Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Monsieur le ministre, nous vous remercions d'avoir accepté de venir devant cette mission. Nous avons souhaité faire le point avec vous sur les différentes questions qui se sont posées tout au long de nos travaux.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet, et auditionné des personnes extrêmement compétentes sur la dette publique, son analyse et sa gestion, et certains de mes collaborateurs ici présents vous ont donné tous les éléments d'information nécessaires.

Je ne reviendrai pas après eux sur les grands enjeux de la dette publique française. La dette est le résultat des déficits, et il vaut mieux qu'il y ait moins de déficit si l'on veut moins de dette. C'est un des enjeux de la gestion actuelle de la France.

Aujourd'hui, notre ligne de conduite est nette et précise : elle consiste à réduire les déficits pour stabiliser notre endettement, tout en diminuant les impôts – en particulier ceux des entreprises – tandis que nous devons faire face à des dépenses exceptionnelles. Les derniers événements montrent la nécessité d'augmenter les moyens de la défense et de la police. Vous connaissez aussi la priorité donnée à l'éducation nationale.

Voilà ce qui guide l'action globale en termes budgétaires. Depuis 2012, la dette a augmenté de 6,5 points. En 2015, elle atteint 96,1 % du produit intérieur brut. Toute comparaison n'est pas forcément raison, mais il faut tout de même savoir les faire : rappelons donc que cette dette avait augmenté de 25 points entre 2007 et 2012, en particulier du fait de la mise en oeuvre de plans de relance et de soutien de l'activité qui ont été financés à 100 % par une augmentation de la dette.

Notre dette est donc lourde, mais nous la maîtrisons. En 2015, elle augmentera de 0,8 point, alors qu'elle augmentait auparavant à un rythme bien plus élevé, qui se comptait en unités. Nous sommes en train de stabiliser les choses, je pense que nous verrons une légère augmentation ou une stabilisation en 2016, et si les conditions dans lesquelles nous préparons le budget pour 2017 se maintiennent, la dette sera alors stabilisée ou à la baisse. Ce résultat dépendra d'un certain nombre d'éléments, en particulier de la croissance économique, puisque le pourcentage d'endettement est un rapport entre la dette et le niveau du PIB. La croissance de ce dernier modifie donc mécaniquement ce pourcentage.

La dette publique est composée à 80 % de dette de l'État. Les 20 % restants sont du domaine de la Sécurité sociale et des collectivités locales. La question de la dette se pose donc principalement et avant tout à l'État. Nous avons une masse considérable à gérer.

Il y a plusieurs années, il a été décidé que la politique budgétaire, donc le choix du niveau des déficits et de l'appel à la dette, faisait partie des grandes décisions politiques. Mais ensuite, une certaine autonomie est donnée à l'Agence France Trésor pour la gestion quotidienne de cette dette, de manière à ce qu'elle soit faite de la manière la plus professionnelle possible, en lien avec un certain nombre d'acteurs comme les spécialistes en valeurs du Trésor (SVT).

La gestion de la dette recouvre deux aspects. Tout d'abord, le déficit crée de la dette supplémentaire. Mais le deuxième aspect, presque le plus important, est de gérer le renouvellement de la dette, la dette qui vient à échéance. Sur cet aspect que nous faisons en ce moment des économies importantes. Aujourd'hui, les taux sont extrêmement bas : ils devaient être à 0,41 % hier soir pour les emprunts à 10 ans, et sont même descendus à 0,30 % au cours de l'année dernière. Les taux sont donc historiquement bas, et les dettes contractées à un peu plus de 3 % il y a sept ou huit ans, qui arrivent aujourd'hui à échéance, sont renouvelées pour un intérêt à peine supérieur à zéro. La différence constitue une économie qui apparaît très bien dans les budgets, et qui va perdurer pendant toute la durée du prêt. Pour des prêts d'une durée de sept ans, l'économie ainsi réalisée est absolument considérable.

