Intervention de Marc Laffineur

Réunion du 22 juin 2016 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Laffineur :

En l'absence d'investisseurs puissants, et compte tenu d'un recours inégal aux autres outils que sont les droits annexes (retransmission et marketing) et la valorisation du stade, deux autres mécanismes de financement peuvent être utilisés pour s'adjuger les services du principal actif des clubs, les joueurs : les indemnités de transfert et la propriété des droits économique par des tiers. Sur ces deux modalités, la régulation en place est contestée au nom des règles du marché intérieur.

En premier lieu, le marché des transferts confèrerait un monopole des grands clubs sur les bons joueurs, le coût des transferts étant bien trop élevé pour les « petits clubs ». De plus, un lien très fort entre les dépenses en matière de transfert et les résultats sportifs a été mis en évidence, en particulier depuis 2001, et cette situation ne fait qu'aggraver les déséquilibres qui existent entre les clubs les plus riches et les autres. La saison 2015-2016 de la première division française en est un bon exemple.

Enfin, la fédération internationale des associations de footballeurs professionnelles conteste, au nom du droit à la concurrence, la non-réciprocité des droits des employés (les joueurs) et des employeurs (les clubs), notamment sur la rupture unilatérale des contrats.

La réalité est plus nuancée.

Plus que cette question du monopole, il convient de prendre en compte l'impact de ces transferts sur les résultats financiers des clubs : alors que cette activité a très peu d'impact sur les résultats financiers des clubs de certains pays importateurs de talents, certains clubs d'autres pays mettent systématiquement à mal leurs résultats financiers en réalisant ces transferts. À cet égard, les règles de fair-play financier mises en place par l'UEFA représentent donc un « garde-jeu » essentiel pour l'équité de la compétition sportive.

Quant à l'atteinte aux droits des joueurs, l'organisation du marché des transferts est marquée par une forte segmentation, et les transferts payants ne concernent que le haut de la pyramide. Certes, ce sont ceux dont on parle le plus car ils se réalisent moyennant des sommes très importantes mais cela ne concerne qu'un nombre très limité de joueurs. Un autre phénomène, les prêts de joueurs entre clubs, qui précarise les footballeurs, devrait en fait plus retenir notre attention.

Loin d'appliquer sans restriction les règles du marché intérieur, il conviendrait au contraire de renforcer la régulation spécifique au football professionnel. Des pistes sont proposées, on peut citer une « redevance d'équité » sur les indemnités de transfert dépassant un certain montant afin de financer un mécanisme de redistribution des fonds entre les clubs riches et les clubs moins fortunés, et ainsi rétablir en partie l'équilibre compétitif, une régulation de la pratique des clauses de rachat, la mise en place d'une « chambre de compensation » via la fédération ou la ligue, ou établir une limite au nombre de joueurs par club et réguler le mécanisme des prêts de joueurs.

En second lieu, l'interdiction de la tierce propriété est contestée, notamment par l'autorité de la concurrence espagnole.

C'est une pratique par laquelle une société achète, aux côtés d'un club, tout ou partie d'un joueur, soit pour partager l'investissement – lors d'un achat d'un nouveau joueur – soit pour régler un problème de trésorerie – lorsque le club possède déjà le joueur–.

Quelques fédérations nationales – dont la France –, confrontées à des cas ayant mis en lumière les risques associés aux pratiques de TPO, avaient interdit cette pratique, autorisée mais encadrée par la FIFA, avant que cette dernière ne l'interdise également à la fin en décembre 2014, à partir du 1er mai 2015. Cette dernière a d'ailleurs sanctionné à ce sujet quatre clubs en mars dernier.

Le principal argument de la FIFA est que les TPO interfèrent dans les décisions sportives des principales unités économiques qui opèrent dans cette industrie, les clubs, mais trois dérives potentielles peuvent être identifiées: l'opacité quant à la provenance des fonds injectés dans les clubs leur permettant de réaliser les opérations de transferts, le risque d'opérations de transferts uniquement guidées par des considérations de rentabilité et non par l'intérêt sportif du club etou du joueur , et enfin, le risque de dépendance financière des clubs.

Cette décision d'interdiction est contestée, notamment par la Ligue espagnole et par l'autorité de la concurrence de cet État membre, mais aussi par les fonds d'investissement. De nombreuses actions juridiques sont en cours en Belgique, en France et devant la Commission européenne, sans résultat jusqu'à présent.

Outre l'aspect humain souligné à juste titre par M. Theo Van Seggelen, secrétaire général de la FIFPro, qui redoute son effet négatif sur le développement des jeunes joueurs et l'assimile in fine au trafic d'êtres humains, nous considérons qu'à ce mode de financement, artificiel et limité aux actifs joueurs des clubs, doit être privilégié un investissement direct dans les clubs, tout en notant que les mécanismes d'injections de capitaux propres ne sont pas, eux non plus, dénués de fragilités.

