Intervention de Axel Poniatowski

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAxel Poniatowski, président de la mission d'information :

Nous vous présentons ce rapport sur le Liban après plus d'un an de travail, plus d'une trentaine d'auditions à Paris et un déplacement à Beyrouth en septembre dernier. J'ai eu l'honneur de présider cette mission, dont Benoît Hamon est le rapporteur. Jean-Jacques Guillet et Jean-René Marsac ont également été des membres très assidus aux auditions que nous avons menées.

Avec ce rapport, nous souhaitons faire passer un message d'alerte sur la situation du Liban. Nous appelons à continuer à faire de ce pays une priorité stratégique pour la France et à renforcer notre mobilisation pour soutenir concrètement les Libanais. La France est attendue au Liban. Nous devons être au rendez-vous pour aider un pays qui constitue plus que jamais un modèle dans une région de plus en plus détruite par la guerre et minée par les tensions confessionnelles.

Benoît Hamon vous présentera les scénarios d'évolution auxquels nous avons réfléchi et reviendra sur l'action de la France. Je voudrais faire quelques remarques sur la situation du Liban, en commençant par replacer le pays dans son contexte régional.

L'environnement immédiat est évidemment très défavorable pour la stabilité du Liban : les frontières sont remises en cause ; la lutte d'influence entre l'Iran et l'Arabie saoudite s'aggrave ; les tensions entre sunnites et chiites montent en flèche.

Tout d'abord, et c'est une lapalissade, le Moyen-Orient issu de la Première Guerre mondiale ne reverra jamais le jour. Trois zones nouvelles se dessinent, au mépris des frontières internationalement reconnues.

Un « Sunnistan » voit le jour, des faubourgs de Damas et d'Alep à ceux de Bagdad. Une sorte de « Chiistan » émerge aussi, de Banias en Syrie à la région afghane d'Hérat, en traversant le Liban, l'Irak et l'Iran. Enfin, un Kurdistan est en voie de consolidation en Irak depuis longtemps, mais aussi en Syrie. Il est difficile, à ce stade, de savoir si ce Kurdistan peut aller de l'autonomie à l'indépendance et si les entités kurdes peuvent fusionner ou non à terme. Il y a en tout cas sur la carte une réalité kurde nouvelle, dont il va bien falloir tenir compte.

Que devient le Liban dans ce redécoupage de la carte régionale ? Ce pays pourrait être l'exception qui confirme la règle. La partition de la Syrie avance à grands pas de l'autre côté de la frontière, mais on n'observe pas la même tendance au Liban. D'abord, toutes les communautés libanaises sont affaiblies et ont peur. Elles redoutent un redémarrage de la guerre civile qui avait causé tant de morts et de dévastation de 1975 à 1990. Une autre particularité du Liban est qu'aucun groupe n'est majoritaire. Même s'il n'y a pas eu de recensement depuis 1922, on estime qu'il y a environ un tiers de chiites, un tiers de sunnites et un tiers de chrétiens.

Après ce constat de fractionnement, j'en viens à une deuxième grande tendance au plan régional : la lutte d'influence entre l'Iran et l'Arabie saoudite continue à gagner du terrain. Les tensions se sont considérablement aggravées entre ces deux pays et les relations diplomatiques ont même été rompues.

Jusqu'à présent, la confrontation entre Riyad et Téhéran se fait par procuration, en particulier en Syrie et au Yémen. L'Iran et l'Arabie saoudite s'entendent, plus ou moins, pour ne pas étendre au Liban le champ de leur confrontation. Il est vrai, néanmoins, que la scène politique libanaise est structurée selon un clivage entre pro-iraniens et pro-syriens, d'une part, avec le bloc du 8 mars, et pro-saoudiens et pro-occidentaux, d'autre part, à travers le bloc du 14 mars.

La politique régionale de l'Arabie saoudite a changé depuis l'avènement du Roi Salmane. Les Saoudiens sont très préoccupés par l'influence croissante de l'Iran. Je rappelle ce qu'a déclaré le Dr Velayati, le conseiller diplomatique du Guide suprême : l'Iran contrôle désormais quatre capitales arabes, Bagdad, Damas, Sanaa et Beyrouth. Pour les Saoudiens aussi, le Liban est aujourd'hui sous l'emprise du Hezbollah et de l'Iran.

Dans ces conditions, les Saoudiens ont officiellement interrompu le contrat tripartite DONAS avec la France et le Liban. Il s'agissait de fournir à l'armée libanaise des équipements français et des formations, pour un total de 3 milliards de dollars. Une seule livraison de matériels a eu lieu, à savoir 48 missiles anti-char et les postes de tir associés.

