Commission des affaires étrangères

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Présentation, ouverte à la presse, du rapport de la mission d'information sur le Liban

La séance est ouverte à neuf heures trente.

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Nous examinons le rapport de la mission d'information sur le Liban, dont Benoît Hamon est le rapporteur et Axel Poniatowski le président.

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Nous vous présentons ce rapport sur le Liban après plus d'un an de travail, plus d'une trentaine d'auditions à Paris et un déplacement à Beyrouth en septembre dernier. J'ai eu l'honneur de présider cette mission, dont Benoît Hamon est le rapporteur. Jean-Jacques Guillet et Jean-René Marsac ont également été des membres très assidus aux auditions que nous avons menées.

Avec ce rapport, nous souhaitons faire passer un message d'alerte sur la situation du Liban. Nous appelons à continuer à faire de ce pays une priorité stratégique pour la France et à renforcer notre mobilisation pour soutenir concrètement les Libanais. La France est attendue au Liban. Nous devons être au rendez-vous pour aider un pays qui constitue plus que jamais un modèle dans une région de plus en plus détruite par la guerre et minée par les tensions confessionnelles.

Benoît Hamon vous présentera les scénarios d'évolution auxquels nous avons réfléchi et reviendra sur l'action de la France. Je voudrais faire quelques remarques sur la situation du Liban, en commençant par replacer le pays dans son contexte régional.

L'environnement immédiat est évidemment très défavorable pour la stabilité du Liban : les frontières sont remises en cause ; la lutte d'influence entre l'Iran et l'Arabie saoudite s'aggrave ; les tensions entre sunnites et chiites montent en flèche.

Tout d'abord, et c'est une lapalissade, le Moyen-Orient issu de la Première Guerre mondiale ne reverra jamais le jour. Trois zones nouvelles se dessinent, au mépris des frontières internationalement reconnues.

Un « Sunnistan » voit le jour, des faubourgs de Damas et d'Alep à ceux de Bagdad. Une sorte de « Chiistan » émerge aussi, de Banias en Syrie à la région afghane d'Hérat, en traversant le Liban, l'Irak et l'Iran. Enfin, un Kurdistan est en voie de consolidation en Irak depuis longtemps, mais aussi en Syrie. Il est difficile, à ce stade, de savoir si ce Kurdistan peut aller de l'autonomie à l'indépendance et si les entités kurdes peuvent fusionner ou non à terme. Il y a en tout cas sur la carte une réalité kurde nouvelle, dont il va bien falloir tenir compte.

Que devient le Liban dans ce redécoupage de la carte régionale ? Ce pays pourrait être l'exception qui confirme la règle. La partition de la Syrie avance à grands pas de l'autre côté de la frontière, mais on n'observe pas la même tendance au Liban. D'abord, toutes les communautés libanaises sont affaiblies et ont peur. Elles redoutent un redémarrage de la guerre civile qui avait causé tant de morts et de dévastation de 1975 à 1990. Une autre particularité du Liban est qu'aucun groupe n'est majoritaire. Même s'il n'y a pas eu de recensement depuis 1922, on estime qu'il y a environ un tiers de chiites, un tiers de sunnites et un tiers de chrétiens.

Après ce constat de fractionnement, j'en viens à une deuxième grande tendance au plan régional : la lutte d'influence entre l'Iran et l'Arabie saoudite continue à gagner du terrain. Les tensions se sont considérablement aggravées entre ces deux pays et les relations diplomatiques ont même été rompues.

Jusqu'à présent, la confrontation entre Riyad et Téhéran se fait par procuration, en particulier en Syrie et au Yémen. L'Iran et l'Arabie saoudite s'entendent, plus ou moins, pour ne pas étendre au Liban le champ de leur confrontation. Il est vrai, néanmoins, que la scène politique libanaise est structurée selon un clivage entre pro-iraniens et pro-syriens, d'une part, avec le bloc du 8 mars, et pro-saoudiens et pro-occidentaux, d'autre part, à travers le bloc du 14 mars.

La politique régionale de l'Arabie saoudite a changé depuis l'avènement du Roi Salmane. Les Saoudiens sont très préoccupés par l'influence croissante de l'Iran. Je rappelle ce qu'a déclaré le Dr Velayati, le conseiller diplomatique du Guide suprême : l'Iran contrôle désormais quatre capitales arabes, Bagdad, Damas, Sanaa et Beyrouth. Pour les Saoudiens aussi, le Liban est aujourd'hui sous l'emprise du Hezbollah et de l'Iran.

Dans ces conditions, les Saoudiens ont officiellement interrompu le contrat tripartite DONAS avec la France et le Liban. Il s'agissait de fournir à l'armée libanaise des équipements français et des formations, pour un total de 3 milliards de dollars. Une seule livraison de matériels a eu lieu, à savoir 48 missiles anti-char et les postes de tir associés.

Les Saoudiens ont pris d'autres mesures. Ils ont en particulier interdit à leurs ressortissants de se rendre au Liban et demandé à ceux qui s'y trouvent de quitter le pays. Ils poussent aussi leur principal relais au Liban, Saad Hariri, à adopter une position plus dure à l'égard du Hezbollah. Cette attitude saoudienne a alimenté un début de psychose au Liban ces derniers mois. Que se passerait-il, en effet, si l'Arabie saoudite et les autres pays du Golfe expulsaient le demi-million de Libanais qui résident dans le Golfe ? Cette diaspora est à l'origine de remises de fonds massives qui soutiennent l'économie libanaise, en particulier son secteur bancaire.

Dans ce contexte régional de guerres et de tensions, le Liban pourrait presque faire figure d'îlot de stabilité. Mais c'est une impression trompeuse. Sous une apparence de statu quo, la situation s'effrite progressivement et les difficultés se multiplient sur tous les fronts à l'intérieur du pays.

Sur le plan institutionnel et politique, le blocage est presque complet. Le Liban n'a plus d'institutions en état de fonctionner vraiment.

D'abord, le pays n'a plus de chef de l'Etat depuis maintenant plus de deux ans. Le Hezbollah, les Aounistes et d'autres composantes du 8 mars boycottent l'élection, qui ne peut donc pas se tenir. Elle ne se réglera pas au terme d'une compétition électorale entre plusieurs candidats, mais à l'issue d'un accord préalable sur un nom. Cet accord n'existe pas aujourd'hui. L'Iran et le Hezbollah soutiennent le général Aoun, mais celui-ci fait l'objet d'un véto saoudien.

Ensuite, le Parlement est paralysé. Tant qu'un Président n'est pas élu, la Chambre des députés considère qu'elle ne peut pas légiférer. Il y aura demain une 41e convocation pour élire un nouveau Président de la République, mais le quorum des deux tiers ne sera probablement pas réuni.

Le Gouvernement est lui aussi très largement bloqué. En l'absence de Président, les décisions du Conseil des ministres doivent se prendre à l'unanimité.

Sur le plan sécuritaire, le Liban est confronté à des menaces multiples, malgré une relative accalmie depuis l'année dernière.

La ville d'Ersal avait été prise temporairement par les djihadistes en 2014, puis libérée. La situation paraît relativement sous contrôle, malgré la présence de groupes combattants sur le territoire libanais, près de la frontière syrienne. Les campagnes d'attentats se sont également calmées, même si un nouvel attentat a été commis en novembre dernier dans la banlieue Sud de Beyrouth.

Le front syrien et celui du terrorisme ne sont pas les seules sources de préoccupations graves sur le plan sécuritaire. Les tensions restent très vives entre le Hezbollah et Israël. Malgré une rhétorique très chaude, le Hezbollah n'a probablement pas intérêt à ouvrir un nouveau front avec Israël, car il est trop occupé en Syrie. Les Israéliens démentent toute velléité d'intervention, mais la montée en puissance militaire du Hezbollah les préoccupe, bien sûr.

L'accueil massif et prolongé de réfugiés syriens est un autre défi majeur pour le Liban. Il y aurait près de 1,5 million de réfugiés syriens sur le territoire libanais, ce qui représente un accroissement de 30 % de la population. Le sentiment général est celui d'une saturation du pays. Les autorités libanaises ont d'ailleurs adopté des mesures plus restrictives. Les Syriens, y compris les réfugiés, doivent désormais demander un visa.

La situation humanitaire se dégrade, tandis que la charge sur les services publics de base et les infrastructures du Liban ne fait qu'augmenter. La question du « retour » des Syriens est ainsi devenue un thème dominant. Dans une large mesure, la situation actuelle est regardée à la lumière de l'expérience palestinienne, qui a laissé un traumatisme fort dans le pays. Les réfugiés syriens étant majoritairement sunnites, beaucoup craignent un bouleversement des équilibres confessionnels. En attendant, il faut parvenir à les prendre en charge, notamment sur le plan de l'éducation. C'est évidemment très difficile, malgré la solidarité remarquable que nous avons pu constater de la part des Libanais.

