Intervention de Isabelle Bruneau

Réunion du 22 juin 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Bruneau :

Nous avons entamé depuis plusieurs mois un travail conjoint sur les pratiques fiscales dommageables qui affectent, en Europe, nos économies et donc nos sociétés. À l'heure de l'Euro 2016, il nous a semblé intéressant de faire un focus sur le football professionnel.

L'exposition médiatique et les aspects symboliques du football professionnel constituent en effet des enjeux politiques et sociaux significatifs, et le football professionnel est aussi le lieu d'un paradoxe : si la concurrence sportive est uniquement nationale pour la plupart d'entre eux, et essentiellement nationale pour ceux qui jouent régulièrement une Coupe d'Europe, le football professionnel est une des activités économiques à avoir acquis une véritable dimension européenne.

Dans un contexte de dérégulation des marchés liés au sport professionnel, l'évolution des rapports économiques entre les différents acteurs du monde du football professionnel français et la financiarisation croissante de ce secteur ont fait que, tant à l'échelon national qu'européen, les instances dirigeantes du football tout comme les pouvoirs publics ont été ou sont encore confrontés à des phénomènes significatifs autour du fonctionnement économique des clubs professionnels, avec un constat de malversations financières, une viabilité financière des clubs professionnels incertaine et de nouvelles formes d'investissements dans les joueurs, et enfin, une demande d'application sans limitation des règles du marché intérieur, alors que le modèle sportif européen pose le football professionnel comme un secteur d'activité économique spécifique, justifiant voire nécessitant des modes de régulation propres.

Des rapports très documentés ont été publiés ces trois dernières années, le dernier en date étant le rapport remis le 19 avril dernier à M. Thierry Braillard, secrétaire d'État aux sports, par la Grande Conférence sur le sport professionnel français. Notre communication n'a pas pour ambition de les égaler, et nous avons souhaité la circonscrire aux enjeux de concurrence et par ricochet d'aides d'État.

Le modèle sportif européen est un modèle ouvert et caractérisé par la mise en oeuvre de règles dérogatoires au droit commun. Le droit européen a sur lui un impact limité sauf lorsque l'Union se place sous l'angle de la concurrence et du respect des règles du marché intérieur, mais prime jusqu'à présent la volonté de légitimer des règles dérogatoires au droit commun en raison des spécificités liées à la pratique du sport.

Le football est toutefois, comme d'autres secteurs, le lieu aujourd'hui de divergences, entre dérégulation pour stimuler la concurrence et régulation pour préserver un équilibre compétitif.

Une première approche est celle de la concurrence fiscale et sociale entre pays européens. Elle passe par des niveaux de taux différents (du ressort des États, rappelons-le), mais aussi par des pratiques d'optimisation voire d'évasion fiscale.

Sans vouloir singulariser ici le football professionnel, force est de constater que la presse s'est fait l'écho de suspicions de malversations fiscales, et que des enquêtes sont en cours dans certains États membres, dont le nôtre.

Si ces pratiques répréhensibles ne sont bien sûr pas propres au football, elles trouvent dans cette industrie des conditions qui favorisent la mise en place de circuits financiers élaborés, comme l'a montré le rapport sur les risques de blanchiment dans le secteur du football publié par le Groupe d'action financière (GAFI) en 2009.

Deux exemples ont récemment fait l'actualité : la domiciliation du capital social de clubs anglais dans des pays « opaques et l'accusation de répartition fictive de frais lors d'opérations de transferts de joueurs, pour des clubs italiens.

Pour le football professionnel, comme pour d'autres activités dans une économie internationalisée, se pose donc le problème de l'asymétrie des règles et des contrôles, et donc la question d'une harmonisation, au minimum à l'échelon européen.

En matière de concurrence « légale », la France a su se doter de dispositifs fiscaux attractifs pour attirer les acteurs du secteur du football professionnel, la contrepartie en étant sans doute un système lourd et complexe. Plus que la concurrence en matière fiscale, c'est donc celle en matière sociale qui a été mise en exergue par nos interlocuteurs. Un comparatif en matière de charges sociales se fait en effet en défaveur des clubs professionnels français, alors que les salaires représentent le principal poste de dépenses des clubs professionnels.

Alors que certains pays – dont l'Allemagne – appliquent une règle générale de plafond de cotisation, les solutions mises en avant en France relèvent à l'inverse du cas particulier, avec par exemple de février 2005 à juillet 2010, un régime social spécifique prenant en compte la médiatisation de la profession des sportifs professionnels, le droit à l'image collective.

C'est une solution similaire qui est d'ailleurs suggérée par la Grande Conférence sur le sport professionnel français, afin rétablir une compétitivité sportive qu'elle juge corollaire de la performance financière et de la puissance économique des clubs : l'extension du régime applicable aux professionnels du spectacle.

S'il n'est pas illégitime d'instaurer un « droit à l'image » calqué sur le mécanisme existant pour les artistes interprètes, l'absence de visibilité d'un tel dispositif pour les finances publiques ne peut être éludée. Par ailleurs, la concurrence sportive est uniquement nationale pour la plupart des clubs, et essentiellement nationale pour ceux qui jouent régulièrement une Coupe d'Europe. Il faut donc rappeler aussi l'impératif d'une contribution de chacun, selon ses capacités, au financement de la protection sociale des citoyens de notre pays.

Les données sur le marché des transferts relativisent par ailleurs quelque peu l'importance des facteurs fiscaux et sociaux au regard d'autres facteurs structurels de puissance économique, tels que la faiblesse des fonds propres, le montant moins élevé des recettes d'entrées dans les stades, l'importance moindre des droits dérivés, une répartition des droits télévisées différente de celles pratiquée par d'autres ligues professionnelles européennes.

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