Les Saoudiens ont pris d'autres mesures. Ils ont en particulier interdit à leurs ressortissants de se rendre au Liban et demandé à ceux qui s'y trouvent de quitter le pays. Ils poussent aussi leur principal relais au Liban, Saad Hariri, à adopter une position plus dure à l'égard du Hezbollah. Cette attitude saoudienne a alimenté un début de psychose au Liban ces derniers mois. Que se passerait-il, en effet, si l'Arabie saoudite et les autres pays du Golfe expulsaient le demi-million de Libanais qui résident dans le Golfe ? Cette diaspora est à l'origine de remises de fonds massives qui soutiennent l'économie libanaise, en particulier son secteur bancaire.

Dans ce contexte régional de guerres et de tensions, le Liban pourrait presque faire figure d'îlot de stabilité. Mais c'est une impression trompeuse. Sous une apparence de statu quo, la situation s'effrite progressivement et les difficultés se multiplient sur tous les fronts à l'intérieur du pays.

Sur le plan institutionnel et politique, le blocage est presque complet. Le Liban n'a plus d'institutions en état de fonctionner vraiment.

D'abord, le pays n'a plus de chef de l'Etat depuis maintenant plus de deux ans. Le Hezbollah, les Aounistes et d'autres composantes du 8 mars boycottent l'élection, qui ne peut donc pas se tenir. Elle ne se réglera pas au terme d'une compétition électorale entre plusieurs candidats, mais à l'issue d'un accord préalable sur un nom. Cet accord n'existe pas aujourd'hui. L'Iran et le Hezbollah soutiennent le général Aoun, mais celui-ci fait l'objet d'un véto saoudien.

Ensuite, le Parlement est paralysé. Tant qu'un Président n'est pas élu, la Chambre des députés considère qu'elle ne peut pas légiférer. Il y aura demain une 41e convocation pour élire un nouveau Président de la République, mais le quorum des deux tiers ne sera probablement pas réuni.

Le Gouvernement est lui aussi très largement bloqué. En l'absence de Président, les décisions du Conseil des ministres doivent se prendre à l'unanimité.

Sur le plan sécuritaire, le Liban est confronté à des menaces multiples, malgré une relative accalmie depuis l'année dernière.

La ville d'Ersal avait été prise temporairement par les djihadistes en 2014, puis libérée. La situation paraît relativement sous contrôle, malgré la présence de groupes combattants sur le territoire libanais, près de la frontière syrienne. Les campagnes d'attentats se sont également calmées, même si un nouvel attentat a été commis en novembre dernier dans la banlieue Sud de Beyrouth.

Le front syrien et celui du terrorisme ne sont pas les seules sources de préoccupations graves sur le plan sécuritaire. Les tensions restent très vives entre le Hezbollah et Israël. Malgré une rhétorique très chaude, le Hezbollah n'a probablement pas intérêt à ouvrir un nouveau front avec Israël, car il est trop occupé en Syrie. Les Israéliens démentent toute velléité d'intervention, mais la montée en puissance militaire du Hezbollah les préoccupe, bien sûr.

L'accueil massif et prolongé de réfugiés syriens est un autre défi majeur pour le Liban. Il y aurait près de 1,5 million de réfugiés syriens sur le territoire libanais, ce qui représente un accroissement de 30 % de la population. Le sentiment général est celui d'une saturation du pays. Les autorités libanaises ont d'ailleurs adopté des mesures plus restrictives. Les Syriens, y compris les réfugiés, doivent désormais demander un visa.

La situation humanitaire se dégrade, tandis que la charge sur les services publics de base et les infrastructures du Liban ne fait qu'augmenter. La question du « retour » des Syriens est ainsi devenue un thème dominant. Dans une large mesure, la situation actuelle est regardée à la lumière de l'expérience palestinienne, qui a laissé un traumatisme fort dans le pays. Les réfugiés syriens étant majoritairement sunnites, beaucoup craignent un bouleversement des équilibres confessionnels. En attendant, il faut parvenir à les prendre en charge, notamment sur le plan de l'éducation. C'est évidemment très difficile, malgré la solidarité remarquable que nous avons pu constater de la part des Libanais.

Le conflit syrien s'accompagne aussi de répercussions économiques majeures au Liban. Le taux de croissance a fini par plonger de 9 % à presque 0 %. Dans le même temps, le déficit budgétaire augmente et la dette repart à la hausse. On devrait être aux environs de 140 % du PIB cette année.

La pauvreté et le chômage augmentent aussi, alors qu'ils étaient déjà très élevés. Par ailleurs, les infrastructures et les services publics continuent à se dégrader. Les problèmes sont notamment majeurs en ce qui concerne l'électricité – il n'y a que 3 ou 4 heures de courant par jour dans certaines parties du pays. Les problèmes sont également très aigus en ce qui concerne l'eau et la gestion des déchets.

Enfin, les Libanais continuent à émigrer massivement, en particulier les jeunes diplômés. La diaspora est certes à l'origine de transferts de fonds essentiels pour le Liban, mais la fuite des cerveaux est bien réelle.

Voilà les observations dont je voulais vous faire part sur l'état du pays, en préambule.

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