Ces taux très bas ne sont pas le fruit du hasard. La Banque centrale européenne maintient délibérément des taux bas parce que l'inflation est extrêmement faible, loin de l'objectif qu'elle se fixe. Nous avons toujours tendance à penser qu'une banque centrale a pour mission de ne pas dépasser un certain niveau d'inflation, mais elle doit aussi atteindre un niveau minimum d'inflation. Si l'économie est toujours dans l'attente d'un prix plus bas, les initiatives seront bridées, il faut donc une légère inflation. L'objectif est que l'inflation atteigne 2 %, mais elle est aujourd'hui à zéro, voire parfois négative.

Il convient aussi de se comparer aux autres, et d'observer si notre pays a une particularité en ce domaine. Il existe des différences très fortes au sein même de la zone euro entre les pays du coeur – l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et la France, également la Finlande – et les pays que l'on appelle à tort la périphérie : Italie, Espagne et Portugal. Sans parler de la Grèce, qui n'a pas de taux d'intérêt puisqu'elle n'a pas accès au marché et ne se finance qu'avec les plans d'aide que l'Europe lui apporte.

Cette différence montre si la dette est bien gérée. C'est la confiance qui nous est accordée qui nous permet d'avoir des taux aussi bas, c'est un élément très important de notre stratégie. Pourquoi nous prête-t-on de l'argent pour si peu ? Parce que les investisseurs nous font confiance et qu'ils ont le sentiment que notre politique va leur permettre de retrouver leur argent. La prime de risque est donc très faible pour nous, alors qu'elle est très forte pour d'autres.

La liquidité de la dette est l'autre élément : il faut que cette dette puisse être échangée très facilement. Plus l'acheteur de dette se sent en capacité de la vendre dans de bonnes conditions et quand il veut, parce qu'il a un besoin ou qu'il veut investir, et moins cette dette sera chère. C'est tout l'objet de la politique actuellement menée par l'Agence France Trésor : que sur tous les aspects de la dette, la liquidité soit la plus grande possible. C'est ce qui nous permet, lorsque nous faisons de nouveaux emprunts, de vanter cette liquidité et d'emprunter plus facilement et à moindre coût.

Voici les grands traits de la politique que nous menons. Nous pouvons ensuite débattre des principes ; ainsi, compte tenu du fait que l'on nous prête aujourd'hui pour très peu, peut-on emprunter plus ? Emprunter plus, c'est aussi rembourser plus. Aujourd'hui, notre objectif est de stabiliser la dette. Il n'y a pas de chiffre magique, mais des seuils symboliques. Lorsque l'on approche d'un ratio d'endettement de 100 % du PIB, il vaut mieux éviter de le dépasser. Pour des gens rationnels, il n'y a pas de différence entre 99,99 % et 100,01 %, mais dans l'imaginaire collectif, passer ce seuil créerait un choc. Je suis d'ailleurs persuadé que la presse autant que l'opposition dénonceraient une situation inadmissible et une mauvaise gestion. Mais ce n'est pas cela qui nous motive ; nous voulons nous assurer que les générations suivantes pourront faire face au remboursement de la dette dans des conditions supportables, sans être obligées, comme c'est le cas dans certains pays, de mettre en oeuvre des politiques d'austérité traumatisantes pour les peuples concernés, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui en France.

Il y a aussi des débats sur le bien-fondé du seuil de 3 % de déficit. J'ai entendu dire que cette valeur était tombée du ciel, ce n'est pas vrai. On considère qu'en France, la croissance potentielle normale est d'environ 1,5 %, et que l'inflation normale est de 1,5 %. Dans ces conditions, si le déficit est de 3 %, il est stabilisé. Si vous descendez en dessous de 3 %, l'endettement se réduit. La réduction de la dette n'est donc possible que si l'on reste en deçà de ce seuil de 3 %. Dès qu'on le dépasse, la dette augmente, en dessous, elle diminue.

Bien entendu, la croissance potentielle peut être plus ou moins élevée selon les époques, et l'inflation peut être plus faible ou plus haute, il s'agit d'une moyenne sur une longue durée. Ce sont les éléments qui ont été retenus au moment du Traité de Maastricht, j'en sais quelque chose puisque j'occupais le même poste lors de son adoption.

