coordination de la politique publique de lutte contre les discriminations ma priorité. Les événements qu’a connus notre pays, ainsi que l’augmentation des actes de racisme – de près de 25 % en 2015 – doivent nous amener à intensifier notre réponse. Celle-ci doit être globale, audible et concrète. Notre société traverse une fracture sociale. Le besoin de lien, d’inclusion et de reconnaissance est fort.
Le titre III du projet de loi y participe largement. D’abord, en renforçant la protection accordée par la société à toutes les citoyennes et tous les citoyens. La fermeté s’impose face à ceux qui ne respectent pas nos règles républicaines en excluant l’autre, et nous savons l’assumer.
La répression des injures à caractère raciste et discriminatoire est donc aggravée au même niveau que celles des provocations et diffamations à caractère raciste, tant leur effet destructeur est comparable. Pour ces délits, la peine pourra désormais être accompagnée d’un stage de citoyenneté, que la commission a rebaptisé « stage d’apprentissage des valeurs de la République et des devoirs du citoyen ».
Le fait que les peines aient spécifiquement, pour ces infractions, une visée pédagogique, notamment en ce qui concerne les règles de vie en société, constitue une vraie innovation. Parce que rien ne justifie un discours de haine, l’excuse de provocation en matière d’injures racistes ou discriminatoires sera désormais exclue.
Enfin, les circonstances aggravantes que sont le racisme, l’homophobie et la transphobie seront généralisées à l’ensemble des infractions prévues par le code pénal. Je salue à ce titre l’amendement qui introduit la notion d’identité de genre en lieu et place de l’identité de sexe, pour qu’aucune ambiguïté ne soit possible entre l’homosexualité et le transsexualisme. Cette disposition a également été enrichie, et je m’en félicite, puisqu’elle fait du sexisme une autre circonstance aggravante inscrite dans notre code pénal. Les violences faites aux femmes sont intolérables, et l’action du Gouvernement pour y mettre fin doit être poursuivie.
Mais lutter contre les expressions racistes et antisémites, c’est aussi agir sur les procédures judiciaires engagées contre ceux qui les profèrent. Assouplie, la procédure prévue par la loi de 1881 sur la liberté de la presse facilitera la poursuite des discours haineux. Parce que, nous le savons, les victimes peinent souvent à agir seules, la liste des associations pouvant agir en justice a été élargie aux associations de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. En outre, la négation et la contestation de l’esclavage et de la traite négrière comme crimes contre l’humanité seront désormais punis, ce qui renforce la loi Taubira du 21 mai 2001. Se contenter de la sanction aurait été l’aveu d’une société bloquée dans ses croyances, lesquelles, lorsqu’elles sont erronées, conduisent au rejet de l’altérité – et je n’ai pu m’y résoudre.
Lutter contre les discriminations, c’est aussi mener un travail de pédagogie et d’éducation de notre regard sur la différence. Voilà pourquoi le Gouvernement a souhaité favoriser une meilleure représentation de toute la diversité de la société française dans les médias. Les chaînes audiovisuelles nationales et publiques concourront ainsi à cet objectif. Elles devront rendre compte, quantitativement et qualitativement, au Conseil supérieur de l’audiovisuel de la part de représentation de la diversité de la société française dans leurs programmes.
Il est impérieux que cette représentation soit à l’image de ce que nous sommes : homosexuel, riche, moins riche, grand, petit, de couleur, homme, femme, handicapé… Chacun de nous doit se reconnaître comme faisant partie du tout, et tel qu’il est. Sans raccourci, sans stéréotype, dans toute sa dignité !
Pour terminer cet exposé du titre III, je tiens à dire que je suis heureuse du travail effectué pour renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes. Vous le savez, elle est l’un des objectifs de ce quinquennat. Outre la création et la généralisation de la circonstance aggravante de sexisme prévue par le code pénal, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sera inscrit dans la loi. L’action de cette instance consultative sur le droit des femmes sera donc pérennisée : cela permettra de veiller à ce que l’exigence d’égalité des sexes soit toujours défendue, et même accentuée.
Mesdames et messieurs les députés, je me souviens de ce pamphlet percutant, déclamé par Abd al Malik un mois après les attentats de janvier 2015 : « République, ô ma République, mais pourquoi donc ne m’as-tu pas dit que tu m’aimais ? » Le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui est une occasion de répondre ensemble à ce questionnement, largement partagé dans notre société. Et je souhaite que le travail parlementaire, avec toute sa force, s’inscrive dans cette philosophie.
Oui, la République doit affirmer et réaffirmer avec force la place de tous les citoyens dans la communauté nationale. Oui, favoriser l’engagement et la mixité sociale, lutter contre les discriminations et promouvoir la diversité, ce sont des avancées fortes et attendues. Oui, nos propositions visent à fortifier notre projet de société, où chacune, chacun – elle, lui, eux, nous – pourra se retrouver.
Ce projet, nous n’en connaissons qu’un seul : la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Razzy Hammadi, rapporteur général de la commission spéciale.
Madame la présidente, madame la ministre du logement et de l’habitat durable, monsieur le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, madame la secrétaire d’État chargée de l’égalité réelle, madame la présidente de la commission spéciale, mesdames et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen d’un projet de loi qui est l’aboutissement d’un long travail de réflexion, entamé en mars 2015 avec la première réunion du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté – CIEC.
Deux mois après les attaques terroristes contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, le Gouvernement dressait alors un constat sans fard, que M. le ministre vient de rappeler : celui d’un profond malaise social et démocratique, ressenti par une très grande part de nos concitoyens, pour lesquels la République et ses valeurs ne sont plus guère qu’une illusion. La suite de l’année 2015 aura tragiquement montré la lucidité de ce constat.
Comment renforcer le lien entre les citoyens et la nation ? Comment faire vivre les valeurs de la République chez ceux de nos concitoyens qui s’en sont éloignés ? La complexité et l’ampleur de ces questions sont telles qu’elles auraient pu décourager l’action. Le Gouvernement a fait exactement l’inverse, en décidant de traduire « la République en actes ». Cette expression est celle qu’a retenue le CIEC, dont les travaux ont débouché sur l’annonce de soixante mesures concrètes, autour des valeurs socles d’égalité et de citoyenneté.
Ces valeurs renvoient sans doute chacun d’entre nous à des réalités différentes, en fonction de son parcours personnel, de son milieu social, de sa couleur, de son éducation, de ses convictions politiques ou de ses croyances. Mais je crois que nous pourrons tous, sur ces bancs, nous accorder sur les définitions qui nous rassemblent : l’égalité, ce sont les mêmes opportunités données à chacun, et les mêmes règles qui s’imposent à tous ; la citoyenneté, c’est l’appartenance à une communauté de destin, et l’adhésion à des valeurs partagées.
Comme un symbole de la présence et de l’engagement de la République dans ce qu’un raccourci commun désigne comme les « quartiers en difficultés », c’est aux Mureaux que s’est tenue la seconde réunion du comité interministériel. Elle a été l’occasion de dresser le bilan des sept mois écoulés depuis la première réunion, et d’annoncer la préparation du projet de loi dont nous débutons aujourd’hui l’examen.
Bien avant le dépôt du projet de loi, le 13 avril dernier, les députés du groupe majoritaire, que je salue, ont mis en place un groupe de travail dont les réflexions ont contribué à l’élaboration du texte. La création de la commission spéciale, demandée par le Gouvernement, est parfaitement justifiée au regard du caractère transversal et de la diversité des sujets abordés. Cette diversité a conduit la commission à désigner, outre votre rapporteur général, trois rapporteurs thématiques, dont je souhaite saluer la qualité des travaux : Valérie Corre pour le titre Ier, Philippe Bies pour le titre II et Marie-Anne Chapdelaine pour le titre III. Chacun a procédé à de nombreuses auditions qui ont donné lieu à des discussions, parfois mêmes à des négociations. Ouvertes aux membres de la commission, elles ont permis de corriger et d’enrichir le texte. Nous avons su coordonner nos initiatives, au point qu’à de rares exceptions près, les amendements déposés en commission l’ont été par l’équipe des quatre rapporteurs.
Je tiens également à remercier la présidente, Annick Lepetit, pour la bonne tenue de nos travaux. En très peu de temps, la commission spéciale a pu auditionner plusieurs associations, organisations, syndicats et personnalités. Ces travaux préparatoires, particulièrement nourris, ont abouti au dépôt d’environ 1 100 amendements ; la commission en a adopté plus de 350, dont beaucoup portant articles additionnels, ce qui illustre la richesse de la coproduction parlementaire, en qualité comme en quantité. Le texte dont nous débattrons cette semaine compte ainsi plus de 160 articles, contre seulement 41 dans la version du Gouvernement.
En un seul ensemble, ce projet de loi rassemble donc plusieurs engagements forts du Président de la République, du Gouvernement et de la majorité, à destination de la jeunesse de France, en faveur de la justice sociale, et contre toutes les formes de discrimination. Ces engagements n’ont d’ailleurs pas attendu le dépôt de ce projet de loi car, s’il est examiné dans la dernière année de la législature, il s’inscrit dans la continuité des actions engagées, comme l’a rappelé le Gouvernement : la jeunesse a été une préoccupation constante des pouvoirs publics, qu’il s’agisse du plan de relance de l’apprentissage ou de la création de la Garantie jeunes ; l’accès au logement, en particulier social, a déjà fait l’objet de plusieurs dispositions législatives, notamment la loi ALUR, et d’actions concrètes ; et s’agissant enfin de la lutte contre les discriminations, entre autres mesures, cette majorité peut être particulièrement fière d’avoir permis l’adoption de l’action de groupe contre les discriminations.
Je laisserai le soin aux rapporteurs thématiques de présenter plus précisément le contenu de chacun des titres du projet de loi. Le titre Ier comporte une série de mesures destinées à renforcer le lien citoyen – unification de la réserve citoyenne, ou encore renforcement du service civique – et à offrir de nouvelles possibilités d’engagement à la jeunesse de notre pays. Le titre II renforce la mixité sociale dans le logement, en permettant entre autres aux demandeurs de logements sociaux les plus modestes d’être logés ailleurs que dans les quartiers connaissant les plus grandes difficultés. C’est un dispositif unique en Europe. Le titre III, enfin, comporte pour l’essentiel des mesures de lutte contre les discriminations, sous toutes leurs formes. L’expression « casser les ghettos » n’a souvent été qu’un slogan. Elle trouve ici une traduction législative : casser les ghettos par l’engagement, par la mixité sociale, par la lutte contre les discriminations, voilà la République en acte que nous appelons de nos voeux.
J’insisterai pour ma part sur certaines modifications apportées en commission. S’agissant du titre Ier, nous avons tout d’abord souhaité en modifier l’intitulé, pour y inclure la notion de participation rappelée par Ericka Bareigts. L’article 8 prévoit un congé d’engagement et renvoie à l’accord d’entreprise ou de branche le soin de décider si ce congé est rémunéré ou non, et à quelle hauteur.
La commission a adopté de nombreuses mesures relatives au service civique, car si celui-ci est une chance, il faut avoir conscience des craintes que son élargissement peut susciter. Aussi avons-nous travaillé en commission sur l’inscription des volontaires sur le registre du personnel ou encore un droit d’alerte des représentants du personnel auprès de l’Agence du service civique. Je ne doute pas que nous améliorerons ces propositions dans le cadre de nos débats.
En matière de participation de la population aux décisions publiques, nous avons déjà fait adopter par la commission deux amendements importants. L’un prévoit d’associer les citoyens à l’élaboration du schéma d’aménagement de la région Île-de-France. C’est presque par erreur que la commission n’a pas adopté les mêmes amendements pour les schémas des autres régions.
Afin de renforcer encore l’affirmation de la jeunesse comme priorité de l’action publique, nous souhaitons doter les territoires de stratégies en faveur de la jeunesse, afin que tout le monde puisse définir les moyens et les objectifs. Concrètement, le texte prévoit l’inclusion dans les contrats de ville d’actions stratégiques en faveur de la jeunesse.
Très symboliquement, le texte prévoit désormais que la nation reconnaît le droit de chaque jeune de 18 à 25 ans à la mobilité internationale. Parce que la priorité donnée à la jeunesse passe évidemment par la formation, et si possible par l’excellence, il faut permettre aux meilleurs bacheliers boursiers d’accéder aux filières sélectives, tout en maintenant le principe du libre accès aux formations universitaires. Cela implique une réécriture de l’article 19, sur lequel nous avons beaucoup travaillé avec Valérie Corre.
J’en viens au titre II, sans quitter pour autant le domaine de la jeunesse. Je pense aux débats sur l’élargissement de la liste des publics prioritaires pour l’attribution d’un logement social aux jeunes en formation professionnelle, ou encore sur l’accès à la location meublée dans le parc social, notamment s’agissant des enseignants, ce qui leur donnera la possibilité d’effectuer plus facilement des remplacements de courte durée en levant l’obstacle que constitue dans certains territoires la pénurie de logements abordables.
La « démocratie locative », expression si chère à Philippe Bies et dont il est l’auteur, est l’objet d’un nouveau chapitre introduit par la commission dans le titre II. Nous avons assoupli les conditions d’introduction d’une action de groupe dans le secteur du logement social, en n’exigeant plus d’agrément pour l’association représentant les locataires. C’est un sujet sur lequel nous aurons l’occasion de revenir au cours de nos débats. De la même façon, je ne doute pas que nous aurons encore à débattre du fameux « 1 % associatif et culturel » qui impose aux promoteurs de logements sociaux de mettre un certain pourcentage de la surface bâtie à disposition de nos associations, des citoyennes et des citoyens, afin de renforcer le vivre-ensemble.
Le titre III, consacré à l’égalité réelle, a été considérablement enrichi par la commission et je remercie le Gouvernement de son écoute. L’article 34 bis réintroduit dans le texte la fonction de délégué du Gouvernement, qui pourra être sollicité par les citoyens, par l’intermédiaire des conseils citoyens. Parmi les nombreuses mesures de lutte contre les discriminations sous toutes leurs formes, notons que le sexisme sera désormais une circonstance aggravante générale des crimes et délits.
Le titre III a servi de « terre d’accueil », au sens noble du terme, à de nombreuses initiatives parlementaires jusqu’alors inabouties. Marie-Anne Chapdelaine y reviendra sans doute, mais je voudrais notamment signaler l’importation de trois propositions de loi : celle du président Raimbourg sur les gens du voyage, qui nous appelle d’ailleurs à les appeler « citoyens itinérants », celle de la sénatrice Bariza Khiari et de notre collègue Daniel Goldberg sur les emplois dits fermés, celle enfin du président Schwartzenberg sur l’accès aux cantines scolaires.
Il est impossible, en si peu de temps, de présenter tous les apports de ce projet de loi. Je crois que nos débats en séance seront une nouvelle occasion de l’enrichir, afin que soient portées haut les valeurs de la République et que le lien social et démocratique soit renforcé dans notre pays.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme Valérie Corre, rapporteure thématique de la commission spéciale sur le titre Ier.
Le titre Ier du projet de loi Égalité et citoyenneté, pour lequel je suis rapporteure thématique, vise à créer les conditions de la généralisation d’une culture de l’engagement citoyen tout au long de la vie. Être citoyen, ce n’est pas seulement voter et payer des impôts : c’est aussi s’engager, participer, ou encore militer.
Ce projet de loi renforce des dispositifs existants et en crée de nouveaux. Dans ses premiers articles, il pérennise la réserve citoyenne. L’objectif est de permettre à chacun de s’engager pour l’intérêt général. L’État affirme à cette occasion sa vocation à organiser l’engagement et pas uniquement à le soutenir par l’intermédiaire des associations. Certains s’inquiètent que la réserve citoyenne concurrence les activités associatives. Je ne crois pas que cela soit le cas. L’engagement dans une réserve citoyenne n’écarte en rien la possibilité de s’engager au profit d’une association. Mieux, cela peut en susciter l’envie – c’est du moins ma conviction. Afin de donner une unité aux dispositifs d’engagement, j’ai proposé à la commission de renommer la réserve citoyenne« réserve civique ». Je vous proposerai, pour aller dans le sens de nos débats, d’ouvrir la réserve généraliste aux mineurs de plus de 16 ans, sous réserve de l’accord des représentants légaux.
Sur le service civique, le projet de loi contient plusieurs mesures visant à en assurer la montée en charge : diversification des structures d’accueil, ouverture aux étrangers titulaires d’une carte de séjour pluriannuelle ou encore intermédiation entre personnes morales de droit public. L’idée qui nous a guidés était de maintenir le cadre législatif afin de ne pas affaiblir la dynamique, déjà bien engagée. Cependant, pour éviter toute confusion entre service civique et emploi, nous avons adopté en commission plusieurs amendements assurant une distinction plus nette entre les deux. Le débat qui s’ouvre nous permettra, je pense, d’aller encore plus loin dans ce sens.
Ensuite, ce projet de loi vise à valoriser l’engagement étudiant. Il pose un principe de validation obligatoire de l’engagement au sein des formations de l’enseignement supérieur, par l’attribution de crédits ECTS – Système européen de transfert et d’accumulation de crédits – supplémentaires. Pour ne pas pénaliser les étudiants engagés ou contraints de travailler pendant leurs études, nous leur permettons d’aménager leur scolarité, comme peuvent déjà le faire les étudiants sportifs de haut niveau. Je sais, monsieur le ministre, que vous proposerez un amendement allant dans ce sens, mais qui permettra de mieux respecter l’autonomie et la diversité des établissements.
Afin d’encourager l’engagement de tous au service de l’intérêt général, nous créons également dans ce texte un congé associatif de six jours ouvert aux bénévoles membres des organes d’administration et de direction des associations. En commission, nous l’avons étendu à l’ensemble des responsables associatifs bénévoles ainsi qu’aux membres de conseils citoyens. La question du maintien de la rémunération a été renvoyée par la commission à la négociation sociale.
Toujours dans l’objectif de favoriser l’engagement, d’autres amendements ont été adoptés en commission, à destination des plus jeunes. D’abord, il sera possible à un mineur de plus de 16 ans d’être directeur de publication. Ensuite, l’article 15 ter permet de rétablir le droit de chaque mineur doué de discernement à créer une association ou à en devenir membre.
Dans le même objectif, nous avons cherché à améliorer la représentativité des jeunes. Nous actons la possibilité pour les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale de créer une instance de concertation compétente pour émettre des avis sur les décisions relevant notamment de la politique de jeunesse. Au niveau national, le Conseil national de la jeunesse, inactif depuis plusieurs années, devient le Conseil d’orientation pour les politiques de jeunesse, qui sera chargé de proposer les politiques à mettre en oeuvre pour l’ensemble des jeunes.
Ensuite, nous faisons évoluer la composition des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux – CESER. Dans le collège des personnes qualifiées, nous prévoyons la présence de représentants d’associations de jeunes et d’éducation populaire dont la moyenne d’âge est inférieure 30 ans et précisons également qu’il doit tendre à refléter la population du territoire régional dans ses différentes classes d’âge.
Enfin, même si c’est de l’ordre du symbole, mais cela a son importance, j’ai proposé à la commission un amendement renversant le principe selon lequel, en cas d’égalité de suffrage aux élections locales, le candidat le plus âgé, ou la liste ayant la moyenne d’âge la plus élevée, remporte l’élection. Il s’agit là d’inverser la logique : accorder la primauté à la jeunesse. Je vous proposerai d’étendre ce principe aux élections nationales.
Avant de conclure, permettez-moi quelques mots plus personnels, sous forme de regrets. Il m’apparaît difficile d’aborder la question de l’engagement des citoyens sans aborder de front la question du cumul des mandats, qu’il s’agisse de leur nombre comme de leur durée, et de la démocratie en général. Vous en avez dit quelques mots, monsieur le ministre. Même si j’entends les raisons pour lesquelles ces questions ont été écartées de ce texte, l’engagement politique est le premier des engagements pour la République. En tant qu’élus, nous avons tous un devoir d’exemplarité. Nous devons surtout savoir passer la main.
Mes chers collègues, le débat qui s’ouvre s’annonce passionnant. Soyons à la hauteur des enjeux : donnons-nous les moyens de lutter contre le décrochage citoyen.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Philippe Bies, rapporteur thématique de la commission spéciale sur le titre II.
Cela a déjà été rappelé, notre pays a fait face en 2015 à une vague d’attentats dont les auteurs n’avaient qu’un seul but : semer la terreur et nous diviser. Au contraire de cela, nos concitoyens se sont rassemblés spontanément dès le premier soir des attentats de janvier 2015 et ont résisté à la peur après ceux encore plus horribles perpétrés en novembre.
Leur réaction à ces actes barbares est porteuse d’espoir. Elle nous oblige à nous montrer plus que jamais à la hauteur en apportant un débouché politique concret à cet élan sans précédent depuis la Libération. C’est dans ce contexte que le Président de la République, le Premier ministre et tout le Gouvernement, avec la majorité, ont renforcé les dispositifs de sécurité et de renseignement tout en réaffirmant les valeurs de la République. Deux comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté ont aussi permis d’engager soixante-dix mesures pour l’école, le logement, l’emploi, la laïcité, la mixité, la citoyenneté, ou encore la lutte contre les discriminations.
Pour être efficaces, plusieurs de ces mesures appellent une mise en oeuvre dans la loi. C’est l’objectif de ce texte relatif à l’égalité et à la citoyenneté. S’il s’inscrit dans un contexte particulier, il n’en demeure pas moins en cohérence et dans la continuité de ce que nous avons engagé collectivement depuis 2012. Ainsi, pour ce qui concerne le titre II relatif à la mixité sociale et à l’égalité des chances dans l’habitat, les mesures contenues viennent de manière pertinente compléter les lois votées depuis quatre ans, plus particulièrement la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, la loi ALUR ou encore la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
Je ne reviendrai pas sur tous les résultats déjà obtenus grâce à ces lois : les Français qui bénéficient de l’encadrement des loyers ou de frais d’agence divisés par deux ou qui profiteront demain de la nouvelle génération de projets de rénovation urbaine dans leur quartier les ont déjà constatés ou les constateront bientôt. Il convient de ne pas oublier d’autres mesures de relance telles que le prêt à taux zéro, les aides sans précédent aux propriétaires les plus modestes pour financer la rénovation énergétique de leur logement ou encore le plan pour le logement des étudiants, dont on parle peu mais dont les objectifs ont été largement atteints puisque 42 000 logements sont construits ou engagés.
