Aujourd'hui, WWF ne noue aucun partenariat avec les entreprises qui ne soit pas « transformationnel ». En effet, nous sommes sortis, depuis quelques années maintenant, de la logique de mécénat, qui consistait à encaisser le chèque d'une entreprise sans se préoccuper de savoir si elle changeait celles de ses pratiques affectant l'environnement. À ce type de mécénats, qui permettait à l'entreprise de se donner bonne conscience, nous avons substitué des partenariats transformationnels, axés sur deux grands enjeux : la lutte contre le dérèglement climatique et la transformation.
Parmi les initiatives prises dans la lutte contre le dérèglement climatique, la plus prometteuse s'intitule Science based targets. Elle réunit à ce jour 170 entreprises, dont une dizaine sont françaises, et regroupe le WWF, le WRI (World ressources institute), le Global compact, qui dépend des Nations unies, et le CDP (Carbon disclosure project), basé à Londres. Elle consiste à demander à ces entreprises de décrire leur modèle économique dans un monde plus chaud de deux degrés, soit l'objectif de l'accord de Paris. Parmi ces entreprises figurent, en France, Renault, L'Oréal et Sodexo.
Une seconde initiative, Markets information initiative, vise à transformer les seize marchés qui affectent le plus la biodiversité et les écosystèmes mondiaux ; je pense notamment aux marchés de la pêche, de la forêt, du coton, de l'huile de palme, du soja, du boeuf. Dans ces seize filières, vingt-cinq entreprises françaises – j'appelle votre attention sur ce point – ont un impact décisif sur les écosystèmes mondiaux ; elles appartiennent notamment aux secteurs de l'agroalimentaire – Lactalis et Sodexo, leaders internationaux dans leurs activités respectives –, de la grande distribution – Carrefour, n° 2 mondial – ou de l'industrie automobile : Michelin est le deuxième vendeur de pneus au monde.
Le poids de l'activité de ces champions mondiaux sur les écosystèmes est beaucoup plus important que celui de l'économie française dans le PIB mondial. Dès lors, si nous voulons avoir une chance de régler les problèmes que nous venons d'évoquer, qu'il s'agisse de l'extinction des espèces, de la surpêche ou de la déforestation, il faut transformer les pratiques de ces entreprises. Notre stratégie consiste donc à engager avec celles-ci des discussions viriles mais correctes et, lorsque nous obtenons de leur part des engagements concrets, à conclure avec elles un partenariat, que nous nous réservons le droit de dénoncer si ces engagements, que nous évaluons, ne sont pas tenus. Notre objectif est de mener ainsi une discussion sérieuse, éventuellement contractuelle, avec la moitié de ces 25 entreprises, pour transformer progressivement leur politique d'achat dans les filières-clés dont je viens de parler.
En ce qui concerne le partenariat que nous avons conclu avec Petit navire, il est intéressant de noter que nous avons agi en bonne intelligence avec Greenpeace, qui a mené une campagne sur cette marque pendant plusieurs mois. Plutôt que de dénoncer les « méchants », nous nous sommes demandé comment transformer les pratiques de Thaï Union, l'un des acteurs mondiaux du thon, qui est soumis à très peu de contraintes dans son pays d'origine, la Thaïlande. Ainsi Greenpeace fait monter la pression, puis nous contractualisons en obtenant des engagements.
Quels sont ceux qu'a pris Petit navire avec WWF France et WWF UK ? Aller vers 100 % de poissons labellisés « durable » à l'échéance 2020 et structurer la gouvernance de l'Océan indien, où le principal problème est la pêche illégale. Dans ce domaine très complexe, l'Union européenne a un rôle important à jouer, car on sait que les acteurs européens sont un peu moins vertueux lorsqu'ils se projettent au large de l'Afrique ou dans l'Océan indien. Je citerai deux engagements supplémentaires, pour vous convaincre, je l'espère, de la pertinence de ce partenariat : Petit navire s'est engagé à renoncer à toute innovation produit sur le thon Albacore, qui est l'espèce menacée dans l'Océan indien, et à mener une action en faveur d'une transformation des goûts des Français, puisque notre pays est le premier marché au monde pour cette espèce de thon.
