COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION
Mercredi 22 juin 2016
La séance est ouverte à neuf heures quarante.
(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission, et de Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes)
La commission des Affaires culturelles et de l'Éducation procède à l'audition, conjointe avec la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, de Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, et de Mme Margaux Collet, corapporteure, sur le rapport présenté le 15 juin 2016, intitulé L'éducation à la sexualité : répondre aux attentes des jeunes, construire une société d'égalité entre les femmes et les hommes.
Mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui, avec la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, pour l'audition conjointe de Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), et de Mme Margaux Collet, corapporteure, sur le rapport intitulé L'éducation à la sexualité : répondre aux attentes des jeunes, construire une société d'égalité entre les femmes et les hommes.
Nous sommes heureux de vous recevoir, mesdames, afin que vous nous présentiez ce document remis le 15 juin dernier à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Le sujet ne pouvait qu'intéresser notre commission, puisque nous sommes chargés des sujets éducatifs. J'ai donc répondu d'autant plus volontiers à la proposition d'audition conjointe de notre collègue Catherine Coutelle que certains d'entre nous sont par ailleurs membres de la délégation.
Je témoigne, monsieur le président, de la célérité, du très bon accueil et de l'enthousiasme dont vous avez fait preuve pour cette audition commune, car le sujet concerne l'égalité entre les femmes et les hommes, comme entre les filles et les garçons.
La Délégation aux droits des femmes entendait se livrer à ce travail, mais c'est le Haut Conseil qui l'a finalement réalisé puisqu'il a reçu, au mois de juillet 2015, une lettre de saisine de la part des ministres respectivement chargées de l'éducation nationale et de la santé ainsi que de la secrétaire d'État chargée des droits des femmes. Nous attendions ce rapport qui traite d'un sujet revenant très souvent dans nos débats, car l'éducation se trouve au coeur de l'évolution des rapports entre les filles et les garçons.
Je souhaite rappeler que le Haut Conseil, qui a pris la suite de l'Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, constitue pour nous un appui très utile : en amont de l'examen des projets de loi, et en aval pour l'évaluation des politiques publiques ; nous avons d'ailleurs consacré son statut dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté ».
Madame Bousquet, la lettre de saisine des ministres souligne que l'éducation à la sexualité ainsi que les relations intimes et affectives constituent un enjeu de citoyenneté et d'égalité entre les filles et les garçons ; elle doit fournir à tous les jeunes – car votre rapport ne se limite pas à la vie scolaire – une information objective et sans stéréotypes. Pouvez-vous nous rappeler les enjeux d'égalité sous-tendus par l'éducation à la sexualité ?
Vous considérez par ailleurs, et la saisine des ministres le prouve, que ces actions relèvent de la responsabilité des pouvoirs publics : cette affirmation rencontre-t-elle des oppositions ?
Vous avez souhaité donner dans votre rapport une définition de l'éducation à la sexualité : pouvez-vous nous dire pourquoi vous en avez éprouvé le besoin ?
Chacun d'entre nous a pu établir le constat « unanime et partagé », écrivez-vous, de l'échec de la mise en oeuvre de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception ainsi que de la circulaire du 17 février 2003 relative à l'éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées. De même, les conclusions des rapports de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), intitulés Évaluation des politiques publiques relative à la prévention des grossesses non désirées et à la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse, suite à la loi du 4 juillet 2001, publié en février 2010, et L'accès gratuit et confidentiel à la contraception pour les mineures, publié en décembre 2015, sont restées lettre morte.
En dépit de ces textes et travaux, l'éducation à la sexualité n'est dispensée que de façon sporadique. Ainsi, lorsque l'on interroge des élèves, ils disent ne l'avoir que peu ou pas du tout reçue, alors que trois séances annuelles de formation sont prévues dès l'école primaire. Où se situent les points de blocage ? Sont-ils le fait des institutions, des enseignants, des parents, des élus ou de la société ? Est-ce volontairement ou par méconnaissance ? Comment dépasser ces blocages et bâtir une réelle politique d'éducation à la sexualité, qui est fondamentale ?
Vous vous êtes livrées à des comparaisons avec d'autres pays : Canada, Suède, Pays-Bas. Réussissent-ils mieux dans ce domaine ?
Enfin, pourrez-vous nous indiquer, à travers les diverses recommandations du rapport, quelle est la « feuille de route » que vous assignez au ministère ?
Merci, madame la présidente. Nous connaissons l'engagement féministe de Danielle Bousquet, mais aussi son engagement citoyen, qui l'a conduite à être députée des Côtes-d'Armor pendant quinze ans ; aussi est-ce un grand plaisir que de la retrouver au sein de notre Assemblée nationale.
Merci, madame la présidente et monsieur le président, d'avoir réagi si vite après la remise de notre rapport à la ministre.
Si nous nous sommes intéressés à la question de l'éducation à la sexualité, c'est qu'elle constitue pour nous un levier indispensable pour atteindre l'égalité entre les femmes et les hommes ; nous avions d'ailleurs commencé à travailler sur ce sujet dès 2014, avant même la saisine ministérielle.
Compte tenu des blocages constatés et de ce que l'on peut lire sur le sujet, nous avons souhaité comprendre ce qui faisait obstacle à la bonne application de la loi du 4 juillet 2001 et, surtout, souhaité formuler des préconisations afin de faire respecter les obligations légales que cette loi a imposées à notre pays à l'égard des jeunes.
Comme en a encore témoigné l'attentat homophobe d'Orlando la semaine dernière, nous constatons régulièrement, lorsque les fanatiques expriment leur haine des homosexuels, que la sexualité, qu'on le veuille ou non, se trouve au coeur des rapports de domination et constitue un terreau fertile pour les violences, la radicalisation et les obsessions mortifères. Nous le constatons à travers toute une série d'attentats et de crimes perpétrés contre les populations homosexuelles et contre les femmes.
Nous avons le choix entre fermer les yeux et évacuer un sujet si éruptif que l'on préfère l'ignorer, ou celui de prendre à bras-le-corps la réalité et décider de la changer, singulièrement par l'éducation à la sexualité.
Quelle est la réalité aujourd'hui ? Ce n'est un scoop pour aucun d'entre vous, c'est un fait : tous les jeunes ont une vie sexuelle, que les adultes veuillent le reconnaître ou non.
Au cours des années 1970, des progrès considérables ont été réalisés en matière de contraception et d'usage du préservatif, et nous savons qu'aujourd'hui 90 % des premiers rapports sexuels sont protégés, même si certains jeunes n'utilisent jamais de préservatif.
Mais, dans le domaine des stéréotypes sexistes, les choses n'évoluent pratiquement pas ; or l'adolescence, qui est souvent la période d'entrée dans la vie amoureuse, constitue un moment révélateur des inégalités entre filles et garçons ainsi que des discriminations liées à l'orientation sexuelle.
Les garçons, par la pression sociale, sont sommés d'être virils avant tout, et ceux qui ne correspondent pas à cette norme font l'objet d'un rejet.
Les filles sont, quant à elles, soumises à la double injonction d'être à la fois désirables et respectables, et les injures les plus fréquemment proférées dans les cours d'école correspondent précisément à cette injonction. Elles sont particulièrement contrôlées dans leur tenue vestimentaire, leurs déplacements et leurs comportements amoureux réels ou supposés. C'est vrai dans la rue et dans les transports, et le rapport que le HCEfh a publié il y a environ un an et demi a fait le constat de cette réalité. Les filles sont ainsi victimes de harcèlement sexiste et sexuel à de nombreux moments de leur vie.
Ce harcèlement existe dans la vie réelle, mais aussi dans les réseaux sociaux, et le phénomène de réputation est particulièrement prégnant dans la vie des jeunes filles, puisqu'une collégienne sur cinq déclare avoir été ou être victime de cyber-harcèlement. Cela doit alerter les adultes que nous sommes, responsables à un titre ou un autre de l'éducation de nos jeunes.
On constate que ces stéréotypes et rôles de sexe, attachés aux garçons autant qu'aux filles, entraînent des conséquences aussi nombreuses que dramatiques : détérioration du climat scolaire, perte d'estime et de confiance en soi, particulièrement chez les filles, échec scolaire plus important chez les garçons assignés à être avant tout virils, ou encore rapports violents, tant sur le plan physique que psychologique, entre garçons et filles, mais aussi entre garçons et entre filles.
Nous devons collectivement prévenir ces violences, certes en apprenant aux filles à ne pas se mettre en danger, mais surtout, en apprenant aux garçons à ne pas mettre les filles en danger.