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Je ne discuterai pas des causes de création de la dette. Elles s'étalent sur quarante ans, sous tous les gouvernements. C'est une façon de conduire la politique aujourd'hui, car nous sommes en déficit structurel depuis quarante ans. La dette est un facteur d'ajustement pour accompagner les différentes politiques, plus ou moins marqué selon les périodes. Il est clair que les années 2007 à 2012 nous ont coûté cher, mais vous les comparez seulement avec les trois dernières années. Trois ans et cinq ans, ce n'est pas tout à fait la même chose.

J'ai une explication un peu différente du seuil de 3 % : les frais financiers sont de 3 %, donc si les soldes primaires sont déficitaires de ce montant, les frais financiers sont couverts avec l'inflation et la croissance normale. Mais dans un contexte où les frais financiers sont presque nuls, ce seuil n'a plus de sens.

Nous sommes surpris de ne pas mieux connaître les détenteurs de la dette. Près de 60 % de la dette est détenue par des non-résidents. Nous aurions les moyens de les connaître, mais aujourd'hui, la règle du jeu fait que c'est impossible. Que pensez-vous de cette situation, et croyez-vous qu'elle puisse être gênante pour le pays ?

Ces dernières années, nous ne remboursons pas le capital de la dette, nous ne faisons que payer les frais financiers. Pour un ménage, cela revient à un différé d'amortissement. Pour cette raison, certaines des personnes que nous avons reçues nous ont déclaré qu'il ne sert à rien de rembourser la dette. Donc, si les frais financiers sont de zéro, nous pouvons continuer à emprunter.

La grande surprise est l'apparition des taux négatifs. Comment l'expliquez-vous ? Il est possible de supputer : est-ce un système de blanchiment ? Prêter son argent pour en perdre, c'est tout de même étonnant, il n'y a pas d'explication rationnelle.

Puisque l'argent ne coûte rien, et qu'on ne le rembourse pas, est-ce que le moment n'est pas propice pour lancer un grand emprunt ? Pas les 32 milliards de 2007-2012, que j'avais contestés, parce que c'était microscopique au vu des besoins du pays, mais un effort important : 200 milliards sur dix ans pour les investir dans le développement du pays, le numérique, les routes, les avions. Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une occasion manquée ? À la fin de ce mandat, ne pensez-vous pas que vous auriez dû profiter de cette situation ?

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Au contraire !

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Les marchés sont assez opaques, et il y a en France des liquidités importantes. Faudrait-il que cette dette soit reprise en partie par les Français ?

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

S'agissant des détenteurs de la dette, il est difficile de répondre car la dette est liquide, elle peut être échangée très fréquemment. Sa liquidité est une des raisons pour lesquelles on fait confiance à la France et on lui accorde des taux plus faibles qu'à d'autres pays comparables. Ce n'est pas techniquement totalement impossible, mais le suivi de la propriété du titre serait très complexe dans le contexte actuel d'échanges très rapides à l'échelle planétaire. Nous avons tout de même quelques idées : la Banque de France a réalisé une étude qui fait apparaître que la dette est détenue à près de 40 % par des Français, ce qui veut dire que 60 % des détenteurs sont des étrangers qui nous font confiance. Quand nous allons en Chine ou au Japon, beaucoup de questions nous sont posées sur la politique de la France le niveau de la dette, car les investisseurs locaux se demandent s'ils vont continuer à prêter à la France, en fonction des opportunités qui se présentent. Des études nous donnent quelques éléments sur les grands émetteurs. Mais si nous ne savons pas exactement combien d'obligations la Banque centrale de Chine, celle du Japon ou l'Arabie Saoudite détiennent, nous avons une petite idée dans tous les cas.

S'agissant de la réinternalisation, si nous avons une dette aussi peu chère, c'est en partie parce qu'elle n'est pas réservée aux Français. L'ouverture du champ permet à des liquidités disponibles hors de France de venir s'investir dans la dette française. Serait-il plus intéressant que l'épargne française soit investie dans des obligations d'État ? Je ne le pense pas, et notre politique est d'orienter l'épargne française vers l'économie française plutôt que le financement de la dette française.