Le conflit syrien s'accompagne aussi de répercussions économiques majeures au Liban. Le taux de croissance a fini par plonger de 9 % à presque 0 %. Dans le même temps, le déficit budgétaire augmente et la dette repart à la hausse. On devrait être aux environs de 140 % du PIB cette année.

La pauvreté et le chômage augmentent aussi, alors qu'ils étaient déjà très élevés. Par ailleurs, les infrastructures et les services publics continuent à se dégrader. Les problèmes sont notamment majeurs en ce qui concerne l'électricité – il n'y a que 3 ou 4 heures de courant par jour dans certaines parties du pays. Les problèmes sont également très aigus en ce qui concerne l'eau et la gestion des déchets.

Enfin, les Libanais continuent à émigrer massivement, en particulier les jeunes diplômés. La diaspora est certes à l'origine de transferts de fonds essentiels pour le Liban, mais la fuite des cerveaux est bien réelle.

Voilà les observations dont je voulais vous faire part sur l'état du pays, en préambule.

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On évoque souvent la capacité de résilience du Liban. Il y a en effet quelque chose qui tient du miracle. Comme le soulignait un ancien ambassadeur de France que nous avons rencontré, le Liban est au bord du gouffre, mais on ne sait pas dans ce pays où se trouve le bord… C'est un sentiment que nous avons eu tout au long de cette mission. Le Liban fait preuve d'une capacité de résilience exceptionnelle à des situations pour le moins inconfortables, dont l'accumulation aurait entraîné n'importe quel autre pays dans la chute : le nombre de réfugiés, une croissance désormais à peu près nulle, une situation sécuritaire très problématique et une paralysie complète sur le plan institutionnel. Il n'y a plus de Président de la République, le Gouvernement fonctionne au consensus et le Parlement ne se réunit plus.

Beaucoup a changé depuis le début de nos travaux. D'abord, la société civile a fait irruption dans le jeu à plusieurs reprises, à commencer par la crise des déchets. Même si la mobilisation n'a pas eu l'impact ou le débouché que les organisateurs espéraient, c'est un vrai événement car le mouvement était trans-partisan et multiconfessionnel. Il portait d'ailleurs une critique du système clientéliste et confessionnel du Liban. Cette mobilisation s'est aussi traduite lors des élections municipales, dont les résultats témoignent d'une contestation du système plus forte qu'auparavant. Cela n'a pas empêché les factions libanaises de s'entendre entre elles de manière très pragmatique, dans des configurations qui n'ont pas grand-chose à voir avec les grandes coalitions nationales – celles du 8 mars et du 14 mars.

Une deuxième évolution majeure est le retournement de la situation en Syrie, avec l'intervention militaire de la Russie. Quelles seront les conséquences sur le Liban ? Le rapport examine trois scenarii de manière détaillée. En cas de statu quo en Syrie, il n'y a pas de raison que la situation change au Liban, sauf d'autres facteurs endogènes. Saoudiens et Iraniens s'équilibrent aujourd'hui dans leur influence sur le Liban. La situation pourrait changer, en revanche, en cas de victoire d'un camp syrien sur les autres. La victoire du régime ragaillardirait le Hezbollah au Liban. Dans l'hypothèse d'un règlement politique du conflit, les conséquences pourraient être beaucoup plus positives, en particulier grâce à la participation des entreprises libanaises à la reconstruction de la Syrie et grâce au retour des réfugiés syriens dans leur pays. Cela apporterait de l'air au Liban.

Sur le plan politique, des rapprochements inattendus ont eu lieu. Quand nous nous sommes rendus à Beyrouth en septembre dernier, le blocage était complet. Tout le monde se neutralisait. Michel Aoun était soutenu par le Hezbollah dans sa candidature à l'élection présidentielle, tandis que Samir Geagea l'était par le Courant du futur.

Je ne sais pas si tous les appels étaient sincères, mais nous avons constaté une attente à l'égard de la France dans ce domaine. Il y a un attachement profond à notre pays et je pense que les Libanais nous attendent en effet, notamment chez les élites. Mais je crois qu'ils sont également assez lucides sur notre capacité à débloquer la situation. Sur le plan financier, nos interventions sont également assez modestes. Elles ne sont pas de nature à renverser la table.

Ce qui a bougé sur le plan politique, c'est que Saad Hariri et Sleiman Frangié ont proposé de constituer un « ticket », le premier pour la Présidence du Conseil des ministres, le second pour celle de la République. Le rapprochement entre Michel Aoun et Samir Geagea, jusque-là deux adversaires irréductibles, est également un fait nouveau. La situation institutionnelle ne s'est pas débloquée pour autant, mais ce sont des évolutions notables, au moins au sein du camp chrétien.

L'autre fait majeur de l'année qui s'est écoulée depuis que nous avons commencé nos travaux, c'est le virage de la position saoudienne. Le contrat DONAS devait être décisif pour les forces armées libanaises sur le plan capacitaire. La France, l'Arabie saoudite et le Liban étaient liés par un contrat de trois milliards de dollars pour équiper l'armée libanaise avec du matériel français. Le contrat avait commencé à être mis en oeuvre avec la livraison de missiles Milan, c'est-à-dire pour une part assez peu significative, puis ce contrat a été remis en cause. C'est donc le renforcement des capacités de l'armée libanaise, notamment pour faire face à des incursions djihadistes, qui est aussi remis en cause.

D'autres mesures de rétorsion ont été prises, notamment sur le plan audiovisuel et par des messages adressés aux ressortissants saoudiens. L'Arabie saoudite a regretté que le Liban se soit abstenu sur le vote de la résolution adoptée par la Ligue arabe après le sac des emprises diplomatiques saoudiennes en Iran. L'Arabie saoudite y a vu l'influence de l'Iran et du Hezbollah.

Le durcissement s'est aussi engagé dans un contexte qui a un peu changé en Arabie saoudite. La nouvelle génération, celle du vice-prince héritier et ministre de la défense, n'a pas le même attachement affectif au Liban que les générations antérieures. Saad Hariri, le principal leader sunnite libanais, n'a pas non plus la même relation que son père avec les responsables saoudiens actuels. Il est considéré comme plus faible et le leadership sunnite libanais n'est plus aussi reconnu qu'auparavant, en tout cas en Arabie saoudite. Ce n'est pas non plus sans traduction au plan intérieur. On constate une certaine radicalisation de la jeunesse libanaise sunnite, par exemple à Tripoli, en lien ou non avec des groupes tels que Daech et Al-Qaida. C'est un vrai sujet d'inquiétude.

J'ajoute que les réfugiés syriens sont très majoritairement sunnites, ce qui bouleverse les équilibres démographiques. Jusqu'à présent, on estimait qu'il y avait environ un tiers de chiites, un tiers de sunnites et un tiers de chrétiens.

Le rapport aborde les facteurs de résilience du Liban, mais aussi plusieurs hypothèses de rupture, en particulier la capacité des forces armées à faire face à de nouvelles incursions djihadistes si nous ne les armons pas mieux. L'armée, qui est l'institution la plus respectée du pays, avec la Banque centrale, dispose de troupes d'élite de 3 000 ou 4 000 hommes dont le courage et les capacités opérationnelles sont reconnues, mais elle est déjà très mobilisée. Le fait que l'accord avec l'Arabie saoudite ait été remis en cause pose problème.

Le rapport évoque aussi la question du système bancaire libanais. Il est stable jusqu'à présent, mais on peut penser qu'il repose sur une sorte de système de Ponzi. Pour simplifier, c'est l'augmentation des dépôts qui permet de préserver la rentabilité. Les dépôts continuent à augmenter, notamment grâce à la confiance de la très nombreuse diaspora libanaise, mais il y a un point d'interrogation. Nous en avons beaucoup discuté avec nos interlocuteurs. Si le système bancaire devait faire défaut, ce serait potentiellement un facteur de rupture, d'autant que la croissance tend désormais vers zéro et que les tensions sociales et communautaires sont très élevées.

S'agissant des facteurs extérieurs, il y a notamment l'évolution de la politique saoudienne que j'ai présentée.

Nous nous sommes également interrogés sur la pérennité du système confessionnel, dont les accords de Taëf avaient prévu, en 1989, une sortie par étapes. Vu d'Occident et d'une démocratie laïque telle que la nôtre, un tel système confessionnel paraît curieux, d'autant qu'il concerne aussi l'administration. Quand ce système est bloqué, comme aujourd'hui, la question de sa pérennité peut être légitime.

Nos conclusions sont pourtant que si le système confessionnel est loin d'être parfait, il assure en partie la stabilité du pays. Chacun trouve un intérêt à ce que le système fonctionne parce qu'il procure des emplois, des rentes et diverses formes de soutien. C'est aujourd'hui un élément de la résilience du Liban, alors que les institutions ne fonctionnent plus. Le système confessionnel explique la faiblesse de l'Etat, mais dès lors que l'Etat s'efface parce que les institutions ne fonctionnent pas, il se substitue largement à lui sur le plan social, économique et culturel. Peut-on passer un jour à un système non-confessionnel ? Il y a des aspirations au sein de la société civile libanaise, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Même si les accords de Taëf le prévoient, ce serait surtout un saut dans l'inconnu et une prise de risque. Une réflexion et un travail existent néanmoins dans la société civile libanaise, ce qui montre qu'il s'agit d'une vraie démocratie vivante.