Le législateur a souhaité, par la loi du 4 juillet 2001, rendre obligatoire l'éducation à la sexualité, à raison de trois séances par an, à tous les degrés de la scolarité ; depuis la plus tendre enfance, car l'éducation au respect de l'autre commence dès cet âge, jusqu'à la classe de terminale. Et la représentation nationale a à nouveau souhaité légitimer la nécessité de l'éducation à la sexualité et à l'égalité entre les femmes et les hommes dans la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.
En 2009, puis de nouveau en 2015, l'IGAS a relevé une application parcellaire de l'éducation à la sexualité au sein de l'Éducation nationale, ainsi que des contenus très restrictifs. Cela signifie que l'on s'est essentiellement attaché à expliquer comment ont fait les bébés, au détriment d'une réelle éducation à la sexualité et de réponses aux questions des jeunes.
Margaux Collet, qui est aussi rapporteure, va vous présenter les grandes lignes de nos constats et recommandations, avant que nous répondions à vos questions plus précises.
responsable des études et de la communication du HCEfh et corapporteure. Ce travail, commencé en janvier 2014, s'appuie notamment sur l'expertise des membres de la commission « santé, droits sexuels et reproductifs » du HCEfh, ainsi que sur les rapports et études de l'IGAS et des études de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO). Nous avons également consulté des rapports parlementaires, notamment le rapport d'information de décembre 2015 de la Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale en ce qui concerne les cyber-violences, ainsi que celui de la Délégation aux droits des femmes du Sénat sur l'hypersexualisation.
Nous avons par ailleurs mené dix-neuf auditions de chercheurs, d'intervenants en éducation à la sexualité, de différents services du ministère de l'éducation nationale ou de la jeunesse et des sports. Nous avons également rencontré vingt organisations ou associations, qu'il s'agisse d'organisations représentatives de la jeunesse, de fédérations de parents d'élèves, de syndicats d'enseignants ou de chefs d'établissement.
Le Haut Conseil a également réalisé un baromètre, en adressant un questionnaire détaillé à 3 000 établissements du premier et du second degré, publics et privés, issus d'un échantillon représentatif fourni par les services du ministère de l'éducation nationale.
Quels sont les principaux constats établis ?
L'éducation à la sexualité fait l'objet d'une obligation légale depuis plus de quinze ans ; or son application reste sporadique, inégale et restreinte.
Parcellaire, car elle concerne une minorité des douze millions d'élèves accueillis chaque année par l'Éducation nationale.
Inégale, car son application est très variable en fonction des territoires ; elle repose souvent sur les bonnes volontés individuelles : celle d'un infirmier ou d'une infirmière, d'un enseignant ou d'une cheffe d'établissement impulsant des actions au sein de son établissement, ainsi que sur l'engagement de collectivités territoriales, telles la région Rhône-Alpes ou encore le département de l'Essonne.
Enfin, lorsque des séances sont mises en oeuvre, le contenu est restreint : on constate en effet dans notre baromètre que les séances se concentrent en CM2, en quatrième et en seconde, c'est-à-dire dans les classes où le programme prévoit l'étude de la reproduction. Cela corrobore les informations provenant du terrain, qui font état d'une éducation à la sexualité trop souvent concentrée sur des aspects sanitaires et reproductifs, dans un format magistral peu adapté aux besoins des jeunes.
Notre baromètre montre que les matières les plus abordées dans le second degré sont le virus de l'immuno-déficience humaine (VIH) et le sida, l'interruption volontaire de grossesse (IVG), la contraception, mais aussi le respect, alors que les violences sexistes et sexuelles et l'orientation sexuelle ne le sont que très peu.
Les facteurs de blocage concernent en premier lieu l'Éducation nationale.
Sur le plan du pilotage, l'éducation à la sexualité n'a jamais été pensée, ni au sein de l'Éducation nationale ni ailleurs, comme une politique publique à part entière, coordonnée, suivie et évaluée. Elle est par ailleurs encore peu connue et n'est pas impulsée à tous les échelons administratifs.
La formation constitue, elle aussi, un blocage : seule une minorité des personnels de l'Éducation nationale est préparée à l'éducation à la sexualité, que ce soit en formation initiale ou continue. Les moyens budgétaires manquent pour financer le plan académique de formation. Or, un tel enseignement ne s'improvise pas, et l'on peut comprendre qu'enseignants et personnels médico-sociaux ne s'estiment pas aptes à intervenir sur cette question sans formation.
Des blocages sont encore dus au financement ; les contributions sont éparses et peu identifiées : des agences régionales de santé (ARS) peuvent financer des séances et des actions de formation, de même que des conseils départementaux peuvent mettre des agents à disposition pour intervenir au collège ou financer des associations. Les chefs d'établissement, quant à eux, ne disposent d'aucun budget propre pour recourir à des intervenants extérieurs.
Notre baromètre montre d'ailleurs que l'absence de moyens financiers constitue l'un des principaux freins pour les établissements scolaires, avec la gestion des personnels et des emplois du temps. À l'inverse, la formation est perçue par les établissements nous ayant répondu comme le principal facteur facilitant l'organisation de séances d'éducation à la sexualité.
Au-delà de l'Éducation nationale, c'est plus largement la société tout entière qui manifeste des blocages sur le sujet : il existe en France une difficulté à reconnaître et à parler de la sexualité des jeunes de manière sereine et équilibrée ainsi qu'une méconnaissance générale du sujet. C'est pourquoi nous donnons l'exemple du Québec, qui a institué une information relative à l'éducation à la sexualité adaptée à chaque niveau scolaire.
Faute d'une éducation à la sexualité systématique et adaptée, les enfants et adolescents peuvent être conduits à se tourner vers internet, devenu une source d'information privilégiée en matière de sexualité, après le groupe de leurs camarades.
Or, sur internet, on trouve le meilleur comme le pire : la saisie du mot « sexualité » donne vingt-six millions de résultats dans les moteurs de recherche : comment savoir vers quel site se tourner ? Il existe toutefois sur la Toile des ressources intéressantes, fournies par des sites institutionnels tels Onsexprime.fr, animé par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), ou des blogs ainsi que des sites amateurs, intéressants, malheureusement peu identifiés par les jeunes. Mais on y trouve également des contenus erronés, normatifs, voire sexistes, sur le forum Doctissimo par exemple. Selon une enquête réalisée en 2005, le visionnage du premier film pornographique, même involontaire, a lieu entre huit et treize ans en moyenne ; on imagine aisément que, dix ans plus tard, la situation a empiré. On constate encore que la pornographie a une influence sur les comportements et les représentations des jeunes en matière de sexualité.
L'éducation à la sexualité constitue une priorité pour réaliser l'égalité entre les filles et les garçons, et donc, entre les femmes et les hommes, et la prévention des violences sexistes. Elle constitue un enjeu majeur pour l'école de la République, qui doit assumer tout son rôle légal, mais aussi pour l'ensemble de la société. C'est pourquoi nous formulons des recommandations à l'intention de l'Éducation nationale ainsi qu'à d'autres ministères : particulièrement ceux étant chargés des droits des femmes, de la jeunesse et des sports, de la santé, des affaires sociales ainsi que de la culture.
Nous appelons par conséquent à un plan national interministériel d'action sur l'éducation à la sexualité autour de quatre grandes priorités : mieux connaître et reconnaître la sexualité des jeunes ; renforcer de manière ambitieuse la politique interministérielle d'éducation à la sexualité ; organiser, financer, évaluer et renforcer la visibilité de l'action de l'Éducation nationale dans ce domaine ; responsabiliser les espaces-clés de socialisation de jeunes afin de mieux prendre en compte leur parcours de vie.
Nous attendons des suites concrètes à ce rapport, et nous mesurons le rôle des parlementaires dont nous espérons qu'ils sauront donner une traduction budgétaire à certaines de nos propositions à l'occasion de l'examen du prochain projet de loi de finances. Cette politique doit en effet être pilotée, car la bonne volonté individuelle ne suffira jamais à la réalisation d'une telle organisation dans une institution comme l'Éducation nationale, et les recteurs, aux prises avec des centaines de priorités, ne peuvent pas prendre cette responsabilité. Il faut donc que ce pilotage soit confié à une personne précise au sein de chaque académie, soit trente pilotes, ainsi qu'une identification claire des moyens mis au service de cette politique. Les personnels concernés doivent ainsi être formés dans le cadre d'un pilotage académique.
Notre baromètre a été évoqué : il s'agit d'un questionnaire envoyé à 3 000 établissements scolaires sélectionné sur la base d'un échantillon représentatif fourni par l'Éducation nationale. Nous avons obtenu plus de 30 % de réponses, ce qui est très satisfaisant et permet de disposer d'une image fidèle à la réalité.
