Intervention de Victorin Lurel

Séance en hémicycle du 27 juin 2016 à 16h00
Égalité et citoyenneté — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

Je saisis l’occasion pour adresser mes plus sincères remerciements à notre rapporteur général, cher Razzy Hammadi, aux rapporteurs thématiques, Valérie Corre, Marie-Anne Chapdelaine et Philippe Bies, ainsi qu’à l’ensemble de mes collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain. Ils ont en effet permis l’adoption unanime, par notre commission, d’amendements que j’ose qualifier d’historiques.

Oui, par notre travail ainsi que par l’engagement du Gouvernement, nous avons collectivement construit une loi d’émancipation pour tous les Français, une loi de progrès social visant à lutter contre toutes les fractures sociales et sociétales, une loi qui replace la lutte contre toutes les formes de discrimination au coeur de notre action.

Comme le disait Arnold Toynbee, l’histoire est tragique, et souvent cruelle. Les mémoires, longtemps honteuses de part et d’autre de nos océans, restent douloureuses.

Nous, Français des outre-mer, avons fait le choix de la République, le choix d’adhérer à ce que d’aucuns, hier, appelaient le rêve français et que je continue, pour ma part, d’appeler la promesse républicaine.

Malgré le malaise identitaire et les blessures de l’Histoire – que sans cesse nous tenterons d’apaiser, sans jamais pour autant les guérir totalement –, notre attachement à la République est le ferment qui nous unit dans une même communauté de sentiments et de destins.

Avec ce grand texte, la lutte contre toutes les formes de discrimination se traduit en actes, la citoyenneté se revivifie, les stigmates de l’esclavage s’estompent, l’occultation prend fin, et en définitive la République progresse tandis que les consciences s’apaisent.

La France a été le premier pays à reconnaître, avec la loi du 21 mai 2001, dite loi Taubira, l’esclavage comme crime contre l’humanité. Cette loi a constitué une avancée considérable, portée depuis plusieurs décennies par de nombreuses associations ainsi que par de nombreux élus, tant locaux que nationaux, de tous bords politiques.

Pourtant, si le législateur a choisi de qualifier la traite négrière et l’esclavage de crime contre l’humanité, les conséquences qui en sont tirées par nos juridictions ne sont que quasi-hypothétiques, pour ne pas dire quasi-nulles.

Comme un affront à la mémoire de nos aïeux et à l’honneur de leurs descendants, l’infamie et le mépris révisionniste, mus par l’idéologie raciste, continuent, aujourd’hui encore, de nourrir le courant négationniste, sans pour autant être condamnés pénalement.

Quinze ans après la loi Taubira, il est donc tout à l’honneur de cette assemblée, à l’honneur de la gauche et de tous les progressistes, de faire aboutir un combat historique afin que ce texte puisse être invoqué en droit et ait, enfin, force normative.

En consacrant le délit d’apologie de crimes contre l’humanité, dont l’esclavage, de génocide et de crimes de guerre, nous offrons de nouveaux droits à ceux qui pourraient être heurtés dans leur identité, ou victimes d’atteinte à leur honneur ou à la mémoire de leurs ancêtres.

Faire l’histoire au présent n’est pas dire l’histoire : évitons de dire la vérité par détermination, selon le terme employé par les juristes. Faire l’histoire, c’est reconnaître les parts respectives d’ombre et de lumière autant que les errements et les blessures. C’est également donner tous les moyens à notre justice pour condamner ceux qui souhaitent nous diviser, nous fragmenter et nous blesser en portant atteinte à nos principes humanistes.

C’est aussi reconnaître et renforcer les associations mobilisées sur cette question. Grâce à l’adoption d’un amendement que j’ai proposé, elles n’auront désormais qu’à apporter la preuve que les personnes victimes de discriminations ne s’opposent pas à l’action en justice.

Face à l’occultation et au déni, l’honneur de la République est également d’oeuvrer à la réconciliation des mémoires. Parce que l’histoire fonde nos consciences, il est fondamental que nous débarrassions notre droit de ses dernières scories.

Comment pouvions-nous, en tant que républicains, laisser coexister dans notre ordonnancement juridique un texte reconnaissant la traite et l’esclavage comme crimes contre l’humanité et une loi de 1849 indemnisant financièrement les anciens maîtres qui ont profité, durant des siècles, de ce même crime ? Sans sombrer dans la repentance, dans le dolorisme victimaire ou dans la stigmatisation, cette abrogation est une réparation légitime du préjudice subi par les esclaves et leurs descendants.

Comment pouvions-nous, en tant que patrie des droits de l’Homme, laisser vivre dans notre droit une ordonnance par laquelle la France consentît à reconnaître l’indépendance de la jeune République d’Haïti, moyennant le versement de 150 millions de francs-or pour dédommager les anciens colons de Saint-Domingue ? Cette abrogation symbolique de l’ordonnance du 17 avril 1825 s’inscrit dans la droite ligne des propos tenus par le Président de la République lors de l’inauguration du Mémorial ACTe en Guadeloupe le 10 mai 2015. Il est tout à l’honneur de notre pays de s’acquitter de cette dette morale à l’égard d’Haïti et de mettre de la cohérence dans son corpus juridique.

Demain, cette majorité et l’Assemblée nationale continueront – je n’en doute pas – de lutter contre les préjugés et le fléau de l’intolérance. Elles continueront de transmettre aux jeunes générations cette volonté de défendre ces droits imprescriptibles inscrits dans nos textes fondamentaux et au coeur des luttes pour l’abolition de l’esclavage : la résistance à l’oppression, la dignité, la liberté, l’égalité et la fraternité.

Nous saluons ainsi la création prochaine d’une fondation pour la mémoire de l’esclavage annoncée par le Président de la République. Nous continuerons de militer pour la création d’une chaire universitaire consacrée à l’étude de l’histoire de l’esclavage permettant de dépasser la notion d’oubli en stimulant les recherches mémorielles sur la question. Nous faisons aujourd’hui une belle oeuvre.

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