Qu'en est-il de la France au Liban ? Je l'ai dit, nous sommes attendus mais les Libanais sont lucides, comme les Français sur place.

Quels sont les points positifs ? La francophonie est dynamique, mais elle est en recul. On le mesure notamment à la baisse de la part des élèves scolarisés dans des cursus bilingues franco-arabes, en dépit de l'organisation d'événements qui valorisent la langue française et auxquels les Libanais sont attachés, en particulier dans le domaine de la littérature et du cinéma. Des efforts doivent aussi être accomplis sur la charnière entre l'enseignement scolaire et le supérieur. Nos interlocuteurs en sont conscients : nous ne capitalisons pas assez sur notre force et nos acquis. Les jeunes Libanais scolarisés en français privilégient ensuite des filières et des universités anglo-saxonnes. Nous avons toutefois une excellente école à Beyrouth, l'Ecole supérieure des affaires, inaugurée en 1996 par Jacques Chirac et Rafic Hariri. Un travail remarquable y est fait.

Sur le plan économique, nos parts de marché sont importantes mais en déclin ces dernières années. Les investissements libanais en France sont également notables, comme ceux de la France au Liban, mais il faut rester vigilant.

Notre coopération militaire reste insuffisante. Nous contribuons à hauteur de deux millions d'euros par an, alors que les Britanniques investissent cinq millions de dollars par an dans la protection des frontières libanaises et que les Américains consacrent aujourd'hui 150 millions de dollars par an au Liban, le total de leur aide étant supérieur à un milliard de dollars sur dix ans.

En matière de coopération humanitaire et d'aide au développement, il y a un investissement de la France. Nous avions mobilisé en tout 55 millions d'euros fin 2015 pour aider le Liban à faire face aux conséquences de la crise syrienne et le Président de la République a décidé d'augmenter notre engagement de 100 millions d'euros sur trois ans. Mais ces contributions restent insuffisantes pour financer les grands programmes des Nations Unies. Nous avons donc un questionnement sur le niveau de contribution des acteurs occidentaux, en particulier celui de la France.

L'Agence française de développement a des programmes au Liban, mais ils sont bloqués en raison du vide institutionnel. Il y a eu des annulations de crédits et un gel de certains programmes, par défaut de décisions au niveau institutionnel du côté libanais.

Il existe de vraies perspectives de coopération pour nos entreprises dans au moins quatre domaines. Les gisements de gaz offshore peuvent offrir un véritable potentiel de développement économique, pour lequel des entreprises françaises sont déjà en piste. Mais encore faudrait-il que le Liban se mette à explorer et à exploiter ses propres ressources. Il y a aussi de vraies perspectives en matière d'adduction et d'assainissement d'eau, de transports, notamment ferroviaires, et d'énergie, avec la construction de nouvelles centrales et l'entretien du parc existant. Les perspectives de développement sont donc importantes, mais il faudrait que les politiques mises en oeuvre au Liban se hissent à la hauteur des besoins du pays.

Il existe aussi des possibilités de coopération très intéressantes pour nos entreprises sur des territoires où les Libanais ont joué un rôle de défricheurs, notamment en Afrique. L'environnement sécuritaire est parfois trop sensible pour que des acteurs français s'installent, mais on peut explorer de vraies perspectives de coopération dans certains pays où la diaspora libanaise est implantée.

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Merci beaucoup pour ce travail considérable. Votre rapport contient notamment un éclairage supplémentaire sur ce que nous savions déjà des relations entre les pays de la région et des jeux des uns et des autres, mais aussi une analyse extrêmement fine de la situation intérieure du Liban, si difficile à décrypter. Les développements sur le confessionnalisme montrent que ce système a déjà beaucoup duré et qu'il durera sans doute encore longtemps. Vos analyses sur la résilience du Liban et ses causes sont également passionnantes. S'agissant des relations avec la France, il y a à la fois une attente et un appel au Liban, mais aussi des réticences profondes à l'égard des engagements étrangers.

(Mme Odile Saugues remplace Mme Elisabeth Guigou à la présidence).

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Merci au président et au rapporteur pour le travail réalisé, en particulier pour la qualité des auditions que nous avons pu avoir. Je crois que ce rapport nous apprend beaucoup.

S'agissant des réfugiés, il est absolument nécessaire de soutenir le Liban et de renforcer notre aide. Nous avons pu mesurer ce que cela représente concrètement en visitant un campement informel. C'est une donnée essentielle de la situation et elle risque malheureusement d'être durable.

Je suis, moi aussi, très sensible à la question de la situation économique et financière, sur laquelle Axel Poniatowski a beaucoup insisté au cours des auditions. La Banque centrale, qui est la seule institution contribuant vraiment à tenir le pays, bénéficie d'une grande confiance, mais le système est très fragile et il faut anticiper. Les difficultés de l'AFD pour mettre en oeuvre un certain nombre de programmes méritent aussi une attention particulière et nécessitent des modalités d'intervention nouvelles.

Benoît Hamon a évoqué la situation de la francophonie. Il faut sans doute s'accrocher davantage à la formation professionnelle. C'est un sujet qui est développé également dans d'autres rapports de notre commission. Même si le français recule dans le milieu des affaires au Liban, ce pays reste une plateforme pour la francophonie au Moyen-Orient. Les entrepreneurs libanais occupent aussi une place importante en Afrique. Un renforcement des coopérations franco-libanaises serait, en effet, utile dans ce domaine.

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Je souhaite également remercier le président et le rapporteur pour la manière dont s'est déroulée la mission. Elle aurait d'ailleurs pu se poursuivre. A la limite, nous pourrions avoir une mission permanente sur le Liban. Comme l'a souligné l'un de nos interlocuteurs, Henry Laurens, si vous pensez avoir compris le Liban, c'est qu'on vous l'a mal expliqué. La question libanaise doit être abordée avec beaucoup d'humilité tant les paramètres sont nombreux.

Le Liban est entouré de problèmes : celui de la Syrie, qui est ancien, et celui d'Israël, à la fois au Sud et en ce qui concerne l'exploitation des champs gaziers offshore, car la délimitation des zones économiques exclusives n'est pas tout à fait claire. Cela oblige à passer par les Américains, faute de contact direct entre Libanais et Israéliens, du moins officiellement. Il y a aussi des problèmes endogènes bien connus, comme le système confessionnel. Je suis convaincu que le Liban ne peut pas exister sans ce système confessionnel, même s'il est à l'origine de difficultés. La population se mélange de plus en plus, mais les mariages entre Libanais de confessions différentes ont lieu à Chypre parce qu'ils sont impossibles au Liban. Il faut également souligner que le système confessionnel va au-delà de la division entre chrétiens, chiites et sunnites.

Comme le rappelle aussi le rapport, le Liban est quand même une démocratie, la seule démocratie arabe existante. Elle est d'un genre particulier, mais comme le sont toutes les démocraties, après tout. L'existence d'un blocage institutionnel prouve qu'il y a des institutions, même si elles ne fonctionnent pas. Les élections municipales se sont déroulées dans de bonnes conditions, avec parfois un succès des familles traditionnelles, parfois un échec, et surtout avec des alliances très diverses – entre le parti du général Aoun et les Forces libanaises contre les Kataëb ou avec eux, mais aussi parfois entre presque toutes les forces politiques, comme à Beyrouth, sous l'égide de Saad Hariri, dont la liste n'a pourtant remporté qu'une victoire sur le fil. A Tripoli, la liste « officielle » a été battue. Le Liban est donc une vraie démocratie.

Je persiste à penser que ce pays est un atout considérable pour la France, même si notre langue et notre influence sont en recul. La plupart des dirigeants libanais viennent à Paris lorsqu'ils veulent se rencontrer discrètement et ce n'est pas par hasard. Sur le plan économique, le rapporteur a eu raison d'insister sur l'existence d'une diaspora libanaise importante en Afrique, principalement chiite. Ses réseaux peuvent être utilisés par nos entreprises qui ne s'engagent pas facilement dans certains pays.

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Selon certaines estimations, il y aurait plus de deux millions de réfugiés au Liban. La question s'est récemment posée de l'éventuelle naturalisation de certains d'entre eux, avec toutes les polémiques que cela nourrit dans différentes communautés libanaises. L'intégration des réfugiés pourra-t-elle aller jusqu'à la naturalisation éventuelle d'une partie d'entre eux ?

Vous avez évoqué le virage saoudien qui laisse, d'une certaine façon, davantage de place à l'Iran au Liban. Avez-vous des informations sur les investissements des Libanais à Téhéran ? Y a-t-il un choix délibéré d'investir dans ce pays pour tisser une toile politique et économique ?

S'agissant des formations universitaires, comment renforcer les liens ? Au-delà de l'Ecole supérieure des affaires que vous évoquiez, dans quels secteurs faut-il agir ?

