Intervention de Margaux Collet

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Margaux Collet :

responsable des études et de la communication du HCEfh et corapporteure. Ce travail, commencé en janvier 2014, s'appuie notamment sur l'expertise des membres de la commission « santé, droits sexuels et reproductifs » du HCEfh, ainsi que sur les rapports et études de l'IGAS et des études de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Nous avons également consulté des rapports parlementaires, notamment le rapport d'information de décembre 2015 de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale en ce qui concerne les cyber-violences, ainsi que celui de la Délégation aux droits des femmes du Sénat sur l'hypersexualisation.

Nous avons par ailleurs mené dix-neuf auditions de chercheurs, d'intervenants en éducation à la sexualité, de différents services du ministère de l'éducation nationale ou de la jeunesse et des sports. Nous avons également rencontré vingt organisations ou associations, qu'il s'agisse d'organisations représentatives de la jeunesse, de fédérations de parents d'élèves, de syndicats d'enseignants ou de chefs d'établissement.

Le Haut Conseil a également réalisé un baromètre, en adressant un questionnaire détaillé à 3 000 établissements du premier et du second degré, publics et privés, issus d'un échantillon représentatif fourni par les services du ministère de l'éducation nationale.

Quels sont les principaux constats établis ?

L'éducation à la sexualité fait l'objet d'une obligation légale depuis plus de quinze ans ; or son application reste sporadique, inégale et restreinte.

Parcellaire, car elle concerne une minorité des douze millions d'élèves accueillis chaque année par l'Éducation nationale.

Inégale, car son application est très variable en fonction des territoires ; elle repose souvent sur les bonnes volontés individuelles : celle d'un infirmier ou d'une infirmière, d'un enseignant ou d'une cheffe d'établissement impulsant des actions au sein de son établissement, ainsi que sur l'engagement de collectivités territoriales, telles la région Rhône-Alpes ou encore le département de l'Essonne.

Enfin, lorsque des séances sont mises en oeuvre, le contenu est restreint : on constate en effet dans notre baromètre que les séances se concentrent en CM2, en quatrième et en seconde, c'est-à-dire dans les classes où le programme prévoit l'étude de la reproduction. Cela corrobore les informations provenant du terrain, qui font état d'une éducation à la sexualité trop souvent concentrée sur des aspects sanitaires et reproductifs, dans un format magistral peu adapté aux besoins des jeunes.

Notre baromètre montre que les matières les plus abordées dans le second degré sont le virus de l'immuno-déficience humaine (VIH) et le sida, l'interruption volontaire de grossesse (IVG), la contraception, mais aussi le respect, alors que les violences sexistes et sexuelles et l'orientation sexuelle ne le sont que très peu.

Les facteurs de blocage concernent en premier lieu l'Éducation nationale.

Sur le plan du pilotage, l'éducation à la sexualité n'a jamais été pensée, ni au sein de l'Éducation nationale ni ailleurs, comme une politique publique à part entière, coordonnée, suivie et évaluée. Elle est par ailleurs encore peu connue et n'est pas impulsée à tous les échelons administratifs.

La formation constitue, elle aussi, un blocage : seule une minorité des personnels de l'Éducation nationale est préparée à l'éducation à la sexualité, que ce soit en formation initiale ou continue. Les moyens budgétaires manquent pour financer le plan académique de formation. Or, un tel enseignement ne s'improvise pas, et l'on peut comprendre qu'enseignants et personnels médico-sociaux ne s'estiment pas aptes à intervenir sur cette question sans formation.

Des blocages sont encore dus au financement ; les contributions sont éparses et peu identifiées : des agences régionales de santé (ARS) peuvent financer des séances et des actions de formation, de même que des conseils départementaux peuvent mettre des agents à disposition pour intervenir au collège ou financer des associations. Les chefs d'établissement, quant à eux, ne disposent d'aucun budget propre pour recourir à des intervenants extérieurs.

Notre baromètre montre d'ailleurs que l'absence de moyens financiers constitue l'un des principaux freins pour les établissements scolaires, avec la gestion des personnels et des emplois du temps. À l'inverse, la formation est perçue par les établissements nous ayant répondu comme le principal facteur facilitant l'organisation de séances d'éducation à la sexualité.

Au-delà de l'Éducation nationale, c'est plus largement la société tout entière qui manifeste des blocages sur le sujet : il existe en France une difficulté à reconnaître et à parler de la sexualité des jeunes de manière sereine et équilibrée ainsi qu'une méconnaissance générale du sujet. C'est pourquoi nous donnons l'exemple du Québec, qui a institué une information relative à l'éducation à la sexualité adaptée à chaque niveau scolaire.

Faute d'une éducation à la sexualité systématique et adaptée, les enfants et adolescents peuvent être conduits à se tourner vers internet, devenu une source d'information privilégiée en matière de sexualité, après le groupe de leurs camarades.

Or, sur internet, on trouve le meilleur comme le pire : la saisie du mot « sexualité » donne vingt-six millions de résultats dans les moteurs de recherche : comment savoir vers quel site se tourner ? Il existe toutefois sur la Toile des ressources intéressantes, fournies par des sites institutionnels tels Onsexprime.fr, animé par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), ou des blogs ainsi que des sites amateurs, intéressants, malheureusement peu identifiés par les jeunes. Mais on y trouve également des contenus erronés, normatifs, voire sexistes, sur le forum Doctissimo par exemple. Selon une enquête réalisée en 2005, le visionnage du premier film pornographique, même involontaire, a lieu entre huit et treize ans en moyenne ; on imagine aisément que, dix ans plus tard, la situation a empiré. On constate encore que la pornographie a une influence sur les comportements et les représentations des jeunes en matière de sexualité.

L'éducation à la sexualité constitue une priorité pour réaliser l'égalité entre les filles et les garçons, et donc, entre les femmes et les hommes, et la prévention des violences sexistes. Elle constitue un enjeu majeur pour l'école de la République, qui doit assumer tout son rôle légal, mais aussi pour l'ensemble de la société. C'est pourquoi nous formulons des recommandations à l'intention de l'Éducation nationale ainsi qu'à d'autres ministères : particulièrement ceux étant chargés des droits des femmes, de la jeunesse et des sports, de la santé, des affaires sociales ainsi que de la culture.

Nous appelons par conséquent à un plan national interministériel d'action sur l'éducation à la sexualité autour de quatre grandes priorités : mieux connaître et reconnaître la sexualité des jeunes ; renforcer de manière ambitieuse la politique interministérielle d'éducation à la sexualité ; organiser, financer, évaluer et renforcer la visibilité de l'action de l'Éducation nationale dans ce domaine ; responsabiliser les espaces-clés de socialisation de jeunes afin de mieux prendre en compte leur parcours de vie.

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