Intervention de Michel Sapin

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet, et auditionné des personnes extrêmement compétentes sur la dette publique, son analyse et sa gestion, et certains de mes collaborateurs ici présents vous ont donné tous les éléments d'information nécessaires.

Je ne reviendrai pas après eux sur les grands enjeux de la dette publique française. La dette est le résultat des déficits, et il vaut mieux qu'il y ait moins de déficit si l'on veut moins de dette. C'est un des enjeux de la gestion actuelle de la France.

Aujourd'hui, notre ligne de conduite est nette et précise : elle consiste à réduire les déficits pour stabiliser notre endettement, tout en diminuant les impôts – en particulier ceux des entreprises – tandis que nous devons faire face à des dépenses exceptionnelles. Les derniers événements montrent la nécessité d'augmenter les moyens de la défense et de la police. Vous connaissez aussi la priorité donnée à l'éducation nationale.

Voilà ce qui guide l'action globale en termes budgétaires. Depuis 2012, la dette a augmenté de 6,5 points. En 2015, elle atteint 96,1 % du produit intérieur brut. Toute comparaison n'est pas forcément raison, mais il faut tout de même savoir les faire : rappelons donc que cette dette avait augmenté de 25 points entre 2007 et 2012, en particulier du fait de la mise en oeuvre de plans de relance et de soutien de l'activité qui ont été financés à 100 % par une augmentation de la dette.

Notre dette est donc lourde, mais nous la maîtrisons. En 2015, elle augmentera de 0,8 point, alors qu'elle augmentait auparavant à un rythme bien plus élevé, qui se comptait en unités. Nous sommes en train de stabiliser les choses, je pense que nous verrons une légère augmentation ou une stabilisation en 2016, et si les conditions dans lesquelles nous préparons le budget pour 2017 se maintiennent, la dette sera alors stabilisée ou à la baisse. Ce résultat dépendra d'un certain nombre d'éléments, en particulier de la croissance économique, puisque le pourcentage d'endettement est un rapport entre la dette et le niveau du PIB. La croissance de ce dernier modifie donc mécaniquement ce pourcentage.

La dette publique est composée à 80 % de dette de l'État. Les 20 % restants sont du domaine de la Sécurité sociale et des collectivités locales. La question de la dette se pose donc principalement et avant tout à l'État. Nous avons une masse considérable à gérer.

Il y a plusieurs années, il a été décidé que la politique budgétaire, donc le choix du niveau des déficits et de l'appel à la dette, faisait partie des grandes décisions politiques. Mais ensuite, une certaine autonomie est donnée à l'Agence France Trésor pour la gestion quotidienne de cette dette, de manière à ce qu'elle soit faite de la manière la plus professionnelle possible, en lien avec un certain nombre d'acteurs comme les spécialistes en valeurs du Trésor (SVT).

La gestion de la dette recouvre deux aspects. Tout d'abord, le déficit crée de la dette supplémentaire. Mais le deuxième aspect, presque le plus important, est de gérer le renouvellement de la dette, la dette qui vient à échéance. Sur cet aspect que nous faisons en ce moment des économies importantes. Aujourd'hui, les taux sont extrêmement bas : ils devaient être à 0,41 % hier soir pour les emprunts à 10 ans, et sont même descendus à 0,30 % au cours de l'année dernière. Les taux sont donc historiquement bas, et les dettes contractées à un peu plus de 3 % il y a sept ou huit ans, qui arrivent aujourd'hui à échéance, sont renouvelées pour un intérêt à peine supérieur à zéro. La différence constitue une économie qui apparaît très bien dans les budgets, et qui va perdurer pendant toute la durée du prêt. Pour des prêts d'une durée de sept ans, l'économie ainsi réalisée est absolument considérable.

