Intervention de Pascal Canfin

Réunion du 28 juin 2016 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pascal Canfin, directeur général de WWF France :

WWF, que j'ai rejoint en janvier 2016, après la COP21, est la première ONG environnementale mondiale. Présente dans plus de cent pays, elle compte, en France, 220 000 donateurs et environ 75 salariés, et elle dispose de bureaux à Paris, Lyon, Marseille, Nouméa et Cayenne.

Ses actions sont structurées autour de trois axes : protéger, alerter et transformer.

Sa mission historique, qui est à l'origine de son logo, est la protection des espaces et des espèces menacées, notamment le panda, le rhinocéros, l'éléphant, le tigre. Sa deuxième mission consiste à alerter sur l'état de la planète. Ainsi, notre dernier rapport, paru en janvier et intitulé Medtrends, porte sur l'état de la Méditerranée. Il a contribué, me semble-t-il, à la décision qu'a prise le Gouvernement, en particulier Ségolène Royal, de ne plus soutenir les demandes de permis d'exploration d'hydrocarbures dans les eaux territoriales françaises en Méditerranée. Si nous nous félicitons, bien entendu, que la France ait pris une telle décision, il importe néanmoins que d'autres pays prennent le même engagement. Enfin, la troisième mission de WWF consiste dans la transformation des politiques publiques, des pratiques des entreprises et des modes de consommation.

J'ajoute, pour en terminer sur ce chapitre, que je répondrai volontiers aux questions que vous souhaiteriez me poser sur l'état financier, la gouvernance et la croissance de la fondation, qui est parfaitement transparente, car je voudrais en venir maintenant à l'actualité.

Tout d'abord, le débat public est actuellement dominé par les sujets régaliens, qu'il s'agisse de la sécurité, de la souveraineté ou de l'identité. Dès lors, la question qui se pose aux ONG environnementales, comme aux parlementaires intéressés par ces questions, est celle de savoir comment favoriser la prise en compte de l'agenda de la soutenabilité dans une séquence politique qui ne lui est pas propice. À cet égard, il me paraît important d'évoquer ce que j'appelle le triangle des « 3S » : soutenabilité, stabilité et sécurité. De fait, l'idée selon laquelle un monde instable, manquant de ressources en eau par exemple, où le réchauffement climatique atteindrait trois, quatre voire cinq degrés, pourrait être sûr, ne résiste pas à l'analyse. En témoignent l'émergence de Boko Haram en Afrique centrale et le conflit syrien : dans un système politique fragilisé par divers facteurs géopolitiques, le manque de ressources est l'étincelle qui met le feu aux poudres. Prenons l'exemple de Boko Haram : la disparition de 80 % des ressources provoquée par la réduction du lac Tchad crée forcément des tensions entre cultivateurs et éleveurs, tensions qui sont amplifiées par le fait que les uns sont chrétiens et les autres musulmans. Je ne dis pas que la dégradation de l'environnement explique à elle seule la situation, mais force est de constater que le substrat est en partie lié à des causes environnementales.

Si l'on veut bien prendre un peu de recul, il apparaît nécessaire, pour créer un rapport de force et favoriser la présence de ces sujets dans le débat public et médiatique, de passer par le triangle des « 3S ».

Ensuite, la COP21 a marqué, me semble-t-il, une véritable rupture, et la signature de l'accord par le plus grand nombre d'États à New York, il y a quelques semaines, est un nouveau symbole positif. Par ailleurs, l'engagement des États-Unis et de la Chine, qui sont respectivement les premier et deuxième émetteurs de gaz à effet de serre, de ratifier l'accord en septembre prochain, lors du G20 chinois, est un message très important.

Pour notre part, nous travaillons avec les entreprises pour les inciter à transformer l'essai. En effet, lors de la conférence de Paris, soixante-dix grandes initiatives sectorielles et dix mille engagements ont été pris : que deviennent-ils ? La grande lacune de l'accord de Paris concerne ces engagements à court terme. Pour la combler, la France doit obtenir, lors de la COP22, un accord sur un nouveau rendez-vous d'évaluation en 2018, durant lequel les acteurs – entreprises, collectivités locales et États – rendront compte de leurs actions. Il faut en effet créer un nouveau cycle car, si la conférence de Paris a donné des résultats, c'est parce qu'en proposant, dès septembre 2012, d'accueillir la COP21, la France a ouvert un cycle de trois années durant lesquelles toutes les énergies ont convergé vers le sommet de 2015.

La COP22 se déroulera au Maroc. Or, si ce pays est exemplaire en matière énergétique – ses engagements dans le domaine des énergies renouvelables sont supérieurs aux nôtres –, il est confronté à la question majeure de l'adaptation, notamment de l'adaptation à l'impact du réchauffement sur les ressources en eau, qui affecte tout particulièrement le continent africain. Cette question n'a pas été suffisamment traitée lors de la COP21 ; elle est un donc l'un des enjeux de la COP22.