L'ensemble de ces mesures constituent un plan de travail cohérent – même s'il n'est pas encore totalement satisfaisant. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, après de nombreux mois de négociation, de conclure ce partenariat. En tout cas, je le répète, sachez que tous nos partenariats sont transformationnels. C'est le cas de celui que nous avons conclu avec Michelin, qui est en train d'élaborer le standard de l'hévéa durable, l'exploitation de cette essence, dont Michelin est le deuxième acheteur au monde, étant la première cause de la déforestation. Cette entreprise a ainsi été récemment récompensée par l'ensemble des ONG, y compris Greenpeace, pour ses engagements en matière de lutte contre la déforestation. En outre, Toyota envisage qu'à partir de 2018, me semble-t-il, ses voitures soient équipées de pneus fabriqués avec de l'hévéa durable. Notre capacité à transformer les pratiques de Michelin en France, puis en Indonésie, crée ainsi une chaîne de valeur qui tire tout le monde vers le haut.
Car tel est le problème de la mondialisation : il existe un écart entre une économie mondialisée et des textes de loi qui demeurent au mieux continentaux, européens par exemple, la plupart du temps nationaux. Il convient donc de tirer les chaînes de valeur mondialisées, qui existent, qu'on les aime ou non, vers le haut ; c'est ce que nous nous efforçons de faire.
J'en viens maintenant au corridor carbone. Cette proposition a au moins suscité l'enthousiasme du secteur de l'électricité, qui représente 60 % des émissions couvertes par l'ETS (Emission trading system). L'ensemble des électriciens – EDF, ENGIE, Iberdrola ou Vestas, c'est-à-dire les champions du renouvelable, le nucléaire et le gaz – déclarent, en effet, avoir impérativement besoin d'un prix plancher du carbone. Tel n'est pas le cas, c'est vrai, de ceux qui sont équipés exclusivement ou en majorité de centrales à charbon, et pour cause : la première conséquence et l'objectif d'une telle mesure sont l'abandon du charbon. Pour que ce changement s'opère rapidement, nous estimons aujourd'hui que ce prix minimum doit être de 30 euros la tonne. Il faut donc atteindre le plus vite possible ce montant. Toutefois, si, dans un premier temps, on fixe le prix à 20 euros la tonne, avec pour perspective d'atteindre 30 euros dans deux ou trois ans, un investisseur normalement constitué se désinvestira des centrales à charbon.
C'est la raison pour laquelle notre proposition n'a pas suscité d'enthousiasme en Allemagne : un prix minimum obligera les Allemands à sortir du charbon. Néanmoins, Agora energy 22, qui fédère les ONG allemandes impliquées dans la transition énergétique, a pris position en faveur du corridor carbone. Mais il est vrai que d'autres acteurs y sont très défavorables. Quoi qu'il en soit, si vous souhaitez agir dans ce domaine, il faut le faire dans les six mois qui viennent, avant les prochaines élections.
Par ailleurs, l'adoption d'un corridor n'est pas un obstacle à l'interconnexion mondiale des marchés du carbone, puisque ce dispositif existe ailleurs, notamment en Californie, dans le nord-est américain et au Québec. Toutefois, je ne crois pas que cette interconnexion soit une priorité, car elle aurait un effet déstabilisant sur des systèmes qui correspondent à des enjeux locaux. La Banque mondiale obéit, hélas ! à une vision très peu pragmatique et, en définitive, contre-productive lorsqu'elle met cette interconnexion en tête de ses propositions. Laissons les marchés se développer et fixons des prix à peu près convergents avant de se préoccuper de leur interconnexion. Au reste, on constate, dans d'autres domaines – je pense au TAFTA –, que l'interconnexion des marchés soulève quelques difficultés.
En ce qui concerne la taxe sur les transactions financières, je dois dire que le chantage aux délocalisations me fait sourire. Sur n'importe quel sujet, à n'importe quel moment, l'industrie financière menace de délocaliser si on lui impose une nouvelle réglementation, quelle qu'elle soit. Il faut être sérieux. Le dispositif proposé par la France – qui, je l'espère, aboutira – est calibré pour produire une recette potentielle de 10 à 15 milliards d'euros, dont 2 milliards pour la France qui s'ajouteront aux 800 millions que paie déjà l'industrie financière au titre de la taxe française. Qui peut prétendre que l'ensemble des banques françaises modifieront les infrastructures de leurs salles de marché et délocaliseront leurs activités financières pour éviter de payer une taxe qui représente une infime partie de leurs profits, qui plus est en prenant le risque de se fâcher avec l'État français ? Cela n'a aucun sens. N'hésitez donc pas ! Michel Sapin m'a indiqué que la position politique des États sur le produit de cette taxe était acquise, à l'exception de la Belgique et de la Slovaquie ou de la Slovénie. Il nous faut donc maintenant faire pression sur le gouvernement belge.