Les chiffres de la construction de logements, vous l’avez rappelé, madame la ministre, repartent à la hausse, et l’objectif de construction de 150 000 logements sociaux par an – la catégorie de logement qui est plus particulièrement concernée par ce texte – est en passe d’être atteint puisque 140 000 logements sociaux seront construits en 2016.
Malgré ces premiers résultats probants, il faut regarder la réalité en face : la ségrégation sociale et territoriale caractérise encore trop notre pays. Elle est le reflet des inégalités sociales et le résultat de la concentration, par choix, des plus riches dans certains secteurs et, souvent par contrainte, des plus modestes dans d’autres secteurs. C’est pour nous la question à résoudre dans notre pays si nous voulons réellement faire ville ensemble. C’est pourquoi les efforts engagés en matière de logement doivent être poursuivis. L’objectif est toujours de permettre à chacun de choisir l’endroit où il souhaite habiter. C’est l’égalité des possibles par le logement.
Tel est le coeur du projet de loi Égalité et citoyenneté. La mesure principale de ce texte vise à mieux casser les ghettos, qu’ils concentrent les riches ou les plus modestes. Ainsi, tous les bailleurs sociaux devront consacrer au moins 25 % des attributions de logements situés en dehors des quartiers fragiles aux demandeurs les plus pauvres. Les ménages les plus modestes se verront ainsi offrir l’occasion d’habiter plus facilement dans des quartiers dits plus attractifs. La commission spéciale a renforcé la portée de cette disposition en prévoyant également, dans les quartiers prioritaires de la ville, un plafond de 50 % d’attributions aux demandeurs du premier quartile. Cette mesure a déjà fait l’objet de longs débats, et nous allons y revenir. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre, notre impératif est de trouver un point d’équilibre permettant de concilier la mixité sociale avec le droit au logement.
Au-delà de ces obligations, il faut faire en sorte que ceux qui, aujourd’hui, sont les plus récalcitrants à créer du logement locatif social en construisent davantage. Des mesures ont été prises en ce sens, notamment en visant à rendre le dispositif de l’article 55 de la loi SRU plus juste car plus souple, et à punir plus sévèrement ceux qui refusent obstinément, depuis plus de dix ans aujourd’hui, de construire du logement social. À côté de la gestion des flux, il fallait aussi agir sur ceux qui pénalisent l’ensemble des populations qui cherchent un logement.
Sur le titre II, 177 amendements ont été adoptés en commission. Il reste encore du chemin à parcourir avant l’adoption définitive du texte, mais je me félicite des travaux de la commission et remercie tous ceux qui ont contribué à leur succès : Mme la ministre du logement et de l’habitat durable, Mme la présidente de la commission spéciale, Annick Lepetit, qui a su animer nos débats, et M. le rapporteur général, Razzy Hammadi.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme Marie-Anne Chapdelaine, rapporteure thématique de la commission spéciale sur le titre III.
Aujourd’hui, en 2016, que signifie être citoyen ? Nous pourrions nous poser la question après les terribles attentats qui ont frappé notre pays. Face à cette menace grandissante du repli sur soi et de l’intolérance, il nous faut donner, tous ensemble, du sens à la citoyenneté, instaurer davantage d’égalité au sein d’une société constituée de citoyens plus engagés, favoriser une plus grande justice sociale, renforcer la solidarité, condamner les discriminations et lutter contre elles. C’est là tout le coeur de ce projet de loi qui s’adresse aux citoyens. Il défend les valeurs de notre République et de notre pays.
Le titre III qu’il me revient de vous présenter n’a plus qu’un rapport éloigné avec celui qu’avait déposé le Gouvernement sur le Bureau de l’Assemblée nationale. Les huit articles de la rédaction initiale ont suscité un large consensus. Je mentionnerai tout de même les modifications apportées à l’article 34, où nous avons réintroduit la possibilité pour un conseil citoyen de solliciter un délégué du Gouvernement, à l’article 38 où nous avons introduit la circonstance aggravante de sexisme, et à l’article 39, où nous avons élargi la capacité des associations à agir en justice contre les propos négationnistes et révisionnistes. Par ailleurs, la perte d’autonomie ainsi que la capacité des personnes à s’exprimer dans une autre langue que le français, étrangère ou régionale, constitueront désormais des critères de discrimination prohibés.
Je l’ai dit : le titre III a été profondément modifié à l’occasion des travaux de la commission spéciale, sous la présidence efficace de Mme Annick Lepetit, que je remercie, et avec le concours apprécié du Gouvernement, représenté par M. le ministre Patrick Kanner et Mme la secrétaire d’État Ericka Bareigts. Je donnerai un seul chiffre : les huit articles de la rédaction initiale sont devenus quarante-six aujourd’hui. Le contenu du titre III a plus que quintuplé, ce qui nous a conduits à créer des sections en son sein pour lui donner une plus grande cohérence.
Qu’avons-nous fait ? Beaucoup de choses et, j’oserai le dire, beaucoup de bonnes choses. Nous avons d’abord profité du projet de loi pour faire avancer des dispositions chères aux coeurs des députés et qui se trouvaient coincées dans la navette. Eh bien, nous allons les faire progresser maintenant, et mieux, nous allons les faire aboutir ! Je pense ainsi à la proposition de loi de Dominique Raimbourg relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, à celle de Gérard Schwartzenberg, visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire, ou encore à celle de Mme Khiari, visant à supprimer les conditions de nationalité qui restreignent l’accès des travailleurs étrangers à l’exercice de certaines professions libérales ou privées.
Nous avons également répondu à de nombreuses attentes formulées par le Défenseur des droits, notamment en demandant à l’administration d’exposer clairement sa politique interne de lutte contre les discriminations et en transposant en partie la directive européenne, applicable dès 2017, qui commande aux entreprises privées de grande taille de faire de même.
En ce qui concerne la fonction publique, je tiens à saluer la grande ouverture du Gouvernement : le chapitre III est d’une importance considérable. Le dispositif présenté par un amendement du Gouvernement sur le recrutement contractuel de jeunes défavorisés pour les préparer à passer les concours de catégorie A et B dans de bonnes conditions concilie l’attente d’équité et l’exigence d’égalité. L’alternance entre hommes et femmes à la présidence des jurys de concours, la présence de deux parlementaires au jury de l’ÉNA – peut-être ce dispositif devra-t-il évoluer – ou la formation des jurys à la non-discrimination témoignent d’un attachement à considérer la France telle qu’elle est et les candidats tels qu’ils sont, pour une administration plus proche des citoyens.
Certains sujets du chapitre IV sur la lutte contre les discriminations ont été consensuels, tels que la lutte contre le sexisme, défendue par Maud Olivier. Les amendements présentés par les rapporteurs sur la répression du bizutage et la protection de ses victimes sauront sans aucun doute susciter un consensus sur tous les bancs de l’Assemblée nationale. Il me semble enfin que les propositions de Victorin Lurel qui abrogent des textes datés qui ne correspondent plus à notre conception de la République seront saluées par tous, même si je m’attends à des débats sur les quotas de diffusion de chanson en langue régionale.
J’en viens maintenant aux quelques points sur lesquels nous attendrons des éclaircissements de la part du Gouvernement et qui ont été évoqués en commission. En ce qui concerne la lutte contre la discrimination dans les médias, nous souhaitons conférer au Conseil supérieur de l’audiovisuel un pouvoir de supervision fort qui lui permette de rappeler à l’ordre les chaînes qui oublient un peu trop souvent qu’elles diffusent sur l’ensemble du territoire national. Nous aurons également des échanges en matière de lutte contre les discriminations dans l’entreprise. Je le sais, nombreux sont ceux qui soulèveront la question du CV anonyme, qui n’a pas ma préférence, quand d’autres évoqueront la nécessité de prévoir des mécanismes de contrôle tant à l’embauche que dans le déroulement de la carrière. Ces sujets provoqueront de nombreux débats avant que nous ne trouvions, je l’espère, la bonne réponse.
Enfin, nous aurons une nécessaire discussion sur les questions, en réalité connexes, de la caméra mobile des forces de l’ordre et du récépissé de contrôle d’identité. Nous avons tous accepté de retirer nos amendements sur le sujet en commission spéciale, non seulement par respect pour une police nationale qui venait d’être éprouvée par un assaut qui nous a tous révulsés, mais aussi parce que M. le ministre de l’intérieur a souhaité être présent en personne pour répondre aux sollicitations des parlementaires. De cela, déjà, nous devons remercier le Gouvernement : notre débat n’en aura que plus de portée.
Mes chers collègues, le titre III de ce projet de loi, à lui seul, serait déjà un grand texte. Pour la lutte contre les discriminations, il fera date. Je vous appelle à achever cette première lecture par un vote sans retenue en sa faveur. Nous n’en aurons que plus de poids, face au Sénat, pour en conserver les acquis.
Édouard Herriot disait : « Il est plus facile de proclamer l’égalité que de la réaliser ». Aujourd’hui, les déclarations d’intention et les belles promesses ne suffisent plus. Nous nous devons d’agir et de convertir en actes les formidables espoirs dont font preuve nos concitoyens pour une France plus belle, plus unie et plus fraternelle. Ce projet de loi ne proclame pas l’égalité, il la réalise.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme Annick Lepetit, présidente de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Le contexte qui a porté ce projet de loi jusqu’à cet hémicycle a été rappelé. C’est celui d’une société en crise et qui doute à la fois d’elle-même et du chemin qu’elle doit prendre. Cette société est prise entre les tensions des menaces extérieures, qui veulent remettre en cause les valeurs qu’elle porte, et ses propres tensions intérieures qui la tiraillent de toutes parts, faute d’avoir su rendre concrètes toutes les promesses du modèle républicain.
Cette crise est celle du sentiment d’appartenance à un collectif qui, certes, peut s’unir dans la rue par millions lorsqu’il est attaqué, mais qui peine à trouver des réponses à ces fractures profondes qui minent la société française depuis des années. La France est écartelée entre des tensions qui la tirent dans tous les sens : l’individualisme de plus en plus exacerbé fait écho au besoin de chacun, qui grandit chaque jour, de donner du sens à ses actions, à son travail, à sa propre vie. Dans le même temps, notre société envoie des messages contradictoires à ses concitoyens, discriminant des parties de la population tout en reprochant aux mêmes personnes de ne pas être assez intégrées.
Mes chers collègues, il n’y a plus de place pour les réponses trop simplistes et la recherche permanente de boucs émissaires – ce qui évite du reste de regarder la réalité en face. Évidemment ces fractures, ces tensions et ces contradictions ne se régleront pas en un jour. Mais cela ne doit pas nous empêcher de tout mettre en oeuvre pour les régler quand même. Aujourd’hui nous sommes réunis pour poser les fondations d’une société plus à même d’engendrer elle-même les réponses à ses propres difficultés.
Cela a été dit, ce projet de loi est la traduction législative des décisions prises lors des trois comités interministériels consacrés à l’égalité et à la citoyenneté. Il s’inscrit dans un tout cohérent, aussi large dans son champ d’application que dans ses ambitions.
De nombreux députés, quels que soient leurs domaines de prédilection, se sont intéressés à ce texte. Étant donné le nombre important de sujets traités, la constitution d’une commission spéciale a été la réponse adéquate, permettant de mobiliser des parlementaires de toutes les commissions et de travailler dans de bonnes conditions.
Ainsi, nous avons pu organiser quatre tables rondes, sur la jeunesse, le logement, la politique de la ville et les discriminations. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, et l’historien Patrick Weil nous ont éclairés de leurs expériences et de leurs réflexions. Parallèlement, les rapporteurs ont réalisé plus de 200 auditions afin d’enrichir le projet de loi. La commission spéciale s’est réunie pendant plus de trente-trois heures et a examiné 1 063 amendements. En tant que présidente, je tiens à saluer la présence des ministres, qui ont largement participé à nos débats, ainsi que le travail des rapporteurs, Valérie Corre, Philippe Bies, Marie-Anne Chapdelaine et Razzy Hammadi.
Nos échanges ont été riches et constructifs. Au final, 351 amendements ont été adoptés, dont une vingtaine ne venant pas de la majorité – ce qui n’est pas négligeable. Ce travail a permis d’améliorer le texte initial sur de nombreux points. Je pense à ce progrès social indéniable que constitue le congé d’engagement : c’est à la fois une reconnaissance de l’importance et de l’utilité du monde associatif et un moyen d’encourager et de faciliter l’engagement des personnes qui le font vivre. La commission l’a renforcé en l’ouvrant aux membres des conseils citoyens et en laissant à la négociation, au sein des entreprises ou des branches, le soin de déterminer sa rémunération éventuelle. Nous ouvrons ici un droit nouveau, en faisant suffisamment confiance aux acteurs de terrain pour qu’ils l’adaptent le mieux possible à leur réalité quotidienne.
La généralisation du service civique constitue également un grand progrès dans l’organisation de l’engagement de la jeunesse. Les conséquences seront importantes car nous posons les bases d’une société où, bientôt, la moitié d’une classe d’âge donnera plusieurs mois de sa vie aux autres. Cet altruisme bienveillant ne peut avoir qu’un impact positif sur la société, sur notre capacité à mieux vivre ensemble. Nous avons eu à coeur d’organiser le mieux possible cette montée en charge. Nous avons notamment clarifié les règles pour que ce service civique ne devienne pas un sous-salariat et reste fidèle à son objectif premier, l’engagement de la jeunesse pour l’intérêt général.
Cette jeunesse, nous en prenons également soin. Chaque jeune de 16 à 23 ans bénéficiera désormais d’une information individualisée sur ses droits en matière de couverture santé, de dispositifs de prévention ou d’examens gratuits de santé.
La recherche de l’intérêt général inspire aussi les nombreuses mesures du texte touchant au logement et à la politique de la ville. C’est un grand chantier que nous avons commencé dès 2012, et dont la loi ALUR de 2013 et la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014 ont posé les jalons. Aujourd’hui, nous les renforçons pour mieux casser les logiques qui, pendant trop longtemps, ont fabriqué de véritables ghettos, de pauvres comme de riches, dans nos villes et leurs périphéries.
Les débats en commission spéciale ont été nombreux et passionnés sur ce sujet. Car, au-delà de leur technicité qui donne parfois aux observateurs l’impression que nous parlons une langue étrangère, ces questions sont politiques, et fondamentales. La mixité sociale s’oppose-t-elle au droit au logement ? Comment résorber les ghettos d’aujourd’hui sans risquer de fabriquer ceux de demain ? Je ne doute pas que ces débats, qui marquent aussi les clivages entre la droite et la gauche, se poursuivront dans l’hémicycle.
Mais ils ne devront pas nous faire perdre de vue les mesures concrètes dont bénéficient nos compatriotes. En 2014, nous avons créé les conseils citoyens, dans les quartiers de la politique de la ville. Aujourd’hui, nous leur offrons un véritable droit d’interpellation du préfet, pour des difficultés particulières rencontrées sur leurs territoires. En commission, nous avons créé le délégué du préfet, afin que les habitants de ces quartiers puissent s’adresser directement à un référent identifié, disposant de réelles compétences.
Renforcer la citoyenneté, c’est aussi mettre les institutions au niveau des citoyens, donner à ceux-ci toute la place qui leur revient dans les décisions qui les concernent. Renforcer la citoyenneté, c’est mieux lutter contre les discriminations qui minent encore trop notre société. La commission spéciale s’est montrée attentive à cette question, en allongeant et en précisant la liste des critères de discrimination. Le racisme, l’homophobie et le sexisme sont désormais des circonstances aggravantes pour les crimes et les délits. Afin de mieux lutter contre les préjugés, la diversité de la société devra aussi être plus visible dans les médias. Les obligations des sociétés de l’audiovisuel public, de ce point de vue, sont renforcées.
Les derniers amendements adoptés en commission n’en ont pas moins une très forte portée symbolique. Je pense notamment à l’abrogation de vieilles dispositions normatives relatives à l’esclavage.
Toutes ces avancées ne sont qu’une partie de ce que contient ce projet de loi. Les jours qui viennent nous permettront de l’améliorer et de le compléter. Je sais que le texte issu de nos débats parlera à nos concitoyens, car chacun d’entre eux pourra se retrouver dans l’une ou l’autre des mesures proposées. Ce texte mêle à la fois le symbolique et le concret, la défense des valeurs et le renforcement des outils juridiques, l’égalité et le code pénal, la citoyenneté et le logement social. Nous posons les fondations de la société de demain, pour qu’elle soit plus ouverte, plus tolérante, plus solidaire. Lorsque nous aurons achevé l’examen du texte, à la fin de la semaine, nous pourrons être fiers du travail accompli !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Sylvain Berrios.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission spéciale, mesdames et monsieur les ministres, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en janvier 2015, après les attentats perpétrés à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher de Vincennes, le Premier ministre évoquait « un apartheid territorial, social et ethnique » en France.
Il aura fallu attendre quinze mois, quinze longs mois pour que le Gouvernement décide d’inscrire, en urgence, un projet de loi présenté comme une réponse aux fractures sociales et sociétales de notre pays, lesquelles trouvent une expression particulièrement violente et dramatique ces derniers mois.
L’intention est louable, et ce n’est pas parce que nous siégeons sur les bancs de l’opposition que nous méconnaissons la difficulté à légiférer dans des moments aussi sombres. Comment, dans ces conditions, ne pas souscrire à l’ambition du Gouvernement de renforcer l’égalité entre nos concitoyens et d’oeuvrer à un exercice plus incarné de la citoyenneté ? Mais encore faut-il que le souffle, le sens et même la finalité du projet emportent l’adhésion !
Examiner les causes qui conduisent une partie de la jeunesse, et pas seulement de la jeunesse, à la désespérance est, naturellement, un objectif partagé et nous ne nous opposerons pas aux dispositions du titre Ier sur la lutte contre les discriminations. Ce projet de loi comporte des avancées dont certaines, prises séparément, peuvent être intéressantes. Je pense notamment à plusieurs dispositions sur le service civique.
Mais ce projet de loi peut-il apporter un début de réponse aux attentes immenses et aux failles durables de notre contrat social ? Ce qui a conduit il y a quelques jours nos voisins anglais à se replier sur leurs frontières nous guette depuis longtemps. Mais rien n’a été fait pour tenter d’apporter, avec lucidité et pragmatisme, des réponses de fond aux tensions qui dissolvent insidieusement notre modèle républicain.
D’où vient-on, où va-t-on ? Telles sont les questions que l’on se pose en lisant ce projet de loi présenté en fin de quinquennat, alors que la gauche est exsangue, la majorité éparpillée et la France bloquée. Avant même son examen, il s’agit d’un point de faiblesse du texte que vous ne pourrez pas lever : le calendrier et le contexte politique ne créent pas les conditions d’une unité autour du projet de loi, comme en témoignent les quelque 1 100 amendements déposés par les seuls députés socialistes. Ce texte demeure insatisfaisant, très en deçà des enjeux.
Intitulé « Égalité et citoyenneté », il s’appuie sur des constats très généraux et peine à fixer un cap. Il a vocation à « faire vivre » une « République en actes », d’autant plus « fédératrice » qu’elle « se manifestera dans le quotidien des Français ». Soit. Mais qu’entend-on par « faire vivre » ? Cette expression revient en boucle, qu’il s’agisse de faire vivre la fraternité, l’égalité, les valeurs de la République, les idéaux républicains ou le sentiment d’appartenance à une collectivité publique. Ce que vingt ans de pouvoir politique, de droite comme de gauche, n’ont su corriger, votre projet de loi, par la magie du texte, saurait l’infléchir ? Ne péchez-vous pas par excès de confiance, voire d’angélisme ?
Régénérer les valeurs fondatrices de notre modèle républicain suppose de renoncer aux formules incantatoires auxquelles les Français n’adhèrent plus, précisément parce que la dimension d’intérêt général de notre devise républicaine, désormais, n’est plus ni perçue ni comprise.
Or, il suffit de lire ce texte pour s’en convaincre : ce n’est pas avec un catalogue de mesures disparates que l’on crée l’adhésion. Nous sommes en présence d’un inventaire à la Prévert, dont le caractère désordonné est encore renforcé par 45 articles additionnels. Comment convaincre nos compatriotes avec ce milk-shake législatif allant de la parité dans les instances académiques à la définition des auberges de jeunesse, en passant par la fréquence des ventes au déballage ?
Est-ce cela, « faire vivre les valeurs de la République » ? Quelles mesures phares propose-t-on pour donner aux Français le sentiment que « cela bouge enfin », que l’on « est en marche » ? Quel revirement ce texte impulse-t-il dans les pratiques, les usages et les méthodes ? Que retiendra-t-on, in fine, de ce projet de loi ? Espère-t-on créer une rupture en affirmant avec orgueil « l’ardente obligation pour la nation tout entière de permettre la réalisation d’un engagement citoyen » ? Pense-t-on qu’avec des formules aussi creuses, on redonnera espoir à des jeunes en mal de sens, et que l’on renforcera le rôle du législateur dans la mise en oeuvre d’un projet d’avenir pour notre pays ?
Votre projet de loi ne comporte pas, dans son ADN, la volonté de fédérer. Bien plus, il crée, avec le titre II, les conditions de la désunion et de la désorganisation.
Il fallait s’y attendre !
J’avais perçu votre impatience, madame la ministre !