Madame Bousquet, je viens d'adresser votre rapport à Mme la rectrice de mon académie en lui demandant de le transmettre à la personne chargée de la question de l'égalité entre les filles et les garçons.
Merci, mesdames, pour cette présentation synthétique qui restitue parfaitement les enjeux concernés par ce rapport ; je prévoyais que notre réunion ne serait pas que d'information, mais aussi de mobilisation. Ces enjeux sont d'ordre législatif et budgétaire, et je rappelle que nous venons de désigner nos rapporteurs pour avis sur le prochain projet de loi de finances, ainsi la mobilisation est-elle en cours.
Mme Margaux Collet a évoqué le Québec, et à quel point nos amis québécois sont inventifs et volontaristes. Le bureau de notre commission s'est rendu dans la Belle Province il y a une quinzaine de jours afin d'évoquer les enjeux de la réussite éducative, singulièrement ceux de la lutte contre le décrochage scolaire, que vous avez évoqué au cours de votre propos introductif et que les Québécois appellent joliment la « persévérance scolaire ». Il n'est pas douteux que cette persévérance ait partie liée avec les enjeux sous-tendus par votre rapport, que vous défendez avec beaucoup de dynamisme.
Je vous remercie, mesdames, pour ce rapport, car, depuis longtemps, les associations et les acteurs du secteur nous alertent sur l'application incomplète de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'IVG et à la contraception qui emporte, vous l'avez dit, l'obligation de dispenser cette éducation à la sexualité, chaque année, à tous les élèves.
Cette loi était et demeure ambitieuse ; elle est à la hauteur de l'enjeu. Nous, parlementaires, avons récemment choisi de la renforcer, par la loi de lutte contre le système prostitutionnel, qui prévoit qu'« une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps est dispensée dans les établissements secondaires, par groupes d'âge homogène » et que les séances d'éducation à la sexualité doivent présenter « une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes et qu'elles contribuent à l'apprentissage du respect dû au corps humain. » Par ailleurs, la commission spéciale chargée de l'examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté » a souhaité préciser dans le texte que les trois séances d'information à la santé, dispensées aux jeunes de seize, dix-huit et vingt-trois ans comprendraient un volet relatif à l'éducation à la sexualité.
Je vous remercie également d'avoir posé l'enjeu de l'éducation à la sexualité au-delà de celui de la notion de risques. Oui, il y a des maladies sexuellement transmissibles (MST), et il faut tout mettre en oeuvre pour lutter contre. Oui, la sexualité c'est notamment la reproduction, mais qui n'en constitue qu'une infime partie. Ces deux enjeux ne doivent pas constituer l'unique objet de l'éducation à la sexualité. La question des stéréotypes sexistes n'est pas assez souvent abordée, alors que ces stéréotypes tuent : ils font le lit des violences sexuelles, sexistes et homophobes.
Je vous remercie encore d'aborder le sujet de façon apaisée mais ferme quant aux valeurs, principes et contenus de l'éducation à la sexualité. Nous avons connu il y a quelque temps une campagne de désinformation qui a fait beaucoup de mal aux enjeux de l'égalité entre les femmes et les hommes, mais aussi aux enseignants. Quand quelques individus brandissaient des pancartes « Touche pas à mes stéréotypes », d'autres faisaient courir des rumeurs sordides et imbéciles auprès des parents sur le contenu des « ABCD de l'égalité »... Le résultat est qu'il est devenu encore plus difficile qu'avant d'intervenir dans les écoles pour parler du respect entre filles et garçons, et que des projets permettant de lutter contre les violences sexistes et sexuelles sont annulés.
Devant ces mouvements réactionnaires, il faut réaffirmer que l'école forme les citoyennes et les citoyens de demain. Et si nous voulons qu'ils se considèrent comme étant sur un pied d'égalité, qu'ils soient autonomes et émancipés ; si nous voulons voir les violences sexistes et sexuelles diminuer, alors oui, il faut que l'éducation à la sexualité soit dispensée dans les termes que vous proposez dans le rapport : fondée sur l'égalité des sexes et des sexualités, adaptée à l'âge, et, bien entendu, s'appuyant sur des informations scientifiques sans jugement de valeur.
Je veux revenir sur deux recommandations du rapport qui me semblent être de bon sens et ont trait à l'application de la loi de 2001.
Il existe aujourd'hui une trentaine de postes à temps plein d'intervenants consacrés à l'éducation à la sexualité, désignés par les recteurs ; il y a là un réseau de référents à l'égalité entre filles et garçons que l'on pourrait progressivement transformer en postes de délégués académiques chargés de l'éducation à l'égalité et à la sexualité.
On demande beaucoup aujourd'hui aux enseignants et aux établissements, on ne peut pas laisser reposer sur eux la responsabilité de la mise en oeuvre de ces sessions d'éducation à la sexualité : l'enjeu mérite que soient mis à leur disposition les outils ainsi que des intervenants et des personnels convenablement formés.
Vous proposez d'organiser la coordination des financements à l'échelon académique. De fait, les acteurs du secteur sont confrontés à une multiplicité de microfinancements provenant des ARS, des ministères chargés de la jeunesse et des sports, de l'éducation nationale, de la cohésion sociale… Il faut consolider et simplifier les financements, soit par un appel à projets dédié, soit par la mise en commun de financements croisés.
Enfin, je voudrais, mes chers collègues, rendre hommage à Benoîte Groult, décédée hier, qui aurait été ravie de nous entendre dialoguer sur ce sujet à l'Assemblée nationale, elle qui a tant fait pour l'égalité entre les femmes et les hommes. À ses yeux, cette égalité passait nécessairement par la maîtrise de leur sexualité par les femmes, à travers l'avortement bien sûr, mais aussi par la connaissance et la confiance dans leur propre corps comme de leur sexualité.
Merci, Maud Olivier, pour cet hommage rendu à Benoîte Groult. Nous savons toutes et tout ce que nous lui devons, et tous les députés ici présents s'associent à vos propos.
À cet instant, je ne m'exprimerai pas au nom du groupe Les Républicains : l'éducation à la sexualité revêt des dimensions multiples, elle touche à l'intime des individus et de familles, aussi reconnaissons-nous la diversité des approches et des expressions.
Votre rapport souligne la frilosité de l'Éducation nationale. Une obligation d'information et d'éducation à la sexualité dans les écoles, collèges et lycées existe en effet, à raison d'au moins trois séances annuelles par groupes d'âge homogènes. Ces séances doivent contribuer à l'apprentissage du respect dû au corps humain, mais il me semble que l'école ne saurait être le seul acteur de cette éducation : vous avez vous-même évoqué la difficulté rencontrée avec les réseaux sociaux, et admis que d'autres acteurs que la famille et l'école sont concernés.
Vous avez livré des approches globales, mais dans certains secteurs, observe-t-on des résistances à cette éducation à la sexualité telle qu'elle est prévue ? Des sujets sont-ils abordés dans certains établissements et pas dans d'autres ?
Votre rapport désigne les « réactionnaires » et les « conservateurs » comme responsables de ce statu quo : n'y a-t-il pas là un raccourci quelque peu facile ? Pourquoi omettre l'opposition de certaines communautés, et quel est l'impact des communautarismes sur la perception de la sexualité chez les jeunes ?
Je me permettrai enfin une remarque de pure forme : était-il vraiment nécessaire d'écrire systématiquement : « tou.te.s, chacun.e, scolarisé.e.s, etc. » tout au long du rapport ? Cela n'est pas sans heurter la lecture.
Comme cela est joliment dit ! Merci, madame Nachury, car nous vous connaissons bien, et votre propos a été maîtrisé, aussi en avons-nous bien saisi le sens. Je donne la parole à Marie-George Buffet, qui va exprimer, j'imagine, une approche différente…
Il me semble en effet que ce sujet transcende les sensibilités politiques ; je souhaite, par ailleurs, remercier le Haut Conseil pour le travail effectué, féliciter Danielle Bousquet pour son impulsion et remercier Catherine Coutelle pour l'inscription dans la loi de cette institution.
L'éducation à la sexualité est fondée sur l'égalité des sexes sans jugement de valeur ; au coeur de la mobilisation que vous avez évoquée, monsieur le président, se trouve le combat contre la domination patriarcale, et la sexualité est prise dans ces dominations. La vision de la société sur la virilité impose une image des garçons ainsi que des filles, qui doivent être à la fois désirables et respectables ; c'est la source de beaucoup de souffrance chez les jeunes, particulièrement chez les adolescents.
