Intervention de Nicolas Sansu

Séance en hémicycle du 4 juillet 2016 à 18h00
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2015 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Sansu :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure générale, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de règlement des comptes de l’année 2015 est un exercice budgétaire convenu. Mais notre réflexion ne saurait s’affranchir de la réalité du pays : à la fin de l’année passée, le nombre de chômeurs, toutes catégories confondues, a atteint le chiffre colossal de plus de 6 millions de nos concitoyens. La fracture territoriale n’a cessé de grandir, des pans entiers de notre sphère public sont en souffrance – je pense d’abord au monde hospitalier. Surtout, alors que nous sommes un grand pays, il n’y a pas de ressort collectif, de destinée commune que nos compatriotes pourraient identifier et à laquelle ils pourraient adhérer.

Cette absence d’élan, cette impasse collective causent beaucoup de ressentiment, de divisions, voire de haine. Ces sentiments gangrènent notre continent. Face à un monde de la finance qui, du Luxembourg à Panama, continue de faire bombance, tandis que les couches moyennes et modestes sont obligées de compter chaque euro, la faiblesse des réponses ne fait qu’aggraver le ressentiment. C’est le choix délibéré des gouvernements des pays de l’Union européenne de donner la priorité à la finance sur le développement qui nous éclate à la figure.

Tout montre donc que le chemin emprunté, celui de l’Europe des marchands et des marchandises, des multinationales et des traders, non seulement conduit à un échec mais s’avère dangereux. L’actualité brûlante – notamment la décision nette prise par le peuple britannique de quitter l’Union européenne – l’illustre bien. Depuis une bonne vingtaine d’années, l’intégration européenne s’est réalisée très précisément sur la question budgétaire, en lien avec la monnaie unique et l’Union économique et monétaire. Elle s’est particulièrement renforcée depuis la crise financière de 2008, avec de nombreux accords, notamment le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de 2012, que la France n’a pas renégocié, contrairement à ce qui avait été promis.

C’est ainsi que les États ont progressivement consenti à endosser un véritable corset budgétaire, qui limite de fait leur souveraineté puisque les pouvoirs de contrôle et de sanction sont délégués à un organe non élu, la Commission européenne. Démocratiquement peu légitime, la Commission est devenue la « mère-la-rigueur » de l’Europe, une Europe devenue celle de l’austérité et de la contrainte budgétaire, une Europe de la sanction en cas de manquement aux sacro-saintes indicateurs de déficits et de dette publique. L’Europe, aujourd’hui, punit plutôt qu’elle ne protège.

Compte tenu du déficit de 3,6 % de la France pour l’année 2015, l’Union européenne s’est résolue à suspendre la procédure engagée contre notre pays pour déficit excessif. Cependant, puisque notre déficit reste supérieur à 3 %, Bruxelles, par une recommandation du Conseil européen du 14 juillet 2015, exige que la France inscrive, dans son programme national de réforme, des mesures aussi rétrogrades que celles de la loi travail.

C’est dans ce contexte général que je souhaite replacer les trois principaux enjeux de ce texte, sur lesquels je m’arrêterai plus précisément.

Le premier concerne le CICE. J’ai toujours affirmé que certains secteurs, exposés à la mondialisation, devaient être soutenus, tandis que d’autres – je pense à la grande distribution, au secteur bancaire et assuranciel, à l’hospitalisation privée – ne doivent pas en bénéficier, car c’est un gâchis de fonds publics inadmissible. Je me souviens d’ailleurs d’un joli éditorial, publié sur le blog de M. Christian Eckert, alors rapporteur général du budget, démontrant la nécessité de rendre le CICE plus sélectif, en l’assortissant de conditions. Il avait raison ; c’est ce que nous devrions faire.

Le choix exclusif de la politique de l’offre, réaffirmé par le Président de la République, n’a pas eu d’effet tangible sur l’emploi, le chômage ayant encore progressé en mai. En annonçant, coup sur coup, une diminution de la fiscalité des artisans, une baisse d’impôt sur les sociétés pour les PME et surtout une nouvelle augmentation du CICE, qui passerait de 6 à 7 % de la masse salariale correspondant aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC, c’est le dernier étage de la fusée de la politique de l’offre qui sera largué. Cela porterait l’impact budgétaire du CICE à 25 milliards d’euros par an en rythme de croisière, soit 1,2 point de PIB. C’est ainsi que la dépense fiscale a explosé depuis trois ans, cela a déjà été dit.

Alors que l’impôt sur les sociétés rapportait environ 50 milliards d’euros au début du quinquennat, il ne rapportera plus que 25 milliards d’euros à son terme. La majorité aura donc divisé par deux l’impôt sur les sociétés, emboîtant le pas aux Britanniques, qui ont aussi annoncé une baisse massive de la fiscalité des entreprises. La concurrence fiscale joue donc à plein en Europe, au détriment des peuples.

Outre son inefficacité notoire et son coût abyssal pour les finances publiques, le CICE est particulièrement problématique puisqu’il crée ce que l’on appelle une trappe à bas salaires : en multipliant les allégements fiscaux et sociaux sur les bas salaires, on incite les employeurs à maintenir le salaire de leurs employés à un bas niveau, afin de bénéficier de ces avantages particuliers ; on renchérit ainsi toute augmentation de salaire, ce qui constitue un grave problème eu égard à la réalité des salaires dans notre pays – le SMIC mensuel net est de 1 135 euros, soit à peine 200 euros de plus que le seuil de pauvreté.