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Après ce qui vient d'être dit, il serait superfétatoire d'ajouter des félicitations supplémentaires pour ce travail.

Quel le Liban soit un pays en ébullition, ce n'est pas nouveau et cela devrait durer encore un certain temps. C'est une démocratie clanique, qui fonctionne dans beaucoup de domaines. Mais il faut regarder la situation en face. Le déblocage n'aura pas lieu au Liban, mais en Iran et en Arabie saoudite. Nous avons un rôle à jouer car nous avons renoué des relations quasiment normales avec Téhéran et nous avons de bonnes relations avec Riyad, pour les raisons que l'on connaît. Le rôle de la France est d'approcher ces deux capitales pour dire avec une certaine fermeté qu'il y a un moment où il faut trouver des solutions.

Pour autant, je ne suis pas certain que le Hezbollah soit totalement inféodé à Téhéran. Il a sa marge de manoeuvre et nous avons intérêt à mieux parler avec lui. Il y a eu un raté important avec le Hezbollah lors de la dernière visite du Président de la République. Il a d'ailleurs parlé essentiellement des réfugiés et très peu du Liban lui-même, ce dont les Libanais ont été très déçus.

Il faut utiliser le Liban pour reprendre pied au Proche et au Moyen-Orient. C'est là qu'on doit mettre le paquet, sur le plan diplomatique, sur celui de la formation des élites et, comme vous l'avez très bien souligné, sur le plan économique. C'est le seul point d'ancrage qui nous reste après l'impasse politique totale qui a été faite sur la Syrie et ailleurs dans la région. C'est par le Liban que nous devons reconquérir des positions. Nous y avons des atouts et des amis. La dernière fois que je suis allé au Liban, on nous accusait d'avoir trahi ce pays.

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Une question très brève, après avoir félicité à mon tour nos deux collègues pour leur travail tout à fait exceptionnel. Concernant les défections entre l'enseignement secondaire et le supérieur, nous avons des outils, notamment Campus France. Pourquoi cette fuite vers les États-Unis et le Canada, malgré l'intérêt pour la France et la francophonie ?

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Personne ne croyait, effectivement, au rapprochement entre ces deux frères ennemis que sont Samir Geagea et le général Michel Aoun. Je rappelle aussi que le général Aoun était opposé aux accords de Taëf. Malgré ce rapprochement, il y a de nouveau un blocage. Vous avez dit qu'il était inéluctable, mais quelle est son origine ? Est-ce toujours le courant de Saad Hariri, qui n'a pas la même influence que son père et qui a même, je crois, des problèmes financiers ?

Il faut accueillir le million et demi de réfugiés syriens, mais il faut aussi scolariser les enfants. Certains subissent une influence sunnite qui pose quelques problèmes dans les établissements scolaires. Un évêque libanais m'a dit la semaine dernière qu'ils traitent les enseignants d'hérétiques.

S'agissant de la francophonie, je rejoins ce qui a été dit. Notre présence est en recul. Il est inquiétant que des étudiants libanais qui auparavant se rendaient en France se tournent désormais vers les Etats-Unis, qui viennent d'ailleurs les chercher au Liban.

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La question du Liban est vitale pour la France. Si ce pays venait à se dissoudre d'une manière ou d'une autre, dans les années qui viennent, ce serait une catastrophe pour nous. Nous perdrions une relation humaine, culturelle et morale unique avec un peuple du Proche-Orient.

Cette dissolution peut effectivement menacer, avec la présence de 1,5 million de réfugiés syriens et celle des Palestiniens, tandis que les jeunes, souvent les plus brillants, quittent le pays pour rejoindre la diaspora, notamment dans des pays anglo-saxons. Pensez-vous que le sentiment national est assez fort au Liban pour dépasser la très grave crise actuelle ? Il y a une puissance politique, que je voudrais vous entendre citer, qui empêche l'élection présidentielle. Les Libanais considèrent que c'est un grand affaiblissement qui ne devrait pas se perpétuer. Le cadre vide du portrait présidentiel dans les lieux publics est tout un symbole.

L'armée libanaise est très utile et très respectée pour son action, mais ne faut-il pas craindre sa fragilité en cas d'aggravation de la crise et compte tenu de la puissance militaire du Hezbollah, qui est peut-être d'ailleurs la seule au Liban ? Si l'armée se confessionnalisait, ce serait un facteur déterminant de dissolution pour le Liban. Et cela aurait un impact sur la présence des chrétiens en Orient. Le système libanais, même s'il est très discutable d'un point de vue laïque, préserve une présence chrétienne au sein même des institutions libanaises, ce qui est unique dans toute la région.

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Député d'une circonscription dont le Liban est un des principaux pays, je dois dire que j'ai beaucoup appris à la lecture de ce rapport.

Nous avons un passé important au Liban et notre engagement nous a d'ailleurs coûté très cher. De 1980 à 1990, nous avons voulu jouer un rôle très important dans ce pays historiquement et réellement ami. M. Assad père a toujours souhaité que nous déguerpissions et que nous ne puissions pas entretenir les relations privilégiées que nous voulions. Il nous l'a fait payer très cher par des assassinats et des attentats multiples, qui nous ont coûté quelques centaines de morts. Il faut s'en souvenir. Espérons que ce passé soit révolu, mais cela crée entre le Liban et nous les liens du sang. Je pense en particulier à tous nos militaires morts sur place.

Autre élément important, il y a une présence très forte de la communauté française, en général franco-libanaise. Elle tient une partie de la politique et de l'économie. C'est une communauté brillante et souvent tentée par le départ, malheureusement peu souvent vers la France, car il y a un fort tropisme américain et canadien. Il faut se battre et faire comprendre à nos compatriotes que les liens entre nous doivent les amener à regarder davantage vers la France

Je n'ai pas compris ce qui s'est passé quand l'Arabie saoudite a proposé d'équiper l'armée libanaise, avec un contrat bénéficiant à l'industrie française. Tout semblait bien parti. Les ministres de la défense et des affaires étrangères nous ont dit, ici-même, que le contrat était fait. J'avais l'impression qu'il y avait des réticences, mais le ministre de la défense nous a redit au début de l'année que tout était réglé. Ce n'est pas le cas. On peut comprendre qu'il y ait des réticences à livrer des armes au motif que le Hezbollah pourrait éventuellement en profiter. J'étais avec le Premier ministre en Arabie saoudite quand ce sujet a été évoqué et j'ai l'impression que les responsables saoudiens nous ont pris pour des imbéciles en essayant de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. J'ai le sentiment que leur décision est ferme et définitive, ce qui signifie que nous n'armerons pas l'armée libanaise. Elle restera donc abandonnée à elle-même, à moins que d'autres pays ne se substituent à nous. Nul ne sait quelles pourraient être les évolutions, en particulier à cause de l'Etat islamique, même s'il y a au Liban le Hezbollah qui, dieu merci, est capable de défendre ce pays.

Saad Hariri est le patron de l'entreprise Saudi Oger. Peut-être par suspicion à l'égard des Libanais, l'Arabie saoudite a suspendu ses paiements à cette entreprise. J'ai plus de 450 familles françaises en quelque sorte prises en otage en Arabie saoudite, car elles n'ont plus d'argent, même pour financer la scolarité de leurs enfants et pour se nourrir. Elles sont suspendues au bon-vouloir de Saad Hariri et surtout, sans doute, des autorités saoudiennes. J'ai demandé à m'entretenir avec Saad Hariri à la fin du ramadan à Beyrouth pour voir ce qu'il est possible de faire pour ces familles. Elles se trouvent dans un grand dénuement.

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Cette réunion étant ouverte à la presse, nous ne pouvons malheureusement pas dire tout ce que nous souhaiterions, ni tout ce que nous savons, en particulier sur le DONAS. Ce contrat ne me semble pas perdu, à ce stade, pour tout le monde.

Nous nous sommes demandés tout au long de cette mission pourquoi les Libanais ne trouvent pas une solution pour débloquer la situation institutionnelle. La non-élection du Président de la République bloque tout, y compris le fonctionnement du Gouvernement et certaines décisions qui sont dans l'intérêt évident du Liban, comme le démarrage de la prospection offshore. Les Israéliens ont commencé la prospection et l'exploitation dans la partie adjacente, alors que les gisements sont communs. Dans de nombreux domaines, on est dans une situation absurde. Le blocage est pourtant le fait de personnes intelligentes, qui adoptent des positions contraires à l'intérêt de leur pays.

Pourquoi l'accord entre Samir Geagea et Michel Aoun ne débloque-t-il pas la situation ? La partie sunnite y étant opposée, cet accord bloque tout autant la situation qu'avant. Il faut la présence des deux tiers des députés pour élire le Président.

Le système confessionnel est la marque du Liban. Le blocage actuel profite aux grandes familles, qu'elles soient sunnites, chiites ou maronites. Leur pouvoir est actuellement le seul qui existe dans un système qui reste extrêmement clientéliste. Ces grandes figures perdraient en influence si la situation institutionnelle se débloquait.