Un seul exemple : celui du logement social. Tous les maires le savent, la loi est déjà très contraignante. Elle perd les administrations comme les demandeurs de logement dans les méandres de démarches longues et complexes. Avec le titre II, qui n’est pas sans courage, madame la ministre, y compris à l’égard de votre majorité, on renonce à simplifier le secteur du logement social. On tourne le dos à l’objectif recherché, précisément en modifiant et en élargissant les critères de priorité, en créant des quotas supplémentaires, en prévoyant un nombre croissant d’intervenants dans l’élaboration des plans et des conventions. De façon plus préoccupante encore, la loi continue d’ériger les maires en ennemis, au lieu d’en faire des partenaires pour la réussite d’une politique nationale du logement social, dont on attend toujours les principaux axes.
Il est bien arrogant de prétendre résoudre la question du logement social sans y associer les principaux acteurs que sont les maires, alors qu’il conviendrait au contraire de s’astreindre à un travail de dentelle, permettant de dégager localement des solutions !
Pourquoi ne pas choisir de doter davantage les communes qui font du logement social plutôt que de mobiliser tous les moyens coercitifs pour étouffer celles qui sont carencées ?
Vous indiquiez tout à l’heure que le seul respect des quotas dans les villes carencées permettrait la construction de 700 000 logements. D’abord, cela supposerait que l’on puisse le faire dans les délais voulus, et ensuite, on est loin de objectif, connu de tous, de 3,5 millions !
Ne voyez-vous pas l’évidente contradiction entre la réduction autoritaire et aveugle des moyens financiers des communes dites carencées, c’est-à-dire n’ayant pas atteint le quota de 25 % de logement social fixé par la loi SRU, et la volonté que ces mêmes communes rattrapent leur retard en matière de logement social ?
Vous préférez renforcer encore l’arsenal de sanctions, telle l’augmentation du taux de prélèvement de 20 à 25 % du potentiel fiscal par habitant ou la multiplication par 6 des contributions communales au financement des opérations de construction décidées par les préfets. Dans quel but ? Améliorer le logement social ? Certainement pas. Il s’agit plus vulgairement de remplir les caisses de l’État.
Quant à l’article 31 bis, il prévoit que les communes carencées au titre de la loi SRU ne seront plus éligibles à la dotation de solidarité urbaine – DSU. En d’autres termes, plutôt que de contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans les communes urbaines confrontées à une insuffisance de ressources et supportant des charges élevées, le Gouvernement juge prioritaire de les priver encore davantage de subsides !
Où est la réflexion, l’écoute, la compréhension des territoires et des communes ? Êtes-vous à ce point sourds et aveugles pour ne pas comprendre qu’une commune bénéficiant de la DSU est une commune accueillant par essence des publics fragiles nécessitant précisément de l’attention ?
Il y aurait donc, selon vous, des Français en difficulté que l’on aiderait plus ou moins selon leur lieu de résidence ? Si l’on suit votre raisonnement, l’objectif de mixité sociale que vous prétendez défendre en imposant une politique de peuplement arbitraire aux communes conduirait donc les publics les plus fragiles, désignés pour peupler les communes carencées, à être moins aidés et accompagnés que s’ils demeuraient dans leur commune d’origine !
Dans le même esprit, où est la logique de priorité lorsque vous continuez à prétendre que les deux tiers de la population française sont éligibles au logement social ? Ne devrait-on pas plutôt s’intéresser au 10 à 12 % des Français qui ne peuvent pas se loger sans intervention de la puissance publique ?
La politique du logement mobilise plus de 45 milliards d’euros par an, soit plus de 2,2 % du PIB, record d’Europe des dépenses pour ce secteur. Pour quel résultat ?
Vos choix politiques et idéologiques, depuis les premières lois dites Gayssot, du nom du ministre communiste de l’époque...
Bien sûr, monsieur le président Chassaigne.
Toujours est-il que ces choix sont injustes, et inefficaces : 70 % de la population est éligible au logement social, mais seulement 25 % des ménages les plus modestes en bénéficient ! Mais à quel moment, mesdames et monsieur les ministres, interrogez-vous les maires des communes carencées sur les raisons qui les empêchent de construire davantage de logements sociaux ? Cultivant une logique manichéenne, vous considérez encore qu’il y a ceux qui en veulent bien et ceux qui n’en veulent pas. Ceux qui sont égoïstes et ceux qui sont généreux. Caricatural.
Dans la commune dont je suis maire, Saint-Maur-des-Fossés, ville dite carencée, plus de 50 % des habitants sont éligibles au logement social, et il y a un quartier prioritaire au sens de la politique de la ville. Nous sommes très loin du ghetto de riches que certains aiment à décrire. L’harmonie de Saint-Maur-des-Fossés ne trouve pas et ne trouvera pas sa source dans la contrainte de l’État, mais dans le contrat qu’il est possible de proposer à tous.
La question est beaucoup plus complexe que les termes dans lesquels vous entendez une nouvelle fois la poser. Si elle était aussi simple d’ailleurs que vous le prétendez, elle aurait été réglée depuis longtemps !
En pratique, votre projet de loi revient à légiférer pour deux douzaines de communes carencées, dont quelques-unes seulement sont réfractaires. Autrement dit, la loi ne vise pas la politique du logement social en général, elle ne poursuit pas un objectif d’intérêt général : elle veut se concentrer sur quelques exemples de communes mises au pilori – une solution de facilité pour laquelle, au passage, il est plus facile de s’assurer une couverture médiatique.
Par ailleurs, à continuer de vouloir construire en zone urbaine tendue, vous créez une difficulté supplémentaire. Dans ma commune, par exemple, la densité est deux fois supérieure à celle du département du Val-de-Marne. Nous sommes en zone inondable au titre du plan de prévention du risque inondation, le foncier est cher, les équipements publics au maximum de leur utilisation. Quel sens y a-t-il à vouloir densifier encore alors que les conditions ne sont pas réunies pour accueillir de nouveaux habitants ? Que l’on songe seulement aux écoles ou aux équipements sportifs : pense-t-on pouvoir construire du jour au lendemain, compte tenu des sanctions que l’État applique à des communes comme Saint-Maur-des-Fossés, les équipements publics requis alors qu’il n’y a pas de foncier disponible ?
Et, plus profondément, vous interrogez-vous sur les conditions dans lesquelles s’inscrivent les programmes de logements sociaux ? Les maires, eux, le font, car c’est leur devoir. Suffit-il de décider de la réussite scolaire des élèves ? Vous savez que non ! Suffit-il de décider du plein-emploi ? Encore moins ! Vous êtes bien placés pour le savoir. Pour les mêmes raisons, il ne suffit pas de brandir la mixité sociale comme un étendard, en supposant que la contrainte lèvera toutes les difficultés.
Encore faut-il créer les conditions, sur le temps long, de sa mise en oeuvre. C’est ce à quoi les maires s’emploient. Sur le terrain, nous sommes nombreux à observer qu’il est plus efficace de développer des programmes de logements sociaux à taille humaine, progressivement, pour tenir compte à la fois des besoins des demandeurs de logements et laisser le temps aux habitants de s’habituer à l’idée que la mixité peut être bien vécue. Des solutions intéressantes comme l’intermédiation locative ou l’accession à la propriété peuvent et doivent être utilisées intelligemment, par tous et partout. La bonne méthode, mesdames et monsieur les ministres, n’est pas la brutalité : l’actualité vous en fournit des exemples quotidiens.
L’expérience montre qu’en matière de logement social, il vaut mieux prévoir des aménagements mixtes et anticiper la nécessité éventuelle d’accompagner les fragilités des adultes et des enfants qui vont y vivre, plutôt que de créer des poches de détresse sociale qui risquent de forger ou renforcer les phénomènes d’exclusion.
Or, curieusement, les maires sont écartés de votre projet de loi, malgré les déclarations appuyées de François Hollande lors du dernier Salon des maires. Deux exemples. Ainsi, lors des attributions des logements, la substitution du préfet va devenir la règle pour les villes carencées. Et la procédure de transmission des données sur le parc social prévoit que les agences d’urbanisme et les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement soient destinataires des données d’enquête des bailleurs sociaux, mais pas les maires ! Ceux qui sont les premiers acteurs concernés n’ont pas droit aux données d’analyse leur permettant d’agir !
Plus préoccupant, le texte entend apporter un contre-pouvoir aux maires en élargissant les prérogatives des EPCI et les pouvoirs du préfet par substitution. Il réaffirme la position d’ensemble du Gouvernement à l’égard des maires, à savoir une position de défiance a priori. Or qui mieux que le maire connaît son territoire ? Quel bénéfice espérez-vous obtenir en éloignant davantage le demandeur social de la commune ?
Mais prenons même l’hypothèse d’une intercommunalisation du logement : pourquoi alors continuer à punir les communes ? Allons jusqu’au bout du raisonnement, à l’instar de Paris qui consolide ces obligations au niveau du territoire parisien… Y aurait-il deux poids deux mesures, Paris et le reste ?
En préférant la contrainte au contrat avec les maires, vous mettez un terme à la confiance que les acteurs locaux ont su tisser. En qualité de maire, le travail que j’ai pu entreprendre a permis de dépasser le cadre strict du contrat de mixité sociale et ainsi de porter des projets ambitieux, nouveaux, qui n’avaient pas été intégrés dans le contrat de mixité sociale. Cela suppose que le maire, l’État et l’ensemble des acteurs sur le terrain tiennent compte de la réalité et fassent preuve de pragmatisme.
Ce faisant, vous allez vous priver de la capacité de conviction des élus que vous définissez comme des adversaires a priori de mauvaise foi. Vous allez créer des conditions de blocage financier et juridique majeures.
Plutôt que de contraindre, il faut libérer la construction de logements ; se concentrer sur les publics les plus fragiles ; aider les personnes plutôt que les bailleurs ; favoriser le parcours résidentiel jusqu’à l’accession à la propriété ; mettre fin progressivement à la loi SRU – y mettre fin ! – et préférer le contrat avec les communes et les territoires aux mesures coercitives inefficaces prises depuis quinze ans.
Plus généralement, quel manque de réalisme et de respect quand vous demandez aux préfets d’assurer avec la même énergie la sécurité de nos concitoyens sur un territoire quotidiennement menacé et la mobilité des demandeurs de logements sociaux d’une commune à l’autre, tels des pions sur un échiquier !
Depuis quatre ans, le Gouvernement s’érige tantôt en censeur tantôt en procureur pour niveler par le bas, opposer les acteurs et recycler les vieilles recettes qui n’ont pas porté leurs fruits depuis quinze ans en France, et pas davantage chez nos voisins européens. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que ce texte s’inscrive dans l’affichage le plus caricatural en matière d’égalité – que vous imaginez se muer en « égalité réelle » par le pouvoir de la pensée magique !
Le groupe Les Républicains ne peut pas souscrire au principe du référent identifié, dit délégué du préfet, dans le cadre du renforcement des conseils citoyens. Dans les territoires, le référent identifié est, par essence, le maire. C’est lui qui connaît sa ville, c’est lui qui est capable d’agir. Ce n’est pas un préfet délégué, nouvelle strate administrative, issu du pouvoir central.
Néanmoins, figurent dans le titre III des éléments auxquels Les Républicains souscriront, notamment les actions envisagées pour l’amélioration de la maîtrise de la langue française et la valorisation des apprentis. Mais nous regrettons de devoir exprimer une position qui se limite à donner des bons et des mauvais points à des mesures prises isolément, sans philosophie d’ensemble.
D’ailleurs, l’objectif de renforcement de la langue française est hélas contredit par l’affaiblissement de l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire au collège décidé par la ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem.
Exclamations et « C’est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Cela signifie que c’est vrai. Je pense que les professeurs des collèges reviendront vers vous dans vos circonscriptions et je suis sûr qu’ils vous ont déjà interpellés sur l’affaiblissement de l’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire au collège.
Quant à l’affirmation du primat de l’égalité homme-femme, nous partageons pleinement l’objectif, qui va dans le sens de l’histoire et de l’intérêt général.
Ne souriez pas si vite, monsieur le rapporteur général. Ce primat se traduit dans le texte par une stricte parité dans les jurys de concours ou la possibilité d’actions de groupe en cas de discrimination à l’embauche. Dont acte, il s’agit d’avancées réelles. Mais quelles solutions apportez-vous sur le terrain de l’égalité salariale, principale cause d’inégalité entre les hommes et les femmes en France ?
On est loin, très loin des attentes des Français. Or ce texte aurait pu permettre une avancée significative dans ce domaine où les Français vous attendaient.
Ce projet de loi, mes chers collègues, c’est au fond le dernier tour de piste d’un gouvernement qui ne parvient pas à rassembler la gauche et, plus préoccupant pour la représentation nationale, qui ne parvient pas non plus à rassembler les Français. C’est le énième coup de force d’un Gouvernement qui a failli, tout au long du quinquennat, à redonner à l’État et aux acteurs locaux leurs lettres de noblesse et leur capacité d’action.
Plus grave : il nie le principe de libre administration des collectivités territoriales, pourtant garanti par la Constitution, et fait des maires des boucs émissaires faciles alors que ce sont les seuls acteurs politiques qui résistent à l’érosion de la confiance des Français.
Mes chers collègues, ce projet de loi aurait pu être une chance pour notre pays. Rapiécé, il court le risque de devoir être simplifié ou corrigé dans un véhicule législatif ultérieur, comme le furent avant lui la loi Macron ou la loi ALUR qui a durablement bloqué la situation.
Rempli de mesures tantôt inapplicables, tantôt anecdotiques, alternant voeux pieux et coups de bâton symboliques, ce texte commet la triple erreur de rigidifier encore le secteur du logement social, de n’engager aucune réforme de fond et, surtout, de n’offrir aucune forme d’espérance à un pays en crise. En somme, il affaiblit simultanément l’exécutif et le législatif.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cette motion de rejet préalable, en conservant à l’esprit notre volonté de porter, dans quelques mois, un projet alternatif qui soit, cette fois, réellement porteur d’espérance.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Applaudissements nourris des deux députés du groupe Les Républicains présents !
Monsieur le député, comment pouvez-vous parler d’aveu de faiblesse à propos d’une loi où il est question d’engagement citoyen, de réserve citoyenne, de lutte contre les discriminations et de renforcement de l’égalité ? Cette loi s’attaque à un non-dit réel de notre République : le fait que, depuis la Seconde guerre mondiale, des politiques d’aménagement et de logement ont organisé dans notre pays des politiques de ségrégation spatiale et territoriale – car c’est une réalité.
Comme je l’ai déjà dit en commission, nous reconnaissons aussi par ce texte de loi une situation qui a été fortement exprimée ces dernières années, que ce soit lors de mouvements populaires ou des émeutes de 2005, par des mouvements citoyens comme ACLEFEU – Association collectif liberté égalité fraternité ensemble unis – ou encore dans le cadre des récentes auditions auxquelles nous avons procédé : le fait que des élus aient fait, à un certain moment, le choix d’organiser une ségrégation spatiale et territoriale qui s’est traduite par des déficits de réussite scolaire, des difficultés pour obtenir des emplois et, surtout, par un enclavement que vous connaissez bien et qui est aujourd’hui une réalité.
Oui, ce titre II exprime une volonté de mettre de la mixité sociale dans l’habitat. Vous me parlez de désunion ; moi, je vous parle d’action. Vous me parlez de nouvelles tentatives du Gouvernement pour bannir les maires ou, du moins, pour en faire des ennemis ; moi, je vous dis simplement que nous voulons en faire des partenaires. Surtout, je ferai un constat simple : la loi SRU a plus de quinze ans. Quinze ans pour appliquer une loi, monsieur le député – ou plutôt monsieur le maire ! Quinze ans pour répondre à des objectifs de construction de logements sociaux !
Je pourrais évidemment m’attarder sur le cas de votre ville, où le logement social n’a progressé que de 1 % en quinze ans
« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain
alors qu’au cours des dix dernières années, vous avez autorisé plus de 1 700 logements. Pendant ce temps-là, le pourcentage de logements sociaux ne bougeait pas ! Et vous n’êtes pas le seul dans cette situation. C’est du reste bien pour cela que la loi veut renforcer les obligations des communes qui ne jouent pas le jeu – car, pendant que 283 communes sont carencées et ne jouent pas le jeu, beaucoup d’autres le font et contribuent fortement à la construction de logements sociaux sur l’ensemble du territoire.
Je le répète, pendant quinze ans, l’État, dirigé par la droite comme par la gauche, a voulu appliquer cette loi, travailler avec les maires, établir des contrats de mixité sociale, lancer des programmes de rénovation urbaine et consacrer de nouveaux crédits à la construction de logements sociaux ou à l’aide à l’accession à la propriété. Quinze ans pour appliquer la loi SRU !
Une fois encore, si l’ensemble des communes carencées et déficitaires répondaient à leurs obligations d’ici 2025 – je ne parle pas des communes qui ont déjà atteint le pourcentage requis de logements sociaux, mais seulement de celles qui doivent atteindre ce chiffre de 25 % – cela se traduirait par la construction de 750 000 logements sociaux.
En tant que ministre du logement, je ne souhaite pas m’occuper seulement des 10 % de personnes qui ne parviendraient pas à se loger sans l’aide de l’État. Je m’occupe du logement de l’ensemble des Françaises et Français, qu’ils soient jeunes ou vieux, qu’ils aient de l’argent ou qu’ils n’en aient pas. Je mène une politique visant à répondre à cette question pour tous les segments du logement : logement social, accession la propriété, logement privé abordable, logement collectif, notamment pour nos jeunes actifs, maisons de retraite, foyers d’hébergement pour les publics qui ont besoin d’un accompagnement social, foyers pour les femmes victimes de violences – la liste serait encore longue.
Cette diversité est dans le champ social, et c’est ce qui en fait la richesse : aujourd’hui, avec ces politiques, nous logeons toutes les Françaises et tous les Français et répondons à l’ensemble des besoins de nos concitoyens. Surtout, nous leur donnons une chance : celle de vivre en bénéficiant d’une autonomie et d’un lieu de vie où ils peuvent s’épanouir.
Oui, nous avons fait le choix de la transparence des données SRU, et je vous invite tous à visiter le site du ministère du logement : vous pourrez consulter toutes les données relatives à votre ville et voir si elle répond ou non à ses objectifs, notamment pour 2015. Nous voulons en effet aussi que le logement social cesse d’être un enjeu politique et électoral et soit simplement une politique normale, au même titre que l’éducation, la culture ou l’emploi. Nous voulons avancer ensemble.
Et non, en matière de logement, il n’y a pas de pensée magique : il y a des actes. Les actes, ce sont des permis de construire, des zones d’aménagement, des stratégies foncières, des contrats de mixité sociale et des accords conclus avec l’ensemble des acteurs du logement. Bref, c’est ce que nous faisons depuis 2012, c’est ce que je fais depuis plusieurs semaines, dans le cadre de conférences régionales, avec l’ensemble fait des acteurs du logement. Les chiffres de la reprise de l’activité nous montrent du reste que c’est aussi comme cela que nous pouvons avancer et donner à tous les territoires, y compris au vôtre, qui a ses milliers de demandeurs de logement social, la capacité de sortir de la crise du logement qui a fortement handicapé, ces trente dernières années, le développement de notre pays.
Enfin, vous avez fait vous-même un aveu de faiblesse à la fin de votre intervention, en reconnaissant que l’objectif était de mettre fin progressivement à la loi SRU. Je me souviens que, voilà plus de dix ans, alors que je ne faisais pas de politique au sein d’un parti et que j’étais une simple militante, l’Abbé Pierre est venu ici même, en 2004, pour se battre, seul, là-haut, dans les tribunes du public, rappelant à la majorité de l’époque l’engagement qui avait été pris au début des années 2000 et affirmant que ce serait un scandale national que de revenir sur cet engagement. Si le programme de l’opposition est aujourd’hui de mettre fin progressivement à la loi SRU, c’est qu’elle n’a tiré aucune leçon de cette intervention de l’Abbé Pierre en 2004. J’espère que, dans ce cas, l’ensemble des militants de la cause du logement seront de nouveau dans les tribunes du public pour rappeler à la représentation nationale ses obligations.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Les masques sont en train de tomber, en ce début de débat parlementaire.
Exclamations sur les bancs du groupe Les Républicains.
Mais je tiens à vous remercier, monsieur Berrios, car vous avez exprimé votre sentiment avec des propos modérés dans la forme. Sur le fond, les choses sont en revanche plus compliquées. Si vous souscrivez au constat d’urgence que vous avez en effet vous-même évoqué, pourquoi voulez-vous rejeter ce texte avant même que le débat soit engagé ?
Permettez-moi de reprendre les éléments de votre introduction. Il a fallu, selon vous, quinze mois d’attente après les premiers et terribles attentats du mois de janvier 2015 ? Non, monsieur le député, nous avons agi ! Trois comités interministériels égalité et citoyenneté ont été réunis et soixante-dix mesures ont été mises en oeuvre, dont certaines ont été rappelées, par moi-même ou par les différents orateurs.
Vous avez évoqué une majorité éparpillée ? Permettez-moi de souligner l’état dans lequel se trouve aujourd’hui l’opposition, avec je ne sais plus combien de candidats à votre primaire ! Plus nous irons, plus les propositions politiques relèveront de la caricature. En tout cas, les Français sauront juger, au moment des bilans, dans un an, lors de l’élection présidentielle.
Vous avez aussi évoqué le grand nombre d’amendements parlementaires déposés sur ce texte. Je suis étonné qu’en tant que député, vous ne vous réjouissiez pas que les parlementaires aient eu l’occasion d’enrichir un texte proposé par le Gouvernement. Pour ma part, je m’en félicite et j’ai passé avec mes deux collègues Ericka Bareigts et Emmanuelle Cosse d’excellents moments de travail parlementaire dans le cadre de la commission spéciale présidée par Mme Annick Lepetit.
Vous avez enfin évoqué l’absence de mesures phares. Mais finalement, monsieur le député, la mesure phare, c’est la cohérence de l’action du Gouvernement depuis 2012.
