Intervention de Bernard Cazeneuve

Séance en hémicycle du 29 juin 2016 à 21h30
Égalité et citoyenneté — Après l'article 59

Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur :

Il y a là un argument politique qui est, je crois, un argument fort et que j’assume totalement devant vous. Mais il ne suffit pas d’évoquer le droit, il faut aussi examiner son contenu. À l’appui de ces amendements qui tendent à modifier le cadre des contrôles d’identité, vous mettez en avant la nécessité d’encadrer plus strictement un régime juridique que vous considérez comme trop imprécis. Vous proposez notamment de remplacer, à l’article 78-2 du code de procédure, l’expression : « raisons plausibles de soupçonner » par les termes : « raisons objectives et individualisées de soupçonner », et de modifier, au même article, le huitième alinéa, relatif aux contrôles d’identité de police administrative.

C’est là qu’intervient un désaccord juridique qui vient conforter mon désaccord politique. En effet, contrairement à ce qui est avancé, la rédaction actuelle de l’article 78-2 ne souffre d’aucune imprécision et n’attribue aucun pouvoir arbitraire aux forces de l’ordre, que ce soit en matière de police judiciaire ou en matière de police administrative.

Je m’explique. D’une part, la notion de « raisons plausibles de soupçonner » de l’article 78-2 est parfaitement connue des services de police. Ainsi l’article 62-2 du même code y fait explicitement référence s’agissant du placement en garde à vue. Elle ne concerne donc pas simplement les contrôles d’identité, mais est utilisée dans plusieurs chapitres du code de procédure pénal et concerne de nombreux sujets. Et, comme en matière de contrôle d’identité, le recours à une telle mesure doit nécessairement reposer sur des raisons objectives, individualisées et précisément circonstanciées. Les raisons plausibles de soupçonner doivent reposer sur des faits concrets, sur des comportements, en aucun cas sur l’apparence physique ou sur l’origine : ce serait contraire à tous les principes du droit. Pour valider ces contrôles d’identité, les juridictions exigent des « éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé », comme le rappellent en permanence les juges lorsqu’ils ont à connaître des conditions dans lesquelles on applique ces mesures et cet alinéa.

D’autre part, dans une décision du 17 août 2011, la Cour de cassation a arrêté qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’alinéa 1 de l’article 78-2 du code de procédure pénale devant le Conseil constitutionnel, considérant que la rédaction de cet alinéa, notamment les termes « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner », n’est pas contraire au principe invoqué par le demandeur, à savoir « l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, au droit de la liberté d’aller et venir, au droit au recours effectif et au principe d’égalité devant la loi ». La Cour s’est donc clairement prononcée sur le sujet que vous soumettez à la délibération de l’Assemblée.

S’agissant de la modification du huitième alinéa de du même article, relatif aux contrôles de police administrative, il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution de tels contrôles, considérant que la prévention des atteintes à l’ordre public est nécessaire à la mise en oeuvre des principes et droits ayant valeur constitutionnelle – je vous renvoie à sa décision des 19 et 20 janvier 1981. En outre, dans sa décision du 5 août 1993, il a validé le principe d’un contrôle d’identité de police administrative pouvant être opéré quel que soit le comportement de la personne, le critère essentiel étant la justification des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public.

Quant à inscrire le principe de non-discrimination dans cet article 78-2, cela pose problème pour sa portée. Surtout, cela ne présente aucune utilité dès lors que le principe d’égalité devant la loi, principe hautement à valeur hautement constitutionnelle que j’invoquais dans mon propos liminaire, s’applique bien évidemment à l’action des forces de l’ordre sous le contrôle des juridictions. Je suis particulièrement sensible à cette question. Je veille par ailleurs au respect des règles de déontologie qui s’imposent aux forces de l’ordre en saisissant moi-même l’inspection générale de la police nationale aussi souvent que des faits sont portés à ma connaissance.

Pour répondre à une des propositions contenues dans les amendements, je rappelle que l’article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure encadre également de manière rigoureuse le recours à la palpation de sécurité. Ce recours est fondé sur le principe de nécessité et il doit être absolument conforme au principe de proportionnalité.

Enfin, lorsque les contrôles donnent lieu à des procédures, les juridictions exercent une vigilance particulière sur leurs conditions de mise en oeuvre.

Pour l’ensemble de ces motifs très précis, je suis défavorable à ces amendements. Mais dans le même temps, afin de répondre aux inquiétudes que vous exprimez et auxquelles je n’ai aucune raison de rester sourd, je vais proposer au garde des sceaux d’examiner dans quelles conditions, à droit constant, mes services pourraient adresser aux procureurs de la République, sur les réquisitions desquels, je le rappelle, des contrôles d’identité sont effectués, des rapports d’exécution de ces réquisitions. Ce dispositif, qui se pratique déjà dans certains ressorts, est de nature à accroître le contrôle exercé par l’autorité judiciaire sur ces mesures, donc à beaucoup mieux garantir l’exécution de celles-ci.

Tous ces éléments témoignent à la fois de la bonne foi qui est la nôtre, de l’état du droit, de la façon dont le droit en vigueur satisfait vos préoccupations et de la nécessité d’affirmer la confiance que l’on doit à des fonctionnaires chargés de l’application du droit tout en mettant en oeuvre des conditions de contrôle qui doivent permettre à chaque instant de veiller au respect rigoureux de ces principes de droit.

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