Par ailleurs, cette situation ne pourra évoluer que lorsque l'Arabie saoudite et l'Iran en auront décidé ensemble. Pour l'instant, ce n'est pas le cas.

Nous avons souvent entendu dire que l'élection présidentielle est l'affaire des chrétiens maronites puisque le poste de Président de la République leur revient. Ils n'auraient donc qu'à se mettre d'accord entre eux, ce qui débloquerait la situation. Mais les députés chrétiens ne sont pas élus que par des chrétiens et il y a des coalitions chrétiens-sunnites et chrétiens-chiites. Compte tenu du système électoral, la communauté chrétienne est obligée de s'appuyer sur les autres pour assurer sa propre pérennité.

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Parmi les Libanais qui quittent leur pays, les plus nombreux sont des chrétiens. Par ailleurs, vous l'avez souligné, il y a eu un afflux considérable de réfugiés syriens sunnites. Cela ne va-t-il pas poser un problème à terme pour l'équilibre confessionnel sur lequel est fondé le système institutionnel ?

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Bravo pour ces présentations tout à fait passionnantes. Par rapport à la population vivant à l'intérieur du pays, que représente la diaspora libanaise ? Joue-t-elle un rôle politique sur les orientations prises ? Par ailleurs, pouvez-vous expliquer pourquoi Israël, qui suivait auparavant de très près ce qui se passe au Liban, ne bouge pas aujourd'hui et ne semble pas avoir l'intention de le faire ?

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Vous dites que la plupart des réfugiés syriens au Liban sont sunnites. Pourquoi n'est-ce pas plus équilibré ? Quel effet pourra avoir au Liban l'évolution de la situation en Syrie, où le régime de Bachar al-Assad semble prendre le dessus ? Par ailleurs, certains collègues ont paru surpris de ce que vous avez dit sur le recul de la francophonie et le départ d'élèves francophones. Représentant des Français d'Asie, je constate dans ma circonscription que près de la moitié des Français qui ont obtenu une mention bien ou très bien au bac dans certains établissements partent ailleurs. Il faut ouvrir les yeux. Je redis, comme je l'ai déjà fait précédemment, qu'il serait utile d'auditionner le directeur de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

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La position du Hezbollah pourrait évoluer selon l'issue de la crise syrienne. Son action militaire complète aujourd'hui celle des forces armées libanaises, en tout cas pour combattre les incursions djihadistes. D'une certaine manière, l'action de la milice chiite sert aussi les intérêts du Liban. Il paraît inenvisageable à ce stade que l'armée combatte le Hezbollah, ne serait-ce que parce que cela provoquerait des désertions. L'armée est multiconfessionnelle. Elle est plutôt dominée au niveau des officiers par des éléments chrétiens, tandis que la troupe est plutôt à dominante musulmane. Si le Hezbollah devait combattre un jour les forces armées libanaises, celles-ci ne feraient plus l'objet d'un consensus national et il y aurait probablement une division.

Le poids du Hezbollah au Liban est le principal sujet de préoccupation des Saoudiens et des Israéliens. Ces derniers regardent avec beaucoup de vigilance l'influence du Hezbollah, sinon parfois de nervosité, compte tenu de son niveau d'armement et des capacités nouvelles liées à son intervention en Syrie. Si le conflit syrien basculait en faveur du régime d'Assad, les effectifs du Hezbollah reviendraient au Liban après avoir été renforcés sur le plan capacitaire et en termes d'expérience, même si le mouvement chiite subit de lourdes pertes. On estime à 1 500 le nombre de ses morts en Syrie. Il y a régulièrement des rapatriements de corps et des cérémonies funéraires au Liban. Il existe d'ailleurs un débat au sein de la communauté chiite libanaise sur le prix payé dans le conflit syrien. Les troupes du Hezbollah, qui sont expérimentées et aguerries, ont joué un rôle important.

Parmi les points d'interrogation, on peut se demander quelle serait la réaction de la communauté sunnite si le régime l'emporte en Syrie et que les effectifs du Hezbollah qui y sont déployés reviennent. Historiquement, la communauté sunnite n'a pas de milices très armées, mais on observe déjà une tendance au réarmement de milices non-chiites, notamment chrétiennes. Les différents scenarii évoqués dans le rapport sont ouverts : il est bien difficile aujourd'hui d'élaborer une hypothèse dominante. Il y a surtout de vraies interrogations. Une question qui se pose est de savoir quelle serait l'attitude d'Israël. Par anticipation, les Israéliens pourraient être tentés de priver le Hezbollah d'un certain nombre de capacités. Il pourrait y avoir une intervention : on l'a déjà vu. Par ailleurs, Israël a des « lignes rouges » que tout le monde connaît bien sur place.

On peut être préoccupé par le retour sur investissement dans l'enseignement supérieur, car nous faisons un investissement considérable dans le scolaire. Mais on ne va pas faire semblant de découvrir la mondialisation ! L'enseignement supérieur est un marché. Les formations supérieures en anglais sont séduisantes parce qu'elles offrent davantage de débouchés sur le plan professionnel que celles en français aux yeux des Libanais. Il n'est pas interdit d'être intelligent et de proposer des formations bilingues. Cela se fait de plus en plus, en français et en anglais ou en français et en espagnol, pour que les étudiants étrangers puissent tirer le meilleur parti de l'excellence des filières de l'enseignement supérieur français et qu'ils puissent être embauchés dans des pays ou sur des marchés où l'anglais est absolument indispensable. C'est un point sur lequel il faudra sans doute que nous renforcions notre offre. S'agissant du Liban, on peut mieux faire. Les acteurs français y travaillent et l'on se positionne déjà mieux qu'auparavant. C'est à mes yeux un point positif.

S'agissant de la diaspora, tout dépend qui l'on considère comme en faisant partie. L'émigration libanaise est ancienne. Il y a des communautés d'origine libanaise depuis le XIXe siècle dans certains pays. La diaspora est au moins aussi importante que la population vivant au Liban et elle pourrait comprendre plus de 13 millions de personnes. Comme nous l'expliquons dans le rapport, les Libanais de la diaspora restent souvent très attachés à leur pays d'origine et leurs transferts monétaires sont indispensables à la santé économique du pays et à la stabilité de son système bancaire. L'influence politique de la diaspora me paraît plus incertaine.

Ce qui m'a beaucoup frappé pendant cette mission, c'est que l'on retrouve les mêmes grandes figures politiques que dans ma jeunesse, à l'époque de la guerre civile. Avec Michel Aoun, Samir Geagea, les Frangié, les Gemayel, Walid Joumblatt et Nabih Berri, ce sont les anciens grands chefs de guerre ou leurs héritiers qui occupent la scène politique. Nous avons eu le grand privilège de les rencontrer. C'est probablement la principale corde de rappel : tous ces acteurs ont vécu la guerre et son spectre les conduit à s'entendre sur « jusqu'où ne pas aller trop loin », si je puis dire. Cela fonctionne assez bien. Leur rôle est absolument décisif, malgré quelques échecs aux élections municipales.

On peut considérer que la France a un rôle à jouer à l'égard de l'Arabie saoudite et de l'Iran, eu égard à ses relations avec eux. Mais le niveau de tension est vraiment très fort et ces deux pays se neutralisent. On a le sentiment que le Liban est plutôt gelé, alors qu'il y a déjà d'autres zones de confrontation ailleurs. Les Saoudiens et les Iraniens ne veulent pas aller trop loin sur ce terrain-là au Liban, mais de ce fait rien ne bouge. Il nous a semblé que la capacité de la France à faire évoluer la situation est relativement ténue.

Je n'ai peut-être pas répondu à toutes les questions, mais il y a beaucoup de choses dans le rapport et nous devons maintenant en venir à l'Amérique latine.

La commission autorise la publication du rapport d'information à l'unanimité.

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Nous examinons maintenant le rapport de la mission d'information sur l'ouverture d'un dialogue culturel et politique avec l'Amérique latine , dont Michel Vauzelle est le rapporteur et Patrice Martin-Lalande le président.

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Comprendre et faire comprendre les récentes évolutions de l'Amérique latine : continent à un tournant de son histoire, ce dont notre diplomatie n'a peut-être pas encore pris conscience.

L'année 2015 a été marquée par des évènements forts en Amérique latine. Le premier d'entre eux, grand symbole et petite révolution géopolitique, est le rétablissement des liens diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis. Autre évènement historique, l'annonce d'un accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC, devrait mettre fin au dernier conflit sur le sous-continent. Ces éléments constituent un aboutissement de la politique de solde des conflits issus de la guerre froide dont Barack Obama s'est fait le champion. Ils entraîneront peut être le continent vers une unification tant la division s'est opérée autour de la position des différents pays de la zone à l'égard des États-Unis. Unification qui va se faire à l'image et pour le plus grand profit de la puissance nord-américaine ou de manière plus équilibrée ? Ou bien au contraire le rapprochement avec les Etats-Unis va-t-il accuser le fossé entre d'un côté les nations de l'arc du pacifique, le Mexique, le Chili, la Colombie et le Pérou, et de l'autre, les pays du Mercosur et de l'ALBA, dont les deux principaux représentants, le Brésil et le Venezuela, sont en crise profonde ? La réponse se trouve en grande partie chez nous et dépendra de nos priorités.