J'en viens à la question des financements. Un premier décret d'application de l'article 173 de la loi sur la transition énergétique a été publié. Un second décret est en cours d'examen au Conseil d'État, qui est très important puisque relatif aux entreprises. En effet, si nous demandons aux Asset Owners, les possesseurs d'actifs – fonds de pension, Caisse des dépôts, etc. –, de réorienter leurs flux financiers, ils vont se retourner vers les Asset Managers, c'est-à-dire ceux qui gèrent leurs actifs – notamment les compagnies d'assurances –, lesquels vont se retourner à leur tour vers les entreprises pour les interroger sur la stratégie qu'elles entendent mettre en oeuvre afin que leurs activités soient compatibles avec l'objectif des deux degrés. Ce décret me paraît satisfaisant, si bien que, dans quelques jours, nous devrions disposer de tout l'arsenal législatif et réglementaire qui nous permettra de déployer effectivement le dispositif innovant de l'article 173, lequel obligera ceux qui gèrent notre épargne à rendre des comptes sur leur exposition au risque climatique. Nous aurons ainsi montré qu'il est possible non seulement d'adopter des textes innovants, mais aussi de les mettre en oeuvre pratiquement.

Le WWF a d'ores et déjà annoncé qu'il évaluerait la manière dont les Asset Owners et les Asset Managers appliquent cette disposition. Pour ce faire, nous allons réunir, non pas une communauté de technocrates à même de comprendre un rapport sur le climat, mais un « comité d'incompétents » en quelque sorte (Sourires) – nos donateurs, en l'espèce –, afin qu'ils nous disent ce qu'ils comprennent de ce que la Caisse des dépôts, le Fonds de réserve des retraites, AXA ou BNP Asset Management disent de leur exposition au risque climat. Nous allons donc évaluer à la fois la performance technique et le compte rendu des entreprises, qui doit être compréhensible par tout un chacun.

Par ailleurs, j'ai récemment publié avec Gérard Mestrallet, Pierre-René Lemas et Philippe Zaouati, une tribune dans laquelle nous expliquons que la place de Paris doit devenir le leader mondial de la finance verte. Elle en a l'opportunité car, si elle est concurrencée par la City de Londres, celle-ci a désormais d'autres priorités à court terme. Nous disposons d'un cadre réglementaire, les acteurs les plus engagés dans ce domaine sont français : ne le vivons pas comme une contrainte, saisissons plutôt cette opportunité pour structurer la chaîne de valeur, côté public et côté privé, qui permettra à Paris de rayonner au niveau mondial dans ce secteur.

Enfin, Ségolène Royal nous a proposé, à Gérard Mestrallet, Alain Grandjean et moi-même, de prolonger nos travaux sur l'une des propositions contenues dans le rapport sur le prix du carbone que nous avions remis au Président de la République, en juin 2015. Cette proposition consiste dans l'instauration d'un corridor sur le prix du carbone. De fait, le marché européen du carbone ne fonctionne pas. Or, ce que les entreprises réclament avant tout, c'est la prévisibilité du prix. Elles ont besoin à la fois d'un prix plancher, au regard de leurs investissements, et d'un prix plafond, car elles ne peuvent supporter un prix du carbone purement spéculatif.

On pourrait se réjouir que la tonne de carbone atteigne 60 euros, mais ce ne serait pas sain car cela aurait un effet négatif sur de nombreux modèles économiques. Concrètement, ce corridor consiste à créer un prix minimum et un prix maximum pour le déclenchement des enchères. En effet, en autorisant la mise aux enchères des quotas uniquement au-delà du prix plancher, on assèche, de fait, le marché en deçà de ce prix plancher. Inversement, si le prix plafond est atteint, la « banque centrale » du carbone, c'est-à-dire la Commission européenne, remet des quotas sur le marché, afin de faire baisser le prix. Cette solution nous paraît la meilleure, mais elle doit bien entendu s'accompagner d'une réduction progressive des quotas en circulation, afin que les enchères soient nécessaires. Ainsi on augmente la tension dans le système et on l'encadre par ce corridor.

Ce dispositif fait l'objet d'un certain nombre de propositions d'amendement au Parlement européen et de discussions au sein du Conseil. Avant le « Brexit », il était prévu que le Parlement européen dépose, d'ici la fin de l'année, une proposition dont le vote aurait pu intervenir au début de l'année prochaine. Je ne sais pas ce qu'il en sera effectivement, puisque le rapporteur, qui était britannique, a démissionné et qu'il sera remplacé par un Polonais ; or, on connaît l'enthousiasme de la Pologne sur ce sujet. (Sourires) Quoi qu'il en soit, nous rendrons notre rapport le 11 juillet. À ce propos, à cause du « Brexit », nous perdons un allié dans le cadre des politiques climatiques européennes, puisque, même si les choses étaient moins claires ces derniers mois, le Royaume-Uni était, par exemple, l'un des rares pays à soutenir l'idée selon laquelle il fallait aller plus loin que le paquet énergie-climat.

Je dirai, pour conclure sur une note polémique, que, si l'on cherchait une opportunité ou un prétexte pour ne pas faire l'EPR, on l'a. Il est bien entendu difficile pour la France de revenir sur sa parole. Mais beaucoup, au sein d'EDF, seraient ravis que le cap change dans ce dossier.

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