Comme beaucoup d'entre nous, j'ai rencontré l'Amicale du nid, et ces jeunes adolescents en souffrance par rapport à leur homosexualité. Vous avez évoqué une stagnation ; je parlerai plutôt de régression dans les comportements et l'habillement des filles au collège ou au début du lycée. Les rapports de violence se multiplient au sein des réseaux sociaux, mais aussi dans les cours d'école ainsi qu'à la sortie des établissements scolaires.
Cette sexualité au coeur des dominations a justifié pendant des décennies le système prostitutionnel, les violences faites aux femmes, les viols, etc.
Avant la lecture de votre rapport, je n'attendais pas une situation aussi catastrophique : 25 % des élèves interrogés déclarent n'avoir participé qu'à une seule séance d'éducation à la sexualité, alors que la loi du 4 juillet 2001 l'a rendue obligatoire. Vous avez raison de considérer que la bonne volonté ne suffit pas ; dès lors qu'il s'agit d'une obligation légale, ceux qui sont concernés ont besoin de formation, de disponibilité et de moyens. Formation, car il est difficile de donner une éducation à la sexualité à des enfants qui sont tous différents. Il faut encore des moyens en personnels, je pense particulièrement aux infirmières et aux médecins scolaires, problème récurrent au sein de l'Éducation nationale.
Par-delà ces moyens, une volonté collective est nécessaire pour que l'éducation à la sexualité fasse évoluer les mentalités rétrogrades qui font pression, ce que chacun a pu constater au sujet des « ABCD de l'égalité », qui ont été évacués d'un certain nombre d'écoles. Les recteurs et rectrices, les chefs d'établissement, les ministres, la communauté éducative portent une responsabilité dans ce domaine.
L'éducation à la sexualité ne saurait constituer une matière choisie par les familles, car, si on se laisse aller à considérer qu'un enseignement relève des choix, opinions ou religion de telle ou telle famille, alors on ne peut plus parler d'école publique devant dispenser un enseignement identique et de la même qualité à tous les enfants. À cette fin, la parole collective et politique doit être beaucoup plus forte et, certes, des délégués doivent être présents au sein des académies, mais un pilotage national est nécessaire afin que les intéressés soient soutenus par la communauté éducative ainsi que par les plus hauts responsables politiques.
Ma question porte sur le passage du rapport dans lequel vous soulignez que les réseaux sociaux tels que Facebook amplifient les comportements humiliants ainsi que les harcèlements. Le cyber-harcèlement constitue un sujet de préoccupation majeur lorsque l'on évoque le sujet des technologies de l'information et de la communication et la sexualité des jeunes.
Vous n'évoquez toutefois pas les nouvelles applications permettant les rencontres d'un soir comme Tinder, alors que plus de jeunes qu'on ne le pense l'utilisent, même au lycée ; ces applications peuvent conduire à des relations sexuelles bien réelles, mais non exemptes de risques physiques et psychiques.
Selon vous, ces applications sont-elles appelées à durer ? Plus encore que les simples sites de rencontre, leur instantanéité ne risque-t-elle pas de concourir à déshumaniser les rapports sexuels et, par-delà, les rapports humains ? Une sensibilisation des intéressés au cours des séances d'éducation à la sexualité organisées dans les collèges et lycées serait-elle susceptible d'aider les jeunes à prendre du recul avec ces moyens de communication qui « cartonnent » aujourd'hui ?
Votre rapport, intitulé L'éducation à la sexualité : répondre aux attentes des jeunes, construire une société d'égalité entre les femmes et les hommes, ne s'intéresse pas seulement à l'égalité et aux discriminations sexistes, mais aussi aux discriminations homophobes, qui, malheureusement, vont souvent de pair. J'ai d'ailleurs remarqué que le terme « homophobie », en tant qu'entrave à la liberté, revenait plus souvent que celui d'« homosexualité ». Il me semble que l'éducation à la sexualité ne devrait pas se borner à battre en brèche les discriminations homophobes, mais devrait faire prendre conscience aux jeunes de leur droit à vivre leur orientation sexuelle, et les aider à l'accepter de façon positive, sans souffrir de discrimination.
Vous soulignez le rôle prépondérant pris par internet dans la recherche d'informations sur la sexualité, du fait de la confidentialité et de la disponibilité qu'il propose. Toutefois, il apparaît que la majorité des sites prétendant apporter des réponses ne font que desservir les utilisateurs en fournissant des informations erronées ou culpabilisantes, banalisant la violence sexuelle ou les stéréotypes sur l'identité sexuelle. Ainsi, le site Doctissimo en donne le pire exemple : on y trouve n'importe quoi puisqu'il permet à n'importe qui de répondre aux questions posées par d'autres internautes, toujours de façon totalement anonyme. Ne conviendrait-il pas de modérer certains sites d'intérêt public et d'en mettre d'autres en valeur par une labellisation publique approuvant leur contenu ? Comment inciter les jeunes à chercher ailleurs pour se renseigner sur la sexualité ?
Enfin, ce mois-ci, le Planning familial fête ses soixante ans, alors même que les propos de politiques inconscients et populistes veulent remettre son action en cause quand il faudrait le doter de moyens supplémentaires. Ne pensez-vous pas que ces moyens financiers seraient nécessaires et qu'une meilleure communication sur internet du Planning familial auprès des jeunes constituerait une solution pour renforcer son action ?
Madame Bousquet, vous avez choisi de traiter de l'éducation à travers le prisme de l'égalité entre les femmes et les hommes. Cette approche est juste, tant il est vrai que trois grands problèmes sont survenus au cours des dernières années.
Le premier est celui du contrôle des jeunes filles et de leur réputation, sous la pression de la famille et du groupe social, dont certains sont très hostiles à l'éducation sexuelle. En d'autres termes, l'éducation sexuelle renforce les préjugés de certains à l'encontre de ce qui fonde notre vie sociale. Comment faire pour que cette formation ne renforce pas, précisément, l'hostilité de certains groupes souhaitant préserver les jeunes filles de ce qu'ils considèrent comme une influence pernicieuse ? Nous savons qu'aujourd'hui, dans certains territoires, des jeunes filles sont soumises à des pressions insupportables, ce qui constitue une entrave à leur liberté et nous préoccupe beaucoup.
Le deuxième problème est constitué par la représentation indigente que certains jeunes se font des relations sexuelles et affectives, cette représentation étant largement nourrie par la pornographie. Les statistiques sont effarantes : aujourd'hui, à l'âge de dix ans, un enfant sur deux a déjà visionné un film pornographique. C'est pour cela que l'adaptation de l'éducation sexuelle à l'âge des jeunes considérés constitue une question complexe : si elle advient trop tôt, il y a un risque de décalage, et si elle advient trop tard, les jeunes ont déjà rencontré la pornographie qui va dégrader la représentation qu'ils peuvent avoir de la sexualité.
Le troisième problème concerne l'usage dévoyé et mal intentionné des réseaux sociaux, ce qui, nous le savons, pousse des jeunes au suicide. Cette situation est dramatique. L'éducation sexuelle ne doit-elle pas d'abord se consacrer à ces dérives d'autant plus dangereuses qu'elles sont massives ? Il me semble d'ailleurs que ce sujet excède la seule question de l'éducation sexuelle.
Les documents produits par le Haut Conseil considèrent qu'il est souhaitable de changer de paradigme et d'évoquer une sexualité synonyme de plaisir et d'épanouissement personnel. Au fond, il n'est que très peu question de l'autre ainsi que de la vie affective, comme si la sexualité était forcément indépendante de la sphère du sentiment et de la relation affective. Je souhaiterais connaître votre sentiment au sujet de cette approche, car, lorsque, en tant que parents, nous dialoguons avec nos enfants, nous leur disons que la sexualité est directement liée à la sphère de l'affection et du sentiment. De votre point de vue, cette question est-elle délibérément évacuée ? Et n'y a-t-il pas là, comme l'a dit notre collègue Hervé Féron, un risque de déshumanisation ?
Merci, madame Bousquet, pour ce remarquable rapport qui aborde une question essentielle, afin que nos enfants et petits-enfants vivent dans une société apaisée, au sein de laquelle les relations sexuelles et amoureuses entre les filles et les garçons soient plus équilibrées, plus sereines, mais aussi plus joyeuses.
Éduquer à la sexualité constitue un immense défi qui ne peut être remporté qu'en conservant à l'esprit le rôle que tiennent de fait les réseaux sociaux ainsi que la pornographie. Que proposez-vous pour lutter efficacement contre ce fléau que peut représenter, dans son aspect le plus dangereux, l'utilisation d'internet ?