De cette actualité politique, on parle peu en France et en Europe. Le premier objectif de ce rapport parlementaire a donc été de tenter de mieux comprendre et faire comprendre l'Amérique latine contemporaine et de convaincre nos pouvoirs publics de son importance stratégique pour la France. Il semblerait que nous n'ayons pas encore pris la mesure des transformations du sous-continent latino-américain : l'Amérique latine vient de vivre une décennie de progrès économiques et sociaux, c'est un sous-continent dont les ressources naturelles, et le potentiel, sont immenses, ce qui justifie, malgré les difficultés actuelles, son optimisme. Elle a aussi gagné son indépendance vis-à-vis du grand voisin nord-américain, et sa diplomatie est beaucoup plus pragmatique qu'avant.

La forte croissance économique de la dernière décennie, qui s'est accompagnée d'une réduction de la pauvreté et dans une moindre mesure des inégalités, s'est doublée d'une réelle stabilité politique que le récent feuilleton brésilien autour de la destitution de Dilma Roussef ne remet pas en cause pour l'instant. Le continent est désormais acquis à la paix et à la démocratie. Forte de ces succès intérieures, l'Amérique latine a multiplié les initiatives diplomatiques pour faire entendre sa voix singulière sur les grands enjeux de la planète – on se souvient de la stupeur des capitales européennes face à la proposition de médiation du Brésil avec l'Iran, ou encore du refus mexicain, pourtant grand allié des nord-américains, d'approuver l'intervention en Irak en 2003, on se souvient aussi de la dynamique diplomatie latino-américaine à l'égard de l'Afrique et Moyen-Orient.

Après une décennie de succès, l'Amérique latine connaît aujourd'hui une période de transition, que certains qualifient même de « fin de cycle ».

Pour l'économie, le modèle de développement qui a fait le succès de nombreux pays latino-américains s'essouffle et pourrait faire taire l'espoir de voir la région sortir de sa dépendance pluriséculaire à des puissances étrangères. Toute la question est de savoir si son extraversion économique et son insertion dans la mondialisation peut ou non devenir aujourd'hui un atout avec le basculement du centre de l'économie mondiale vers l'Asie.

Le super cycle des matières premières qui a bénéficié aux économies était lié aux processus d'industrialisation de l'Asie, en particulier de la Chine. Les contraintes de change qui avait placé la région sous la tutelle de Washington pendant des années ont disparu et permis à certains pays d'accumuler des réserves de change importantes. De plus, la démographie, qui a représenté une part importante de la croissance ces dernières années, se rapproche de celle des pays développés, les questions de vieillissement de la population et de nécessaire amélioration de la productivité se font jour. Enfin, la nouvelle classe moyenne vulnérable, qui nourrissait la demande interne, est la première touchée par le retournement de conjoncture.

Au plan politique, la détérioration de l'économie place les gouvernements, notamment dits « progressistes » au pouvoir depuis les années 2000, au Brésil, au Venezuela par exemple, mais pas seulement car des pays comme le Chili ou le Pérou sont aussi concernés, dans une position délicate : la crise met en doute le financement durable des politiques sociales en faveur de la réduction de la pauvreté et des inégalités qui avait en partie forgé leurs succès électoraux et dont la poursuite est essentielle à l'émergence économique du sous-continent. La période des troubles politiques est donc loin d'être close dans la région, d'autant que les nouvelles générations sont beaucoup plus exigeantes que les précédentes.

Au plan géopolitique enfin, l'Amérique latine s'est imposée depuis quelques années déjà comme un acteur diplomatique original (dénucléarisation du sous-continent, opposition à toute forme d'ingérence étrangère dans le règlement des crises ; défense du rôle des grandes instances et des valeurs du multilatéralisme). Mais les difficultés économiques et politiques actuelles annoncent peut-être une période d'introspection pour les diplomaties latino-américaines qui pourrait remettre en cause l'indépendance acquise sur la scène internationale ces dernières années. Le continent est aujourd'hui, en l'absence de Lula et Hugo Chavez, sans leadership, et divisé entre les pays du nord et les pays du sud, ceux de l'alliance atlantique et du Mercosur et de l'Alliance bolivarienne. Surtout, l'indépendance à l'égard des Etats-Unis pourrait se muer en dépendance par rapport à la Chine, qui a besoin des matières premières latino-américaines, et qui est devenue le principal partenaire commercial de nombreux pays de la zone et un des grands investisseurs dans la région.

L'hypothèse de ce rapport de mission est que ce n'est pas seulement la crise d'un continent que nous observons aujourd'hui, ce sont les effets sur ce continent d'une crise plus globale. L'Amérique latine est au coeur de la transformation du « système-monde ». Elle compte parmi ses membres des grands émergents comme le Brésil ou le Mexique qui veulent peser sur la gouvernance mondiale et sur le règlement des grands enjeux de la planète. Elle est au coeur de la question de l'équilibre entre préservation des ressources naturelles et croissance économique. Ainsi, selon un interlocuteur de la mission, on peut se demander si les mutations politiques et sociales à l'oeuvre dans cette région sont le signe d'une reconfiguration géopolitique plus vaste, qui verrait s'éloigner chaque jour un peu plus les équilibres issus de la conférence de Yalta. La question soulevée par ce rapport de mission est de savoir si la sortie du sous-continent de son caractère périphérique, de son statut de pourvoyeur de matières premières au service de l'Europe, des États-Unis et aujourd'hui de l'Asie laisse-t-elle entrevoir un ordre mondial différent

La réponse n'est pas évidente : les décennies d'opulence n'ont pas été mises au service d'investissements d'avenir dans la région – dans les infrastructures, dans la recherche et le développement par exemple. Les crises d'alternance et de gouvernance connues par certains pays de la région montrent que les gouvernements progressistes vont avoir du mal à faire face aux attentes d'une population plus exigeante. Enfin l'unité du continent est très affectée par le pivot asiatique de l'économie mondiale : deux ensembles géopolitiques semblent se découper : des pays membres de l'alliance du pacifique, organisation plus jeune, plus libérale, et plus dynamique que son « concurrent », le Mercosur. Le rapport essaie de faire état de cette difficile phase de transition pour l'Amérique latine et sur les conséquences à en tirer pour notre diplomatie. Pour répondre à la question, la mission a rencontré à Paris des chercheurs, des personnalités politiques, des diplomates français et latino-américains. Elle s'est aussi rendue en mars dernier au Brésil, en Colombie et au Mexique. Le rapporteur a de plus pris part au voyage présidentiel au Pérou, en Argentine et en Uruguay.

Face à l'évolution de ce continent, que dire de la diplomatie française ?

Tout d'abord, la France sous-estime l'importance stratégique de l'Amérique latine et notre analyse a quelques années de retard.

La France n'a pas su profiter ces dernières années du relatif déclin nord-américain dans la zone et n'a pas mesuré les conséquences du rôle montant de la Chine dans la région, qui va devenir un enjeu de la compétition mondiale pour le contrôle des ressources. Nous avons des années de retard dans l'analyse en respectant la doctrine Monroe selon laquelle l'Amérique latine appartient aux Américains, alors que les nord-américains eux-mêmes semblent se résoudre à l'abandonner.

Ensuite, en Amérique latine, la France a un héritage d'une richesse inouïe et elle dispose d'un réseau diplomatique dense et dynamique. Mais elle manque cruellement d'une stratégie pour l'avenir.

Troisième remarque, nous avons encore une image positive en Amérique latine, et les deux grands moments de la diplomatie française dans la zone, portés par de Charles de Gaulle et François Mitterrand sont encore dans les mémoires. Charles de Gaulle avait en effet compris, et François Mitterand a conservé cet héritage, la forte sensibilité des latino-américains au discours d'indépendance de la France. Charles de Gaulle avait eu l'intuition de cette connivence naturelle, qui est un immense vecteur d'influence pour la France. Il ne faudrait pas galvauder une image construite depuis deux siècles chez les sud-américains par un alignement trop manifeste sur les États-Unis.

Il faut renouer avec l'esprit de cette diplomatie, dont les convergences, au-delà des clivages partisans, ont permis à la France de conserver jusqu'à aujourd'hui sa place de puissance moyenne à influence globale. Lorsque la France est fidèle à son histoire et à ses valeurs, elle gagne le coeur des latino-américains : la France, c'est le dialogue avec les grands émergents ; le souci d'apporter une réponse collective à des enjeux globaux comme le climat ou le narcotrafics ; la promotion d'un dialogue stratégique entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Lorsque nous perdons ce rôle d'équilibre, les latino-américains nous oublient. Par exemple, sur les questions de cybersécurité, où notre pays a évidemment une carte à jouer, il est étonnant que le Brésil se soit tourné vers l'Allemagne et non la France pour porter une initiative, après l'affaire Snowden, visant à renforcer la souveraineté numérique de leur pays face aux Etats-Unis.

