Intervention de Pascal Cherki

Séance en hémicycle du 1er février 2013 à 21h45
Projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe — Article 1er, amendement 4764

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Cherki :

Ce n'est pas cela qui est en cause.

Vous avez dit, chers collègues, que nous avions un conflit de valeurs ; je pense que nous avons une différence politique fondamentale, c'est que vous considérez que le droit de la famille doit être intangible, en quelque sorte éternel. Or notre conception est différente : nous croyons à une contingence du droit. Le droit évolue de siècle en siècle. Il y a quelques siècles, la conception légitime et majoritaire du mariage qui prévalait en France était articulée autour de l'Église, qui en avait le monopole et tenait les registres. En vous écoutant, j'ai le sentiment que c'est cette conception que vous entendez défendre. Elle est tout à fait respectable, et il n'est pas impossible à ceux qui y adhèrent de se marier en y croyant, car on ne demande pas aux gens leurs motivations lorsqu'ils se marient.

Cependant, considérer qu'au vingt et unième siècle, cette conception vieille de cinq cents ans devrait s'imposer à l'ensemble de la société française me paraît être réactionnaire, au sens étymologique du terme : un retour en arrière. C'est un garde des sceaux de droite qui, en son temps, a cassé la centralité du mariage en établissant l'égalité des filiations naturelles et légitimes. Nous sommes même allés jusqu'à reconnaître la filiation contre le mariage puisque nous avons reconnu l'égalité des filiations légitimes et adultérines. Aujourd'hui, une majorité d'enfants sont nés hors mariage.

Enfin, si le lien entre le mariage et la procréation était si central, s'il existait entre les deux un lien juridique principal et principiel, nous n'autoriserions pas des femmes qui ont passé l'âge de la fécondité à se marier. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Et quelle famille le droit peut-il bien viser quand il permet le mariage in extremis, c'est-à-dire avec une personne qui va mourir dans les heures suivantes ? En réalité, le droit embrasse aujourd'hui une pluralité de relations de mariage ; c'est l'intelligence du droit de pouvoir être fédérateur par la prise en compte de cette pluralité.

Si une évolution apaisée est aujourd'hui possible sur le mariage homosexuel, c'est parce que le fait percute le droit. Quand cela se produit, le droit, s'il ne veut pas perdre sa légitimité, doit englober le fait, ce qui n'était pas possible il y a deux siècles ni même il y a cinquante ans, parce qu'il fallait d'abord dépénaliser les relations homosexuelles et reconnaître la légitimité de cette sexualité. Nous avons évolué sur ce point depuis trente ou quarante ans.

Le droit évoluera sans doute encore. Certaines parties du droit sont intangibles, par exemple le refus de la peine de mort ; il s'agit du droit naturel. Mais l'organisation sociale de la vie des gens, notamment la question du mariage, repose sur des notions relatives et contingentes. Cela ne veut pas dire qu'elles soient dépourvues de force au moment où elles s'expriment, mais on ne peut considérer qu'elles soient éternelles. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

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