Dans la loi Sapin II, une disposition réduit les exigences prudentielles pour permettre aux sociétés d'assurance qui possèdent beaucoup d'obligations françaises de réorienter leurs investissements vers les entreprises, tout en restant prudents. Nous préférons que l'épargne française s'oriente autant que possible vers l'économie réelle. Par ailleurs, nous préférons que l'épargne des Français diminue au profit de la consommation, s'agissant des ménages et de l'investissement, s'agissant des entreprises. La consommation peut consister en l'achat d'un appartement ou d'une maison.

La baisse du niveau d'épargne que nous constatons aujourd'hui est plutôt un élément rassurant, c'est le signe que l'épargne de précaution diminue. Du côté des entreprises, c'est l'inverse : la politique que nous menons leur a permis d'augmenter leurs marges, et l'épargne disponible est donc plus importante. Entre le moment où les marges s'améliorent et celui où l'investissement se fait, il faut cependant parfois du temps.

Pour toutes ces raisons, la réinternalisation de la dette ne serait pas une bonne politique : la dette serait plus chère et il y aurait moins d'épargne française pour soutenir l'économie.

Pour expliquer l'existence de taux négatifs, il faut se rappeler que nous n'avons pas connu d'inflation aussi faible depuis longtemps. Quand l'inflation est négative, les taux sont automatiquement beaucoup plus faibles, et éventuellement négatifs. De plus, la politique de la Banque centrale européenne pour relancer l'économie et l'inflation créée des liquidités, et le coût de l'argent diminue d'autant plus que les liquidités sont abondantes. C'est ce qui se passe aujourd'hui. D'autant plus que ceux qui prêtent leur argent à l'État dans les conditions actuelles étant sûrs de retrouver leur argent, la prime de risque est pratiquement égale à zéro. Ce ne serait pas le cas en prêtant à un particulier pour acheter un appartement, ou à une entreprise pour acheter une machine.

Les taux d'intérêt négatifs sont donc voulus par la Banque centrale européenne. Ils ne concernent pas toutes les échéances de dette. En Allemagne le taux d'intérêt des obligations à 10 ans est passé dans le négatif. Les investisseurs prêtent à l'État allemand, parce qu'ils savent qu'ils vont récupérer leur investissement, et il n'y a pas d'autres opportunités offrant autant de sécurité que la dette de l'État allemand, ou même de l'État français, car le taux de 0,40 % auquel la France emprunte est extrêmement faible.

Il faut en profiter le plus possible, car ça ne va pas durer éternellement. D'ailleurs, il ne serait pas bon que cela dure trop longtemps. Une rémunération de l'épargne aussi faible peut poser des problèmes pour l'épargne-retraite en particulier. C'est pourquoi les Allemands y sont particulièrement sensibles : le montant de leur retraite résultant de leur propre épargne est beaucoup plus élevé que chez nous, où le système de Sécurité sociale est plus important.

Vous me demandez pourquoi, puisque la dette n'est pas chère, nous n'en profitons pas pour faire un grand emprunt. Un grand emprunt, c'est un grand déficit. Dire qu'il faut faire un grand emprunt parce que la dette n'est pas chère revient clairement à dire qu'il faut un déficit beaucoup plus important. Plutôt que d'avoir un déficit à 3,4 % ou 3 % du PIB, ce qui est l'objectif cette année, il faudrait ajouter 2 ou 3 points de déficit. C'est une politique de relance par le creusement des déficits qui à moments, peut se justifier. Par exemple, lorsque nous étions confrontés à la crise financière, je n'ai jamais critiqué le principe d'une politique de relance alors que j'étais dans l'opposition. On peut penser que c'est plus ou moins bien fait, ou qu'il aurait fallu le faire dans un secteur plutôt que dans un autre, mais en soi, c'était une bonne chose.

Mais ça ne peut pas être sans fin. Le raisonnement de certains selon lequel la dette n'est pas grave car elle ne coûte pas cher connaît des limites. Dans cinq ans, lorsqu'il faudra rembourser, nous ne pourrons peut-être pas réemprunter aux mêmes taux.

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Mais si dans l'intervalle, nous faisons des investissements productifs ?