Ces taux très bas ne sont pas le fruit du hasard. La Banque centrale européenne maintient délibérément des taux bas parce que l'inflation est extrêmement faible, loin de l'objectif qu'elle se fixe. Nous avons toujours tendance à penser qu'une banque centrale a pour mission de ne pas dépasser un certain niveau d'inflation, mais elle doit aussi atteindre un niveau minimum d'inflation. Si l'économie est toujours dans l'attente d'un prix plus bas, les initiatives seront bridées, il faut donc une légère inflation. L'objectif est que l'inflation atteigne 2 %, mais elle est aujourd'hui à zéro, voire parfois négative.

Il convient aussi de se comparer aux autres, et d'observer si notre pays a une particularité en ce domaine. Il existe des différences très fortes au sein même de la zone euro entre les pays du coeur – l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France, également la Finlande – et les pays que l'on appelle à tort la périphérie : Italie, Espagne et Portugal. Sans parler de la Grèce, qui n'a pas de taux d'intérêt puisqu'elle n'a pas accès au marché et ne se finance qu'avec les plans d'aide que l'Europe lui apporte.

Cette différence montre si la dette est bien gérée. C'est la confiance qui nous est accordée qui nous permet d'avoir des taux aussi bas, c'est un élément très important de notre stratégie. Pourquoi nous prête-t-on de l'argent pour si peu ? Parce que les investisseurs nous font confiance et qu'ils ont le sentiment que notre politique va leur permettre de retrouver leur argent. La prime de risque est donc très faible pour nous, alors qu'elle est très forte pour d'autres.

La liquidité de la dette est l'autre élément : il faut que cette dette puisse être échangée très facilement. Plus l'acheteur de dette se sent en capacité de la vendre dans de bonnes conditions et quand il veut, parce qu'il a un besoin ou qu'il veut investir, et moins cette dette sera chère. C'est tout l'objet de la politique actuellement menée par l'Agence France Trésor : que sur tous les aspects de la dette, la liquidité soit la plus grande possible. C'est ce qui nous permet, lorsque nous faisons de nouveaux emprunts, de vanter cette liquidité et d'emprunter plus facilement et à moindre coût.

Voici les grands traits de la politique que nous menons. Nous pouvons ensuite débattre des principes ; ainsi, compte tenu du fait que l'on nous prête aujourd'hui pour très peu, peut-on emprunter plus ? Emprunter plus, c'est aussi rembourser plus. Aujourd'hui, notre objectif est de stabiliser la dette. Il n'y a pas de chiffre magique, mais des seuils symboliques. Lorsque l'on approche d'un ratio d'endettement de 100 % du PIB, il vaut mieux éviter de le dépasser. Pour des gens rationnels, il n'y a pas de différence entre 99,99 % et 100,01 %, mais dans l'imaginaire collectif, passer ce seuil créerait un choc. Je suis d'ailleurs persuadé que la presse autant que l'opposition dénonceraient une situation inadmissible et une mauvaise gestion. Mais ce n'est pas cela qui nous motive ; nous voulons nous assurer que les générations suivantes pourront faire face au remboursement de la dette dans des conditions supportables, sans être obligées, comme c'est le cas dans certains pays, de mettre en oeuvre des politiques d'austérité traumatisantes pour les peuples concernés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui en France.

Il y a aussi des débats sur le bien-fondé du seuil de 3 % de déficit. J'ai entendu dire que cette valeur était tombée du ciel, ce n'est pas vrai. On considère qu'en France, la croissance potentielle normale est d'environ 1,5 %, et que l'inflation normale est de 1,5 %. Dans ces conditions, si le déficit est de 3 %, il est stabilisé. Si vous descendez en dessous de 3 %, l'endettement se réduit. La réduction de la dette n'est donc possible que si l'on reste en deçà de ce seuil de 3 %. Dès qu'on le dépasse, la dette augmente, en dessous, elle diminue.

Bien entendu, la croissance potentielle peut être plus ou moins élevée selon les époques, et l'inflation peut être plus faible ou plus haute, il s'agit d'une moyenne sur une longue durée. Ce sont les éléments qui ont été retenus au moment du Traité de Maastricht, j'en sais quelque chose puisque j'occupais le même poste lors de son adoption.

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