Pour ma part, je demeure très sensible à votre recommandation relative à la nécessité de mobiliser l'ensemble de la société ainsi que l'ensemble des espaces de socialisation des jeunes : protection judiciaire de la jeunesse, missions locales, mouvement d'éducation populaire, fédérations sportives… Les résistances susceptibles de se faire jour au sein de ces espaces inclinent à considérer que nous sommes investis dans un travail de longue haleine réclamant de la persévérance. Quelles sont vos propositions pour y parvenir ?
À mon tour, je souhaiterais rendre hommage à Benoîte Groult, disparue hier, car son militantisme nous a accompagnés – hommes et femmes – pendant de très nombreuses années. Je rappelle qu'elle était aussi un grand écrivain : la coïncidence veut que nous abordions ces questions au lendemain de son décès et, à ce titre, je veux exprimer ma reconnaissance envers elle.
Le constat que dresse votre rapport, madame Bousquet, est accablant, et il ne faut pas hésiter à le dire : en termes choisis, vous avez évoqué une application inégale et parcellaire, indiqué que des thématiques importantes étaient tout simplement oubliées, et que les enseignants étaient peu ou mal formés. Devant ce sujet essentiel qui nous préoccupe tous et constitue un vrai sujet de société, au sens noble du terme, la mobilisation doit être générale.
Certes, au terme de votre rapport, vous évoquez un plan national fondé sur quatre priorités ; toutefois, et je partage certains propos entendus aujourd'hui, un sujet devrait nous mobiliser tous et appelle une action très forte insusceptible d'attente : celui de ce qui se passe sur les réseaux sociaux et internet. La Toile est toujours plus utilisée par les jeunes, dès leur plus jeune âge : nous le constatons chaque fois que nous nous rendons, en tant qu'élus, dans une école ou un collège, où chaque élève dispose d'un portable.
Ce qui se passe sur les réseaux sociaux – le cyber-harcèlement ; le fait que la première image qu'ont les jeunes de la sexualité passe souvent à travers un prisme dévoyé par la pornographie et la violence sexuelle ; des relations parfaitement déshumanisées, dont le sentiment est exempt – c'est cela qui doit appeler notre vigilance et un plan de mobilisation.
Il me semble que nous, parlementaires, devons vous accompagner et vous relayer au sujet de ce qui est prioritaire, car le cyber-harcèlement, le fait que des jeunes se suicident parce qu'ils en ont été victimes, est inacceptable. Nous en avons tous conscience : éducateurs, enseignants, élus, parents, mais quelles sont les actions menées ? Si je puis me le permettre, je considère que cela devrait constituer votre première préoccupation, car cette question sous-tend celle de la formation des enseignants, mais aussi des parents : certains d'entre eux sont bien moins agiles que leurs enfants ou adolescents dans l'utilisation des réseaux sociaux ou dans les contrôles parentaux, qui sont loin d'être étanches.
Cette formation à l'éducation sur la lutte contre l'inégalité entre les femmes et les hommes constitue, elle aussi, une question cruciale.
Merci, mesdames, pour la qualité du rapport que vous nous avez présenté.
Vous l'avez souligné, un malaise existe en France à l'évocation de la sexualité des jeunes ; qu'ils soient parents ou enseignants, les adultes éprouvent une gêne certaine à évoquer les questions se rapportant à la sexualité juvénile. Les sujets sont pourtant nombreux : la tolérance, la contraception, la maîtrise de son corps et de son destin, l'égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre les MST.
L'approche de la sexualité juvénile est souvent moralisatrice et sanitaire, or elle doit être abordée avec ouverture, compréhension et tact, ce à quoi s'emploient de nombreuses associations – le Planning familial a été évoqué –, et mes collègues girondines s'accorderont à reconnaître l'action de l'association Cacis, installée dans le Grand Parc de Bordeaux, qui milite depuis trente ans pour l'éducation à l'égalité et à l'émancipation.
Vous soulignez dans votre rapport les difficultés rencontrées par le monde éducatif pour enseigner et informer sur les questions relatives à la sexualité ; je plaiderai toutefois en faveur de l'action menée par le Conseil supérieur des programmes, particulièrement dans le domaine de l'éducation civique et morale, dont l'enseignement a commencé à la rentrée 2015. Par ailleurs, cinq nouveaux domaines seront abordés à la rentrée 2016, ils font partie du « socle commun de connaissances et de compétences » ; j'en mentionnerai trois.
Le premier domaine est celui des langages pour penser et communiquer, et promeut le langage des arts et du corps ; le troisième a trait à la formation du citoyen et comprend l'éducation à la sensibilité ainsi que la relation à soi et aux autres ; le quatrième, à travers l'étude des systèmes naturels, évoque la sexualité ; à cela viendra s'ajouter, la même année, le parcours d'éducation à la santé.
L'ensemble de ces domaines ne manqueront pas de concourir à améliorer l'éducation à la sexualité, qui, à mon sens, ne saurait être résumée à des interventions ponctuelles au cours du cursus scolaire pratiquées par des acteurs extérieurs. De fait, les jeunes sont surprenants : ils n'attendent pas l'intervention et posent des questions récurrentes, qui reviennent tout au long de l'année. La question de la sexualité doit donc parcourir tous les programmes scolaires, ce qui pose la question de l'adaptation de la formation des enseignants, qui doivent être à même de fournir des réponses.
Pourriez-vous, enfin, donner plus de précisions sur l'exemple donné par d'autres pays ? Je dois en effet rencontrer prochainement une ancienne ministre de l'éducation islandaise, dont le pays est très en avance dans le domaine des questions portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
Il m'a semblé, madame Bousquet, que les réseaux sociaux, en tant que vecteurs d'information, sont pratiquement absents de votre rapport. Or, nous savons pertinemment que les jeunes fréquentent ces réseaux très assidûment. Serait-il possible que des partenariats soient engagés avec les branches françaises des opérateurs concernés afin que soient diffusés des messages publicitaires et éducatifs relatifs à l'éducation sexuelle ? Car il me semble qu'une carence existe dans ce domaine.
Madame la présidente, l'école, qui a pour mission d'instruire, d'éduquer, a également un rôle spécifique, complémentaire de celui des familles, dans la construction individuelle et sociale des jeunes de notre pays.
L'acquisition progressive de savoirs et de compétences permet à notre jeunesse de faire des choix éclairés et responsables. L'éducation à la sexualité, qui est une composante de l'éducation du citoyen, contribue à l'apprentissage des règles sociales et des valeurs communes. Il est bien évident que la connaissance et le respect de la loi sont au coeur de ce travail éducatif mené par les équipes enseignantes.
Votre rapport recommande notamment de « mieux écouter et prendre en compte la parole des jeunes », et vous souhaitez le lancement d'une plateforme de consultation nationale des jeunes sur internet, conjointement élaborée par des organisations représentatives de la jeunesse, des professionnels de l'éducation à la sexualité et des chercheurs, afin de mieux cibler les attentes et les besoins en matière d'éducation à la sexualité.
Cette proposition me semble très pertinente au regard de l'adaptation de la société au numérique ainsi qu'aux pratiques des jeunes sur les réseaux sociaux. Je pense même que nous pourrions aller plus loin en utilisant Facebook, Twitter, Snapchat ou bien encore Instagram : nous le savons tous, les jeunes utilisent leur ordinateur, leur tablette, leur smartphone pour regarder des vidéos et dialoguer sur les réseaux sociaux. Ce sont certainement là les meilleurs outils pour toucher les jeunes, il convient toutefois de ne pas omettre quelques facteurs indispensables pour la réussite de cette consultation : la discrétion, la protection des données et de l'identité de la personne.
Vous préconisez également l'association systématique des organisations représentatives de la jeunesse et des associations agréées intervenant en milieu scolaire à l'élaboration des politiques et des outils nécessaires à l'éducation à la sexualité, ce dont je ne peux que vous féliciter. Vous souhaitez adopter de manière urgente un plan national d'action et de coordination interministérielle pour l'éducation à la sexualité : pouvez-vous nous faire part de l'échéancier prévu pour la mise en oeuvre de ces préconisations ?
J'ai été enseignant il y a vingt-cinq ans dans un collège public à Roubaix, et la situation était déjà telle qu'aujourd'hui : tous les ingrédients de la poudrière étaient présents. J'ai encore en mémoire les billets médisants traînant sur le sol de la classe ainsi que la réponse des garçons sollicités pour les ramasser : « Les femmes sont là pour ça », ce à quoi je répondais que les femmes, ce pouvait être leur mère ou leur soeur et qu'ils étaient eux-mêmes de jeunes pères potentiels.
Tous les plans que nous pourrons échafauder de façon intellectuelle et très combative ne remplaceront jamais le dialogue que chacun peut avoir avec les élèves en tant qu'enseignant, principal de collège, etc. Le problème est encore celui de l'absence de réponse de la part des enseignants, singulièrement les jeunes, confrontés à des situations les dépassant totalement.
