Intervention de Joël Giraud

Séance en hémicycle du 4 juillet 2016 à 18h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2015 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud :

…et que nous parvenons généralement à nous mettre d’accord sur ce sujet.

Voilà donc deux motifs de satisfaction partiels.

Dans le détail, nous avons encore rencontré des résistances gouvernementales, par exemple, à l’automne dernier, lors du débat relatif à la réforme de la dotation globale de financement, la DGF, concernant les moyens d’inciter nos collectivités territoriales, en priorité, à la sobriété énergétique. Nous pensons en effet que la fiscalité écologique la plus urgente et en réalité la plus élémentaire ne doit pas être punitive mais incitative et source d’économies d’énergie. C’est encore plus vrai concernant les ménages, sous peine d’aggraver les inégalités, sans impact réel sur l’écosystème.

Dans un contexte extraordinairement favorable à la dépense, il est indéniable que vous avez su engager une bonne maîtrise les dépenses publiques. C’est d’autant plus méritoire que notre pays est entré, ces derniers mois, dans une crise terroriste majeure, dont la gestion est somme toute exemplaire. Nous sommes ainsi sortis de l’ère précédente, consécutive à 2008, durant laquelle la vanne des dépenses était de plus en plus ouverte, à la faveur principale des établissements bancaires et sans contrepartie, au fur et à mesure que la France subissait la crise économique. Cette politique infligeait une double peine aux finances publiques et aux contribuables ; elle a été heureusement remplacée par une gestion que l’on peut éventuellement qualifier de sociale-démocrate.

En 2014, les dépenses du budget général suivaient déjà une baisse nette de 1,1 milliard d’euros par rapport à 2013. En 2015, la réduction des dépenses – comprenant la charge de la dette et les pensions – s’élève encore à 1,4 milliard d’euros par rapport à 2014, ce dont nous nous félicitons. En conséquence, le déficit budgétaire se réduit tendanciellement, ce qui nous arrange tout autant que Bruxelles.

La Cour des comptes a toutefois mis en lumière quelques artifices comptables, comme des annulations et des reports de crédits, ou encore des économies de constatation.

Pour dépasser le débat franco-français du périmètre d’analyse comptable du déficit auquel participe la Cour, notamment en évoquant les programmes d’investissements d’avenir, je rappelle que notre assemblée a adopté, le 8 juin 2015, une proposition de résolution européenne demandant la prise en compte de l’effort financier considérable et constant consenti par la France depuis 2012 en faveur des opérations de maintien de la paix sous mandat de l’ONU, au bénéfice de l’ensemble de nos partenaires européens.

À l’automne dernier, lors du débat budgétaire, le secrétaire d’État chargé des affaires européennes m’avait assuré que la Commission européenne devait avancer sur ce sujet. Les voeux exprimés par notre résolution parlementaire ayant été relayés auprès du commissaire européen Pierre Moscovici, celui-ci a convenu, début juin, qu’un véritable problème de mutualisation se posait mais que ces questions seraient plus facile à traiter le jour où une véritable défense européenne existerait. Autant dire que ce projet est repoussé à des calendes lointaines, à défaut d’être grecques…

La gestion des dépenses est donc sérieuse – voire douloureuse, pour ce qui concerne nos collectivités territoriales. Peut-on en conclure que les sociaux-démocrates français s’alignent sur la droite ultralibérale, comme l’avancent certains de nos partenaires de la majorité de 2012 ? La réduction des dépenses de nos collectivités aurait dû s’accompagner d’une réforme structurelle de la DGF, ce qui l’aurait rendue plus juste et plus acceptable, mais cette réforme a été reportée par ceux-là mêmes qui contestaient le rabot uniforme – c’est un comble.

Il est tentant de conclure que cette gestion sérieuse de la dépense est une politique d’austérité, mais ce serait faire un raccourci trop rapide. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance n’a certes pas été renégocié dès 2012, mais a-t-il été réellement appliqué à la lettre près – ou plutôt à la virgule près – depuis lors, particulièrement à la France ? Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2012 ne sont-ils pas parvenus, tout en réduisant les déficits, à ralentir le rythme imposé par ce traité sans subir de sanction ? La fonction publique a-t-elle vraiment été saignée ? N’a-t-on pas, à l’inverse, mis fin à la RGPP et, pour ne prendre qu’un exemple, revalorisé les salaires des fonctionnaires de catégorie C ? N’a-t-on pas renforcé de manière ciblée et progressiste les effectifs de l’éducation nationale, de la justice et, dans le contexte de lutte contre le terrorisme, de la police ? N’a-t-on pas revalorisé les minima sociaux dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, en ciblant les familles monoparentales, donc les femmes et les enfants ? Les montants sont-ils suffisants ? C’est un autre débat, dans lequel le Parlement, malheureusement, demeure constitutionnellement impuissant. Mais a-t-on assisté, comme sous le précédent quinquennat, à une nouvelle grande braderie discrète des biens immobiliers de l’État ? Après, il est vrai, quelques batailles d’hémicycle, n’a-t-on pas préservé, malgré le contexte, l’aide publique au développement ? N’avons-nous pas adopté, après avoir engagé le débat en 2013, le principe de son financement par une taxation des transactions financières infra-journalières ? Le positionnement de la France vis-à-vis de ses partenaires européens en la matière est-il si clairement libéral ? Je crois que la réponse à ces questions s’impose d’elle-même.