Nous travaillons pour renforcer les dispositifs qui fonctionnent, par exemple le service civique, comme vous l’avez du reste vous-même noté.
Au cours des trente-trois heures de débat que nous avons eues dans le cadre de la commission spéciale, nous n’avons pas entendu beaucoup de propositions de votre part. Ainsi, monsieur Berrios, sauf erreur de ma part, votre dernier argument, relatif à l’égalité hommes-femmes en matière de droits salariaux, n’a pas fait l’objet d’une proposition d’amendement de votre part.
Il y a donc d’un côté les postures et, de l’autre, la réalité du débat politique. Nous aurons un débat de fond sur le projet alternatif que vous nous proposerez certainement dans les mois qui viennent – un projet que je qualifierais de « réaction », au sens littéral du terme : vous voulez revenir sur les droits sociaux, sur les droits acquis, notamment sur la loi SRU que vient d’évoquer Mme Cosse. Nous le voyons jour après jour, et j’espère que le présent projet de loi permettra de débattre sur le fond des projets de société différents que proposent la droite et la gauche.
Je m’en félicite et c’est la raison pour laquelle, mesdames et messieurs les députés, je vous demande de rejeter la motion de rejet préalable présentée par M. Berrios.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Nous en venons aux explications de vote. La parole est à M. Jean-Noël Carpentier pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Bien évidemment, nous ne voterons pas cette motion de rejet préalable. C’était une caricature, monsieur Berrios ! Vous avez été long et caricatural : vingt-cinq minutes de plaidoyer anti-logement social !
Approbation sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Toute avancée sociale, toute avancée vers l’égalité et le respect des différences vous effraie, vous fait peur. Vingt-cinq minutes d’un plaidoyer allant jusqu’à l’abrogation de la loi SRU ! C’était vraiment caricatural.
Vous n’avez rien dit de ce projet de texte, de l’extension des droits civiques, de notre volonté de faire progresser la vie associative, de la lutte contre les discriminations ou de l’égalité hommes-femmes, à l’exception de quelques propos qui n’avaient rien à voir avec le débat en commission. Franchement, monsieur Berrios, commencer ainsi, de la part de votre groupe, augure mal d’une discussion qui exige pourtant de notre part un grand sens de nos responsabilités.
Chers collègues de la majorité, ce texte doit être pour nous un moyen d’avancer, de montrer à notre peuple qu’avec une majorité comme la nôtre, on peut gagner des droits nouveaux – et il nous faudra le faire ensemble.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Bien évidemment, nous ne voterons pas cette motion de rejet préalable. Nous ne manquons pas d’occasions d’exprimer notre opposition sur des textes dont nous ne partageons pas les orientations mais, face à un texte comme celui-ci, qui répond à des problèmes réels, à des situations vécues sur nos territoires et à une exigence d’égalité, un texte qui invite à lutter contre les discriminations et à prendre à bras-le-corps la question du logement, il est bien évident qu’il faut passer à la discussion.
Cela est d’autant plus vrai que, comme cela a été rappelé, la manière dont le débat sur ce projet de loi s’est engagé – notamment en commission où, sur 1 000 amendements qui ont donné à chacun l’occasion de s’exprimer, un tiers environ ont été acceptés – montre bien qu’il existe une volonté d’améliorer ce texte. Nous avons du reste encore des propositions pour continuer à l’améliorer.
Il est donc évident que, pour défendre les amendements que nous avons déposés, il faut passer au débat. Ce texte n’est certes pas parfait mais, globalement, il va dans le bon sens.
« Oh là là ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à M. Yves Blein, pour le groupe socialiste, écologiste et républicain.
Monsieur Berrios, je me suis demandé quels étaient les préalables à réunir pour adopter une motion de rejet préalable et je les ai cherchés en vain dans votre intervention. Le travail préparatoire sur ce texte n’aurait pas été suffisant ?
Si tel était le cas, c’est une motion de renvoi en commission que vous auriez déposée. Si donc la forme n’est pas en cause, peut-être avez-vous jugé que le fond était insuffisant et qu’il fallait le questionner à nouveau. Venons-en donc au fond.
La jeunesse ? Vous vous y êtes bien peu attardé, comme si, pour vous, ce texte ne comportait qu’un seul titre, celui du logement, et que les jeunes ou ceux qui souffrent de discrimination quotidienne ne méritaient pas votre intérêt. Pourtant, la jeunesse attend de notre part des messages clairs qui lui précisent, dans un environnement pour elle incertain et mouvant, quels sont les droits que nous lui accordons, mais aussi les devoirs qui lui incombent. L’emploi, la santé, la formation, la mobilité, l’accès à l’engagement sont autant de sujets sur lesquels nous lui apporterons aujourd’hui des réponses.
Le service civique, initié par Martin Hirsch lors du précédent quinquennat, devrait-il attendre avant de trouver de nouveaux développements répondant à la générosité de notre jeunesse ?
La lutte contre l’apartheid et la ségrégation territoriale doit-elle attendre également alors que, loi après loi, nous ne parvenons pas à trouver une solution rapide à ce problème, que les uns et les autres – les uns sans doute plus que les autres – ont laissé se développer au fil des ans ? Faudrait-il renvoyer à nouveau les vraies mesures, courageuses et exigeantes, contenues dans ce texte ?
Faut-il enfin renvoyer aux calendes grecques la lutte contre les discriminations sous toutes leurs formes ? Cet engagement permanent, sans concession, de chaque instant, devrait inspirer beaucoup de nos travaux.
Ce texte vient à point nommé pour faire suite aux conclusions des travaux des présidents de l’Assemblée et du Sénat, que le Président de la République avait missionnés en ce sens. Il est utile, nécessaire et authentiquement républicain.
Nous choisissons de débattre, de poser les questions, de faire des propositions, de décider, car c’est ce que nos concitoyens attendent de leurs représentants. Nous ne voterons pas la motion que vous nous proposez.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Pour toutes les raisons développées tout à l’heure à la tribune par mon collègue Sylvain Berrios, le groupe Les Républicains votera bien entendu pour cette motion de rejet préalable.
La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, depuis trop longtemps, on nous parle de quartiers difficiles et de ghettos. Certains, après les attentats, ont même alimenté des amalgames honteux et irresponsables sur les quartiers dits « populaires ».
La vérité est pourtant celle-ci : trente années de politique de la ville ont conduit à quelques réussites, comme l’ANRU, mais aussi à beaucoup d’échecs.
Le premier d’entre eux est le chômage : avec un taux deux à trois fois supérieur à la moyenne nationale, le chômage dans ces quartiers n’est plus un fléau insupportable mais un drame insoutenable. Quant à la résorption des inégalités, objectif premier de la politique de la ville, force est de constater qu’elle n’a pas été suffisante – c’est le moins que l’on puisse dire ! Redonner à nos concitoyens l’espoir en la République sur de telles bases est bien difficile, avouons-le. Tel est pourtant l’objectif de cette loi !
Face à l’ampleur de sujets comme l’emploi, le logement, la citoyenneté, la jeunesse ou la lutte contre les discriminations, nous devrons afficher une certaine modestie dans le débat qui s’ouvre.
Cette loi, à l’évidence, ne réglera pas tous nos problèmes ni ceux de nos concitoyens. Il s’agit plutôt d’une succession de mesures positives visant à améliorer les choses, à redonner des chances à ceux qui en ont moins que d’autres. Le constat doit être lucide pour tenter d’apporter des réponses.
Il faut d’abord impérativement lutter contre tous les amalgames, tous les préjugés et toutes les discriminations, d’où qu’ils viennent. Inspirons-nous des succès, nombreux dans ces quartiers, et mettons-les en valeur ! Il y a tellement de gens bien, tellement de bonnes volontés qu’il serait totalement absurde de ne pas les épauler.
Nous devons les encourager, encourager l’engagement citoyen dès qu’il se manifeste. La loi propose le développement du service civique et la création d’un congé d’engagement : je m’en félicite. Il faut soutenir l’action associative et bénévole.
Le texte a également pour objectif de briser les égoïsmes locaux, notamment en répartissant mieux le logement social dans toutes les communes. Il faut effectivement plus de mixité sociale dans le pays.
Dorénavant, les préfets devront garantir cette mixité sociale : ils pourront imposer aux communes la construction de logements sociaux aux municipalités qui n’appliquent pas les 25 % prévus par la loi et font preuve de mauvaise foi.
Pour ma part, je trouve scandaleuses les protestations de certains maires concernés. Le maire doit garder une place importante dans le dispositif – c’est essentiel – mais beaucoup de ceux qui râlent aujourd’hui sont les mêmes qui, depuis des années, s’évertuent à contourner l’actuelle loi SRU. Ils n’espèrent qu’une seule chose : abroger cette loi en 2017, si jamais ils reviennent au pouvoir, comme nous l’a expliqué l’orateur de la droite.
L’État entend faire respecter le principe d’égalité : c’est normal. Ce n’est ni de gauche, ni de droite : c’est la République !
Enfin, dans un autre registre, on peut également se féliciter d’un durcissement de la loi contre les propos antisémites et racistes, ainsi que des propositions envers la jeunesse concernant l’insertion professionnelle ou le logement.
Ainsi, vous l’aurez compris, si ce texte n’est pas miraculeux – il n’y a pas de baguette magique pour régler les défis qui nous attendent ! –, il constitue une véritable avancée.
Mesdames et messieurs les ministres, ce texte est regardé avec bienveillance par le groupe RRDP : nous considérons que c’est un bon texte. Vous pouvez compter sur le groupe RRDP pour défendre des amendements visant à l’améliorer encore, sur plusieurs aspects. Nous attendons avec impatience la discussion et comptons sur vous.
Nous nous félicitons d’ores et déjà que notre proposition visant à garantir l’accès de tous les enfants à la cantine scolaire ait été adoptée par la commission : c’est une belle avancée.
Pour la suite, nous participerons au débat avec la volonté de l’enrichir par des amendements en faveur de la vie associative ou de la lutte contre les discriminations.
Nous présenterons également des amendements pour renforcer la mixité sociale dans les communes et pour mieux lutter contre les trop nombreux marchands de sommeil.
Par ailleurs, nous voulons aller plus loin sur le droit de vote, pour l’apprentissage et l’approfondissement de la citoyenneté. Ainsi, plusieurs d’entre nous proposent la reconnaissance du vote blanc dans les suffrages exprimés ou encore l’exercice du droit de vote dès 16 ans.
Vous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre, que ces débats étaient légitimes. Pour ma part, je pense que nous pouvons en débattre dès maintenant. Nos concitoyens nous disent chaque jour que notre système politique a besoin d’être rénové. Il y a urgence car le populisme guette et l’extrême droite est en embuscade. Il faut agir pour renouveler l’intérêt général, notre démocratie et notre République.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mesdames et messieurs les rapporteurs, chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen du projet de loi Égalité et citoyenneté. Ce texte, qui prolonge les mesures issues du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté, porte de nobles ambitions.
À la suite des attentats de 2015, cette réforme se voulait la traduction de la « République en actes » pour répondre aux fractures de la société française. Elle se voulait une réponse aux attentes de nos concitoyens en matière de démocratie, de mixité sociale et d’égalité.
Ces objectifs sont partiellement atteints – partiellement seulement. Malgré des avancées et les améliorations apportées par le travail de la commission spéciale, il s’agit d’un projet de loi à budget constant, cela expliquant sans doute un certain manque d’ambition.
S’agissant du premier volet, les réponses apportées par le projet de loi apparaissent en effet globalement en décalage avec les attentes exprimées par la jeunesse et les enjeux de développement de la vie associative.
Nous le savons tous, les préoccupations des jeunes sont claires : il s’agit en premier lieu d’accéder à un emploi stable car ils estiment qu’ils n’ont pas à subir des conditions de travail plus précaires que celles de leurs aînés. Il s’agit également d’accéder plus facilement au logement, aux soins et à la culture. Ils aspirent enfin à s’impliquer plus fortement dans le processus démocratique. Sur tous ces enjeux, le projet de loi reste au milieu du gué.
Nous saluons les mesures en faveur de l’engagement bénévole, avec la création d’un statut pour les étudiants bénévoles et d’un congé engagement pour les salariés. Nous saluons aussi les mesures renforçant la place des jeunes dans les instances politiques territoriales.
Cependant, la citoyenneté est avant tout envisagée à travers la consécration de la réserve civique et le déploiement du service civique, relayant au second plan les autres formes d’engagement comme le volontariat international, l’engament politique ou syndical ; vous y reviendrez sans doute, monsieur le ministre.
Il s’agit là de notre principal point d’inquiétude : ainsi que j’ai eu l’occasion de le dire en commission, la généralisation du service civique, recherchée à travers l’élargissement des structures d’accueil et la pratique de l’intermédiation, risque de constituer une nouvelle trappe de précarité pour les jeunes, alors que ceux-ci souhaitent qu’on facilite leur insertion durable sur le marché du travail.
Quant à l’encadrement actuel du dispositif, il nous paraît trop faible. Bien que de nombreux rapports aient exposé les risques d’emploi déguisé, l’Agence ne dispose toujours pas des moyens humains et financiers suffisants pour opérer de véritables contrôles. Dans ce contexte, on peut craindre que les abus se multiplient. Aussi proposons-nous des amendements pour mieux encadrer ce dispositif.
L’autre point d’inquiétude concerne le transfert aux régions des compétences en matière de coordination des politiques de jeunesse. Cette évolution porte selon nous un coup fatal à la spécificité française d’une politique de jeunesse centralisée garantissant l’égalité républicaine.
Elle laisse également de côté la nécessité d’une politique d’éducation populaire forte, comme en témoigne l’article 13 qui enlève le peu de compétences restant aux structures participant à la mise en oeuvre d’une politique d’État en la matière – je pense ici à l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.
Nous attendons enfin que l’extension du dispositif « meilleurs bacheliers », qui remet en cause le principe du libre accès à l’enseignement supérieur, soit supprimé, comme le rapporteur général s’y est engagé en commission.
Concernant à présent le volet « logement », votre texte, madame la ministre, se veut porteur de mesures structurantes visant à la fois à favoriser la mixité sociale et à lutter contre les phénomènes de ségrégation sociale et territoriale.
Cet enjeu est évidemment fondamental lorsque l’on a l’ambition de dessiner « une France plus fraternelle », comme vous dites. Les situations de mal-logement, voire de non-logement, ont en effet de lourdes incidences sur la santé, sur l’emploi, sur l’insertion et sur la réussite scolaire de millions de nos concitoyens et de leurs enfants. Permettez-moi, sur ce point, de saluer l’action des associations qui agissent au quotidien aux côtés des plus démunis pour faire valoir le droit au logement.
Certes, les gouvernements successifs n’ont pas ménagé leurs efforts depuis la loi SRU du 13 décembre 2000 pour tenter de réformer la politique du logement. Force est toutefois de constater que l’empilement des mesures législatives et réglementaires n’a pas permis de juguler une crise du logement qui tient fondamentalement au manque de logements et à la cherté des coûts qui s’y rattachent.
Le vingt et unième rapport de la Fondation Abbé Pierre, publié en 2016, dresse un constat alarmant de l’aggravation de la situation. Près de 900 000 personnes sont privées de domicile personnel ; leur nombre a doublé entre 2001 et 2012. Les personnes vivant dans des conditions difficiles, par manque de confort ou par surpeuplement, seraient au nombre de 2,9 millions.
Entre 2006 et 2013, le nombre de personnes contraintes à loger chez des tiers a augmenté de 20 %, tandis que le nombre de personnes en situation de surpeuplement a augmenté de 17 %. Quant à celles contraintes de se priver de chauffage à cause de son coût, leur nombre a augmenté de 44 %.
Votre projet de loi intervient donc dans un contexte que nous savons tous très difficile. Il se propose, pour l’essentiel, de compléter les dispositifs existants par des mesures dont certaines sont bienvenues, les autres étant selon nous contestables.
Vouloir lutter contre les phénomènes de ségrégation territoriale est évidemment un objectif que nous faisons nôtre depuis des années. Nous ne pouvons qu’accueillir favorablement les mesures que vous nous proposez en faveur d’une meilleure répartition des logements, comme celles permettant de lutter contre les stratégies d’évitement développées par certaines communes pour ne pas accueillir de ménages à faibles revenus.
Ainsi, monsieur Berrios, renforcer les dispositions de la loi SRU, en faisant passer l’objectif de construction de logements sociaux de 20 à 25 % et en augmentant les amendes applicables en cas de manquement à cette obligation va dans le bon sens.
Il en va de même du renforcement des prérogatives du préfet, afin que celui-ci puisse imposer des programmes de logements sociaux aux communes carencées.
Nous saluons aussi la mesure visant à réserver 25 % des attributions annuelles situées en dehors des quartiers défavorisés au quart des demandeurs les plus modestes, même si nous jugeons le critère des quartiers prioritaires de la politique de la ville trop restrictif pour couvrir la réalité des situations de pauvreté.
Nous sommes beaucoup plus réservés, vous le savez, sur le renforcement du supplément de loyer de solidarité, ainsi que sur le durcissement de la perte du droit au maintien dans les lieux, et sur la possibilité pour les bailleurs sociaux de moduler les loyers dans une logique proche de celle du marché. À nos yeux, ces mesures portent atteinte à des éléments essentiels du modèle HLM français.
Au contraire, nous plaidons depuis des années en faveur du renforcement de la mixité sociale de l’habitat, du relèvement des plafonds de ressources, et, symétriquement, pour l’encadrement des loyers dans le parc privé. Plus généralement, il nous semble important que le logement sorte du champ des lois du marché et de la spéculation.
Nous formulerons au cours de nos débats des propositions en ce sens. Nous reviendrons également sur les questions relatives à la résorption de l’habitat insalubre ou au renforcement de la démocratie dans l’habitat.
À ce stade, madame la ministre, nous ne pouvons cependant nous défendre du sentiment que les mesures que vous proposez en matière de logement, à l’instar des autres mesures du texte, ne sont pas assorties de moyens suffisants pour concilier les deux objectifs qui sont à nos yeux prioritaires pour faire vivre l’égalité républicaine : l’égal accès de tous au logement et une authentique mixité sociale.
Enfin, s’agissant du troisième volet, son titre, « Pour l’égalité réelle », paraît bien ambitieux au regard de son contenu. Nous ne nions cependant pas les avancées qu’il contient en matière de lutte contre les discriminations. La mise en place de circonstances aggravantes pour les actes de racisme et de sexisme, est salutaire, comme le sont les mesures en faveur de la diversité d’accès à la fonction publique.
Ce texte occulte toutefois un sujet majeur, qui constitue selon nous la première, la toute première des mesures en faveur de davantage d’égalité : il s’agit du droit de vote des étrangers. Sur ce volet, nous proposerons également des amendements, pour renforcer l’objectif de lutte contre les discriminations – la suppression du mot « race » de notre législation, la mise en place du récépissé de contrôle d’identité ou encore des mesures en faveur de l’autonomie des femmes étrangères.
C’est donc dans un état d’esprit constructif mais vigilant que nous abordons ce débat. Nous serons évidemment attentifs aux évolutions d’un texte qui, en l’état, reste sur certains enjeux, au milieu du gué.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mesdames les rapporteures thématiques, mes chers collègues, l’égalité des chances reste, dans les sociétés contemporaines, un sujet de chaque instant. Les origines, sociales en particulier, mais encore beaucoup trop malheureusement ethniques et territoriales, ou encore les orientations ou les choix sexuels, notamment, sont autant de facteurs qui laissent prise à la discrimination et amplifient les inégalités. Et la régression de ces inégalités repose d’abord sur un combat culturel, qui permette à chacun d’opposer la raison à la pulsion et de faire primer l’intelligence sur le préjugé.
Ce gouvernement et cette majorité l’ont compris, en donnant une absolue priorité aux moyens consacrés à l’éducation et à la formation initiale : chacun sait ici que de sa qualité, de sa force, naîtront des esprits bien faits, capables de comprendre, d’analyser, d’objectiver.
Pour autant, parallèlement à cet effort d’éducation, la loi doit corriger, faire progresser, sanctionner si besoin les inégalités et les discriminations. À ce titre, ce texte doit être lu comme un nouveau maillon, indispensable, de cette volonté de l’État de porter l’idéal républicain partout, et de n’accepter aucun lieu où d’autres règles s’imposeraient.
Pour cela, il s’adresse bien sûr d’abord à la jeunesse, afin d’encourager son envie de s’investir – c’est le sens de la réserve citoyenne, du déploiement du service civique – et de développer son envie de République, avec, par exemple, la prémajorité associative ou le statut de jeunes dirigeants associatifs.
S’agissant du service civique, le texte enrichit sa pratique et étend les possibilités d’y accéder. Toutefois, un constat s’impose : si nous ne manquons pas de jeunes volontaires, ce sont les offres de missions qui, aujourd’hui, font défaut. Si l’on veut parvenir à l’objectif de la moitié d’une classe d’âge en service civique, il semble plus que jamais nécessaire de mieux mobiliser la sphère publique. C’est l’objet d’un amendement adopté en commission, qui prévoit la remise d’un rapport sur les possibilités de mobilisation du secteur public dans son ensemble.
Ce texte s’adresse aussi aux millions de bénévoles qui, par leur engagement au service des autres et de l’intérêt général, donnent toute sa chair au pacte républicain. À ceux-là, il offre le bénéfice d’un congé d’engagement et développe les moyens que leur accorde la nation pour les aider à accomplir leur mission. C’est ainsi que les biens mal acquis pourront être demain mis à disposition d’associations d’intérêt général, notamment.
De même, je l’espère, les comptes en déshérence des associations pourront être mobilisés pour répondre à l’immense besoin de formation des 9 millions de bénévoles que compte notre pays. J’espère enfin qu’une suite législative heureuse pourra être réservée au rapport récemment remis par le Haut Conseil à la vie associative sur la notion d’intérêt général.