Notre collègue Annie Genevard a évoqué l'amour, et je lis dans votre rapport : « On s'aime à deux, on se protège à deux ». En effet, le plaisir n'est ni égoïste ni individuel, bien que notre société s'individualise à outrance, et il convient de rappeler que toute sexualité constitue un projet à deux. Ce doit toujours être un projet d'amour – je fais volontiers référence au très bel ouvrage de Luc Ferry La Révolution de l'amour – et, chaque fois que je marie quelqu'un – car c'est aussi le rôle de l'officier d'état civil que de remémorer ce qu'est le projet du mariage –, je rappelle que, dans ce monde, la situation n'est pas la même pour tous, qu'il existe des pays dans lesquels la révolution de l'amour n'a pas encore eu lieu, et que les filles y sont mariées de façon autoritaire. Nous devons mesurer la chance qui est la nôtre de vivre dans un pays où l'on choisit l'autre, dont le sexe importe peu par ailleurs.
Nous vivons dans un schéma culturel séculaire de domination au sein duquel chacun doit jouer un rôle, car, s'il en sort, il se fait « flinguer » par l'autre ; pour autant – que l'on me pardonne si je parais quelque peu « fleur bleue » –, la révolution de l'amour a encore beaucoup de progrès à réaliser.
Il y a vingt-cinq ans, la sage-femme que j'étais intervenait, à la demande des enseignants, des principaux de collège ou des proviseurs, dans les collèges et les lycées. L'expérience était passionnante, mais les demandeurs agissaient à titre personnel et n'étaient absolument pas formés ; j'étais à l'époque engagée dans le mouvement qui a conduit à l'adoption de la loi du 17 janvier 1975 relative à IVG, dite « loi Veil ».
Il était frappant à l'époque de constater que c'était les filles qui souhaitaient se protéger, et pas les garçons : on parlait de pilule, mais pas de préservatif – quand bien même, pour ma part, j'évoquais ce sujet. Il était par ailleurs curieux d'observer que, dans les familles, on tâchait de protéger les filles avec la contraception, mais rien n'était dit aux garçons : on formait les unes, mais pas les autres.
J'ignore si la situation a évolué mais c'était une réalité de l'époque, et il y a là un vrai travail à effectuer. Aussi la formation des enseignants me paraît-elle essentielle, car les intervenants extérieurs ne sont que ponctuellement présents alors que les enseignants le sont en permanence : ils doivent pouvoir répondre aux questions que les enfants ne manqueront pas de poser tout au long de leur scolarité. Il serait intéressant de pouvoir disposer d'une « réserve citoyenne », placée auprès des responsables au sein des académies, avec des intervenants extérieurs, qui seraient complémentaires des enseignants, afin d'apporter de vraies réponses aux jeunes sur leur sexualité et la réalité du plaisir partagé.
Le constat dressé par le rapport n'enjoint pas à l'optimisme, et montre bien qu'il faut agir sur plusieurs plans.
Je me pose bien des questions, et cela est lié au décès de Benoîte Groult, car nous avons le sentiment de patauger au sujet de l'éducation à la sexualité : elle est délicate, et nous revenons toujours aux pratiques du passé, aussi nous trouvons-nous impuissants devant les réseaux sociaux et les difficultés à communiquer sur une question essentielle.
Ainsi, le projet de la féminisation de la langue et des noms de métiers, qui existe depuis longtemps, est très important, car on pourrait augmenter à l'envi la formation des enseignants et des recteurs tout en restant enferrés dans les mêmes problématiques. En revanche, la langue pose la question de l'identification, qui est essentielle. Ainsi, il y a trois ans, en Suède, un pronom neutre a été créé, non pour neutraliser l'identification mais pour permettre aux individus en voie de construction dans une identité relationnelle – c'est-à-dire un sexe par rapport à l'autre – de recourir à un tiers neutre. Il s'agit d'utiliser un pronom, qui n'est pas là pour neutraliser la sexualisation mais au contraire pour établir une distance constructive pour les enfants et éviter de manipuler des objets ou des totems marqués du sceau de millénaires de domination.
La langue ne neutralise pas, elle crée des séries identificatoires, ce que Gilles Deleuze avait constaté dans ses travaux sur la schizo-analyse et relatifs à la coupure du sujet, car la langue peut recréer ce type de dispositifs ; la question est si vaste que l'on se sent dépassé.
C'est pourquoi, si je partage les propositions du rapport, je me pose la question : est-ce sur ce terrain que les choses se jouent ou l'enjeu n'est-il pas celui de la langue qui nous permet de nous exprimer ?
Je tiens à remercier Christophe Premat, car Benoîte Groult fut présidente de la Commission pour la féminisation des titres et des noms en 1983, à la demande d'Yvette Roudy, à l'époque ministre des Droits de la femme. Danielle Bousquet répondra à notre collègue Dominique Nachury au sujet des choix opérés en matière d'écriture du texte et de féminisation des termes, qui vous a paru complexe. Je vous signale que j'ai demandé au président de l'Assemblée nationale l'adoption de ce mode de rédaction, dépourvue de stéréotype de genre ; une fois que l'on y est habitué, l'impression de complexité s'efface.
Par ailleurs, dans le cadre de l'examen du projet de loi pour une République numérique, la Délégation aux droits des femmes a étudié le sujet des réseaux sociaux et plus particulièrement celui de la cyber-violence. Nous avons été alertés par des associations ainsi que par le centre Hubertine Auclert et des avocats au sujet des difficultés rencontrées dans la poursuite judiciaire des auteurs de cyber-violences. Nous avons déposé des amendements tendant à aggraver les peines encourues pour ces faits, car la cyber-criminalité et le cyber-harcèlement entraînent des suicides. Une lycéenne du Calvados a ainsi mis fin à ses jours après avoir vu sur les réseaux sociaux certaines photos d'elle, dans le cadre d'une « vengeance pornographique » (revenge porn).
Nous avons demandé que cette loi prévoie que, dans l'enseignement du numérique qui sera pratiqué dans les classes, figure un module relatif à l'utilisation de ces réseaux sociaux, dont on sait que les jeunes imaginent qu'il leur est réservé tout en garantissant l'anonymat, sans réaliser qu'il n'y a pas d'oubli – chose que nous avons réclamée pour les mineurs.
Madame Olivier, vous avez évoqué la nécessité de disposer d'un responsable de l'éducation à la sexualité employé à temps plein dans chaque académie ; cela est pertinent mais ne se conçoit que dans le cadre d'un pilotage à l'échelon national. Une mobilisation interministérielle doit être organisée autour du ministre de l'éducation nationale, en coordination avec les ministères les plus directement concernés : ministère de la justice, ministère chargé de la jeunesse et des sports, etc.
Il faut bâtir un projet global à l'intention de l'ensemble du système éducatif et de toutes les institutions qui, à un titre ou un autre, sont concernées par la jeunesse ; car les jeunes ont une vie en dehors du système scolaire. Toutefois, cette impulsion doit trouver sa traduction au plus près des intéressés, et l'académie semble constituer l'échelon intermédiaire compétent.
Mme Nachury s'est interrogée sur les blocages rencontrés au sujet de l'éducation à la sexualité ainsi que sur le rôle des communautarismes : je la renverrai au rapport fait par M. Jean-Pierre Obin au nom de l'Inspection générale de l'éducation nationale (IGEN), intitulé Les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, remis au ministre au mois de juin 2004. Dès cette époque, ce document soulignait l'importance du phénomène religieux chez les jeunes, et singulièrement des violences faites aux jeunes filles lorsqu'elles étaient en situation de transgression. L'un des aspects les plus inquiétants de la question est que ces violences sont aujourd'hui exercées au vu et au su de tous, alors qu'auparavant, elles étaient plus diffuses et moins affirmées ; elles sont désormais revendiquées : nous ne pouvons pas rester indifférentes à cette situation.
S'agissant de l'usage du féminin dans l'écriture, nous ne parlons pas de féminisation, mais bien de cet usage du féminin tel qu'il a existé dans la langue française jusqu'au XIXe siècle, et dans lequel les mots français s'entendaient au féminin et au masculin. Les débuts peuvent surprendre, mais, à l'usage, on s'y habitue très bien ; nous avons rédigé un guide de la communication publique sans stéréotypes de sexe, qui comporte une charte ainsi qu'un engagement déjà signé par l'École nationale d'administration (ENA), le Conseil économique, social et environnemental (CESE), le ministère de la justice, le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), le Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) ainsi que plusieurs universités. Les négociations sont en cours au Sénat, l'Assemblée nationale est vigoureusement sollicitée et j'espère que nous aurons l'occasion de poursuivre cette démarche avec d'autres signataires prestigieux.