En matière de financements privés, trois mécanismes sont privilégiés : une stratégie de diversification dans le cadre de clubs omnisports, l'introduction en bourse des clubs – mais l'aléa sportif entraîne une relative désaffection des investisseurs pour le marché boursier du football professionnel – et l'arrivée d'investisseurs étrangers, notamment de pays émergents, qui mêlent intérêt sportif, vecteur de rayonnement diplomatique et diversification de leurs placements. C'est le cas du Qatar, bien sûr, mais aussi, et de plus en plus, de la Chine.

Or l'arrivée de ces investisseurs a été synonyme d'une augmentation spectaculaire des moyens de leurs clubs, au risque de déstabiliser de l'ensemble de la filière du football, les clubs les moins riches n'ayant pas les moyens suffisants pour conserver leurs joueurs les plus performants. En Ligue 1, la variation des effectifs du club d'Angers lors du dernier mercato d'hiver l'illustre parfaitement.

Cette montée en puissance des financements privés s'inscrit dans un contexte de contrainte budgétaire pour les collectivités territoriales, donc de contraction des financements publics, de toute façon sous surveillance européenne. Ce sera notre troisième et dernier point, la question du financement public.

L'interdiction de principe des aides d'État souffre toutefois d'exceptions, notamment en raison de missions d'intérêt général – la liste est à l'article R. 113-2 du code du sport. En matière d'infrastructures, la Commission européenne a également légitimé les aides pour la rénovation ou la construction d'équipements susceptibles d'accueillir des compétitions internationales et ayant vocation à permettre à un État de rayonner au plan européen et international – ce fut le cas pour 9 des stades qui sont utilisé en ce moment pour l'Euro – mais aussi d'équipements à vocation uniquement locale.

Dans un précédent rapport, notre collègue Isabelle Bruneau soulignait l'apport, pour les acteurs de terrain, des communications par lesquelles la Commission européenne précise son approche dans l'interprétation de la notion d'aide d'État et donc de son contrôle.

Alors qu'un travail est en cours sur les modalités de calcul de la redevance pour les stades, et qu'un tel cadrage existe pour l'activité physique de loisir, un focus sur le cas des infrastructures utilisées par le football professionnel serait sans doute utile, dans le contexte de la mise en cause de sept clubs espagnols par la Commission européenne pour des modalités relatives aux centres de formations, à la prise en charge lors de la construction d'un nouveau stade, ainsi qu'en matière de régime fiscal.

Les chambres régionales des comptes dénoncent régulièrement les modalités du soutien que les collectivités territoriales françaises apportent aux clubs de football, attirant l'attention sur le risque au regard de la réglementation en matière d'aides d'État.

En filigrane, ce qui est ici posé, c'est la question de l'outil de travail des clubs, le stade, mais aussi celle du risque de l'aléa sportif et de sa prise en charge : s'agissant du football professionnel, il pourrait être déplacé des collectivités territoriales vers les clubs eux-mêmes.

Si la plupart des pays européens ont fait le choix d'une propriété privée des équipements sportifs, en France ce sont les collectivités territoriales qui détiennent la propriété de ces équipements, à quelques rares exceptions près, dont l'exemple le plus récent est l'Olympique Lyonnais.

En réponse aux critiques sur les modalités du soutien des collectivités territoriales, la Grande conférence sur le sport professionnel propose de sécuriser la mise à disposition des équipements sportifs par la définition d'un mode de calcul des redevances au moyen d'une réglementation unique dont la compatibilité avec le régime des aides d'État aura préalablement été validée par la Commission européenne.

En réponse aux demandes des clubs de mieux maitriser leur outil de travail, la Grande conférence sur le sport professionnel propose deux options : sans modifier le régime de propriété, il serait possible d'optimiser l'exploitation des stades ; la propriété des stades par les clubs serait favorisée via la cession des enceintes sportives existantes appartenant aux collectivités locales etou la sécurisation de la procédure juridique et des financements pour les nouvelles enceintes sportives.

Pour les représentants de Première Ligue que nous avons reçus, maîtriser le stade leur permettrait de maîtriser leurs financements (garantie d'emprunt, recettes complémentaires, etc…). Si nous en comprenons la logique, il nous semble toutefois nécessaire d'être vigilants sur un équipement « symbole » pour les collectivités territoriales.

Enfin, et pour « boucler la boucle » avec notre introduction, il nous semble indispensable que les États européens reprennent « la main » face aux fédérations internationales.

Il est en effet absolument nécessaire et utile d'accueillir dans nos pays des compétitions sportives internationales, compte tenu de leurs impact sur nos territoires, notre jeunesse, notre économie, mais la lutte contre l'optimisation fiscale passe aussi, à nos yeux, par le refus d'entrer dans une compétition vers le moins disant fiscal en matière d'organisation de ces compétitions.

En disant cela, je ne critique pas la situation actuelle pour cet Euro, la France n'avait pas le choix. Nous n'y arriverons pas seuls, cela implique une prise de position de l'ensemble des pays européens face à des demandes de traitement exorbitant du droit commun mais la situation n'est pas si inégale que ces fédérations veulent bien le dire.

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