La République ne peut être absente de l’esprit de ceux qui la forment, pas plus qu’elle ne peut l’être des territoires qui la composent. C’est là tout le sens du titre II, qui contient une série de mesures dont l’objectif est clair : la lutte contre l’apartheid, contre la ghettoïsation de certains quartiers. Il s’agit notamment de rendre plus transparente l’attribution des logements sociaux, de clarifier les critères de priorité dans le logement social, de favoriser un accès plus juste et plus équitable aux logements sociaux et de rendre accessible l’ensemble du parc social aux ménages prioritaires.
Le temps m’empêche de revenir sur les nombreux amendements adoptés en commission, qui sont venus améliorer le texte, mais nous aurons l’occasion d’y revenir lors des débats. Permettez-moi cependant de mentionner les amendements qui complètent les dispositions de la proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, notamment en renforçant les pouvoirs du préfet en matière de construction d’aires d’accueil.
Enfin, le titre III prévoit de renforcer l’égalité réelle pour permettre aux citoyens de mieux s’insérer dans la République, avec de nouvelles mesures qui vont dans ce sens : élargir les conditions d’accès à la fonction publique, permettre une meilleure maîtrise de la langue française ou durcir les sanctions face aux actes de racisme et de discrimination.
Mes chers collègues, après les attentats qui ont secoué notre pays, faire en sorte que nous puissions tous continuer à vivre ensemble est plus que jamais nécessaire. Ce texte s’inscrit dans cette démarche : il s’agit de mettre la République et ses valeurs au coeur de l’action publique. Afin que cette ambition ne soit pas qu’un slogan, il faut agir concrètement pour donner les mêmes chances à tous les jeunes, pour casser les phénomènes de ghettoïsation des quartiers, et pour faire reculer le racisme et les discriminations.
Ce texte me semble être une juste réponse à ces défis essentiels que la République doit relever.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mesdames les rapporteures thématiques, mes chers collègues, en découvrant pour la première fois ce projet de loi, je ne vous cache pas les nombreuses réserves que j’ai pu exprimer à son sujet. J’y ai vu tout d’abord une rédaction motivée par la seule envie de ressouder la majorité socialiste à un an des prochaines élections ; la résurgence, avec quatre ans de retard, de promesses annoncées un jour de janvier au Bourget, puis oubliées ; un texte fourre-tout sans grande cohérence d’ensemble ; de larges pans de la jeunesse oubliée, comme ces jeunes des milieux ruraux ou des classes moyennes, trop souvent délaissés par le Gouvernement.
De prime abord, ce que nous avions ici ressemblait à s’y méprendre au chant du cygne de ce quinquennat.
Mais, passée cette réticence, je dois aussi reconnaître que ce texte nous a amenés, parlementaires de toutes sensibilités politiques, à faire l’état des lieux, à repenser, et à chercher à améliorer ensemble la façon dont nos concitoyens peuvent envisager leur propre engagement au sein d’associations ou au service de la nation.
Le rôle de l’Assemblée nationale est de soutenir et de protéger ceux qui ont fait le choix de consacrer leur vie à leur pays. En ce sens, le groupe Les Républicains a déposé un amendement visant à renforcer les sanctions pour les cas de provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’un dépositaire de l’ordre public, car le vivre ensemble passe aussi et surtout par le respect de l’État et de ses représentants. Je pense notamment aux membres des forces de police et de gendarmerie, durement éprouvés actuellement. C’est ça aussi, restaurer l’autorité de l’État et l’engagement citoyen !
À bien des égards, le travail en commission s’est avéré des plus nécessaires. Car, en parcourant le texte d’origine, j’ai été frappé de voir quelle conception ses auteurs se faisaient de l’avenir professionnel des jeunes. Pour la majorité, la seule perspective d’avenir était d’élargir l’accès à la fonction publique. Mais ce n’est pas cela l’avenir des jeunes ! Tous n’aspirent pas à devenir fonctionnaires ! Les jeunes de ce pays ne demandent pas non plus à être pouponnés ! Ils ne veulent pas que des aides : ils veulent avant tout qu’on leur fasse confiance, qu’on les écoute et qu’on les accompagne dans leurs choix, ces mêmes choix qui leur permettront de s’en sortir par eux-mêmes.
Vous n’avez pas écouté la jeunesse depuis quatre ans – la jeunesse, pourtant priorité des priorités pour François Hollande, une jeunesse dont on sait les difficultés à s’intégrer dans un marché du travail méfiant, une jeunesse qui peine ensuite à trouver un logement, à se stabiliser personnellement. Notre rôle est bien d’assurer à la jeunesse française les moyens de s’émanciper et de se libérer des attaches familiales ou communautaires.
Cette jeunesse a des convictions, des valeurs, des aspirations, trop souvent freinées par les conservatismes de tous bords. Tournée vers autrui, elle veut s’engager mais on ne lui donne pas toujours les moyens de le faire. Cette jeunesse ne comprend plus pourquoi elle doit voter, n’a plus confiance en une classe politique parfois sourde à ses demandes. Cette jeunesse manifeste depuis plusieurs semaines son mécontentement. Cette jeunesse ne pense pas, si elle en a envie, pouvoir un jour être élue avant d’avoir quarante ans.
Pouvons-nous nous satisfaire d’un pays où la jeunesse ne parvient pas à s’intégrer, où elle ne peut pas accéder aux responsabilités, où elle n’a pas son mot à dire dans le débat public ? La réponse est non.
Vous avez attendu près de quatre ans avant de proposer ce texte. Et si plusieurs dispositifs vont dans le bon sens, en l’état, l’ensemble de ces mesures ne saurait être suffisant. L’égalité réelle n’est pas le bon objectif. C’est un pléonasme. Le but qu’il faut atteindre, c’est l’égalité.
Et à l’égalité réelle, je réponds par la liberté. Car l’égalité ne peut être atteinte qu’en donnant à chacun les mêmes clés pour pouvoir s’en sortir dans la vie, les mêmes moyens pour pouvoir réaliser ses envies et ses projets, quelle que soit son origine sociale ou territoriale. Le plafond de verre ne concerne pas que les jeunes de quartiers sensibles, il est global pour la génération qui arrive. Il bloque l’ascenseur social pour tous.
C’est la raison pour laquelle, au sein du titre III de ce texte, il me semble essentiel d’inscrire des mesures permettant à chaque jeune qui le souhaite de pouvoir créer sa propre entreprise, de devenir son propre patron. À une époque où le salariat est de moins en moins la norme, où chacun se crée son parcours professionnel, entre secteur public et privé, entre PME et grand groupe, il faut pouvoir informer les jeunes sur leurs droits en matière de création d’entreprise, contribuer à leur formation par le développement de « fablabs » partout en France, mettre fin aux discriminations, par exemple pour l’obtention d’un prêt professionnel.
Chacun doit pouvoir devenir entrepreneur, s’il le veut. Je veux voir émerger, dans nos quartiers, dans nos villages, le Mark Zuckerberg ou le Steve Jobs à la française ! En un mot, ce qui manque cruellement à ce texte et que nous nous devons d’encourager, c’est l’esprit d’entreprendre. Celui-là même qui rend leur fierté à des jeunes, qui ne pensaient pas la retrouver, cet esprit qui fait rayonner la France à l’étranger. Redonnons à la jeunesse l’envie de réussir ! Cessons de faire de la réussite un tabou en France, et mettons fin au déclassement social.
Les jeunes ne manquent ni d’audace, ni d’ambition. Aidons-les à les exprimer pleinement. Aidons-les à participer à la richesse économique et culturelle de notre pays. Aidons-les à trouver leur place au sein de la société française d’aujourd’hui.
Mes chers collègues, si je ne devais vous dire qu’une seule chose à propos de l’égalité et de la citoyenneté, ce serait simplement : faites confiance à la jeunesse !
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues, en 1875, dans « Le droit et la loi », Victor Hugo écrivait qu’il n’y avait rien à ajouter ni à retrancher dans la devise républicaine : « La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir », disait-il. Aujourd’hui, c’est une autre formule que veut promouvoir ce Gouvernement après les événements tragiques qui ont frappé la France en 2015 et ont ranimé en son sein des sentiments contradictoires.
Notre première réaction fut d’accueillir ce texte avec bienveillance, tant il charrie des principes chers à notre histoire. L’égalité comme le civisme exigent d’être maniés avec précaution. Si nous avons pu dénoncer, avec raison, la méthode employée par le Gouvernement dans de précédents projets de loi, la mise en place d’une plateforme participative est une initiative louable et opportune lorsqu’on évoque de tels sujets.
En revanche, ce projet de loi souffre de l’absence notable d’un fil conducteur. Chacun le sait, la France est riche de sa diversité, que celle-ci soit géographique ou historique. Or une grande partie de nos territoires sont exclus de ce texte, notamment les régions ultramarines. Malgré l’annonce d’un futur projet de loi relatif à l’outre-mer, nous estimons qu’il eût été intéressant de dresser en préambule à ce texte, consacré à l’égalité et la citoyenneté, des dispositions réaffirmant la place de nos territoires ultramarins dans notre richesse nationale.
Ce projet de loi devait permettre de rassembler l’hémicycle autour de valeurs partagées. Or, au fil des débats en commission, nous avons dû constater qu’il n’était en rien consensuel. Les titres I et III forment, certes, un catalogue de mesures louables, souvent justes, mais parfois étrangement modestes, comme le soulignent les tergiversations de la majorité sur le curriculum vitæ anonyme. Nous regrettons sincèrement que cette proposition concrète n’ait pas été réintroduite dans le texte. Vous proposez à l’article 60 de judiciariser a posteriori les discriminations à l’embauche, alors qu’il suffirait de rétablir a priori le principe de l’anonymisation !
D’autre part, pourquoi, dans un texte célébrant l’égalité et la citoyenneté, traiter l’école à travers le prisme de la liberté d’enseignement ? Vous ravivez là des querelles inutiles, alors que l’école a un rôle majeur dans la diffusion des valeurs républicaines et dans la promotion du civisme. Nous sommes convaincus que l’école, pierre angulaire de la République, doit être le creuset de l’égalité des chances et de la transmission des valeurs communes qui fondent notre capacité à vivre ensemble. Alors que l’Europe traverse une crise sans précédent, nous souhaitons que tout élève puisse bénéficier au cours de sa scolarité d’une formation sur l’histoire de la construction européenne et sur son fonctionnement. « C’est le plus grand éloge pour une idée qu’elle soit devenue banale », soulignait Ernest Renan. Aujourd’hui, nous pensons que ce serait courir un grand risque que de laisser les jeunes générations oublier les raisons du rassemblement européen.
Au lieu de proposer quelques mesures simples et concrètes pour encourager la cohésion sociale, vous avez fait le choix de disperser dans les titres I et III une multitude de mesures dont on peine à voir la cohérence. Ne traitez-vous pas indistinctement de la réserve civique, des associations, des élections, de l’accès aux soins pour les jeunes, du recrutement dans la fonction publique, des discriminations, de la musique – et j’en oublie certainement ?
Si certaines dispositions sont bienvenues, on constate à regret qu’au mieux elles sont non financées, comme le droit ouvert à tous les écoliers de déjeuner à la cantine, et qu’au pire elles relèvent de l’incantation, comme à l’article 19 septies, où la nation reconnaît le droit de chaque jeune atteignant à compter de 2020 l’âge de 18 ans à bénéficier, avant ses 25 ans, d’une expérience professionnelle ou associative à l’étranger. Vous me permettrez, mes chers collègues, de douter du caractère normatif de nombreuses dispositions que nous nous apprêtons à examiner !
On peut même se demander si le projet de loi ne cède pas à plusieurs reprises au syndrome de Chantecler, qui veut que le soleil se lève parce qu’il a chanté !
Sourires.
Seul le titre II fait preuve, nous semble-t-il, de cohérence, dans un ensemble qui semble davantage combler des attentes de théorisation que nos besoins d’opération.
La partie portant sur le logement aurait ainsi pu faire l’objet d’un projet de loi à part entière, tant le logement et l’urbanisme soulèvent des questions et des enjeux de société majeurs, en termes de lutte contre l’exclusion sociale, de sécurisation, ou, pour appeler autrement le « vivre ensemble », d’exigence d’urbanité – puisqu’il s’agit de la ville.
La politique gouvernementale relative au logement s’est trop souvent heurtée aux écueils de l’idéologie, laissant de côté tout pragmatisme. La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », régulièrement corrigée – fort heureusement ! – depuis son adoption, en est un exemple manifeste, qui a réussi à paralyser, voire à asphyxier de nombreux acteurs du bâtiment.
Toutefois, nous savons combien la tâche est difficile. Je sais combien, depuis la loi SRU, nous avons, les uns et les autres, éprouvé de difficultés à bâtir une politique du logement fondée sur le principe de la mixité sociale, principe noble s’il en est, mais qui reste difficile à définir et à concrétiser.
En commission, nous avons été confrontés à cette complexité, notamment lors de la discussion de l’un des amendements de notre collège François Pupponi, qui soutenait une idée intéressante : interdire aux réservataires et aux bailleurs d’attribuer plus de 50 % des logements aux populations appartenant au premier quartile dans les quartiers prioritaires de la ville. Cette idée témoigne d’une volonté de « déghettoïsation » qui participe directement de celle de mixité sociale. Toutefois, elle pose aussi des questions lourdes de conséquences, et pourrait même être source de fragilité constitutionnelle : ne risque-t-on pas, avec une telle mesure, de créer une forme de discrimination à l’égard des plus pauvres ? Voilà un exemple significatif de la difficulté à trouver une réponse appropriée dans les secteurs les plus soumis à la crise du logement.
Par ailleurs, la réponse doit-elle être nécessairement nationale ? Devons-nous continuer à appliquer les mêmes mesures en Île-de-France, où l’offre demeure très insuffisante, et en Champagne-Ardenne ou dans le Limousin, où la vacance des logements ne cesse de croître ?
Si le titre II de ce projet de loi n’entend pas, sans doute avec raison, bouleverser la politique du logement, il apporte néanmoins de nombreux ajustements bienvenus.
Ainsi, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants approuve l’idée selon laquelle il est nécessaire d’améliorer la politique d’attribution de logements sociaux, de favoriser l’accès des ménages défavorisés aux quartiers attractifs et de mieux répartir l’offre.
Nous saluons aussi la volonté du Gouvernement de faire venir les catégories les plus modestes dans des quartiers considérés comme aisés, car la mixité sociale se construit dans les deux sens.
Engager d’importants investissements dans les quartiers prioritaires demeure, certes, une exigence, mais il faut aussi réfléchir à la mobilité des personnes modestes, de manière à éviter d’aggraver une ghettoïsation de plus en plus marquée.
Nous sommes donc tout à fait favorables à la mesure visant à consacrer au moins 25 % des attributions annuelles de logements situés en dehors des quartiers prioritaires de la ville à des demandeurs très modestes. Actuellement, seules 19 % des attributions s’effectuent en dehors des quartiers prioritaires, ce qui, pour n’être pas négligeable, n’en demeure pas moins insuffisant.
Plusieurs autres mesures présentées dans le texte sont de bon aloi, voire de bon sens : ainsi, laisser la possibilité aux bailleurs sociaux de pratiquer des loyers différents à travers la modulation, interdire le refus d’un logement social sur le fondement exclusif de l’absence de lien avec la commune, relever le plafond du supplément de loyer de solidarité – mesure que j’avais moi-même défendue ici en d’autres temps, parfois contre certains bancs dont on n’attendait pas nécessairement un tel positionnement –, ou encore recentrer le dispositif de la loi SRU.
L’examen du texte en commission a permis des avancées notables, à l’image de l’adoption de l’un de nos amendements visant à encadrer plus strictement les règles d’occupation des logements HLM. Toutefois, je crois que nous pouvons aller plus loin. C’est pourquoi le groupe de l’Union des démocrates et indépendants a déposé une quarantaine d’amendements sur cette partie, dont les principaux concernent l’intégration partielle des logements financés par un prêt social de location-accession dans l’effort de construction triennal imposé aux collectivités soumises au taux de 25 % de logements sociaux, l’inclusion là encore partielle des logements intermédiaires dans le calcul du taux de 25 % de logements sociaux, l’instauration d’un quota de 10 % de logements locatifs intermédiaires dans les communes situées en zones tendues, ou encore l’application d’un taux de TVA réduit à 5,5 % pour la construction de logements intermédiaires dans les quartiers prioritaires de la ville.
Le logement intermédiaire est un sujet malheureusement trop souvent occulté ou mal traité, alors qu’il devrait être au coeur de nos politiques du logement en zones tendues.
L’examen du texte en commission a en outre confirmé les divergences anciennes concernant les pouvoirs respectifs du maire et du préfet. Je rappellerai simplement que l’État doit être le garant des solidarités nationales, non celui des détails de la mise en oeuvre locale. Nous devons trouver un juste équilibre entre les pouvoirs d’attribution de chacun, et il me semble que ce texte n’en est pas loin.
Mes chers collègues, comme vous l’aurez compris, le groupe de l’Union des démocrates et indépendants est partagé sur ce projet de loi. Alors que le titre II justifierait un vote plutôt favorable de notre part, les titres I et III souffrent d’un manque de mesures concrètes et consensuelles ; le prophétisme de ces deux titres nous laisse craindre une surenchère de dispositions, relevant du dogme plus que de l’action, et susceptibles de nous diviser plutôt que de nous rassembler.
L’examen en séance publique déterminera donc notre position définitive sur l’ensemble du projet de loi.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, mesdames et messieurs les rapporteurs – dont je salue l’engagement et l’efficacité du travail –, chers collègues : « Et je dis que l’humanité a un synonyme : égalité ». Voilà ce qu’écrivait Victor Hugo, qui disait aussi : « La plus belle égalité, c’est l’équité » – l’équité de traitement, évidemment, d’accès au droit, au logement, à l’éducation, tout ce qui participe à la reconnaissance de chacun, à son épanouissement, qui le rend responsable de sa vie et le sensibilise ainsi à la citoyenneté.
Le projet de loi qui est soumis à notre examen rapproche dans son titre, avec pertinence, les deux concepts d’égalité et de citoyenneté, qui, pour répondre à des aspirations justifiées, montrent ici toute la complexité de leur mise en pratique.
Dans nos sociétés contemporaines assez individualistes, la liberté et la citoyenneté se conquièrent difficilement au plan individuel sans un minimum d’égalité réelle, sans un minimum d’équité au sens de John Rawls. Or nous traitons ici, précisément, d’égalité réelle.
Nous disposons dans notre pays d’acteurs du secteur associatif efficaces ; l’engagement des jeunes ne pourra que favoriser leur essor.
Oui, les mêmes chances doivent être données à chaque citoyen en matière d’éducation, d’apprentissage, de logement, de travail, d’accès aux loisirs, au sport, à la culture, sans distinction d’origine, d’âge, de couleur de peau, de sexe. Cette liberté est aujourd’hui encore contrainte par des facteurs individuels, collectifs et structurels, par des réponses publiques qui ne sont pas toujours adaptées ni justes, et par des vides juridiques qu’il nous revient de combler.
Madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, je me réjouis, au nom du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, de l’examen du présent projet de loi en séance publique.
Les débats en commission ont été instructifs et féconds. Jusqu’ici les convergences et divergences de points de vue ont permis d’amender le projet de loi dans un sens positif. Gageons que nous continuerons à avancer dans la même direction.
Il est en effet urgent d’agir en faveur de la citoyenneté et du vivre ensemble. Je pense à la refonte du service civique et de l’engagement associatif. Je pense aussi à une meilleure politique d’attribution des logements sociaux, sujet sur lequel je veux particulièrement insister, car la ségrégation spatiale, les enclavements ont un effet pervers, celui de maintenir dans une ségrégation sociale. Certains dysfonctionnements de cette attribution conduisent à un huis clos préjudiciable au candidat locataire et, qui plus est, développent des inégalités territoriales. Des efforts ont déjà été faits, mais ils ne suffisent manifestement pas ; ce projet de loi les prolonge par de nombreuses dispositions convaincantes.
Ainsi le texte propose-t-il une simplification de l’attribution des logements sociaux et une meilleure distribution du parc social. Nous le savons, alors que les trois quarts des demandeurs sont éligibles au prêt locatif aidé d’intégration – PLA-I –, lequel est le plus subventionné, ce type de logement représente une très faible part du parc existant. Résultat, les ménages les plus précaires sont les plus touchés, et ce sont eux qui subissent le temps d’attente le plus long, des déceptions et parfois un sentiment d’injustice.
Des obstacles demeurent, que des amendements pourront pallier. Certaines communes obtiennent encore trop facilement les 25 % de logements sociaux qu’impose la loi SRU en privilégiant les prêts locatifs sociaux – PLS – par rapport aux PLA-I. Ainsi, certains secteurs déjà défavorisés deviennent des lieux où se concentre encore davantage de précarité. Notre groupe a également déposé des amendements tendant à assurer une meilleure prise en compte du plan départemental dans l’identification des personnes prioritaires.
N’aborder la ségrégation qu’à partir des quartiers populaires, c’est omettre les concentrations de classes favorisées, que certains appellent, à juste titre, des « ghettos ». Nous ne pourrons en effet aboutir à une réelle mixité sociale que si les logements du parc privé s’ouvrent à tous, à des prix abordables, conformément à la volonté qui s’est exprimée.
Je veux dire tout mon soutien aux dispositions qui permettent l’émancipation des jeunes. Le texte propose en effet des mesures fortes pour susciter le désir d’engagement citoyen ; car il s’agit bien de susciter ce désir et d’en favoriser l’éclosion.
Je salue donc la démarche et les justes mesures que contient ce projet de loi. Je suis convaincue qu’il constitue déjà, à l’issue des travaux en commission, une réelle avancée, tant dans le domaine de l’égalité que dans celui de la citoyenneté.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames et monsieur les rapporteurs thématiques, mes chers collègues, en débattant aujourd’hui du projet de loi Égalité et citoyenneté, nous traduisons une promesse républicaine, celle de l’égalité, et nous renforçons un impératif républicain, celui de la citoyenneté.