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Les mécanismes ne sont pas de même nature que dans une entreprise. Et une entreprise ne va pas investir uniquement parce que les taux sont bas, il lui faut un marché. Je comprends le débat, mais je ne suis pas favorable à cette solution. La politique du Gouvernement n'est pas de creuser les déficits, c'est même l'inverse : nous les diminuons. Et heureusement que nous le faisons : ceux qui acceptent de nous prêter à bon marché, alors que d'autres connaissent des taux très élevés, pensent que nous sommes capables de faire face aux échéances dans de bonnes conditions, sans devoir, le jour venu, mener une politique d'austérité contradictoire avec le nécessaire développement de l'activité et de la richesse.

Dans la période actuelle, la bonne politique pour la France, comme pour beaucoup d'autres pays, est la maîtrise et la réduction des déficits, pour maîtriser sa dette. Et toute la subtilité lors des dernières années a consisté à le faire dans des conditions qui ne soient pas trop strictes, et donc contraires à la reprise de la croissance.

C'est ce que nous avons fait depuis 2014, et qui est parfois critiqué : c'est normal, nous avons sciemment repoussé d'un ou deux ans l'échéance de l'objectif de réduction des déficits sous le seuil de 3 % du PIB, en concertation avec les autorités européennes, car ce rythme de réduction nous paraissait compatible avec la reprise de l'activité. Ce n'est pas la seule raison, mais depuis que ce rythme de réduction des déficits est un peu moins fort, nous avons vu la croissance reprendre ; à 1,2 % ou 1,3 % en 2015, à 1,5 % cette année, et nous verrons ce qu'il en sera l'année prochaine, mais nous connaissons des niveaux de croissance plus élevés. C'est un équilibre subtil, nous pouvons à chaque fois contester, penser qu'il faut freiner plus ou au contraire accélérer. C'est la complexité de cet équilibre macroéconomique et de l'utilisation des finances publiques et de la dette qui nous permet aujourd'hui de retrouver un certain équilibre.

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Mais en ce moment, nous ne remboursons pas le capital.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Non, mais nous le ferons un jour. Avec le même niveau de capital emprunté, si notre richesse augmente de 2 % par an, ce ne sera pas la même chose. Si le revenu double, la situation est plus aisée, et le prêteur vous fera plus confiance. Tout tient à cette confiance de l'ensemble des marchés à l'égard du pays. Pourquoi, aujourd'hui, la Grèce ne peut accéder aux marchés ? On avance que le taux d'intérêt qu'elle devrait payer est de 25 %, mais ce n'est même pas le cas, car personne ne prêterait à la Grèce.

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J'ai posé la même question aux spécialistes en valeurs du Trésor, et ils pensaient qu'il serait intéressant, du point de vue du marché, que la France ait cette attitude.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

C'est normal, c'est leur source de revenus ! Les spécialistes en valeur du Trésor achètent d'un côté pour revendre de l'autre.

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Monsieur le ministre, vous avez dit que la dette était le résultat des déficits. Personne ne le conteste, puisqu'il y a des déficits structurels et conjoncturels depuis 1974. Mais il serait bon que vous nous disiez ce que vous pensez de la constitution de la dette. Une partie de la dette nous paraît relever de ce que l'on appelle la dette illégitime. J'ai eu l'occasion de travailler l'an dernier sur ce sujet, et à certains moments, il y a eu un effet boule de neige. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, car les taux sont extrêmement bas. Mais de la dette a ainsi été créée sans que cela n'apporte rien au budget ou se traduise par de l'investissement.

Au cours de cette mission, nous avons eu de nombreuses informations sur la gestion de la dette, et je pense que nous allons conclure que la dette est extrêmement bien gérée, notamment par l'Agence France Trésor. En revanche, nous avons de grandes difficultés pour connaître les détenteurs de la dette. Il ne s'agit pas seulement de l'identité des personnes, mais de savoir ce que les titres deviennent, si ces obligations sont possédées par des sociétés impliquées dans les scandales Luxleaks ou Panama papers. L'État français devrait savoir ce que deviennent ses titres de dette, et s'ils n'alimentent pas des paradis fiscaux.