Nous voulons simplement prendre en compte cette réalité rappelée par M. Christophe Premat : la langue n'est pas neutre ; elle véhicule une certaine vision de la société, et, dans une civilisation telle que la nôtre, tirer un trait sur la moitié de l'humanité pose quelques problèmes. Nous réhabilitons la place des femmes et des hommes dans la société française, il s'agit du même débat au sujet de l'expression « droits de l'Homme », à laquelle il faut préférer celle de « droits humains », ce que font d'ores et déjà tous nos collègues des pays francophones : entendre dire que le congé de maternité relève des droits de l'Homme me laisse toujours pantoise…
Mme Buffet a souligné que les médecins et infirmières scolaires sont en sous-effectifs, et que la plupart d'entre eux faisaient ce type d'éducation : à cela je répondrai qu'il ne suffit pas d'être médecin, infirmière scolaire ou sage-femme pour être capable de parler d'éducation à la sexualité. Avoir des connaissances « mécaniques » ne suffit bien évidemment pas pour savoir entendre les jeunes et répondre très simplement à leurs interrogations portant sur qui ils sont, etc. Répondre à des questions portant sur la sexualité devant un groupe de jeunes n'est pas chose aisée, et il faut être capable de ne pas se bloquer devant des sujets susceptibles d'être difficiles pour les uns ou les autres.
Vous avez considéré qu'une volonté politique devait concourir à surmonter les blocages, et c'est bien volontiers que je vous concède qu'ils sont présents partout dans notre société ; par ailleurs, nous entendons souvent dire que les parents sont réfractaires à l'éducation à la sexualité. Nous avons entendu en audition l'Association des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP) et la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), qui nous ont indiqué qu'elles étaient très conscientes de cette situation, et à quel point elles considéraient l'importance de notre rapport dont elles partagent les conclusions. Ces associations étaient d'ailleurs présentes au moment de sa remise aux ministres. Elles nous ont aussi dit à quel point elles ont besoin d'instruments leur permettant d'être à même d'apporter des réponses aux jeunes.
Ainsi, tous ceux qui, à un titre ou un autre, sont amenés à dialoguer avec les jeunes ont besoin d'outils et d'information tous azimuts, susceptibles de les assister dans leur démarche. Je dois préciser qu'aucun de nos interlocuteurs – enseignants, chefs d'établissement ou syndicats de lycéens – n'a fait montre d'hostilité à l'encontre de l'éducation à la sexualité ; tous ont réservé un bon accueil au rapport. Il peut, certes, exister des divergences de vues mais, à part certains mouvements profondément réactionnaires n'admettant pas que l'école puisse parler de sexualité aux jeunes, devant lesquels nous sommes quelque peu démunis –, la volonté de promouvoir l'éducation à la sexualité est bien présente.
Nous sommes par ailleurs tous très préoccupés par le cyber-harcèlement ; Mme Coutelle a évoqué le suicide d'une jeune fille, dont une photographie la montrant dénudée a circulé parmi tous ses condisciples au lycée. En tant qu'adultes responsables, nous ne pouvons admettre que de telles choses puissent se produire, il nous revient de prendre la question à bras-le-corps ! Pour progresser dans ce domaine, il n'y a pas d'autre moyen que d'éduquer les jeunes, les sensibiliser et les former à ce qu'est le respect de l'autre ainsi que de sa vie privée.
Vous avez évoqué, monsieur Féron, les moyens devant être attribués au planning familial : nous recommandons que la somme de 8 euros de l'heure aujourd'hui payée à ces associations pour leurs interventions soit revalorisée. Un tel montant ne fait pas sens, d'autant moins que les établissements scolaires ne disposent pas de moyens financiers pour l'éducation à la sexualité. Il faut, bien évidemment, que les enseignants soient formés et les intervenants extérieurs, correctement rémunérés : 8 euros ne correspondent même pas à la rétribution du travail clandestin !
À Mme Genevard qui a évoqué le communautarisme, je préciserai que l'éducation à la sexualité a pour objet le respect des personnes et non pas la dépravation supposée être véhiculée par la culture occidentale. Le contenu comme le langage du message doit être adapté à l'âge des enfants afin de pouvoir commencer le travail dès leur plus jeune âge ; ainsi un document canadien destiné aux plus petits existe depuis 1975, dont le titre est Mon corps, c'est mon corps. Il permet de faire comprendre à de très petits enfants que personne ne peut leur imposer quoi que ce soit : c'est ainsi qu'il faut s'adresser aux enfants.
En outre, parler de rapport à l'autre et de sexualité ne se résume pas à parler de rapports sexuels, et dire que tout être humain a une sexualité ne signifie pas que tout être humain a des rapports sexuels : nous parlons de la sexualité au sens large, qui est une composante de notre personnalité d'être humain. Il s'agit aussi du rapport à soi, ainsi que, bien entendu, du rapport à l'autre dans le cadre de rapports sexuels ou amoureux.
En réponse à Mme Lacuey qui a évoqué les dangers liés au mésusage d'internet, je citerai le professeur René Frydman, que beaucoup d'entre vous connaissent : « C'est la pornographie qui, aujourd'hui, éduque les enfants à notre place. » Il nous revient d'inverser cette situation et de faire en sorte que ce soit l'éducation à la sexualité, et non la pornographie qui instruise les enfants.
À monsieur Herbillon, j'indiquerai que nous avons trouvé l'expression « éducation parcellaire » dans le rapport de l'IGAS. S'agissant de la formation des parents, nous considérons qu'il faut leur donner des outils susceptibles de mettre à niveau leurs connaissances ainsi que leur comportement.
Madame Doucet a évoqué la question de la rémunération des intervenants : personne n'animera bénévolement des séances d'éducation à la sexualité ; j'observe par ailleurs que, lorsque l'on évoque les questions concernant les femmes, on mise toujours sur la bonne volonté et le bénévolat. Nous devons faire en sorte que l'éducation à la sexualité, comme d'autres activités, soit pratiquée par des professionnels justement rémunérés.
Le parcours d'éducation à la santé intègre effectivement l'éducation sexuelle et doit être transverse de tous les programmes scolaires. À cette fin, la formation initiale des enseignants au sein des écoles supérieures du professorat et de l'éducation devra comporter une visite des centres de planification comme les établissements d'information, de consultation et de conseil familial, par exemple.
À M. Demarthe, j'indique que nous avons en partage la conception de l'école comme étant complémentaire des familles pour des choix éclairés et responsables ; nous pensons que les parents sont des partenaires privilégiés. Malheureusement, il existe des familles au sein desquelles il est impossible d'évoquer ces questions, soit parce que ce n'est pas possible pour les jeunes, soit parce que les parents refusent ; en revanche, l'école délivre à tous les jeunes la même formation et les mêmes informations.
Le Comité interministériel aux droits des femmes se réunira à l'automne prochain, il doit être l'occasion d'une mobilisation générale, mais pour ce faire, les crédits du budget de l'année 2017 devront être au rendez-vous. Les moyens doivent être mobilisés au plus vite : n'attendons pas vingt ans et ne sacrifions pas des générations qui ne seraient formées que par la seule pornographie présente sur internet, faute de quoi les intéressés ne sauront pas faire des choix responsables ni s'extraire des relations de violence.
Je ne peux qu'acquiescer aux propos de M. Ledoux, qui considère que toute forme de sexualité constitue un projet à deux, singulièrement lorsque le projet se construit dans le long terme ; car la sexualité ne se borne pas aux rapports sexuels.
Madame Bouillé, je considère comme vous que la formation des enseignants est essentielle, même si des interventions extérieures sont organisées. Vous l'avez par ailleurs souligné : l'éducation à la sexualité ne peut se résumer à des sessions ponctuelles et doit être incluse dans tous les enseignements.
Le genre neutre institué en Suède que vous avez évoqué, monsieur Premat, est fortement remis en cause en France ; à mon sens, un travail consistant devrait être mené avant toute réflexion à ce sujet. Peut-être le Haut Conseil s'en emparera-t-il dans une quinzaine d'années, lorsque tous les sujets urgents aujourd'hui auront été évacués, car nous avons déjà travaillé sur l'utilisation du féminin. Vous avez raison de poser la question de l'identification à un sexe, mais je ne suis pas sûre que le neutre constitue la bonne réponse à ce problème : à ce stade, je n'ai pas d'avis particulier sur ce sujet.