Certes, après des années d’une gestion que l’on peut qualifier à la fois de dispendieuse et de conservatrice, au sens le moins noble du terme, les attentes étaient si vertigineuses que la chute a été brutale pour les plus militants des Français. Nous voulions des réformes structurelles, une remise à plat immédiate de notre fiscalité et une participation honorable des banques au redressement des comptes publics. Toutefois, afin d’assurer la continuité de l’État, il a d’abord fallu travailler à ralentir le rythme effréné du creusement de tous les déficits – y compris celui, abyssal, de la Sécurité sociale –, afin de conserver notre crédibilité internationale et notre souveraineté. De ce point de vue, la réussite du Gouvernement est indéniable.

Il y a eu, bien sûr, certaines erreurs initiales, au premier rang desquelles la poursuite de la croissance des prélèvements obligatoires entamée sous le précédent quinquennat, avec le gel du barème de l’impôt sur le revenu et la suppression de la demi-part des veuves. Ces erreurs ont été ouvertement reconnues par le Président de la République et les mesures en faveur du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes se chiffrent, depuis juillet 2014, en milliards d’euros. Une politique de la demande, appuyée sur ceux qui consomment, voit enfin le jour. Il faut ajouter à cela le plafonnement des niches fiscales, le rapatriement des exilés fiscaux et la création d’une tranche à 45 % de l’impôt sur le revenu : peut-on réellement parler d’un alignement avec les ultralibéraux européens ?

Les négociations à propos du prélèvement à la source vont débuter, sans renoncement par rapport au programme initial. Il faudra, bien entendu, réformer notre système de niches fiscales – bien que l’année 2015 ait montré qu’il est possible de les contenir en volume –, mais chacun ici reste attaché à telle ou telle. Ce n’est donc pas une réforme qui s’impose en France, mais une révolution, pour laquelle il faudra bien du courage politique.

Les milliards d’euros consacrés au pacte de responsabilité et de solidarité sont constamment comparés aux milliards d’euros octroyés aux ménages. Ces montants sont-ils vraiment comparables ? Bien sûr, nous regrettons vivement que les amendements que nous avons soumis à la représentation nationale, loi de finance après loi de finance, afin de conditionner le CICE, n’aient pas été adoptés, car ils auraient permis de renforcer le contrôle de l’utilisation du CICE par les entreprises du CAC 40, qui préfèrent en distribuer le produit à leurs actionnaires, sans impact sur l’emploi. Nous regrettons aussi que les dispositifs relatifs aux entreprises ne soient pas ciblés sur celles qui sont soumises à la concurrence internationale. Enfin, nous ne cautionnons toujours pas les règlements européens invoqués par le Gouvernement pour justifier les demandes de retrait de nos amendements visant à relever le plafond d’imposition à taux réduit des PME et des micro-entreprises.

L’excellent rapport de notre rapporteure général donne les chiffres suivants : en additionnant l’impôt sur les sociétés, la cotisation foncière des entreprises, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et les prélèvements sociaux, le montant global des prélèvements sur les entreprises atteint 91 milliards d’euros : 37 milliards acquittés par les grandes entreprises ; 27 milliards par les entreprises de taille intermédiaire, les ETI ; 19 milliards par les petites et moyennes entreprises, les PME ; 8 milliards par les micro-entreprises. Le rapport entre la fiscalité et la valeur ajoutée hors taxe varie donc de 7 % à 12 % selon les catégories, depuis les micro-entreprises jusqu’aux grandes entreprises.

Or, dans la pratique, les taux de marge des micro-entreprises et des PME sont plus faibles que ceux des ETI et des grandes entreprises. Ces différences sont notamment dues à la différence des modes de production, plus ou moins capitalistiques. Les micro-entreprises et PME, par exemple, utilisant proportionnellement moins de capital, elles ont moins de capital à rémunérer à partir de la valeur ajoutée qu’elles parviennent à dégager. L’impôt sur les sociétés, retranché du CICE et du crédit d’impôt recherche, reste donc économiquement « distorsif », terme employé par le Gouvernement lui-même dans le projet de loi de finances pour l’année 2014.

Cela dit, le CICE a permis à de nombreuses entreprises, pas uniquement parmi les plus grandes, de se maintenir à flot. Le pacte commence à porter ses fruits, la reprise est là. Certains acteurs économiques ne jouent pourtant toujours pas le jeu, notamment les banques, qui, quoique préservées, sont toujours rétives à financer les entreprises comme les particuliers. Encore une fois, nous regrettons que notre action n’ait pas été plus décisive à ce sujet.

Avec le Brexit, l’Union européenne est en pleine mutation. L’occasion est historique pour les sociaux-démocrates : nous avons une carte à jouer pour l’emporter idéologiquement. Gageons que nous gagnerons cette bataille, à l’image de celle de ces comptes pour l’année 2015.

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