Enfin, il ne faut pas prêter le flanc aux critiques qui accusent notre pays d'avoir « une attitude schizophrénique – non parce qu'elle dit une chose et en fait une autre, bien que cela se produise parfois, mais parce que la France dit une chose et ensuite ne fait rien en Amérique latine. » Il serait a minima utile de mettre en place une grande commission stratégique franco-latino-américaine, qui réunirait des personnalités politiques, notamment des parlementaires, des membres de la société civile, des membres de l'administration, des chercheurs, pour identifier les priorités de notre dialogue politique et les voies de son renforcement.

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L'origine de la mission : l'oubli de l'Amérique latine dans la réflexion diplomatique et politique française.

À l'origine de la demande faite à la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale de ce rapport, il y a d'abord l'observation faite en Amérique latine, du Brésil au Mexique en passant par la Colombie, d'une « attente de France ». Pourquoi cette attente de France ?

Le président de la mission vient de le rappeler, l'Amérique latine d'aujourd'hui n'a rien à voir avec ce qu'elle était il y a 20 ans : plus solide économiquement, le continent a relativement bien résisté à la crise de 2008 ; il compte plusieurs puissances émergentes, sa diplomatie, plus pragmatique, s'est ouverte à de nouveaux partenariats, particulièrement avec l'Asie ; c'est un continent pacifié, dont la transition démocratique a été exemplaire (certains pays sont en effet sortis de la dictature il y a quelques années seulement).

Dans cette période de transition, de jeunes dirigeants politiques, des chefs d'entreprises, des universitaires, des responsables de la société civile se tournent vers la France. Sous forte influence des États-Unis, face à une présence nouvelle de la Chine, ces leaders d'opinion travaillent pour concevoir un modèle latin face au modèle unique, de culture plutôt anglo-saxonne, de société mondialisée. Pour eux, la réponse n'est pas dans le modèle chinois, ni dans le modèle étatsunien, elle pourrait être dans le modèle français.

Notre diplomatie s'efforce de répondre à cette attente. Elle a rendu à l'Amérique latine une place plus conforme à son poids dans le monde. Il faut saluer cette réorientation diplomatique et souhaiter qu'elle soit cette fois marquée par la constance, la cohérence et la continuité – beaucoup de nos interlocuteurs ont en effet fustigé l'intermittence et le manque de priorités stratégiques de notre dialogue avec l'Amérique latine.

Nous pouvons mieux faire. Les latino-américains ne doivent pas être considérés seulement comme des clients pour notre commerce extérieur. Ils attendent un dialogue avec nous sur leur conception de l'avenir, une réflexion commune sur la politique sociale, l'éducation, l'aménagement du territoire ou la démocratie participative. Il s'agit par ce rapport d'appeler l'attention de l'Assemblée nationale sur la convergence des attentes des Français et des peuples d'Amérique latine dans cette période de crise grave.

Quelles pourraient être les priorités de la relance de notre dialogue avec l'Amérique latine ?

Aux yeux des pays d'Amérique latine, la France incarne à la fois :

– une capacité à être l'allié des grandes puissances de ce monde, les États-Unis en premier lieu, et un membre de l'Union européenne, sans perdre son indépendance de vue sur la scène internationale ;

– un modèle économique et social unique, une façon de penser le rôle de l'État dans la mondialisation, de promouvoir un modèle de développement qui s'appuie sur des valeurs humanistes héritées de la Révolution ;

– une identité culturelle et politique forte, attachée à promouvoir la diversité linguistique et les droits culturels.

Ce sont les trois grands axes de propositions du rapport que je vais à présent décliner : tout d'abord, construire un agenda concret autour des grands enjeux de la planète (le succès de la COP21 l'a replacée au coeur d'une diplomatie multilatérale, la France doit capitaliser sur cet acquis) ; ensuite appuyer la diplomatie économique sur une réflexion politique autour du développement durable ; enfin renforcer notre dialogue politique, culturel, scientifique et universitaire et le rendre plus réciproque – c'est le socle de notre relation à l'Amérique latine, et c'est, pour un coût limité, le meilleur levier de notre influence.

1. Au niveau multilatéral, le rapport propose de favoriser l'émergence d'un pôle latino-américain, allié naturel de la France pour répondre aux grands enjeux de la planète.

Pour commencer, le rapport suggère ici de soutenir l'unification du continent car elle est de nature à faire de l'Amérique latine un véritable pôle de puissance dans le monde multipolaire de demain, qui ne se confonde pas avec le monde nord-américain.

Bien sûr, il faut continuer d'épouser la diversité du continent au plan bilatéral. Ce serait nier la diversité des histoires, des populations, des cultures et des niveaux économiques. Surtout, il n'y a pas en Amérique latine de « petits pays ». Cuba, avec lequel la France a avant tous les autres, repris une politique de coopération dès 2010, en est le premier exemple : son poids économique est relatif à l'échelle du continent, son poids politique demeure immense.

Mais la France doit aussi favoriser toutes les initiatives qui tendent à créer des solidarités concrètes entre les pays du continent. Le rapport propose en ce sens de renforcer le dialogue stratégique avec l'UNASUR, dont nous avons reçu hier le secrétaire général, ensemble qui réunit 90% du PIB latino-américain et réunit le Mercosur et l'Alliance du Pacifique.

Deuxièmement, le rapport propose d'intensifier le dialogue bi régional entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Ce dialogue est de l'avis unanime des personnes rencontrées, en déclin complet. Il faudrait faire des sommets UE-Amérique latine de vrais rendez-vous politiques, ce qu'ils ne sont pas aujourd'hui, autour d'un agenda resserré (infrastructures, énergie, sécurité et défense, développement durable, santé et politiques sociales). Remarque incidente, les questions commerciales, notamment la signature d'un accord avec le Mercosur doivent impérativement faire l'objet d'une discussion au plus haut niveau politique.

Enfin, les États d'Amérique latine, dans leur diversité, sont devenus indispensables pour répondre aux défis globaux de la planète. Ils sont aussi plus pragmatiques et exigeants dans leurs attentes. Le rapport propose que sur quelques thématiques transversales, l'on transforme nos convergences de vues en initiatives concrètes. Sans revenir sur toutes ses propositions, voici quelques pistes prometteuses:

– le rapport propose de renforcer notre dialogue avec les grands émergents comme le Mexique ou le Brésil, l'Argentine ou le Chili, pour faire bouger les lignes de la gouvernance mondiale ou réguler la mondialisation (à titre d'exemple, nous pourrions travailler avec les latino-américains sur les règlements des différends en matière d'investissement ou sur l'application extraterritoriale de la législation américaine);

– il est aussi suggéré de s'appuyer davantage sur les latino-américains dans la mise en oeuvre de l'accord de Paris sur le climat, accord qui doit ouvrir la voie d'une nouvelle diplomatie du développement durable de la France dans la région ;

Le rapport propose aussi de :

– favoriser la coopération triangulaire Afrique-Europe-Amérique latine sur les questions de développement : ici aussi le Brésil, le Mexique ou la Colombie sont nos meilleurs alliés parmi les émergents

– promouvoir, dans la foulée de la dernière assemblée générale des Nations unies consacrée au sujet, une nouvelle approche des narcotrafics basée sur la co-responsabilisation tant le triangle Amérique du sud – Afrique – Europe est en passe de devenir la nouvelle route du narcotrafic ;

– élaborer enfin une nouvelle stratégie en matière de gouvernance d'internet, de cyber sécurité ou encore de e-démocratie.

2. Le rapport évalue dans un second temps la pertinence de notre diplomatie économique.

Comme le soulignait un interlocuteur de la mission, « il est inutile d'arriver au Brésil avec dans ses valises des hélicoptères ou nos grands champions nationaux ». En revanche, appuyer notre dialogue économique sur notre dialogue politique produira des résultats plus concluants.

Il ressort des travaux de notre mission qu'en Amérique latine, la France n'a pas le poids économique de la Chine ni la proximité géographique et historique des États-Unis, mais elle a une solide réputation en matière de politiques publiques dans les domaines qui intéressent les latino-américains. Le soft power français est un arbre aux puissantes racines qui ne demande qu'à fructifier.

Le rapport suggère donc, au plan de la méthode, de modifier le discours qui porte notre diplomatie économique. Les questions de développement et de transition économique doivent occuper une place centrale dans nos discussions avec l'Amérique latine.

Le rapport propose de développer des démarches intégrées qui joignent tous les volets de notre coopération. À titre d'exemple, les coopérations qui renforcent les échanges entre start-up innovantes et pôles de compétitivité, alliant transferts de technologie et formation, intéressent les pays latino-américains.