Dans la conduite de nos travaux, nous avons beaucoup utilisé le rapport de la Délégation aux droits des femmes sur le projet de loi pour une République numérique, dont la partie consacrée à internet est très complète.
Nous présentons une approche globale des réseaux sociaux, et mentionnons certaines applications comme Twitter, Facebook et Snapchat ; nos constats concernent aussi les sites de rencontre, toujours plus répandus chez les jeunes, et susceptibles de présenter des risques. Ces réseaux font aujourd'hui partie intégrante du mode de socialisation des jeunes puisque neuf adolescents sur dix sont connectés à au moins un réseau social, et que la multiplication des smartphones permet d'y accéder en permanence.
Nous avons constaté que l'influence de ces pratiques sur la représentation qu'ont les jeunes de la sexualité est mal connue, c'est pourquoi nous demandons qu'une enquête soit diligentée sur ce sujet, ce qui fait l'objet de notre première recommandation. De fait, la dernière enquête consacrée à la connaissance de la sexualité des jeunes, qui remonte à 1995, ne prenait pas internet en compte.
Les réseaux sociaux ne sont pas exempts de danger, comme le cyber-harcèlement ou le revenge porn, consistant à diffuser des photographies intimes d'une personne sans son consentement, et qui, très majoritairement, concerne des jeunes filles. Les jeunes ne mesurent pas pleinement la portée de ces risques qui, par ailleurs, sont peu ou mal traités par l'Éducation nationale. Le collectif Féministes contre le cyber-harcèlement nous a indiqué que, lorsque de tels faits sont commis, l'établissement scolaire choisit le transfert de la jeune fille dont la photo a été diffusée, car les victimes manifestent des troubles pouvant aller de l'échec scolaire jusqu'au suicide.
À ce jour, il n'existe aucun site national d'information expliquant en quoi consiste le revenge porn ou la publication sans le consentement de l'intéressée de photographies à caractère intime, ce qui explique que les victimes sont totalement démunies lorsque ces images sont diffusées. Les victimes se sentent coupables et sont souvent culpabilisées pour avoir adressé de telles photos à leur ex-petit ami ; de leur côté, les agresseurs n'éprouvent aucune responsabilité puisqu'internet garantit l'anonymat et provoque une dilution de la responsabilité. Dès lors qu'en quelques minutes une photographie peut être diffusée par 150 personnes, il n'est plus possible de savoir qui se trouve à l'origine de l'agression : qui plus est, les auteurs de ces faits ignorent même que ceux-ci sont répréhensibles.
Il est donc indispensable de sensibiliser les jeunes aux risques d'exposition de leur vie privée en ligne, de leur rappeler qu'une relation amoureuse ne dure pas nécessairement toute la vie, et qu'il peut être imprudent d'adresser – fût-ce à son petit ami du moment – des images relevant de l'intimité. Par ailleurs, les auteurs potentiels de ces faits doivent être sensibilisés aux conséquences psychologiques considérables qu'ils peuvent avoir sur la victime.
Le contenu des séances d'éducation à la sexualité doit donc être adapté à ces réalités, et les personnels de l'Éducation nationale formés au moyen de modules dédiés afin de leur fournir des clés de prévention de ces pratiques et leur apprendre à orienter les victimes. Cela pourrait être intégré dans les cours d'éducation morale et civique désormais inscrits dans les programmes scolaires, et passe par la formation initiale et continue des enseignants, susceptible d'être complétée par des outils mis à disposition sur des plateformes en lignes comme Eduscol.
Nous avons repéré des sites internet présentant toujours le risque de diffuser des informations erronées : le rapport mentionne Doctissimo, qui est un forum, mais bien d'autres sont présents sur la Toile. Ce type de site est alimenté par les internautes eux-mêmes, et les jeunes ne sont d'ailleurs pas les seuls exposés à ces fausses informations : beaucoup d'adultes posent des questions concernant leur santé. La loi ne sanctionne pas la diffusion d'informations erronées par des particuliers : c'est pourquoi nous proposons de rendre visibles et de faire connaître les ressources fiables et adaptées.
Tous nos interlocuteurs ont considéré que les jeunes ne disposaient d'aucun site de référence susceptible de répondre aux questions qu'ils se posent sur la sexualité, et des sites tels Onsexprime.fr sont particulièrement mal référencés par les moteurs de recherche ; nous avons d'ailleurs fait le même constat au sujet des sites consacrés à l'accès à l'avortement. Le site Onsexprime.fr, créé par l'INPES, a su s'adapter et développer des outils correspondant à la réalité des jeunes en proposant des chats anonymes avec des professionnels et des médecins ainsi que des petites « web-séries » humoristiques parlant leur langage.
Afin de le faire connaître, nous proposons des campagnes d'affichage dans les établissements scolaires ainsi que dans toute structure accueillant des jeunes. Mais nous savons qu'aujourd'hui le papier est loin de constituer le meilleur vecteur, et qu'une campagne d'information doit aussi passer par les réseaux sociaux : il conviendrait de réaliser sur internet une campagne sponsorisée à laquelle les jeunes ne pourraient pas échapper. Des spots, conçus par l'INPES et l'Éducation nationale, pourraient encore être diffusés sur les radios s'adressant aux jeunes car ce type de stations plébiscitées par la jeunesse libère la parole et évoque la sexualité sans tabou ; le danger réside toutefois dans le caractère souvent sexiste et homophobe des propos échangés. Enfin, des clips pourraient être diffusés à la télévision aux heures de grande écoute afin de provoquer le dialogue entre parents et enfants ainsi qu'entre les jeunes eux-mêmes, comme cela a été pratiqué en Norvège, où, à une heure de grande écoute, était diffusée une émission consacrée à l'éducation à la sexualité.
Le manque de célérité dont font preuve les réseaux comme Twitter et Facebook lorsqu'il leur est demandé de retirer des photographies publiées sans le consentement des victimes est régulièrement dénoncé : il conviendrait de les sensibiliser à ce problème.
Je rappelle que Twitter et Facebook ne sont pas les principaux supports de diffusion sans consentement de photographie : l'application Snapchat permet d'effectuer des captures d'écran échappant à tout contrôle.
Je tiens à vous remercier, monsieur le président, pour avoir accepté le principe de cette audition commune à la Délégation aux droits des femmes et à la commission des Affaires culturelles et de l'Éducation, qui est pour nous très importante, car le rapport présenté contient bien des richesses.
Je suis aussi reconnaissante à Danielle Bousquet qui, pour replacer ce rapport dans son contexte, a fait allusion au massacre d'Orlando ; car ce crime commis contre les homosexuels illustre tragiquement cette domination par la sexualité pratiquée par un certain nombre de groupes. À cette occasion, je n'ai pu que remarquer la pusillanimité des médias français qui ont répugné à évoquer cette domination et appeler ce crime par son nom.
Cela, et vous l'avez souligné, montre bien à quel point, dans tous les domaines, il est difficile de parler de sexualité, y compris dans la société et les médias.
Votre rapport est fondamental, bien entendu, il implique l'Éducation nationale ; nous espérons tous qu'il ne connaîtra pas le même destin que d'autres publications semblables, et que vos propositions seront mises en oeuvre dans les établissements scolaires ainsi que dans la formation des enseignants. Nous espérons encore que les parents sauront s'en emparer, car ils représentent un chaînon important.
Je répète que les médias et la société tout entière sont concernés au premier chef ; nous nous sommes plusieurs fois penchés sur la question de l'usage des réseaux sociaux, et avons inscrit des dispositions dans plusieurs textes de loi : il faut maintenant passer à une éducation et un enseignement à ces réseaux. Nous avons toutefois réalisé un progrès à travers le projet de loi pour une République numérique, qui prévoit désormais le droit à l'oubli sur internet pour les mineurs : tout ce qu'ils auront mis en ligne au cours de cette période de leur vie devra être effacé à leur majorité s'ils en font la demande, ce qui devrait mettre un terme à nombre de dérives.
Nous souhaitons voir vos recommandations appliquées : il est de notre responsabilité de députés d'évaluer les politiques publiques et de venir constater, dans les établissements scolaires et les associations, comment ce que nous votons est mis en oeuvre. C'est là que réside à nos yeux le fondement d'une société du respect de l'autre, une société que nous voulons égalitaire entre les filles et les garçons, entre les femmes et les hommes ; et c'est à dessein que je le dis dans cet ordre, car c'est à quoi nous travaillons avec le plus de constance à la délégation.
Je souhaiterais enfin conclure en soulignant que cette audition constitue sans conteste le plus bel hommage que nous pouvions rendre à Benoîte Groult. Je vous remercie toutes et tous pour votre présence et vos propos.
La séance est levée à onze heures vingt-cinq.