Notre République doit porter plus haut et plus fort l’égalité, parce que c’est son acte de naissance face aux privilèges, parce que c’est la raison de son existence pour mieux nous protéger. Au-delà d’une valeur inscrite au fronton de nos mairies, l’égalité est l’essence même de notre pacte social : égalité par l’école publique ; égalité par la protection sociale ; égalité par la redistribution.
Ce combat pour l’égalité est au coeur de l’engagement de la gauche, et c’est précisément l’honneur de la gauche d’en être, une fois de plus, l’architecte. Avec ce projet de loi nous nous inscrivons pleinement dans cette identité et cet héritage en portant, à nouveau, un texte fondateur de progrès et de justice pour toutes et tous.
Notre République doit également porter plus haut et plus fort la citoyenneté : une citoyenneté où chaque individu se voit respecté, écouté, et où on lui donne la capacité d’agir ; une citoyenneté qui se vit par ses droits et ses devoirs, mais aussi par l’engagement. Cet engagement donne corps à notre vivre ensemble ; c’est tout le sens du principal engagement de nos concitoyens, l’engagement associatif. Je tiens d’ailleurs à rendre hommage aux millions de bénévoles qui, dans nos associations, répondent toujours présents sur le terrain. Ils ne comptent ni leur temps, ni leur énergie pour tendre la main et tisser les liens.
Mais, au-delà des mots, la réalité s’impose à nous et nous oblige à agir. La citoyenneté est traversée par une grave crise de défiance, minée par la montée de l’individualisme et menacée par le repli sur soi. L’inexorable montée de l’abstention en est une manifestation criante et inquiétante.
Quant à l’égalité, elle est perçue par certains de nos concitoyens, notamment dans nos quartiers populaires, comme une vaine incantation, voire une promesse trahie. Pour bon nombre d’entre eux, elle se perd à l’école, à la lecture d’un CV ou à l’entrée d’une boîte de nuit. Elle se fracasse face au racisme, face à la réalité des villes ghettos, face à un emploi auquel on n’a pas accédé à cause d’un nom, d’une couleur de peau ou d’une adresse. Je le dis avec force, c’est sur ce sentiment d’abandon et sur cet acharnement à la stigmatisation que peuvent aussi prospérer les extrémismes sous toutes leurs formes, les populismes et le radicalisme.
Le projet de loi dont nous débattons est par conséquent une réponse à ceux qui veulent diviser notre République pour mieux la faire tomber. Face à ces dangers, notre objectif est de renforcer la République pour qu’elle tienne ses promesses pour tous et redonne confiance à chacun dans l’action collective. Il s’agit de renforcer la République là où elle est attendue, dans les domaines de la citoyenneté, de la jeunesse, de la mixité sociale et de la lutte contre les discriminations.
Renforcer la République, ce projet de loi le fait en soutenant l’engagement citoyen avec la généralisation du service civique, avec la réserve civique ou encore avec la création d’un congé d’engagement pour chaque salarié.
Renforcer la République, ce projet de loi le fait en favorisant l’autonomie des jeunes, avec l’élargissement de la couverture maladie universelle à ceux qui sont en situation de rupture, avec la reconnaissance de l’engagement dans le cursus universitaire ou encore le financement du permis de conduire par les heures de formation.
Renforcer la République, ce projet de loi le fait en renforçant la mixité sociale, avec l’obligation de réserver 25 % de logements sociaux pour les plus démunis dans les quartiers non prioritaires, avec le renforcement des pouvoirs du préfet pour obliger les maires à respecter ce taux de 25 % et avec des règles d’attribution des logements plus justes et plus transparentes.
Renforcer la République, ce projet de loi le fait en luttant implacablement contre toutes les discriminations, avec le durcissement des sanctions face aux actes de racisme, avec le sexisme retenu comme circonstance aggravante de tous les crimes et délits ou avec la possibilité de sanctionner enfin l’apologie et la négation de la traite et de l’esclavage.
Renforcer la République pour qu’elle tienne pleinement ses promesses en donnant une réalité forte à l’égalité et une vivacité prégnante à la citoyenneté, c’est l’enjeu de ce projet de loi, et c’est l’honneur de notre débat.
Mes chers collègues, Condorcet disait : « Il ne peut y avoir ni vraie liberté ni justice dans une société si l’égalité n’est pas réelle. » Aujourd’hui, nous avons l’occasion de renforcer l’égalité et de la rendre un peu plus réelle : ne nous en privons pas, car la liberté et la justice n’en seront que plus rayonnantes face à l’obscurité.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi traite de deux notions fondamentales dans une société : l’égalité et la citoyenneté. À ce titre, les outils qui visent à façonner la citoyenneté de demain doivent être valorisés à partir de celle d’aujourd’hui.
Comme vous le savez, notre collègue Joaquim Pueyo et moi-même avons rédigé un rapport sur le service universel qui a été adopté à l’unanimité, en décembre dernier, par la commission de la défense ; en est issu le programme relatif aux cadets de la défense. L’objectif des amendements identiques que nous avons déposés vise, dans cette optique, à la mise en place, par le ministère de la défense, d’un grand programme de cadets pour la jeunesse française, afin de généraliser l’expérimentation embryonnaire lancée en 2008.
Ce dispositif vise à offrir une expérience de vie inédite aux jeunes Français grâce au savoir-faire des armées s’agissant de la jeunesse ; tel que nous l’avons vu fonctionner au Canada, mais aussi en France – par exemple à la base aérienne d’Évreux –, il s’articule en deux temps : plusieurs demi-journées par mois dans une formation militaire, où les jeunes reçoivent une instruction civique et pratiquent des activités sportives ; un camp d’été de deux semaines ou plus, sous encadrement militaire.
Concrètement, les jeunes apprennent à cette occasion le vivre ensemble, les valeurs civiques, la discipline, le dépassement de soi, le goût de l’effort, bref, tout ce qui constitue l’ADN de nos armées. Au Canada, le programme attire 55 000 jeunes chaque année – et 110 000 au Royaume-Uni –, et il est structuré autour de trois ligues : la ligue de l’armée de terre, où les jeunes effectuent des parcours d’aventures et sont sensibilisés à la nature et à l’environnement ; la ligue navale, où ils découvrent le monde maritime et apprennent à naviguer ; la ligue de l’air, enfin, où ils découvrent l’aéronautique et ses métiers. Présents sur tout le territoire, les centres de cadets assurent une présence militaire continue et font participer les jeunes aux cérémonies patriotiques ; ils sont adossés à des régiments d’active ou de réserve dont ils reprennent les traditions.
Ce programme mérite d’être appliqué en France. En commission spéciale, nous avons eu un débat sur l’âge requis ; mais rappelons que les jeunes sapeurs-pompiers, exemple de réussite puisqu’ils sont 27 000 par an, peuvent s’engager dès l’âge de douze ans. Il nous a paru plus efficace d’intervenir vers treize ou quatorze ans, au moment où la personnalité se forge et où le jeune a besoin d’un cadre, que vers dix-huit ou dix-neuf ans, quand il est déjà sorti du système. Nous avons donc redéposé des amendements en ce sens, avec l’espoir qu’ils convaincront l’Assemblée et le Gouvernement, car nous parlons, pour les intéressés, d’une expérience de vie unique.
Il faut aussi, naturellement, « muscler » l’enseignement en matière de défense grâce à un meilleur suivi au sein du ministère de la défense et une plus grande mobilisation des armées, notamment de ses réservistes : aucun jeune ne devrait quitter le système scolaire sans avoir visité au moins une unité militaire et participé au moins une fois à une cérémonie patriotique.
L’importance des rites républicains est une évidence. À ce titre, les cérémonies de citoyenneté, au cours desquelles sont remises les cartes électorales aux jeunes de dix-huit ans, méritent d’être systématisées. La citoyenneté doit concerner tous les citoyens : ce n’est pas une lapalissade de le rappeler, car certains citoyens connaissent des difficultés au quotidien – je pense tout particulièrement aux personnes sourdes.
De fait, nombre de salariés qui souhaitent se former dans le cadre du compte personnel de formation ne peuvent choisir la langue des signes. Les préfets inscrivent en effet les formations en fonction des besoins des territoires, alors que la situation des organismes de formation en langue des signes française demeure préoccupante. Ces organismes se trouvent ainsi dans une situation économique particulièrement fragile, cependant que les besoins ne cessent de croître.
Nous nous félicitons du renforcement de la formation des enseignants qui interviennent au sein des Pass formation, notamment en langue des signes. Toutefois, les accompagnants des élèves en situation de handicap – AESH – peuvent utiliser leur droit individuel à la formation – DIF – à condition que ladite formation soit proposée au niveau académique, ce qui peut varier d’une académie à l’autre. Il faudrait donc mieux coordonner ce dispositif au niveau national, car l’inclusion des élèves handicapés, notamment sourds, nécessite davantage de formations en langue des signes pour le personnel non-enseignant. Nous avons entendu les discours gouvernementaux sur l’insertion des personnes en situation de handicap et leur accès à la formation professionnelle ; mais il faut franchir la barrière des mots. L’accessibilité ne saurait se résumer au seul aménagement des espaces publics et du bâti.
Le titre III du projet de loi ne peut et ne doit donner lieu à des surenchères pour savoir à qui décerner un brevet de citoyenneté. Chacun, ici, est désireux de promouvoir la citoyenneté ; mais encore faut-il proposer des projets pragmatiques et pérennes, accessibles à tous.
Mes chers collègues, ce projet de loi, avec ses quarante-cinq articles, ne doit pas devenir un ensemble dont l’hétérogénéité compromettrait la pertinence. Les décrets d’application, rappelons-le, sont parfois hasardeux et longs à prendre.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, vous me permettrez de ne pas avoir la même approche que mes prédécesseurs à cette tribune. Si le projet de loi comporte une série de mesures – pas toujours cohérentes entre elles, d’ailleurs – qui méritent d’être commentées les unes après les autres, je prendrai, à l’occasion de cette discussion générale, un peu de recul sur le sujet qui nous préoccupe, à savoir l’égalité et la citoyenneté, et le lien qui les unit ; faute de quoi l’on se bornerait à l’examen de mesures successives sans en saisir le sens général.
Égalité et citoyenneté, voilà deux piliers de notre Révolution de 1789, deux piliers que notre Constitution se charge, encore et toujours, de mettre en oeuvre. C’est notre boussole permanente que de créer les conditions de l’égalité entre les individus, autant que de nous soumettre à l’autorité politique des citoyens. C’est à nous également qu’il revient d’approfondir et d’affermir la citoyenneté véritable, celle qui ne saurait nous distinguer en fonction du sexe, de la couleur de peau ou du statut social, pas plus qu’en vertu de nos convictions et de nos consciences, lesquelles doivent rester libres.
Pourtant, soyons francs, l’égalité proclamée il y a plus de deux siècles n’existe toujours pas – elle n’est pas réelle – sauf, peut-être, en ce qui concerne le droit de vote depuis qu’il a été conquis par les femmes : je dis bien « conquis » et non « accordé », comme on l’affirme encore trop souvent, en révélant ainsi que les inégalités entre les supposés « décideurs » et les prétendus « subordonnés » restent solidement ancrées dans les représentations mentales.
Cette égalité peut exister en droit – et encore, trop de lois et de dispositions légales font exception au principe. Mais elle n’offrira jamais les mêmes chances, tant que n’existera pas l’égalité des conditions.
Aux commandes du pays depuis 2012, votre feuille de route était d’ailleurs claire : réduire les inégalités économiques – avant de les abolir un jour – et mettre fin aux discriminations entre Français.
Nous sommes à moins d’un an de la prochaine élection présidentielle et, après n’avoir rien fait qui ait vraiment réduit les inégalités concrètes dans la vie réelle, voilà que vous nous soumettez un projet loi dont, à vrai dire – comme je l’ai souligné tout à l’heure –, personne ne comprend vraiment le sens général, même si quelques mesures méritent qu’on s’y arrête.
Bien sûr, vous avez rappelé quelques mesures utiles, mais si j’affirme ici que vous n’avez pas été à la hauteur, et que ce projet de loi est lui-même très minimaliste, ce n’est pas par esprit de polémique mais bien parce que l’insolence des revenus de quelques-uns insulte encore chaque jour les humbles, et plus que tout les femmes.
C’est aussi parce que la relégation de nos compatriotes dans nos quartiers et campagnes populaires au rang de citoyens de seconde zone reste un fait têtu et détestable.
C’est enfin parce que les Français d’origine étrangère sont encore considérés par une partie de notre pays – élite incluse – comme d’origine étrangère, avant d’être considérés comme des Français à part entière.
D’ailleurs, le débat public est désormais pourri par l’obsession de l’identité nationale, brandie comme une pureté abstraite. Ce concept, qui était autrefois le talisman de l’extrême droite, les apprentis sorciers de droite l’ont cultivé ces quinze dernières années et l’exécutif actuel l’a relayé avec son projet, heureusement empêché, de déchéance de nationalité.
Quand on fait de l’identité la clé de voûte de son programme politique, l’histoire a montré que ça finit toujours très mal. J’entends d’ailleurs déjà ceux qui sont passés à la deuxième étape, à Béziers ou ailleurs : ils parlent désormais de guerre civile.
Permettez-moi de dire que nous sommes nombreux à militer pour des idées plus nobles. Écoutez cette réflexion d’Amin Maalouf : « Chacun d’entre nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême, et en instrument d’exclusion, parfois en instrument de guerre ».
Aux irresponsables qui veulent figer la France, nous répondons que le défi de notre pays n’est pas son identité nationale mais son projet national, celui des causes communes qui nous rassemblent.
Nous prônons l’égalité partout et c’est de ne pas la faire qui conduit les gouvernements et les politiques publiques à la faillite de nos ambitions républicaines : l’égalité entre les individus – noirs, blancs ou maghrébins – tous Français à égalité ; l’égalité économique, pour que les salariés soient, à part égale, propriétaires de leur entreprise ; l’égalité fiscale enfin, celle au nom de laquelle nous avons aboli la monarchie et qui reste, encore aujourd’hui, marquée par de nombreuses injustices.
Sur ces trois points, que de temps perdu et de rancoeurs accumulées ! Et quand les bonnes volontés formulent des propositions, comme celles que j’ai faites sur la journée de défense, sur la francophonie sur le droit d’interpellation ou encore sur la création d’un fonds de dotation pour la démocratie d’initiative citoyenne, on s’entend rétorquer, au nom de l’article 40 de la Constitution, que ces belles initiatives ne peuvent pas voir le jour parce qu’elles ont un coût. Et voilà comment la souveraineté politique se laisse corseter et finit par démissionner, nourrissant ainsi le grand désarroi des citoyens !
Pour éviter à mon tour d’énumérer des mesures fourre-tout, je reviens, pour conclure, sur une question majeure : les outils de lutte contre les discriminations, au premier rang desquels la délivrance systématique d’un récépissé lors des contrôles d’identité. Ces derniers visent aujourd’hui majoritairement – de façon quotidienne et répétée – les Français de peau noire ou basanée. Cette mesure existe ailleurs, et elle marche : elle rencontre même, à Madrid ou à Londres, l’assentiment des policiers.
En France, notre République risque la fragmentation et ceux qui invoquent le danger communautariste sont les mêmes qui exacerbent les guerres d’identité. Poursuivons notre réflexion, toujours avec Amin Maalouf : « Ce sont ces blessures qui déterminent, à chaque étape de la vie, l’attitude des hommes à l’égard de leurs appartenances, et la hiérarchie entre celles-ci. Lorsqu’on a été brimé à cause de sa religion, lorsqu’on a été humilié ou raillé à cause de sa peau, ou de son accent, ou de ses habits rapiécés, on ne l’oubliera pas. »
Puisque vous voulez empêcher que certains Français ne basculent dans le radicalisme, n’oubliez pas qu’une de ses sources principales réside dans l’accumulation des humiliations.
M. Chassaigne applaudit.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames les rapporteures thématiques, mes chers collègues, je souhaite vous faire part de l’émotion particulière qui est la mienne d’être ce soir à cette tribune. Nous examinons en effet un grand texte.
Je saisis l’occasion pour adresser mes plus sincères remerciements à notre rapporteur général, cher Razzy Hammadi, aux rapporteurs thématiques, Valérie Corre, Marie-Anne Chapdelaine et Philippe Bies, ainsi qu’à l’ensemble de mes collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain. Ils ont en effet permis l’adoption unanime, par notre commission, d’amendements que j’ose qualifier d’historiques.
Oui, par notre travail ainsi que par l’engagement du Gouvernement, nous avons collectivement construit une loi d’émancipation pour tous les Français, une loi de progrès social visant à lutter contre toutes les fractures sociales et sociétales, une loi qui replace la lutte contre toutes les formes de discrimination au coeur de notre action.
Comme le disait Arnold Toynbee, l’histoire est tragique, et souvent cruelle. Les mémoires, longtemps honteuses de part et d’autre de nos océans, restent douloureuses.
Nous, Français des outre-mer, avons fait le choix de la République, le choix d’adhérer à ce que d’aucuns, hier, appelaient le rêve français et que je continue, pour ma part, d’appeler la promesse républicaine.
Malgré le malaise identitaire et les blessures de l’Histoire – que sans cesse nous tenterons d’apaiser, sans jamais pour autant les guérir totalement –, notre attachement à la République est le ferment qui nous unit dans une même communauté de sentiments et de destins.
Avec ce grand texte, la lutte contre toutes les formes de discrimination se traduit en actes, la citoyenneté se revivifie, les stigmates de l’esclavage s’estompent, l’occultation prend fin, et en définitive la République progresse tandis que les consciences s’apaisent.
La France a été le premier pays à reconnaître, avec la loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira, l’esclavage comme crime contre l’humanité. Cette loi a constitué une avancée considérable, portée depuis plusieurs décennies par de nombreuses associations ainsi que par de nombreux élus, tant locaux que nationaux, de tous bords politiques.
Pourtant, si le législateur a choisi de qualifier la traite négrière et l’esclavage de crime contre l’humanité, les conséquences qui en sont tirées par nos juridictions ne sont que quasi-hypothétiques, pour ne pas dire quasi-nulles.
Comme un affront à la mémoire de nos aïeux et à l’honneur de leurs descendants, l’infamie et le mépris révisionniste, mus par l’idéologie raciste, continuent, aujourd’hui encore, de nourrir le courant négationniste, sans pour autant être condamnés pénalement.
Quinze ans après la loi Taubira, il est donc tout à l’honneur de cette assemblée, à l’honneur de la gauche et de tous les progressistes, de faire aboutir un combat historique afin que ce texte puisse être invoqué en droit et ait, enfin, force normative.
En consacrant le délit d’apologie de crimes contre l’humanité, dont l’esclavage, de génocide et de crimes de guerre, nous offrons de nouveaux droits à ceux qui pourraient être heurtés dans leur identité, ou victimes d’atteinte à leur honneur ou à la mémoire de leurs ancêtres.
Faire l’histoire au présent n’est pas dire l’histoire : évitons de dire la vérité par détermination, selon le terme employé par les juristes. Faire l’histoire, c’est reconnaître les parts respectives d’ombre et de lumière autant que les errements et les blessures. C’est également donner tous les moyens à notre justice pour condamner ceux qui souhaitent nous diviser, nous fragmenter et nous blesser en portant atteinte à nos principes humanistes.
C’est aussi reconnaître et renforcer les associations mobilisées sur cette question. Grâce à l’adoption d’un amendement que j’ai proposé, elles n’auront désormais qu’à apporter la preuve que les personnes victimes de discriminations ne s’opposent pas à l’action en justice.
Face à l’occultation et au déni, l’honneur de la République est également d’oeuvrer à la réconciliation des mémoires. Parce que l’histoire fonde nos consciences, il est fondamental que nous débarrassions notre droit de ses dernières scories.
Comment pouvions-nous, en tant que républicains, laisser coexister dans notre ordonnancement juridique un texte reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité et une loi de 1849 indemnisant financièrement les anciens maîtres qui ont profité, durant des siècles, de ce même crime ? Sans sombrer dans la repentance, dans le dolorisme victimaire ou dans la stigmatisation, cette abrogation est une réparation légitime du préjudice subi par les esclaves et leurs descendants.
Comment pouvions-nous, en tant que patrie des droits de l’Homme, laisser vivre dans notre droit une ordonnance par laquelle la France consentît à reconnaître l’indépendance de la jeune République d’Haïti, moyennant le versement de 150 millions de francs-or pour dédommager les anciens colons de Saint-Domingue ? Cette abrogation symbolique de l’ordonnance du 17 avril 1825 s’inscrit dans la droite ligne des propos tenus par le Président de la République lors de l’inauguration du Mémorial ACTe en Guadeloupe le 10 mai 2015. Il est tout à l’honneur de notre pays de s’acquitter de cette dette morale à l’égard d’Haïti et de mettre de la cohérence dans son corpus juridique.
Demain, cette majorité et l’Assemblée nationale continueront – je n’en doute pas – de lutter contre les préjugés et le fléau de l’intolérance. Elles continueront de transmettre aux jeunes générations cette volonté de défendre ces droits imprescriptibles inscrits dans nos textes fondamentaux et au coeur des luttes pour l’abolition de l’esclavage : la résistance à l’oppression, la dignité, la liberté, l’égalité et la fraternité.
Nous saluons ainsi la création prochaine d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage annoncée par le Président de la République. Nous continuerons de militer pour la création d’une chaire universitaire consacrée à l’étude de l’histoire de l’esclavage permettant de dépasser la notion d’oubli en stimulant les recherches mémorielles sur la question. Nous faisons aujourd’hui une belle oeuvre.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mesdames les rapporteures thématiques, mes chers collègues, mon intervention portera principalement sur les dispositions de l’article 14 decies du titre I du texte adopté par la commission. Cet article modifie les dispositions du code de l’éducation relatives aux établissements privés d’enseignement scolaire hors contrat en substituant au régime de déclaration un régime d’autorisation.