Au sein de la commission des finances, l'hypothèse d'une remontée des taux est souvent évoquée de manière catastrophiste. Or si les taux remontaient, cela n'affecterait que la nouvelle dette et le renouvellement de l'ancienne, donc 8 % du stock de dette : les 78 milliards du déficit, plus les 100 ou 110 milliards de renouvellement de la dette. Il serait bon de connaître précisément le coût d'une remontée d'un point des taux d'intérêt. Il faut dédramatiser ce sujet.

Nous nous interrogeons aussi sur le rythme du renouvellement. Nous avons assisté à une adjudication de bons à court terme. L'offre était quatre fois supérieure aux besoins. Ne pourrait-on renouveler une part plus importante de notre dette ? L'AFT nous a expliqué qu'il ne fallait pas mettre en péril le marché et la crédibilité de la France, mais ne serait-il pas opportun d'accélérer le renouvellement du stock de dette pour profiter des taux bas ? Nous ferions baisser plus encore le taux moyen de la dette.

Nous connaissons les taux servis sur le marché primaire, que ce soit à court, moyen ou long terme ; ils sont très bas. Mais dans le cadre du quantitative easing, la BCE rachète sur le marché secondaire. À quels taux rachète-t-elle ? Ceux qui achètent sur le marché primaire ne gagnent-ils pas, même à des taux négatifs, en revendant à la BCE ? La BCE rachète à peu près 50 % des titres de dette chaque mois, nous voudrions donc avoir cette information.

Enfin, il y a un an, j'avais proposé une résolution européenne sur les dettes souveraines, notamment au vu du problème de la dette grecque. La nécessité d'une conférence européenne sur les dettes souveraines était apparue. Pourra-t-on rembourser toutes les dettes, et ne faut-il pas prévoir un mécanisme européen ? Ne faut-il pas créer une dette européenne, un circuit du Trésor européen ?

La question des dettes souveraines est aujourd'hui lancinante, car elles pèsent sur les États, sur les politiques publiques menées, et au cours de l'histoire, nous avons connu des moments où certaines dettes publiques ont été effacées.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Ce ne sont pas les meilleurs moments dans l'histoire !

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Après-guerre, la conférence de Londres a permis d'effacer une part très importante de la dette allemande pour lui permettre de repartir. En règle générale, l'effacement des dettes a des effets intéressants sur les politiques publiques menées.

Que pensez-vous de l'intérêt d'organiser une conférence européenne de la dette ?

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Il y a beaucoup d'idéologie autour de la dette, personnellement, je suis assez pragmatique.

Chacun peut faire le travail pour identifier d'où vient la dette française, mais du fait des mécanismes de refinancement, la dette a moins de dix ans ou moins de vingt ans. Parfois, aujourd'hui, nous émettons de la dette à cinquante ans, mais la dette est en elle-même relativement récente, même si elle a permis de refinancer des dettes plus anciennes.

Y a-t-il des dettes illégitimes ? Nous pouvons discuter des politiques suivies, d'un choix d'investissement, ou de la décision de diminuer un impôt en le finançant uniquement par la dette, ce qui a pu arriver à beaucoup de gouvernements, et continue à exister puisque nous diminuons le déficit tout en diminuant les impôts ; si nous n'avions pas diminué les impôts, le déficit serait moindre.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Pas tout, heureusement ! La dette ne finance pas 350 milliards !

On peut penser qu'il était inutile d'emprunter pour mener une certaine politique, et qu'il aurait été préférable d'emprunter pour en mener une autre, ou de ne pas emprunter du tout. C'est le débat citoyen et démocratique, sur la politique menée par un gouvernement et une majorité. Tout cela ne permet pas de qualifier la dette de légitime ou illégitime, mais uniquement de juger la politique menée par un gouvernement ou une majorité en se finançant, au moins en partie, par de la dette.

C'est pour cela que je ne vois pas bien comment nous pourrions dire que nous allons annuler la dette illégitime pour ne payer que la dette légitime. Et entre nous soit dit, vous ne pouvez annuler la dette que lorsque vous n'avez plus besoin d'emprunter. Si d'une main vous annulez la dette, et que de l'autre, vous demandez toujours à ce que l'on vous prête de l'argent parce que vous êtes en déficit, vous allez voir ce qui va se passer !

