Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 28 juin 2016 à 15h00
Égalité et citoyenneté

Manuel Valls, Premier ministre :

Si nous voulions sauver Schengen, il fallait faire en sorte que les frontières soient pleinement respectées. Des décisions ont été prises dans ce sens. L’essentiel désormais est de faire en sorte qu’elles soient appliquées. Il ne s’agit pas de supprimer l’espace Schengen mais de faire en sorte que les frontières extérieures soient respectées. J’étais en Grèce il y a encore trois semaines : cette frontière est la nôtre et c’est donc à l’Union européenne d’assumer ses responsabilités face aux flux des réfugiés du Proche et du Moyen-Orient déchirés par la guerre qui se présentent aux frontières de la Turquie et de la Grèce, faute de quoi nous reviendrons aux frontières nationales et c’en sera fini d’une grande part du projet européen !

On peut parfaitement défendre une telle position. Nous-mêmes d’ailleurs, face à des événements tels que les flux migratoires et la menace terroriste, nous avons rétabli des contrôles aux frontières. Les États peuvent donc assumer en partie ces responsabilités mais si on croit en l’Europe, si on croit dans les frontières européennes et en cet espace culturel de civilisation que beaucoup d’entre nous ont évoqué aujourd’hui, il faut qu’il ait des frontières ! Les frontières nationales comme les frontières européennes veulent bien dire quelque chose ! Je crois pour ma part aux Etats-nations comme à l’espace européen et c’est pourquoi je crois que les frontières, qui sont pour nous une protection, sont nécessaires.

C’est pourquoi la sécurité, la lutte contre le terrorisme, les défis posés par les flux migratoires tout comme le renforcement de notre capacité d’accueil au nom de nos valeurs, qui soulève la question du droit d’asile, ainsi que la défense, constituent les grandes priorités au sujet desquelles chacun doit évoluer. Remarquons d’ailleurs que l’Allemagne a été peu présente dans nos discussions mais qu’elle évolue en matière de défense. Dans le cadre de notre intervention au Mali, décidée par le Président de la République, de notre participation aux coalitions au Levant et de notre présence au Liban, nous Français assumons une grande part de la responsabilité de l’Europe tout entière. Peu de pays peuvent le faire, peu de pays ont une telle capacité de projection.

En la matière, il faut que l’Europe avance sans rien ignorer des difficultés et des contradictions opposant une Europe, la nôtre, tournée vers les grands conflits du Proche-Orient et du Moyen Orient, vers ce qui se passe en Méditerranée et vers les défis du développement en Afrique, et d’autres pays d’Europe qui, en raison de leur géographie ou de leur histoire, se trouvent face à la Russie et ont leurs propres priorités, ce qui crée forcément des tensions. Nous pouvons néanmoins nous retrouver, même si chacun défend ses positions, et bâtir sur la base de ces frontières des coopérations puissantes, en Méditerranée mais aussi avec la Russie qui fait partie de cet ensemble, même si elle n’est pas membre de l’Union européenne, et demain avec la Turquie. Sur ces sujets, il ne servirait à rien d’accentuer les différences, sinon à des fins politiciennes.

Quant à l’économie et la croissance, je prends avec intérêt connaissance de vos propositions, qui ne sont pas forcément très différentes les unes des autres, sur la zone euro, le contrôle démocratique, le rôle qui pourrait être celui d’un Parlement de la zone euro constitué de parlementaires européens et nationaux en matière de coordination des politiques. D’ailleurs, personne ou presque ne propose de revenir sur le rôle de la zone euro et sur la monnaie commune. Ce qui s’est passé il y a un an en Grèce montre bien tout ce que cela peut représenter comme difficulté et comme risque de délitement pour la zone euro.

Dans cette perspective la question de l’investissement est tout à fait essentielle. Il faut aller encore plus loin. On pourrait par exemple doubler le plan Juncker d’investissement afin d’améliorer la vision que les Européens ont des politiques économiques telles qu’elles ont été menées et dont j’entends ici ou là rappeler les responsabilités. Je m’adresse ici à André Chassaigne, dont j’ai apprécié les très belles citations mais aussi les accents européens. Vous êtes un Européen, président Chassaigne, un Européen critique, comme beaucoup d’entre nous, et qui pose un regard lucide sur l’Europe. Je persiste néanmoins à dire que les choix réalisés par nos gouvernements depuis 2012 ne s’apparentent en rien à une politique d’austérité voulue par la Commission européenne.

Si les premières réponses de la Commission européenne à la crise que nous vivons consistaient à punir l’Espagne ou le Portugal, sans tenir compte des problèmes auxquels sont confrontés ces pays, cela serait un signe terrible et catastrophique adressé à ces deux peuples qui restent profondément européens car ils savent ce que l’Europe a apporté à leur pays respectif, notamment à la sortie des dictatures.

Il existe une interrogation cruciale et partagée sur la façon dont l’Europe se construit. On ne peut pas dire, comme l’a fait Bruno Le Maire – j’ignore s’il m’écoute hors de cet hémicycle – que l’Europe s’est construite contre les peuples : il me semble que c’est un raccourci, voire une contrevérité quant aux origines de la construction européenne, qui sont beaucoup plus complexes que cela. On ne saurait la réduire à l’action de Schuman et Monnet et un tel raccourci est étonnant de sa part ! Le choix principal, qui renforce profondément la construction européenne, a été le fait de de Gaulle et d’Adenauer sur la base de ce qui avait été entrepris sous la Quatrième République.

Ce choix fondamental fait alors par la France et l’Allemagne l’a été, me semble-t-il, en résonance complète avec les peuples, et même d’ailleurs s’il l’avait été contre leur avis, ils auraient eu raison de dépasser ainsi l’antagonisme qui opposait ces deux pays car si nous sommes un espace de civilisation et si l’Europe a une âme, nous ne devons pas oublier que cette civilisation a été, au XXe siècle, capable du pire, jusqu’à l’horreur.

Après-guerre des hommes, des femmes qui voulaient reconstruire l’Europe ont porté un projet qu’Adenauer et de Gaulle ont élaboré, que Giscard d’Estaing et Schmidt ont poursuivi, que Mitterrand et Kohl ont porté après la chute du mur de Berlin, au travers notamment de la création de l’euro. C’est tout cela qui a construit l’Europe avec, je le pense, l’assentiment des peuples.

A contrario, il est vrai que depuis sans doute le début des années 2000, après l’introduction de la monnaie unique et la réunification de l’Europe, le projet lui-même a manqué de sens. Un espace économique, une monnaie unique, l’élargissement à l’Est après l’élargissement au Sud : la finalité du projet européen s’est perdue. C’est la raison pour laquelle les citoyens demandent à être associés à la gestion quotidienne de l’Europe et à ses projets, ce qui relève à la fois de la responsabilité de l’Union européenne elle-même et de ses États membres. C’est sur ce point qu’il faut travailler très sérieusement et de façon crédible, c’est la question qu’il faut traiter en même temps que nous gérons les conséquences du brexit. Reconnaissons que ce n’est pas facile, car nous sommes une fédération d’États-nations et non une nation unique, avec un seul Parlement et une population qui vote pour un gouvernement ou pour un Parlement au niveau des vingt-huit hier et, demain, des vingt-sept. C’est toute la complexité de l’Union que d’être à la fois intergouvernementale et intégrée. Il y a le Parlement européen, les parlements nationaux, la Commission.

À cet égard, il y en a assez de la démagogie qui consiste, quand on a été ministre des affaires européennes et qu’on aspire à revenir au gouvernement, à venir proposer ici de supprimer la Commission européenne !

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