Par ailleurs, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le « Brexit » représente une opportunité pour la place de Paris, car Londres a désormais d'autres priorités que la poursuite du développement de la finance verte. Ainsi l'un des grands thèmes qui seront abordés, la semaine prochaine, lors de la journée annuelle de Paris Europlace, est : « Paris, hub mondial de la finance verte ». J'y crois beaucoup. Pour une fois qu'il s'agit d'une innovation financière utile, allons-y ! Je ne dis pas que s'appliquera demain matin un article 173 mondial mais, en étant les premiers à avoir développé les méthodologies et les systèmes d'information, nous posséderons un avantage concurrentiel et nous pourrons vendre ensuite notre savoir-faire à la terre entière. J'ignore combien de temps il faudra pour que ces standards se développent mais, avant la fin de l'année, nous aurons fait un pas important dans cette direction car, selon mes informations, les groupes de travail du G20 et du FSB (Financial stability board) renforceront l'ambition mondiale dans ce domaine. Il serait absurde de renoncer à capitaliser sur les premiers changements que nous avons réalisés.
En ce qui concerne Notre-Dame-Des-Landes, nous avons pris acte, comme Nicolas Hulot d'ailleurs, du résultat du référendum, dont le périmètre avait de toute façon été défini pour produire ce résultat. Toutefois, se pose encore la question de savoir de quel aéroport nous parlons – une piste ou deux –, puisque les études de l'État montrent qu'un aéroport de deux pistes serait surdimensionné. Par ailleurs, nous avons beaucoup travaillé avec le monde économique. S'il est largement favorable à cet aéroport, certaines voix se sont élevées pour s'y opposer. Je pense, par exemple, au président de Fleury-Michon, dont les arguments sont, non pas environnementaux, mais économiques. En effet, la rentabilité du nouvel aéroport implique, sinon une croissance des flux – à laquelle, a priori, on n'assistera pas –, du moins le transfert de ceux de Nantes-Atlantique vers Notre-Dame-Des-landes. Mais, aujourd'hui, la principale activité de l'aéroport actuel est constituée de vols low-cost, dont le modèle économique repose sur des subventions publiques et des taxes d'aéroport très faibles. Or, Notre-Dame-Des-Landes est en quelque sorte l'EPR de l'aéroport : il s'agit d'une infrastructure HQE, avec des taxes d'aéroport extrêmement élevées. De sorte que les P.-D.G. français des compagnies low-cost ont déclaré qu'ils n'iraient pas à Notre-Dame-Des-landes.
Nous prenons donc acte du résultat du référendum, car notre organisation est légitimiste et démocratique. Mais, si l'on ajoute ces paramètres aux arguments environnementaux, on peut douter que cet aéroport verra le jour, au-delà des enjeux politiques.
Enfin, s'agissant de la démocratie environnementale, nous ne pouvons pas être satisfaits de la manière dont les choses se sont passées : des textes ad hoc ont été pris pour permettre la consultation et, pour la première fois, le Conseil national de la transition énergétique a émis un vote unanime contre la façon dont le Gouvernement a préparé ce référendum, qui s'est révélée scandaleusement différente de ce à quoi il s'était lui-même engagé lors de la conférence environnementale qui s'est tenue après Sivens.
Nous avons critiqué la procédure. Nous prenons acte du résultat. Mais je suis persuadé que lorsque les véritables calculs seront faits, on s'apercevra que cela coûtera très cher aux contribuables. En effet, comme vous le savez, certaines collectivités ont signé un chèque en blanc à Vinci en indiquant – ce qui ne se fait jamais dans le cadre des concessions – qu'elles s'engageraient à contribuer si nécessaire sans cadrage, ni plafond, ni conditions. Or, comme son modèle économique, de même que celui de l'EPR, ne résistera pas à la réalité des investissements, cet aéroport, s'il voit le jour, sera un gouffre pour l'argent public.
Le 04/01/2017 à 09:04, Laïc1 a dit :
"En effet, comme vous le savez, certaines collectivités ont signé un chèque en blanc à Vinci en indiquant – ce qui ne se fait jamais dans le cadre des concessions – qu'elles s'engageraient à contribuer si nécessaire sans cadrage, ni plafond, ni conditions. Or, comme son modèle économique, de même que celui de l'EPR, ne résistera pas à la réalité des investissements, cet aéroport, s'il voit le jour, sera un gouffre pour l'argent public."
Bizarre en effet, pourquoi Vinci seulement ? Et pourquoi sans cadrage, ni plafond ni conditions ? Est-ce un effet d'un lobbying secret ô combien néfaste, comme tout ce qui est lobbying, d'ailleurs ?
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