L'autre situation dans laquelle la dette peut être annulée, c'est lorsqu'une catastrophe est survenue. Je conçois qu'il ait été extrêmement utile pour l'Allemagne d'avoir bénéficié de l'annulation de sa dette en 1945. Mais il faut se souvenir de l'état de destruction absolue dans lequel était l'Allemagne ! Certains pays ont connu des crises tellement terribles, des situations de misère absolue tellement épouvantables pour le peuple que la seule solution pour s'en sortir était d'annuler la dette. Dans ces cas, le FMI est même le premier à la proposer. La dette privée est alors annulée, et le Club de Paris va effacer une partie de la dette publique de manière à ce que l'excédent primaire soit suffisant pour permettre à l'économie de repartir.

Dans le cas de la Grèce, une grande partie de la dette privée a été réduite, et nous discutons pour réduire une partie de la dette publique. Il ne s'agit pas d'annuler la dette, mais nous pouvons rediscuter des conditions en termes de calendrier et de taux, parce que la situation est invivable pour le peuple grec lui-même. Je n'imagine donc pas que l'on puisse considérer souhaitable que notre pays subisse une catastrophe qui permette d'annuler sa dette.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Et que dirait-on au sein d'une telle conférence européenne ? Ce que nous disons entre nous au sein de l'Eurogroupe ou de l'Union européenne ! Nous devons avoir une gestion concertée de l'ensemble des dettes et faire en sorte que les choses se passent en moyenne dans des conditions proches sur l'ensemble de l'Europe. Quand des différences trop fortes apparaissent entre les pays, il faut que les choses s'améliorent pour celui qui est trop endetté, mais que celui qui a des capacités – l'Allemagne aujourd'hui – soit incité à plus consommer, car cela peut être bon pour la croissance européenne. La conférence européenne, elle se tient presque tous les jours, deux fois par mois pour ce qui me concerne. Nous discutons de l'harmonisation des politiques en Europe, ce n'est pas toujours simple parce qu'il existe encore des disparités bien trop fortes entre les pays.

C'est le coeur de la politique d'approfondissement de l'Union économique et monétaire : comment mener des politiques qui rapprochent les pays au lieu de créer une distance entre les compétitivités des différents pays telle que nous avons connu la crise de la zone Euro. Si les compétitivités divergent alors que nous avons une même monnaie, cela conduit à de grandes difficultés.

C'est d'ailleurs pour cela que si nous avons fait des efforts de sérieux budgétaire, nous n'avons jamais mené de politique d'austérité. Je sais qu'il existe un débat sur l'utilisation du terme d'austérité, mais d'un point de vue strict, nous n'avons jamais mené de politique d'austérité comme d'autres pays, qui ont diminué les salaires, les retraites, les allocations sociales. Nous avons connu de moindres augmentations, des maîtrises des hausses, mais ce n'est pas du tout de même nature.

Je ne souhaite donc pas à mon pays qu'il y ait une grande conférence sur la dette, parce que cela voudrait dire que le pays est en grande difficulté. Je préfère essayer de mener une politique qui permette d'éviter ces difficultés. Il y a toute une littérature de gens très sérieux sur ce sujet, vous savez que les économistes sont avec les juristes la race la plus répandue, puisqu'il suffit de faire du droit pour être juriste et de faire de l'économie pour être économiste. On ne devient pas archéologue comme cela, il faut des diplômes. Nous pouvons débattre de tous ces éléments politiques, mais sur cette question de la dette, je suis agnostique. Je cherche ce qu'il y a de plus efficace et de plus utile pour mon pays.

Je comprends la préoccupation d'identifier les détenteurs de la dette. Cela permettrait de surcroît de mener une politique qui nous oriente plus vers telle ou telle partie du monde, car nos équipes font une forme de prospection pour expliquer en quoi notre dette est sûre, liquide.

