Je m'empresse de préciser que mon travail ne porte pas spécifiquement sur les retombées de l'Euro 2016. Car, au stade des quarts de finale, il est trop tôt pour les mesurer – sans parler de l'éventuel effet des résultats de l'équipe de France sur le moral des Français !
J'envisage plutôt ce travail comme un droit de suite après mon rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2016. Il avait notamment porté sur l'héritage et la nécessité d'une meilleure évaluation des grands événements sportifs internationaux, dont l'acceptation peut poser des problèmes. Par exemple, à Hambourg, un référendum a été organisé pour déterminer si la ville devait être candidate aux Jeux olympiques de 2024 ; le résultat fut négatif. Les enjeux sont très importants, pas simplement économiques mais aussi citoyens, politiques, environnementaux.
Je vous rappelle que nous avons adopté un dispositif fiscal très favorable à l'organisation des grands événements sportifs internationaux, qui exonère de toute fiscalité nationale ou locale – hors TVA – un certain nombre d'entre eux. C'est l'objet de l'article 51 de la seconde loi de finances rectificative pour 2014. La liste de ces événements a été fixée par décret au mois de juillet 2015 et leur nombre a été considérablement limité. Ne bénéficient du dispositif que six événements : le championnat d'Europe de basket-ball masculin 2015 ; le championnat d'Europe de football masculin 2016 ; le championnat du monde de handball masculin 2017 ; le championnat du monde de hockey sur glace masculin 2017 ; la Ryder Cup et la Ryder Cup Junior 2018 ; la coupe du monde féminine de football 2019. Le législateur souhaitait en effet limiter le bénéfice du dispositif à ceux des grands événements sportifs internationaux qui ont des retombées économiques exceptionnelles. Bien mesurer ce que l'on entend par « retombées économiques exceptionnelles » est donc aussi un enjeu. Or, actuellement, nous n'en avons pas les moyens. C'est l'objet de mon propos.
Aujourd'hui, l'évaluation des retombées et de l'héritage des grands événements sportifs internationaux bute notamment sur un problème méthodologique. Il n'y a pas de consensus sur une méthode pertinente. Les estimations sont donc extrêmement variables, potentiellement source de confusion lorsqu'elles sont diffusées par les médias. Souvent, ce sont des études ex ante, très peu fiables, car elles privilégient les retombées économiques et sont souvent faites « au doigt mouillé ». Ainsi, les Jeux olympiques de Londres ont été l'objet trois études différentes : la première en évalue les retombées économiques à 2 milliards de livres sterling, la deuxième à 10 milliards de livres sterling, la troisième à 16 milliards de livres sterling – les montants estimés varient donc de un à huit.
En ce qui concerne précisément l'Euro 2016, selon une première étude ex ante commandée au Centre de droit et d'économie du sport (CDES) de Limoges par l'organisateur, l'Union des associations européennes de football (UEFA), et financée par lui, le surplus d'activité économique serait d'un montant de 2,8 milliards d'euros, et 26 000 emplois seraient créés. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui a travaillé de façon plus rigoureuse et s'est fondée sur des hypothèses moins optimistes et plus réalistes, estime, pour sa part, que les retombées économiques seront de 1,2 milliard d'euros, et que 16 000 emplois seront créés. Les chiffres varient donc du simple au double, en fonction des hypothèses retenues, de la méthodologie et du prestataire choisi.
Il faudrait plutôt mesurer l'utilité sociale de ces grands événements sportifs internationaux en retenant des indicateurs comme le développement de la pratique sportive dans le pays. Quoi qu'il en soit, un pilotage public de cette évaluation est nécessaire, il nous faut en effet des études plus légitimes et plus crédibles. Cela passe par la mise en place d'études systématiques, d'outils de mesure fiables, partagés, pérennes – pour mesurer les effets des grands événements au bout d'un certain nombre d'années –, un cahier des charges précis, des indicateurs communs, et, si possible, des standards internationaux. À cet égard, je veux souligner, après en avoir auditionné les représentants, que l'OCDE a fait un excellent travail.
Ce que je propose est vraiment très simple. L'État dispose aujourd'hui de deux outils. L'un est la délégation interministérielle aux grands événements sportifs, qui pourrait étendre sa compétence et devenir ainsi une délégation interministérielle aux grands événements, pour s'occuper d'un certain nombre d'autres dossiers que la candidature de Paris à l'accueil des Jeux olympiques de 2024. C'est un pôle de ressources qu'il faut renforcer en termes de moyens humains et budgétaires et peut-être aussi rattacher au Premier ministre. D'autre part, nous avons créé un Observatoire de l'économie du sport, rattaché à Bercy et au ministre de la jeunesse et des sports. Il compte des experts, des scientifiques, des personnalités dont l'expertise est reconnue et indépendantes. Lui non plus n'a pas de moyens financiers. Nous aurions pourtant intérêt à nous appuyer sur ces deux outils pour que l'État donne une impulsion en matière pilotage public des évaluations des grands événements sportifs internationaux.
Je veux mettre en garde, en toute bienveillance, les responsables de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024, qui ont eux-mêmes commandé une étude ex ante au CDES de Limoges. Il n'existe pas d'offre suffisamment diversifiée et concurrentielle des évaluateurs. Nous recommençons donc un peu les mêmes erreurs, avec des retombées annoncées ex ante de 5 à 10 milliards d'euros. On ne travaille pas sérieusement sur les chiffres. L'écart entre ce que nous annonçons avant l'événement et les retombées réelles peut être important. J'appelle donc à un renforcement du pilotage public.