Penchons-nous tout d’abord sur les motivations d’une telle mesure qui est – je n’hésite pas à le dire et j’y reviendrai – parfaitement attentatoire à la liberté que ce projet de loi prétend défendre.
La ministre de l’éducation nationale, qui a, j’imagine, inspiré ce dispositif, en donne des justifications à géométrie variable, ce qui jette le soupçon sur ses motivations réelles.
Premier acte : des contrôles dans une vingtaine d’établissements auraient révélé, nous dit la ministre, une pauvreté pédagogique et ce, prend-on bien soin de préciser, dans des établissements de toutes confessions. Surtout pas d’amalgame ! Le motif paraît un peu court rapporté à la mesure ici proposée.
Deuxième acte : devant l’émoi suscité par ce texte qui remet en cause la liberté d’enseignement, principe constitutionnel consacré en 1882 par la loi Jules Ferry, la ministre dénonce le non-respect des valeurs de la République dans certaines écoles.
Par une formulation pudique, monsieur le ministre, vous avez en commission, évoqué « le contexte dur et menaçant que nous connaissons ». Ne tournons pas autour du pot, usons de mots précis : il s’agit des écoles salafistes dont chacun ici – sur tous les bancs – veut qu’elles soient davantage contrôlées, voire interdites.
On lit dans la presse qu’elles seraient au nombre de cinquante, qu’elles scolariseraient cinq mille enfants et qu’elles seraient sous l’obédience de l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF, et des Frères musulmans. J’emploie le conditionnel car on ne nous dit rien de précis sur la réalité de la situation, ce qui pourtant éclairerait la décision des parlementaires. Ce silence est troublant. Par ailleurs, le recours à une ordonnance qui prive objectivement les députés de leur pouvoir dérange.
Mme Vallaud-Belkacem n’en est pas à son coup d’essai puisque la réforme du collège, considérable dans ses effets, a été décidée par simple décret.
Il sera intéressant de l’entendre sur ce sujet si d’aventure elle devenait députée, comme elle en a exprimé le souhait.
Légiférer par ordonnance donne un pouvoir considérable au Gouvernement et réduit ipso facto les droits du Parlement. Il s’agit évidemment d’une prérogative parfaitement constitutionnelle mais qui, s’agissant d’une liberté fondamentale, est profondément choquante. Une loi d’habilitation ne saurait accorder au Gouvernement le pouvoir de légiférer à sa guise sur les principes constitutionnels de liberté d’enseignement et de liberté d’association – rien moins que cela !
Il faut donc, de notre point de vue, conserver le régime déclaratif qui n’est pas un blanc-seing donné à qui voudrait endoctriner à sa guise. Les maires, dans le vade mecum sur la laïcité, vous l’ont dit : ils prônent « un régime de déclaration plus encadré. » Les responsables de l’enseignement catholique ont écrit au Président de la République, considérant « qu’est ici en cause l’une des plus grandes libertés de notre République ». Comment pouvez-vous ignorer de tels avis ?
La question qui se pose est de savoir comment mieux combattre un danger majeur. Mais encore faudrait-il que l’on veuille bien nous en dire les contours précis ! L’objectif de lutter contre la radicalisation fait consensus, et l’efficacité est un devoir. Mais le remède proposé pourrait s’avérer pire que le mal s’il apportait la preuve de notre impuissance à le combattre. Le régime déclaratif permet aujourd’hui d’empêcher la création d’une école : il faut le répéter, car vous laissez entendre qu’en la matière l’absence de règles est totale.
On peut aujourd’hui, en droit, empêcher une école d’ouvrir mais, de toute évidence, les motifs d’un tel refus doivent être revus et actualisés. Je pense en particulier à celui qui attesterait d’un manquement aux valeurs de la République.
De même, le délai d’instruction du dossier doit être allongé, sans, du reste, que l’on passe de facto à un régime d’autorisation comme vous le prétendez.
Croyez-vous qu’il sera plus facile de fermer un établissement déviant après l’avoir autorisé ? J’en doute et ce d’autant que, corollairement, vous renforcez la liberté d’enseignement une fois l’autorisation donnée. La clé, et, sur ce point, nous pouvons tomber d’accord, réside dans le contrôle, régulier et exigeant. Aujourd’hui, il est insuffisant. Quelles garanties avons-nous que, demain, il sera plus efficace ?
La ministre devrait se préoccuper d’abord de la proportion insupportable d’élèves en échec scolaire dans l’école publique avant de fragiliser ceux qui, par une liberté pédagogique que donne précisément le hors contrat, apportent des réponses alternatives. Là aussi, vous voulez contraindre. Je proposerai un amendement qui, s’il était adopté, répondrait, je crois, à nos préoccupations à tous sans renoncer au régime déclaratif.
La réponse que vous proposez, un contrôle a priori, n’est pas adaptée à une situation dont chacun devine les dangers potentiels. Il faut aller plus loin dans le contrôle et la possibilité de fermer rapidement un établissement. Vous proposez un entre-deux liberticide, qui n’offre pas de sérieuses garanties dans la lutte contre la radicalisation. Votre solution peut conduire à priver les parents du droit fondamental, que l’on croyait jusqu’à votre arrivée imprescriptible, d’avoir le choix éducatif pour leurs enfants. Pire encore, elle compromet injustement les efforts de tous ceux qui, au contraire, font oeuvre utile pour restaurer les valeurs de la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si l’objectif du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté est de répondre aux malaises social et démocratique des quartiers populaires et de mettre la République en actes à travers un renforcement de la citoyenneté et de l’égalité, alors il ne doit pas oublier les inégalités subies par la moitié de la population, les femmes.
Comme le rappelait le Haut conseil à l’égalité dans son rapport EGAliTER, les inégalités entre les femmes et les hommes concernent tous les territoires et tous les milieux sociaux mais, lorsqu’elles croisent des fractures territoriales importantes, elles sont de fait renforcées. Ainsi, dans les zones urbaines sensibles, une femme sur quatre est en situation de pauvreté, une femme sur deux n’est pas dans l’emploi.
Nous avons beaucoup fait depuis 2012 pour que, au-delà de l’égalité des droits, on atteigne l’égalité réelle. La loi du 4 août y était consacrée. Mais notre droit part de si loin. Nous pouvons encore le changer profondément, et ces changements ont toute leur place dans ce texte.
Alors qu’est-ce qui empêche les femmes d’accéder à une pleine citoyenneté ? D’avoir accès aux mêmes opportunités que les hommes ? Il y a au moins deux formidables freins.
Le premier, c’est la pseudo-neutralité des politiques publiques, qui ne prennent pas en considération les réalités vécues par les femmes. Dans certaines communes, par exemple, on ne donne pas accès à la restauration scolaire aux enfants dont l’un des deux parents ne travaille pas. Mais qui ne travaille pas ? Évidemment les femmes. Qui est toujours plus éloigné de l’emploi par ces choix de politiques publiques ? Principalement les femmes. C’est pourquoi nous avons proposé que, lorsqu’un service de restauration est ouvert, tous les enfants doivent y avoir accès. C’est une mesure de justice. C’est aussi un véritable outil pour lever ce frein à l’emploi qui concerne essentiellement des femmes.
Ainsi, pour mieux prendre en compte les réalités, il fallait reconnaître l’égalité femmes-hommes comme un enjeu de politique publique.
C’est ce que nous avons fait en commission en inscrivant le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans la loi. Il fallait donner un statut législatif à cette instance, créée par décret, pour assurer sa pérennité et son indépendance.
Nous avons également prévu que l’égalité entre les femmes et les hommes ferait partie des compétences partagées de toutes les collectivités territoriales.
Il nous reste à prendre d’autres mesures, imposer par exemple, comme nous l’avons fait pour la jeunesse, que les contrats de ville proposent systématiquement des actions stratégiques pour l’égalité et l’ajouter aux objectifs de l’ANRU.
Le second frein à la pleine citoyenneté des femmes et à l’égalité, c’est une discrimination flagrante, récurrente, présente partout, qui a des conséquences des plus banales aux plus graves, le sexisme.
Le sexisme, c’est une idéologie qui, considérant qu’un sexe est supérieur à l’autre, entraîne mépris et discriminations. Comme disait Bourdieu, les femmes ont en commun d’être séparées des hommes par un coefficient symbolique négatif. Cependant, le sexisme n’est toujours pas puni par la loi, et les violences faites aux femmes ne diminuent pas, notamment parce que leur traitement juridique ne tient pas compte de leur caractère sexiste. C’est notamment pour cela qu’en commission, nous avons fait du sexisme une circonstance aggravante, au même titre que l’homophobie et le racisme.
On croit encore massivement que les violences faites aux femmes sont le fait de comportements individuels et d’histoires personnelles. Lorsque les cours de justice aggraveront les crimes et délits pour sexisme, on reconnaîtra alors qu’il s’agit d’un enjeu sociétal, que les violences faites aux femmes touchent les femmes parce qu’elles sont femmes.
Je nous invite, chers collègues, à aller plus loin encore et à inscrire une nouvelle infraction au code pénal, l’agissement sexiste. Le sexisme est à l’origine d’actes allant de la discrimination aux diverses formes de harcèlement, voire à l’agression sexuelle. Certains sont visés par notre droit, d’autres y échappent, tout ce qui relève du sexisme ordinaire, toutes ces attitudes, ces propos, comportements qui délégitiment, déstabilisent, infériorisent les femmes.
Lutter contre le sexisme, cela passe évidemment aussi par l’éducation, et nous avons fait le choix de doter l’information à la santé à seize, dix-huit et vingt-trois ans créée par le projet de loi d’un volet relatif à l’éducation à la sexualité, à la contraception et à l’IVG. Si certains devaient encore douter de son impérieuse nécessité, je les renvoie à l’excellent rapport du Haut conseil à l’égalité sur le sujet paru il y a quinze jours.
Pour conclure, je voudrais citer une grande femme qui nous a quittés la semaine dernière. Elle disait : « Le féminisme ne se résume pas à une revendication de justice, parfois rageuse, ni à telle ou telle manifestation scandaleuse, c’est aussi la promesse, ou du moins l’espoir, d’un monde différent et qui pourrait être meilleur. On n’en parle jamais. Comme on ne nous parle jamais de ces femmes qui se sont battues pour nous. Car c’est toujours une lutte de femmes qui a présidé à l’amélioration du sort des femmes. » Elle disait aussi que le sexisme était plus profond et plus endémique encore que le racisme.
Cette femme, c’est évidemment Benoîte Groult. Que sa sagesse et son impertinence guident nos débats.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays a fait de la lutte en faveur de la jeunesse l’une de ses priorités, voire la priorité du quinquennat. Celle-ci s’est traduite de manière concrète, avec le plan Priorité Jeunesse, par de nombreuses mesures telles que les emplois d’avenir, l’encadrement des stages, la revalorisation des bourses étudiantes ou encore la création de la garantie jeunes. Le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté veut aller encore plus loin.
Je souhaiterais évoquer plus particulièrement le dispositif du service civique instauré au mois de mars 2010, qui a le succès que l’on sait. Conformément à l’ambition clairement énoncée par le Président de la République d’instaurer un parcours citoyen généralisé, il est prévu que d’ici à trois ans, la moitié d’une classe d’âge puisse être accueillie en mission de service civique.
Dans le contexte des événements dramatiques qui ont frappé notre pays en janvier et en novembre 2015 et qui réactivent le besoin d’assurer l’adhésion à des valeurs républicaines et nationales de tous les citoyens, je ne peux, nous ne pouvons que nous féliciter haut et fort d’une telle ambition de parfaire encore davantage l’engagement citoyen.
Il faut aussi doter ce projet d’une projection, pour ne pas dire d’une ambition européenne, et je pense qu’après le Brexit, nous devons aussi analyser ces propositions citoyennes d’un point de vue européen.
En le regardant sous un angle comparatif, nous voyons qu’il y a des dispositifs similaires en Allemagne et en Italie, pays avec lesquels nous avons des alliances particulières. Nous avons notamment des échanges avec l’Allemagne grâce à l’OFAJ, l’Office franco-allemand pour la jeunesse. De tels dispositifs ont également été votés récemment en Italie. Le 18 mai, le service civique italien est devenu un service universel. Hasard du calendrier, le 18 mai aussi, au Royaume-Uni, le Parlement s’est engagé pour donner davantage d’ampleur au service civique.
Allemagne, Italie, Royaume-Uni, France, nous convergeons donc vers les mêmes dispositifs mais il ne faut pas seulement avoir un point de vue comparatif, il faut aussi nous en inspirer pour aller peut-être un peu plus loin dans la construction de valeurs citoyennes pour offrir ce qu’il y a de meilleur.
Il y a eu dans les années 1980, 1990, au moment où l’Europe était en crise d’identité, des dispositifs qui s’adressaient à la jeunesse, tout ce qui concerne les mobilités, notamment en Europe, qui favorisent l’autonomie du jeune et son adhésion à l’idée européenne.
En 1996, a été institué en Europe le service volontaire européen – SVE – qui a vingt ans cette année. Même s’il reste encore confidentiel, c’est un dispositif profondément démocratique puisque les jeunes n’ont besoin d’avoir ni diplôme, ni compétences linguistiques particulières, avec la volonté de s’adresser à ce qu’on appelle les JAMO, les jeunes ayant moins d’opportunités, auxquels il faut offrir celles d’une mobilité européenne.
Je vous fais remarquer que Erasmus comme le SVE ont majoritairement l’adhésion des jeunes filles et des jeunes femmes, qui participent à ces mobilités.
Il y a donc intérêt à développer ces dispositifs, d’autant plus que nous avons en France l’extension du service civique au service volontaire européen. Les deux sont gérés par la même agence, l’Agence du service civique, qui pourrait multiplier les bonnes pratiques entre les deux dispositifs. Le service volontaire européen est très encadré, avec une préparation avant, un accompagnement pendant, une évaluation après. Le service civique pourrait largement s’en inspirer.
Le projet de loi prévoyant la validation des compétences acquises pendant le service civique et le service volontaire européen, nous pourrions profiter de l’occasion pour aller un peu plus loin et, notamment, relancer la mise en oeuvre de la recommandation de 2012, qui demande à tous les pays de l’Union européenne de mettre en place un dispositif de validation de l’apprentissage informel et non formel.
Il y a donc largement matière à organiser des échanges, à créer une porosité entre la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté et tout ce qui concerne les mobilités, l’engagement citoyen au niveau européen. Nous aurions là l’occasion, en cette période de crise européenne, d’être un véritable modèle européen pour les valeurs de citoyenneté et d’engagement.
Madame la présidente, madame, monsieur les ministres, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur général, mesdames les rapporteures thématiques, mes chers collègues, les orateurs de mon groupe ont eu l’occasion d’intervenir sur les différents aspects de ce projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté soumis à notre examen. Mon intervention portera sur le volet logement de ce texte.
À ce sujet, je voudrais retenir une phrase de l’exposé des motifs : « L’effort de solidarité nationale en matière de logement social doit être cohérent avec ces contextes locaux. »
Effectivement, quinze ans après l’adoption de la loi SRU, il serait temps de tenir compte de la réalité des situations, notamment pour les communes dites carencées.
Comme l’a rappelé Sylvain Berrios, il faut arrêter de prétendre que 0,6 % des communes de France peuvent résoudre à elles seules le problème national du logement.
Il faut aussi arrêter de faire des procès d’intention aux élus locaux. Dans le cadre du collectif des communes carencées et déficitaires, j’ai rencontré des maires qui aiment leurs territoires et veulent le meilleur pour leurs administrés. Ils ne sont pas opposés au logement social. Ils en construisent autant que leur territoire le permet. Leur problème est non pas la volonté de faire mais bien la capacité matérielle d’y parvenir.
Ces maires rencontrent des difficultés concrètes. Ils connaissent des densités urbaines records ou sont soumis à des risques et à des contraintes imposées par l’État dont ils sont obligés de tenir compte.
Pour illustrer cela, je voudrais prendre l’exemple d’une commune que je connais bien : la ville du Cannet, dont je suis maire. Ce n’est pas une commune riche : le taux de pauvreté est supérieur à la moyenne nationale. Nous accueillons donc une population qui a de faibles revenus, dans un parc privé sur lequel nous agissons par des opérations d’amélioration de l’habitat. La ville du Cannet a un territoire urbanisé à plus de 90 % du fait du bétonnage qui a eu lieu dans les années soixante-dix et quatre-vingts. Depuis 1995, fait unique sur la Côte d’Azur, la population est stable. Nous avons la plus forte densité de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avec 5 600 habitants au kilomètre carré.
Nous avons aussi subi en octobre dernier des inondations terribles. Il serait donc dangereux de poursuivre l’imperméabilisation des sols. Pour toutes ces raisons, peu de logements sont construits sur le territoire communal. Pour autant, nous respectons l’objectif en termes de flux : 39 % des logements réalisés sont des logements sociaux. Malgré cela, nous sommes soumis à une des pénalités les plus élevées de France, ce qui est particulièrement injuste pour nos administrés, qui paient pour une situation dont ils ont hérité.
Les différents témoignages des communes carencées et déficitaires montrent qu’il faut désormais changer de logique. Aggraver sans cesse les pénalités pour des villes qui ne peuvent plus construire ne changera rien à la situation. Le développement foncier se heurte à des réalités dont on ne peut s’exonérer. Quand il existe un risque, c’est le devoir de tout élu de veiller à la sécurité de ses concitoyens. Dès lors, c’est une erreur de continuer à définir les quotas SRU par rapport à l’existant.
Il faut oublier le stock, qui est l’oeuvre d’un passé dont les élus locaux actuels ne sont pas responsables, et aller vers une logique de flux, définir des exigences qui porteraient sur les réalisations à venir et non plus sur ce qui a déjà été construit, très souvent bien avant le vote de la loi SRU. Ce serait une mesure de justice et d’équité, pour des communes injustement pénalisées. Plusieurs amendements seront défendus en ce sens.
Madame, monsieur les ministres, madame la secrétaire d’État, nous espérons qu’à l’occasion de ce débat, vous accepterez de nous entendre les défendre, à la différence de ce qui s’est passé en commission spéciale. Vous mettriez ainsi en application les grands principes énoncés dans l’exposé des motifs en tenant enfin compte des contextes locaux trop longtemps ignorés. Loin de porter atteinte à la loi SRU, cela en renforcerait l’efficacité en engageant les communes concernées sur des objectifs qu’elles pourraient enfin tenir.
Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, mesdames les rapporteures thématiques, chers collègues, le projet de loi dont nous discutons vient de loin : il est le fruit de nombreux travaux sur l’égalité, la lutte contre les discriminations, l’engagement associatif ou encore la mixité sociale dans le secteur du logement. Le travail qui a été mené au sein du Gouvernement puis en commission spéciale dans notre assemblée a témoigné de la très grande richesse des contributions apportées et de la créativité dont nous autres députés savons faire preuve en pareilles circonstances.
Depuis les attentats de 2015, il y a dans notre pays deux aspirations à bien des égards contradictoires, et que l’on peut considérer comme deux réponses aux drames qui nous ont frappés. Ces deux aspirations, ces deux réponses cohabitent en un même pays, la France : d’une part, une manifestation de solidarité, de fraternité, qui s’est exprimée très puissamment le 11 janvier 2015 comme réponse positive à ces événements et au sujet de laquelle on a pu parler d’« esprit du 11 janvier », une expression moins usitée ces derniers temps, et, d’autre part, il faut le reconnaître, la tentation du repli et de la crispation identitaire, religieuse, la religion étant utilisée comme vecteur identitaire.
Ce dernier phénomène n’est d’ailleurs pas observé seulement en France : il touche l’Europe, et sans doute la plupart des pays du monde. Il faut toutefois avoir la lucidité de reconnaître qu’il prend de l’ampleur en France et se manifeste notamment au moment des élections par le vote pour le parti d’extrême droite, le Front national, qui atteint des niveaux inégalés jusqu’alors. Il se manifeste aussi par la recrudescence d’actes de racisme, d’antisémitisme, d’actes anti-musulmans, d’actes homophobes. En outre, le sexisme et la discrimination contre les femmes n’ont pas disparu, et on observe même une régression en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. C’est particulièrement vrai dans certains quartiers de nos villes.
Face à cela, nous nous devons de réaffirmer nos valeurs, non seulement la liberté, l’égalité et la fraternité, bien sûr, les trois piliers de notre République, mais aussi la laïcité. Nous avons sans doute considéré que celle-ci était devenue une évidence, plus de cent ans après son instauration, en 1905, qui fut conflictuelle. Or, ce n’est pas le cas, et ce principe doit être défendu. Ce qui est en jeu, et cela a été dit à plusieurs reprises après les attentats, c’est notre mode de vie libre, ouvert et tolérant. Nous ne devons pas nous contenter de le réaffirmer, il faut réellement le défendre, le mettre en oeuvre concrètement chaque fois que nous en avons la possibilité. C’est la mission que doit se fixer notre majorité, la gauche, avec toutes ses sensibilités. Sa tradition a toujours été celle-là, mais peut-être avons-nous cru que certaines valeurs étaient si évidentes et partagées qu’il n’était plus nécessaire de les affirmer ; cela vaut non seulement pour la laïcité, mais aussi pour l’ensemble de nos valeurs.
À cette fin, il faut favoriser l’engagement associatif partout. Si le constat est partagé, il faut également que nous soyons d’accord sur la nécessité de mettre en oeuvre des mesures concrètes de soutien au monde associatif, car cet engagement rend possible l’échange entre les citoyens, notamment les échanges interculturels, qui permettent de mieux se comprendre et de mieux se connaître, et la défense concrète de telles valeurs. Ainsi que beaucoup d’études sociologiques, notamment de sociologie électorale le montrent, c’est aussi un bon antidote au repli et à l’isolement. Là où le tissu associatif recule, là où l’engagement associatif est faible, le populisme gagne du terrain ; au contraire, là où les associations sont bien implantées, il y a une certaine résistance au populisme.