Rappelons à nos concitoyens comment sont financés le CICE et l’ensemble des allégements fiscaux et sociaux accordés sans contrepartie aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité et de solidarité. Ils reposent, d’une part, sur un transfert d’impôts vers les ménages, comme le montre l’évolution récente de la structure des recettes de l’État, Mme la rapporteure générale l’a rappelé avec raison dans son introduction. Réduit à peau de chagrin à cause du CICE, l’impôt sur les sociétés constitue désormais moins de 10 % des produits fiscaux de l’État. Cette diminution est compensée par la fiscalité indirecte, d’abord la TVA, le prélèvement le plus injuste car le plus régressif. D’autre part, ces mesures en faveur des entreprises sont financées par des coupes dans les budgets de l’État, de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales – nous retrouvons là les fameux 50 milliards d’euros d’économies.

J’en viens à mon deuxième point : le sort des collectivités territoriales et, au-delà, des territoires eux-mêmes, suite aux décisions de baisses de dotations. La diminution de 3,7 milliards d’euros en 2015, faisant suite à la baisse de 1,5 milliard de dotations aux collectivités locales en 2014, a eu des conséquences très néfastes. La Cour des comptes, en parlant d’un recul de l’investissement public local « sans précédent depuis plus de trente ans », ne fait que corroborer les analyses que nous avons mises en exergue dans le cadre de la commission d’enquête sur les conséquences de la baisse des dotations au bloc communal.

En 2015, la baisse des investissements excède 4 milliards d’euros. C’est cette récession imposée aux collectivités locales qui a permis de tenir le déficit public car les collectivités ont diminué leurs emprunts. Voilà la réalité des comptes publics 2015. Cette baisse de dotations est une erreur politique et économique car elle pèse sur l’emploi, avec des dizaines de milliers de postes supprimés dans le bâtiment et les travaux publics, mais aussi sur le maintien du patrimoine collectif, sur les services apportés aux populations, et d’autant plus lorsque les territoires sont plus fragiles – j’en sais quelque chose, car l’hétérogénéité est une réalité.

C’est donc une mauvaise spirale qui est en cours, à cause de la politique macroéconomique poursuivie en Europe, clairement déflationniste, même après les inflexions récentes de la Banque centrale européenne, la BCE. En témoigne le niveau de l’inflation, nul en 2015, favorisé aussi par la baisse du cours du pétrole. Malheureusement, cette évolution des prix au niveau de la mer a des conséquences très nettes sur le montant de la dette publique, l’inflation étant un instrument potentiellement efficace pour gérer le stock de dette, puisque, de fait, il réduit sa valeur réelle.

J’en viens donc au troisième point sur lequel je veux insister : avec une dette de 2 100 milliards d’euros, qui sert d’abord et avant tout à justifier les restrictions et l’austérité, avec une dette qui constitue un instrument de domination de la pensée, les tenants de l’ordolibéralisme tiennent l’argument massue pour écarter toute solution alternative.

Au fond, la soutenabilité de la dette – qui a atteint 96 % du PIB fin 2015 – dépend avant tout du différentiel entre taux de croissance et taux d’intérêt réel. Or, depuis 1999, cet écart est négatif de manière continue, ce qui signifie que le poids de la dette par rapport au PIB s’accroît automatiquement. C’est ce que l’on appelle « l’effet boule de neige », contre lequel nous pourrions nous prévenir, mes chers collègues, en réfléchissant à un mécanisme qui instituerait un lien direct entre remboursement de la dette et niveau de la croissance.

Nous aurons l’occasion d’en parler mercredi, en commission des finances, puisque j’aurai l’honneur de vous présenter le rapport que j’ai rédigé avec mes collègues Buisine et Gorges dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle sur la transparence et la gestion la dette publique. Nous y avons formulé une série de propositions qui devraient nous permettre, collectivement, de renforcer notre souveraineté sur ce sujet essentiel.

Et que penser du programme mené en 2015 par l’Agence France Trésor, qui a émis des titres sur des souches anciennes, porteurs de coupons élevés, à l’adresse d’investisseurs acceptant en contrepartie de les acquérir à un prix dépassant leur valeur nominale ? Cela a généré des primes d’émission et, de fait, réduit l’augmentation du taux d’endettement, mais sans commune mesure avec le déficit. « Ce moindre endettement en 2015, temporaire, sera progressivement effacé par un surcroît d’endettement dans les années à venir », souligne la Cour des comptes ; il s’agit donc d’une sorte d’artifice comptable, comme il en a déjà existé, nous le savons.

Monsieur le secrétaire d’État, les comptes 2015 sont empreints de l’erreur originelle des contraintes de l’ordo-libéralsime et de cette politique exclusive de l’offre, si néfaste durant ce quinquennat. Un autre chemin aurait dû être emprunté : celui d’une nouvelle architecture fiscale, en agissant vraiment contre l’évasion et la fraude fiscales, ce véritable vol du bien commun, en adoptant une vraie politique de réduction des inégalités, par un relèvement du pouvoir d’achat des couches moyennes ou modestes, des salariés comme des retraités. Ce qui ressortira de ces années 2012-2017, c’est l’histoire d’un rendez-vous manqué, qui ferait bien de rendre modestes celles et ceux qui, à droite de l’hémicycle, promettent encore plus de sang et plus de larmes à nos concitoyens, afin de préserver les petits privilèges d’une caste de financiers. Pourtant, la France est un grand pays, l’Europe une belle idée, et c’est dans la lutte contre les inégalités, pour une nouvelle croissance basée sur la transition écologique, dans le cadre d’une sécurité d’emploi et de formation, que nous retrouverons les valeurs qui nous sont chères, celles d’une République exemplaire. Il n’est jamais trop tard pour s’unir autour de ces objectifs de progrès.

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