Le rapport suggère par ailleurs de se concentrer sur les besoins de l'Amérique latine, dans des domaines où la France a des compétences à faire valoir et où elle peut aussi apprendre de l'Amérique latine. Les échanges économiques avec l'Amérique latine doivent s'accompagner d'un dialogue politique renouvelé, attentif aux besoins d'un continent dont la réalité a changé, dont la diplomatie est devenue plus « pragmatique » et qui cherche à diversifier ses alliances pour relever les nombreux défis de son émergence. C'est particulièrement le cas en matière de ville durable, de transport, de protection de la biodiversité, de lutte contre la déforestation, de gestion de l'eau, d'urbanisme, de politiques sociales innovantes ou de santé publique, ou encore de consolidation des institutions et des services publics.

Il serait enfin avisé de mieux capter le financement des programmes européens et de mieux placer nos opérateurs nationaux.

3. Dernier volet de proposition du rapport, peut-être le plus important, repenser la participation politique et la diversité culturelle dans la mondialisation.

Si les travaux de la mission se sont naturellement intéressés à la coopération économique, c'est le domaine politique et culturel qu'elle a souhaité défricher en priorité. Tous nos interlocuteurs l'ont souligné: la France dispose encore d'une aura culturelle et politique qui compense son statut de puissance moyenne et qui est peut-être son seul avantage comparatif par rapport aux puissances concurrentes en Amérique latine.

Mais notre coopération souffre aussi de certains défauts selon les interlocuteurs de la mission : manque d'une politique à l'égard de la jeunesse ; politique linguistique qui pourrait être plus offensive et s'appuyer notamment sur les langues latines ; il en est de même de la défense de la diversité culturelle ; dialogue universitaire et scientifique qui manque d'ambition et cruellement de ressources ; enfin, les instances de discussion des sujets politiques et sociétaux, sur lesquels les latino-américains sont en demande, font défaut.

Pour pallier à ces insuffisances, le rapport fait des propositions pour renforcer le dialogue politique à travers des instruments d'influence encore trop peu utilisés tels que la diplomatie parlementaire, qui manque cruellement de moyens ; le dialogue au sein des conseils stratégiques franco-brésilien ou franco-mexicain où il serait urgent de sortir d'une logique purement économique et commerciale pour traiter de questions politiques et stratégiques. Autre outil essentiel, la coopération décentralisée : il ne faut pas oublier que la France a une frontière terrestre avec le Brésil et qu'elle est une puissance caribéenne.

Des outils peuvent être mobilisés mais pour quel contenu ? La coopération universitaire, scientifique et technique est un domaine dans lequel la France est attendue. La culture française, ses débats intellectuels sur des sujets aussi stratégiques que la laïcité, l'altérité, la mixité sociale, l'avenir de la jeunesse peut trouver un nouveau souffle à travers un dialogue mutuellement profitable avec l'Amérique du sud. Concernant la jeunesse, le rapport propose la création d'un Office latino-américain de la jeunesse à l'image de l'office franco-allemand qui a permis à des générations des deux pays de se connaître et de mieux se comprendre.

Un point sur la question culturelle qui est au coeur du rapport. Trois axes porteurs pour notre diplomatie d'influence dans la région, sur lesquels l'attente des latino-américains est forte nous ont semblé prioritaires :

– la modernité et l'innovation : notre diplomatie pourrait être dépoussiérée en faisant la part belle aux nouvelles technologies, aux arts vivants, aux médias et au cinéma ;

– le renforcement du volet scientifique et universitaire sur lequel j'ai déjà dit deux mots ;

– la défense de la diversité culturelle, linguistique et intellectuelle : ici, la francophonie est un levier d'influence immense. Elle peut se nourrir d'une latinité partagée et d'une plus grande réciprocité. Mais la diversité ne se réduit pas aux langues, elle peut porter aussi sur les normes et le droit applicable – la promotion du droit continental est par exemple une piste à approfondir.

Enfin, Paris a été longtemps la capitale culturelle et intellectuelle du monde latino-américain. C'est aujourd'hui Miami qui occupe cette place. Il faudrait réfléchir aux moyens de renforcer la présence latino-américaine en France. Faire de la Maison de l'Amérique latine une vraie vitrine de notre dialogue culturel et intellectuel, avec des moyens renforcés irait dans le bon sens.

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Vous avez évoqué la question de la Guyane. Le fait d'avoir cet espace particulier en Amérique latine est-il un avantage dans les relations entre l'Europe et l'Amérique latine, ou la France et l'Amérique latine ? Est-il au contraire perçu comme une enclave, comme un pays qui ne compte pas dans l'espace sud-américain ? Nous avons quelques intérêts à garder ce territoire et entretenir cette particularité.

Vous avez évoqué la COP 21. Les enjeux autour de la question environnementale sont importants. La conscience de ces enjeux sur l'avenir de la planète transparaît-elle dans la politique des pays d'Amérique latine ? Ont-ils la même conscience que nous en Europe ou dans les pays développés ? Est-ce que cela peut jouer dans les enjeux de relations entre l'Europe et l'Amérique latine ?

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En ce qui concerne la Guyane, vous avez sans doute comme moi été très impressionné par le jour où le président Sarkozy est allé rencontrer le président brésilien à la frontière entre le Brésil et la France, sur l'Oyapock. Du côté français, il y avait deux gardes républicains en grande tenue avec leurs casques. Du côté brésilien, on a été étonné de voir que les gardes républicains portaient des plumes sur leur costume, de sorte à leur montrer qu'on était finalement proche d'eux dans leur manière de s'habiller. Cette petite plaisanterie - qui n'est pas drôle du tout je le reconnais - étant faite, on observe en Guyane un problème. Les Brésiliens s'étonnent naturellement de ne pas avoir besoin de visa pour se rendre en métropole alors que cela leur est imposé pour aller en Guyane. On comprend pourquoi : il y a une un tel dynamisme dans la démographie des pays proches de la Guyane que les Brésiliens s'installeraient volontiers en Guyane, tout en étant très amicaux dans leur attitude. Il y a également une forte pression du côté du Suriname.

La France joue dans les Caraïbes, en Martinique et en Guadeloupe, et dans les autres départements et possessions françaises en Amérique latine, une belle carte : elle peut développer une politique “étrangère” régionale intelligente, bien acceptée par ses voisins, et qui est pour nous une source à la fois de stabilité et d'enrichissement.

Pour ce qui est de la COP 21, l'Amérique latine, et le Mexique en particulier, nous a vigoureusement aidés pour la réussite de la conférence. Ce n'était pas évident et nous leur devons cela. L'application de cette politique doit faire intervenir beaucoup de bonne volonté. On a vu par exemple en Uruguay le président Correa proposer une quête mondiale pour ne pas exploiter le pétrole sous la forêt équatoriale en Équateur et ainsi sauver cette forêt. Cette initiative n'a évidemment pas récolté beaucoup de succès ni d'argent et par conséquent cette forêt sera détruite, car l'Équateur a besoin d'exploiter ce pétrole.

Il y a également du côté du Brésil des problèmes de corruption. J'aborde cette question avec beaucoup de prudence pour ne pas être injurieux à l'égard de nos amis brésiliens, mais la corruption comme la drogue sont de vrais problèmes. La corruption peut être très violente comme vous l'avez vu au Mexique, où le président lui-même a été déstabilisé lorsqu'on a découvert le massacre d'étudiants dans l'Etat de Guerrero. La corruption et l'attrait de l'argent font que des politiques sans doute sincères que souhaitent mener ces États sont battues en brèche par l'argent.

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Il faut mentionner l'importance de la base européenne de Kourou, qui dans les technologies avancées est un élément de développement et de présence européenne, et non exclusivement française, tout à fait capitale. Celle-ci ne va pas sans poser des problèmes, y compris de sécurité. Nous avons dû il y a 2 ou 3 ans mettre en place une zone de sécurité prioritaire autour de Kourou, qui est un peu un « miroir aux alouettes » au milieu de ce département français, qui d'ailleurs est resté français par un processus démocratique, et non par une outrance du néocolonialisme.

Ceci-dit, l'attraction des ressources aurifères du département de la Guyane sont un problème par rapport au Brésil. Vous pouvez imaginer à quel point les frontières entre la Guyane et le Brésil sont difficiles à surveiller, et à quel point l'exploitation clandestine des ressources aurifères de la Guyane peut être déstabilisantes pour ce pays et nécessitent pour nous un investissement lourd en forces de sécurité, y compris militaires.

La commission autorise la publication du rapport d'information à l'unanimité.

Informations relatives à la commission

Au cours de sa réunion du mercredi 22 juin 2016 à 9h30, la commission des affaires étrangères a nommé :

– M. Philippe Baumel, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon relatif au transfert d'équipements et de technologies de défense (n° 3849) ;

– M. Thierry Mariani, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de l'accord-cadre de partenariat et de coopération entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la Mongolie, d'autre part (n° 3850) ;

– M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention de Minamata sur le mercure (n° 3848) ;

– Mme Elisabeth Guigou, rapporteure sur la proposition de résolution de MM. François Rochebloine, Thierry Benoit et Charles de Courson et plusieurs de leurs collègues tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux relations politiques, économiques et diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (n° 3764).

La séance est levée à dix-neuf heures quinze.