Par ailleurs, il convient de favoriser la mixité sociale ; et il ne suffit pas de dire que l’on est d’accord, il faut le faire. Des mesures concrètes peuvent être appliquées en matière de logement, et le temps me manque pour les mentionner toutes. Elles concernent la publication des critères d’attribution, pour éviter le sentiment d’injustice, parfois injustifié, ainsi que la souplesse dans la fixation des loyers ou l’allocation choisie.
J’aimerais pour terminer adresser quelques mots à la ministre du logement, si vous me le permettez, madame la présidente, car je sais qu’elle a une approche concrète et pragmatique. Madame la ministre, vous l’avez évoqué dans votre intervention tout à l’heure, nous devons trouver un compromis entre l’aspiration d’un certain nombre d’élus locaux à un accroissement de leurs pouvoirs et la volonté de permettre aux personnes les plus en difficulté de se loger tout en évitant que des ghettos se constituent, car c’est ce à quoi peut conduire une application trop mécanique des critères. Nous attendons donc beaucoup de ce texte et de la discussion parlementaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, sachez que Mme la ministre, Mme la secrétaire d’État et moi-même répondrons aux orateurs de façon partagée, selon les compétences relatives à nos titres respectifs. Quinze députés se sont en effet exprimés au cours de cette discussion, et je les en remercie chaleureusement.
M. Carpentier a évoqué à juste titre le drame insoutenable du chômage dans les quartiers prioritaires, notamment celui des jeunes. La politique de la ville, qui a été lancée voilà trente ans, est une politique compliquée. Elle vise à rétablir l’égalité des chances. Je tiens d’ailleurs à souligner que la loi qui a été adoptée par cette assemblée en février 2014 permet de resserrer les critères et de donner plus de puissance à l’action publique dans ces quartiers, et je m’en félicite. Nous savons néanmoins que ce travail ne porte ses fruits que sur la longue durée, et que le temps de l’action publique n’est malheureusement pas toujours le temps des habitants.
En tous les cas, M. Carpentier a raison de souligner que des mesures de discrimination positive sont nécessaires pour les quartiers, en particulier celles qui sont relatives aux contrats aidés. C’est la raison pour laquelle nous fléchons ces contrats, de façon que plus de moyens soient attribués aux jeunes de ces quartiers. Il est important de souligner que le taux de chômage de la jeunesse dans ces quartiers est insupportable, et ce fait ne remonte pas au début de notre quinquennat ou des précédents. C’est une réalité structurelle contre laquelle nous devons nous battre.
Monsieur Chassaigne, sommes-nous au milieu du gué ? Il faut alors savoir nager
Sourires
Si nous y sommes, en tous les cas, c’est parce que nous avançons ; du moins, c’est ainsi que je préfère voir les choses, et je salue le caractère constructif de votre intervention.
Nous avançons, disais-je, notamment grâce aux mesures qui ont été prises le 11 avril avec les organisations de la jeunesse : la création d’une allocation de recherche de premier emploi dès la rentrée 2016 pour les diplômés boursiers – cette mesure sera inscrite dans un projet de loi qui fait débat, mais elle mérite toute votre attention –, la généralisation de la garantie jeunes, une mesure très positive, l’amélioration du statut des apprentis, la possibilité pour tous les jeunes de moins de 30 ans de bénéficier d’une complémentaire santé. Toutes ces mesures vont dans le bon sens et nous rapprochent de l’autre côté de la berge, pour continuer de filer votre métaphore, monsieur Chassaigne.
Vous avez raison au sujet du service civique, monsieur le député : il ne doit pas être un substitut à l’emploi, et il faut absolument renforcer la distinction entre les deux. Des amendements seront d’ailleurs pris en considération sur ce sujet au cours de la suite de notre débat, ce soir, demain ou après-demain selon l’avancée de nos travaux. Je pense qu’ils iront dans votre sens, et je m’en félicite.
M. Yves Blein a eu raison de rappeler le rétablissement des crédits de l’éducation nationale, mesure essentielle, et le fait que le service civique ne peut s’envisager aujourd’hui que si l’offre de missions augmente. Je rappelle aux députés présents ce soir qu’il y a en effet quatre demandes pour une seule offre actuellement, ce qui requiert un effort de développement des propositions, de la part non seulement du secteur associatif, mais aussi et surtout du secteur public, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur Blein.
Vous avez également évoqué le congé d’engagement, qui est une grande avancée pour tous les bénévoles associatifs exerçant des responsabilités dans les associations d’intérêt général. Nous débattrons d’ailleurs de cette dernière notion lorsque nous aborderons les dispositions sur ce sujet.
M. Dive, qui n’est plus dans l’hémicycle, a été profondément caricatural. Il a sans doute la mémoire un peu courte : quand on veut « karchériser » la jeunesse, on devrait faire preuve d’un peu plus d’humilité dans ses propos. Je ne doute pas que ses collègues parlementaires lui relateront les propos qui vont suivre.
J’aimerais en effet dresser la liste de ce qui a été fait pour la jeunesse depuis le début de ce quinquennat : 300 000 emplois d’avenir ont été créés, le statut des apprentis a été amélioré, une prime d’activité a été créée qui concerne aujourd’hui 600 000 jeunes, les bourses étudiantes ont été revalorisées, les étudiants des classes moyennes bénéficient d’une aide nouvelle et les stagiaires d’un nouveau statut, 40 000 logements étudiants ont été construits, nous avons lutté contre le décrochage scolaire, et nous avons oeuvré à la refondation de l’école. Je n’oublie pas non plus le développement du service civique et la garantie jeunes. Je regrette donc que M. Dive ne soit pas présent dans l’hémicycle pour entendre ma réponse.
Monsieur Piron, je vous remercie de votre bienveillance globale. Vous avez noté en particulier que le texte manquait de cohérence ; c’est faux. Ce texte est cohérent par l’ampleur des mesures qu’il contient. Il s’adresse à des publics ciblés et prévoit des actions transversales. Les principes seront rendus applicables par les décrets d’application sur lesquels nous travaillons d’ores et déjà.
La liberté de l’enseignement – autre sujet que vous avez évoqué – n’est aucunement remise en cause. Un constat : la puissance publique ne peut pas se permettre d’être faible quand elle voit se développer des foyers où l’on conteste la République, quand l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas au coeur des projets éducatifs. Nous aurons naturellement ce débat demain, dans cet hémicycle.
Madame Gilda Hobert, vous avez salué les mesures relatives à l’émancipation des jeunes ; elles constituent en effet une avancée dans le domaine de l’égalité et de la citoyenneté. Je vous remercie pour cette intervention.
Mme Julie Sommaruga a salué un texte fondamental de progrès et de justice. Nous devons en effet soutenir l’engagement et le bénévolat. J’attends beaucoup du débat parlementaire, dans le prolongement de la précieuse contribution de la commission spéciale.
Mme Marianne Dubois a évoqué les cadets de la défense, faisant écho au rapport d’information qu’elle avait remis avec M. Pueyo.
Nous aborderons ce sujet à l’occasion du débat sur les amendements. Depuis un an, le Gouvernement a déjà augmenté de 50 % le nombre des places ouvertes dans le cadre des enseignements pratiques interdisciplinaires, EPI, pour les porter à 3 000, ce qui va dans votre sens. L’ouverture de places nouvelles dans les centres existants comme la création de deux nouveaux centres, à Toulouse et à Nîmes, permettra de porter le nombre de jeunes qui bénéficieront de ces services à 6 000. La création du service militaire volontaire, qui s’adresse à des jeunes encore plus en difficulté, fait référence au dispositif qui existe dans les outre-mer : le service militaire adapté, SMA, qui est une véritable réussite, comme peuvent en attester les parlementaires ultramarins ici présents.
Monsieur Pouria Amirshahi, l’égalité est le guide, l’action et l’identité commune. Vous avez fait une très belle intervention, mais elle m’a fait penser aux discours sur le grand soir que j’ai pu entendre dans d’autres circonstances. L’antidote, monsieur le député, c’est la culture de l’engagement, à laquelle ce projet de loi contribue très largement. Quand certains se focalisent sur les singularités, nous revendiquons l’égalité comme une exigence collective, et la République comme l’appartenance commune. Peut-être n’allons-nous pas assez loin selon vous, mais dans quelques semaines, l’action de groupe sera une réalité ; dans le cadre de la discussion sur les amendements, nous aurons également un débat sur le récépissé de contrôle d’identité, et chacun pourra constater les avancées réalisées en cette matière.
Monsieur Victorin Lurel, Mme Ericka Bareigts reviendra sur la promesse républicaine contenue dans vos amendements. Nous devons regarder dans la même direction, et je suis fier, comme vous, que nous puissions reconnaître ces scories dans notre droit, et surtout les annihiler par l’amendement que vous avez déposé.
Madame Annie Genevard, le débat sur le régime d’autorisation plutôt que de déclaration sera long.
La moitié des candidats aux primaires de votre camp veulent légiférer par ordonnances dans les cent premiers jours de leur présidence…
L’ordonnance n’est donc pas un mal absolu ; elle figure dans la Constitution, à l’article 38, et les députés jouent un rôle en amont et en aval du recours aux ordonnances. À la fin de votre intervention, vous avez employé un mot fort, nous accusant quasiment d’être des liberticides…
Pourtant l’éducation a dû supporter votre politique : 80 000 postes supprimés dans l’éducation nationale sous le quinquennat précédent…
C’est là que commencent les difficultés pour nos enfants. Mais le débat aura lieu dans cet hémicycle, et je serai très heureux d’y participer et de vous y opposer des arguments. Naturellement, nous estimons que nous sommes dans la bonne ligne en cette matière...
…en souhaitant passer de la déclaration à l’autorisation. Un État plus fort pour protéger nos enfants : c’est l’objectif de ces amendements.
Mme Maud Olivier a évoqué l’égalité entre les hommes et les femmes dans les contrats de ville. Cette égalité mérite en effet d’être confortée ; Mme Ericka Bareigts reviendra à cette question.
Madame Sandrine Doucet, le service civique pour la moitié d’une classe d’âge représente un objectif ambitieux, et vous avez raison de souligner que la mobilité internationale au travers du service volontaire européen devrait être un droit offert à chacun. Un amendement est prévu en ce sens.
Madame Tabarot, Mme Cosse ne manquera pas de répondre à vos interrogations. Je tiens à vous remercier pour la qualité de l’accueil que vous m’avez réservé quand je suis venu vous rencontrer au Cannet…
…et j’espère que le contrat de mixité sociale avance bien dans votre ville. Il ne manquera pas d’être signé par la ministre chargée du logement.
Monsieur de Rugy, vous avez eu raison de souligner que le développement des discours et des votes populistes représentait un danger pour notre République ; ce projet de loi contient des réponses ciblées, ponctuelles et complémentaires à ce problème. Nous souhaitons comme vous une société républicaine, pleine d’empathie et d’altérité. C’est le fil rouge du projet de loi que nous portons avec les ministres ici présentes.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mesdames et messieurs les députés, merci pour vos interventions qui prolongent le débat passionné que nous avons eu en commission spéciale. Je voudrais avant tout vous remercier pour ce débat qui a eu lieu et pour celui qui va s’ouvrir car à l’occasion de l’examen de ce texte, nous avons voulu définir ensemble ce qu’est une politique du logement au service des habitants et de la mixité sociale. Nos débats ont été empreints de pragmatisme ; écrire la loi en matière de droit au logement et de mixité sociale représente un moment délicat et difficile. Je partage avec vous l’objectif de mener des politiques efficaces et appliquées dans les territoires. Il faut donc doter les élus des moyens de le faire autour d’objectifs partagés. J’ai développé ces objectifs tout à l’heure : construire des logements sociaux là où il en faut, accueillir l’ensemble des populations en fonction de leur revenu, sans qu’aucun territoire ne soit interdit à des habitants parce que leurs revenus n’atteindraient pas un certain niveau, comme c’est le cas aujourd’hui.
Je ne répondrai pas à l’ensemble de vos questions car plusieurs d’entre vous ont déposé des amendements qui appelleront un débat. Certains de ces amendements feront l’objet d’une réponse favorable, d’autres non ; néanmoins, vous avez tous cherché à répondre aux difficultés que nous connaissons actuellement, pour mieux faire appliquer les objectifs de mixité sociale. Je voudrais toutefois répondre à quelques réserves que vous avez exprimées.
Monsieur Chassaigne, je tiens à vous rassurer sur les politiques de loyers. Il ne s’agit pas de dire aux bailleurs sociaux qu’ils peuvent fixer des loyers libres. L’objectif est de répondre à une difficulté : puisque leur financement détermine le niveau des loyers, ceux-ci sont figés par blocs. Dans certaines régions, certains bailleurs ont du mal à proposer des loyers différents à l’échelle d’un quartier. On souhaite leur permettre, à loyer constant – c’est clairement précisé dans la loi –, d’intervertir, à la relocation, un loyer bas et un loyer plus élevé, sans toucher le loyer des locataires en place. C’est très important de le redire afin de ne pas créer de la confusion chez les locataires. Mais il faut éviter la situation actuelle où les financements anciens aboutissent à des blocs de loyers. Certains d’entre vous pourront évidemment revenir sur cette question.
Monsieur Piron, je vous remercie pour vos remarques. Vous voulez qu’on sorte des écueils de l’idéologie ; en matière de logement, en effet, nous devons tous en sortir. C’est ainsi que nous pourrons avancer. Les dispositifs que nous proposons doivent allier pragmatisme et efficacité. Je suis encore en train de prendre des décrets qui correspondent aux lois que vous avez travaillées depuis plusieurs années ; j’espère que ce texte contiendra des dispositions d’application immédiate, qui ne relèveront pas de décrets en Conseil d’État, comme pour certains textes précédents.
M. Pouria Amirshahi a affirmé que rien n’avait été fait pour réduire les inégalités. En tant que ministre du logement, je ne peux pas laisser passer cette phrase, car c’est faux. Je saisis cette occasion pour rappeler les résultats que nous obtenons aujourd’hui grâce au plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale. Lancé en 2013, ce plan fixait des objectifs importants : l’augmentation du RSA de 10 % sur une période de cinq ans ; la construction de logements très sociaux et de logements dits adaptés ; la réduction des nuitées hôtelières ; l’accès aux soins ; des mesures en matière éducative… Les résultats sont là ; en mai dernier, nous en avons rendu compte devant le Comité national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, avec le Premier ministre, Ségolène Neuville et Marisol Touraine. Dans ce domaine, nous devons certainement faire mieux et plus ; mais je ne peux pas laisser dire que nous n’avons rien fait !
Enfin, je voudrais répondre à l’interrogation de Michèle Tabarot quant à l’application de la loi SRU. Vous n’étiez pas là tout à l’heure, quand je répondais à M. Berrios ; vous nous demandez de tenir compte des contextes locaux, mais c’est ce que nous faisons dans la loi ! Nous allons réparer des effets de seuil pour la loi SRU, notamment dans les communes qui se trouvent concernées depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle carte des intercommunalités, alors qu’elles ne présentent pas un taux de pression élevé en matière de logements sociaux. Pour des territoires très détendus, certaines obligations, objectivement, ne font pas sens et nous allons réparer cet effet de seuil. En revanche, vous me parlez de l’héritage des élus ; maire depuis 1995, vous n’héritez pas d’une situation, vous avez plutôt contribué à la créer !
C’est faux, madame la ministre ! Vous n’avez pas bien écouté mon discours.
Votre commune a aujourd’hui 7,20 % de logements sociaux ; elle en avait 6,39 % en 2002. Durant ces dix dernières années, vous avez autorisé 1 273 logements, sans arriver à répondre à vos obligations en matière de logements sociaux. Alors oui, il est étonnant que dans votre région, et en particulier dans votre département, beaucoup de communes n’arrivent pas à respecter les règles fixées dans la loi SRU quand partout ailleurs les choses avancent – même en Île-de-France, même dans les communes les plus récalcitrantes. Il me semble que quinze ans après le début de l’application de la loi, l’État doit mettre les choses au clair : il faut aider toutes les communes qui veulent construire – nous le faisons notamment avec vous dans le cadre d’une négociation sur un contrat de mixité sociale –, mettre à leur disposition le foncier public avec des décotes – c’est ce que nous faisons aujourd’hui dans le département du Rhône –, mais aussi souligner que nous ne céderons pas sur l’application de la loi SRU parce que nous avons besoin de logements sociaux et abordables pour l’ensemble des populations, dans tous les territoires.
Enfin, vous me parlez de l’imperméabilisation des sols, sujet ô combien important, sur lequel je suis très engagée. J’étais dans votre département au moment des inondations et je partage avec vous l’idée que ce qui a été fait par le passé dans ce département pose aujourd’hui des problèmes énormes – en témoigne le nombre de personnes mortes en allant chercher leur véhicule dans des parkings inondés. Comme j’avais dit à cette époque, il vaut mieux avoir planté des arbres que construit des places de parking supplémentaires. Néanmoins, même s’il y a vingt ans, l’État n’a peut-être pas assez contrôlé l’urbanisation dans ces communes – c’est d’ailleurs pourquoi la loi ALUR a défini une nouvelle politique en matière d’urbanisme –, je ne peux pas vous laisser dire que c’est au nom de ce principe que demain, vous ne construirez pas. Dans ce cas, dites-moi pourquoi vous avez autorisé la construction d’autant de logements dans votre commune, avec si peu de logements sociaux parmi ces permis de construire.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Mesdames et messieurs les députés, je voudrais remercier chacun d’entre vous pour la qualité de vos remarques et revenir sur l’idée essentielle du titre III : l’égalité réelle. Celle-ci, monsieur Chassaigne, représente un long parcours et une absolue nécessité, même si nous avons avancé et que nous avançons. C’est une absolue nécessité car le fait que beaucoup – trop ! – de nos concitoyens ne soient pas au contact de l’égalité républicaine crée de la frustration, de la colère et du repli sur soi, défait le lien social et met à mal la République.
J’ai donc été très étonnée que cet aspect des choses ait été vite balayé par MM. Dive et Berrios. En effet, c’est le fondement même, le pourquoi de notre existence commune. M. Piron se plaignait de l’absence de fil conducteur dans ce texte.
Le fil conducteur de ce texte, monsieur Piron, c’est l’égalité réelle – qui n’est pas l’égalité des chances, comme l’écrit Amartya Sen, lorsqu’il use du concept de « capabilité ». Parce que nous sommes tous différents, il faut compenser les non-capabilités des uns et des autres. Parce que nous sommes éloignés, en outre-mer, ou dans un territoire rural, parce que nous avons un handicap, parce que nous sommes des femmes, parce que nous sommes discriminés en raison de la couleur de notre peau, pour toutes ces raisons, nous sommes refoulés à la porte de la République. Des politiques publiques particulières, spécifiques, doivent alors être menées pour ramener dans la République ceux qui en sont loin.
Tel est le fil conducteur de ce projet de loi, qui comprend des mesures spécifiques en faveur de la mixité, de la jeunesse, des victimes – lesquelles auront plus facilement accès à la justice et, grâce à l’action de groupe, pourront porter plainte plus aisément. Tout cela permet de retrouver sa dignité.
La lutte pour les droits des femmes est un long combat, un long chemin à parcourir. Il faut le faire pour l’ensemble de la population maintenant : ce sera un long chemin, également, pour les personnes handicapées, qui ne sont pas reconnues, qui sont au bord de la route. Oui, ce chemin sera long, monsieur Chassaigne, mais nous l’abordons avec détermination, au moyen de ce projet de loi, mais aussi par des politiques publiques. Le Gouvernement a pris soixante-dix mesures, dans le cadre du comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté.
Ce n’est pas tout : le Gouvernement, et plus particulièrement la ministre de l’éducation, ont abordé avec détermination, pertinence, courage et responsabilité le chantier de l’éducation. Nous abordons ainsi le coeur de l’égalité réelle. Toutes ces mesures nous font avancer. Bien sûr, ce n’est pas suffisant, car nous voulons l’égalité républicaine, celle qui est inscrite sur les frontons de nos mairies.
Oui, il y a un fil conducteur. Oui, l’égalité réelle est un long combat. Oui, nous conduisons des politiques publiques, pour aller au-delà des textes d’ordre législatif. Nous aurons à débattre de la manière de lutter contre les discriminations à l’embauche : il y a différentes façons d’aborder cette question, parmi lesquelles le curriculum vitæ anonyme, dont nous parlerons, sans oublier d’autres moyens utilisés par les acteurs sur le terrain.
Pour finir, je suis convaincue que la lutte contre les discriminations passe par le changement de regard, dans l’éducation mais aussi dans la vie. Chacun d’entre nous, j’en suis sûre, nous discriminons au premier regard, à cause de nos préjugés. Il faut nous déprendre de ces préjugés. C’est le rôle de l’éducation – je l’ai déjà dit – ; les dispositions introduites dans ce projet de loi à l’initiative de Victorin Lurel y concourent également, en remettant l’histoire en perspective, sous notre regard, sous notre analyse, pour savoir ce que nous sommes réellement.
Je pense que les médias – nous aurons l’occasion d’en reparler, puisque la rapporteure Marie-Anne Chapdelaine nous a interpellés tout à l’heure sur ce point – sont un véhicule important pour dissiper les préjugés qui encombrent le regard que nous portons les uns sur les autres. C’est cela, l’égalité réelle !
Tous, chacun, qui que nous soyons, nous devons avoir accès réellement à l’éducation, au logement. Monsieur Bies a parlé d’ambition : nous portons une ambition pour chaque citoyenne, chaque citoyen. Pour cela, il nous faut accomplir cette grande tâche : dissiper les préjugés et combattre les discriminations, pour donner à chacun sa place dans la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, écologiste et républicain.
Prochaine séance, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly