Intervention de Michel Vauzelle

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vauzelle, rapporteur de la mission :

L'origine de la mission : l'oubli de l'Amérique latine dans la réflexion diplomatique et politique française.

À l'origine de la demande faite à la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale de ce rapport, il y a d'abord l'observation faite en Amérique latine, du Brésil au Mexique en passant par la Colombie, d'une « attente de France ». Pourquoi cette attente de France ?

Le président de la mission vient de le rappeler, l'Amérique latine d'aujourd'hui n'a rien à voir avec ce qu'elle était il y a 20 ans : plus solide économiquement, le continent a relativement bien résisté à la crise de 2008 ; il compte plusieurs puissances émergentes, sa diplomatie, plus pragmatique, s'est ouverte à de nouveaux partenariats, particulièrement avec l'Asie ; c'est un continent pacifié, dont la transition démocratique a été exemplaire (certains pays sont en effet sortis de la dictature il y a quelques années seulement).

Dans cette période de transition, de jeunes dirigeants politiques, des chefs d'entreprises, des universitaires, des responsables de la société civile se tournent vers la France. Sous forte influence des États-Unis, face à une présence nouvelle de la Chine, ces leaders d'opinion travaillent pour concevoir un modèle latin face au modèle unique, de culture plutôt anglo-saxonne, de société mondialisée. Pour eux, la réponse n'est pas dans le modèle chinois, ni dans le modèle étatsunien, elle pourrait être dans le modèle français.

Notre diplomatie s'efforce de répondre à cette attente. Elle a rendu à l'Amérique latine une place plus conforme à son poids dans le monde. Il faut saluer cette réorientation diplomatique et souhaiter qu'elle soit cette fois marquée par la constance, la cohérence et la continuité – beaucoup de nos interlocuteurs ont en effet fustigé l'intermittence et le manque de priorités stratégiques de notre dialogue avec l'Amérique latine.

Nous pouvons mieux faire. Les latino-américains ne doivent pas être considérés seulement comme des clients pour notre commerce extérieur. Ils attendent un dialogue avec nous sur leur conception de l'avenir, une réflexion commune sur la politique sociale, l'éducation, l'aménagement du territoire ou la démocratie participative. Il s'agit par ce rapport d'appeler l'attention de l'Assemblée nationale sur la convergence des attentes des Français et des peuples d'Amérique latine dans cette période de crise grave.

Quelles pourraient être les priorités de la relance de notre dialogue avec l'Amérique latine ?

Aux yeux des pays d'Amérique latine, la France incarne à la fois :

– une capacité à être l'allié des grandes puissances de ce monde, les États-Unis en premier lieu, et un membre de l'Union européenne, sans perdre son indépendance de vue sur la scène internationale ;

– un modèle économique et social unique, une façon de penser le rôle de l'État dans la mondialisation, de promouvoir un modèle de développement qui s'appuie sur des valeurs humanistes héritées de la Révolution ;

– une identité culturelle et politique forte, attachée à promouvoir la diversité linguistique et les droits culturels.

Ce sont les trois grands axes de propositions du rapport que je vais à présent décliner : tout d'abord, construire un agenda concret autour des grands enjeux de la planète (le succès de la COP21 l'a replacée au coeur d'une diplomatie multilatérale, la France doit capitaliser sur cet acquis) ; ensuite appuyer la diplomatie économique sur une réflexion politique autour du développement durable ; enfin renforcer notre dialogue politique, culturel, scientifique et universitaire et le rendre plus réciproque – c'est le socle de notre relation à l'Amérique latine, et c'est, pour un coût limité, le meilleur levier de notre influence.

1. Au niveau multilatéral, le rapport propose de favoriser l'émergence d'un pôle latino-américain, allié naturel de la France pour répondre aux grands enjeux de la planète.

Pour commencer, le rapport suggère ici de soutenir l'unification du continent car elle est de nature à faire de l'Amérique latine un véritable pôle de puissance dans le monde multipolaire de demain, qui ne se confonde pas avec le monde nord-américain.

Bien sûr, il faut continuer d'épouser la diversité du continent au plan bilatéral. Ce serait nier la diversité des histoires, des populations, des cultures et des niveaux économiques. Surtout, il n'y a pas en Amérique latine de « petits pays ». Cuba, avec lequel la France a avant tous les autres, repris une politique de coopération dès 2010, en est le premier exemple : son poids économique est relatif à l'échelle du continent, son poids politique demeure immense.

Mais la France doit aussi favoriser toutes les initiatives qui tendent à créer des solidarités concrètes entre les pays du continent. Le rapport propose en ce sens de renforcer le dialogue stratégique avec l'UNASUR, dont nous avons reçu hier le secrétaire général, ensemble qui réunit 90% du PIB latino-américain et réunit le Mercosur et l'Alliance du Pacifique.

Deuxièmement, le rapport propose d'intensifier le dialogue bi régional entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Ce dialogue est de l'avis unanime des personnes rencontrées, en déclin complet. Il faudrait faire des sommets UE-Amérique latine de vrais rendez-vous politiques, ce qu'ils ne sont pas aujourd'hui, autour d'un agenda resserré (infrastructures, énergie, sécurité et défense, développement durable, santé et politiques sociales). Remarque incidente, les questions commerciales, notamment la signature d'un accord avec le Mercosur doivent impérativement faire l'objet d'une discussion au plus haut niveau politique.

Enfin, les États d'Amérique latine, dans leur diversité, sont devenus indispensables pour répondre aux défis globaux de la planète. Ils sont aussi plus pragmatiques et exigeants dans leurs attentes. Le rapport propose que sur quelques thématiques transversales, l'on transforme nos convergences de vues en initiatives concrètes. Sans revenir sur toutes ses propositions, voici quelques pistes prometteuses:

– le rapport propose de renforcer notre dialogue avec les grands émergents comme le Mexique ou le Brésil, l'Argentine ou le Chili, pour faire bouger les lignes de la gouvernance mondiale ou réguler la mondialisation (à titre d'exemple, nous pourrions travailler avec les latino-américains sur les règlements des différends en matière d'investissement ou sur l'application extraterritoriale de la législation américaine);

– il est aussi suggéré de s'appuyer davantage sur les latino-américains dans la mise en oeuvre de l'accord de Paris sur le climat, accord qui doit ouvrir la voie d'une nouvelle diplomatie du développement durable de la France dans la région ;

Le rapport propose aussi de :

– favoriser la coopération triangulaire Afrique-Europe-Amérique latine sur les questions de développement : ici aussi le Brésil, le Mexique ou la Colombie sont nos meilleurs alliés parmi les émergents

– promouvoir, dans la foulée de la dernière assemblée générale des Nations unies consacrée au sujet, une nouvelle approche des narcotrafics basée sur la co-responsabilisation tant le triangle Amérique du sud – Afrique – Europe est en passe de devenir la nouvelle route du narcotrafic ;

– élaborer enfin une nouvelle stratégie en matière de gouvernance d'internet, de cyber sécurité ou encore de e-démocratie.

2. Le rapport évalue dans un second temps la pertinence de notre diplomatie économique.

Comme le soulignait un interlocuteur de la mission, « il est inutile d'arriver au Brésil avec dans ses valises des hélicoptères ou nos grands champions nationaux ». En revanche, appuyer notre dialogue économique sur notre dialogue politique produira des résultats plus concluants.

Il ressort des travaux de notre mission qu'en Amérique latine, la France n'a pas le poids économique de la Chine ni la proximité géographique et historique des États-Unis, mais elle a une solide réputation en matière de politiques publiques dans les domaines qui intéressent les latino-américains. Le soft power français est un arbre aux puissantes racines qui ne demande qu'à fructifier.

Le rapport suggère donc, au plan de la méthode, de modifier le discours qui porte notre diplomatie économique. Les questions de développement et de transition économique doivent occuper une place centrale dans nos discussions avec l'Amérique latine.

Le rapport propose de développer des démarches intégrées qui joignent tous les volets de notre coopération. À titre d'exemple, les coopérations qui renforcent les échanges entre start-up innovantes et pôles de compétitivité, alliant transferts de technologie et formation, intéressent les pays latino-américains.

Le rapport suggère par ailleurs de se concentrer sur les besoins de l'Amérique latine, dans des domaines où la France a des compétences à faire valoir et où elle peut aussi apprendre de l'Amérique latine. Les échanges économiques avec l'Amérique latine doivent s'accompagner d'un dialogue politique renouvelé, attentif aux besoins d'un continent dont la réalité a changé, dont la diplomatie est devenue plus « pragmatique » et qui cherche à diversifier ses alliances pour relever les nombreux défis de son émergence. C'est particulièrement le cas en matière de ville durable, de transport, de protection de la biodiversité, de lutte contre la déforestation, de gestion de l'eau, d'urbanisme, de politiques sociales innovantes ou de santé publique, ou encore de consolidation des institutions et des services publics.

Il serait enfin avisé de mieux capter le financement des programmes européens et de mieux placer nos opérateurs nationaux.

3. Dernier volet de proposition du rapport, peut-être le plus important, repenser la participation politique et la diversité culturelle dans la mondialisation.

Si les travaux de la mission se sont naturellement intéressés à la coopération économique, c'est le domaine politique et culturel qu'elle a souhaité défricher en priorité. Tous nos interlocuteurs l'ont souligné: la France dispose encore d'une aura culturelle et politique qui compense son statut de puissance moyenne et qui est peut-être son seul avantage comparatif par rapport aux puissances concurrentes en Amérique latine.

Mais notre coopération souffre aussi de certains défauts selon les interlocuteurs de la mission : manque d'une politique à l'égard de la jeunesse ; politique linguistique qui pourrait être plus offensive et s'appuyer notamment sur les langues latines ; il en est de même de la défense de la diversité culturelle ; dialogue universitaire et scientifique qui manque d'ambition et cruellement de ressources ; enfin, les instances de discussion des sujets politiques et sociétaux, sur lesquels les latino-américains sont en demande, font défaut.

Pour pallier à ces insuffisances, le rapport fait des propositions pour renforcer le dialogue politique à travers des instruments d'influence encore trop peu utilisés tels que la diplomatie parlementaire, qui manque cruellement de moyens ; le dialogue au sein des conseils stratégiques franco-brésilien ou franco-mexicain où il serait urgent de sortir d'une logique purement économique et commerciale pour traiter de questions politiques et stratégiques. Autre outil essentiel, la coopération décentralisée : il ne faut pas oublier que la France a une frontière terrestre avec le Brésil et qu'elle est une puissance caribéenne.

Des outils peuvent être mobilisés mais pour quel contenu ? La coopération universitaire, scientifique et technique est un domaine dans lequel la France est attendue. La culture française, ses débats intellectuels sur des sujets aussi stratégiques que la laïcité, l'altérité, la mixité sociale, l'avenir de la jeunesse peut trouver un nouveau souffle à travers un dialogue mutuellement profitable avec l'Amérique du sud. Concernant la jeunesse, le rapport propose la création d'un Office latino-américain de la jeunesse à l'image de l'office franco-allemand qui a permis à des générations des deux pays de se connaître et de mieux se comprendre.

Un point sur la question culturelle qui est au coeur du rapport. Trois axes porteurs pour notre diplomatie d'influence dans la région, sur lesquels l'attente des latino-américains est forte nous ont semblé prioritaires :

– la modernité et l'innovation : notre diplomatie pourrait être dépoussiérée en faisant la part belle aux nouvelles technologies, aux arts vivants, aux médias et au cinéma ;

– le renforcement du volet scientifique et universitaire sur lequel j'ai déjà dit deux mots ;

– la défense de la diversité culturelle, linguistique et intellectuelle : ici, la francophonie est un levier d'influence immense. Elle peut se nourrir d'une latinité partagée et d'une plus grande réciprocité. Mais la diversité ne se réduit pas aux langues, elle peut porter aussi sur les normes et le droit applicable – la promotion du droit continental est par exemple une piste à approfondir.

Enfin, Paris a été longtemps la capitale culturelle et intellectuelle du monde latino-américain. C'est aujourd'hui Miami qui occupe cette place. Il faudrait réfléchir aux moyens de renforcer la présence latino-américaine en France. Faire de la Maison de l'Amérique latine une vraie vitrine de notre dialogue culturel et intellectuel, avec des moyens renforcés irait dans le bon sens.

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