Mais les paradis fiscaux se sont créés pour des raisons très différentes. Ce n'est pas pour cacher l'origine des obligations dont on est propriétaire, mais pour cacher le fait que l'on a de l'argent ou domicilier ses fonds dans des endroits où ils seront peu imposés. Il n'y a pas de lien. Il y a sûrement des gens dont la fortune cachée au Panama derrière des sociétés écrans est en partie composée d'obligations d'État français, mais ce n'est pas la liquidité dans ce domaine qui alimente ce type de comportements, qu'il faut combattre par ailleurs. C'est la raison d'être de certaines dispositions prévues par la loi que je propose : plus de transparence, permettre de repérer les fraudeurs, supprimer les sociétés écran et toujours connaître leurs bénéficiaires effectifs pour identifier la personne qui est responsable fiscalement. Nous sommes en train de mener tout ce travail, qui n'est possible qu'au niveau international.

Pourquoi, lors des adjudications, ne vendons-nous pas plus, puisque la demande est quatre fois plus élevée que l'offre ? S'il y a effectivement quatre fois plus de demande, ce n'est pas au prix le plus bas. Nous faisons en sorte d'avoir la part nécessaire, au prix le plus faible ; si l'on prend plus, le prix sera plus cher. La gestion de la dette consiste à essayer de payer le moins cher possible pour ce dont nous avons besoin, pas en profiter parce que c'est moins cher.

Pour vous donner quelques chiffres, nous avons aujourd'hui 72 milliards de déficit et 125 milliards de dette renouvelée chaque année. Nous sommes donc presque à 200 milliards par an. La gestion de la dette, aujourd'hui, c'est la gestion de la dette du passé, ce ne sont pas les 70 milliards nouveaux qui sont nécessaires.

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Pouvez-vous confirmer qu'une augmentation d'un point des taux d'intérêt représente un coût d'environ 2 milliards par an ?

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Parce qu'en dix ans, toute la dette a été renouvelée. On ne doit pas appliquer à la totalité de la dette une remontée de taux ; en sens inverse, on ne peut pas appliquer à la totalité de la dette des taux en baisse, nous n'en bénéficions qu'au fur et à mesure des renouvellements.

Ceci étant dit, l'État dépense moins en intérêts de dette cette année que l'année précédente, alors que sa dette est plus importante. Les taux d'intérêt comptent pour beaucoup dans la diminution des dépenses publiques, et je préfère payer des professeurs que des intérêts de dette. Emprunter, même avec des taux d'intérêt très faible, reste une dépense au budget de l'État à laquelle il faut bien faire face.

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Quelle est la stratégie du Gouvernement pour stabiliser ou réduire le ratio dette sur PIB ?

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Comme pour tous les ratios, il faut agir sur le numérateur et le dénominateur. La priorité, c'est la croissance. Une croissance supérieure réduit mécaniquement le ratio et le niveau de déficit devait être rééquilibré pour pousser vers plus de croissance.

L'autre élément consiste à stabiliser la dette. Si son montant reste inchangé, le ratio baisse. Nous ne sommes pas du tout dans cette situation, mais à un moment donné, nous pouvons envisager de réduire le montant de la dette ; certains pays le font.

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Est-ce que la loi du marché joue sur la faiblesse des taux d'intérêt ? Tous les pays sont dans une logique de réduction de l'endettement, y a-t-il une réduction de l'offre qui influe à la baisse sur les taux d'intérêt ?

Le taux de 3 % a été fixé dans le contexte d'une croissance de 3 % et d'un stock de dette qui s'élevait à 60 % du PIB. Aujourd'hui, alors que la croissance n'est plus que de 1 % et que la dette s'élève à 96 % du PIB, l'objectif de déficit qui permet de stabiliser la dette ne doit plus être le même.

La dette illégitime, pour moi, est celle qui est liée aux intérêts plus qu'au capital. Le capital de la dette est plus une question de redistribution des richesses. Si demain nous annulons la dette, plus personne ne prêtera d'argent.

Depuis l'époque de Raymond Barre, nous avons connu cinq épisodes de relance qui se sont traduits par une augmentation des dépenses plus rapide que celle des recettes, et à chaque fois, il en est résulté de l'endettement. L'enjeu est donc de choisir les investissements qui produisent le plus d'économies. Savons-nous être sélectifs ? Je donne toujours l'exemple des ampoules que l'on remplace et qui sont amorties en deux ans.

S'agissant enfin du report des échéances de réduction du déficit à 3 %, quelles contreparties ont été exigées et admises par la France ? On cite la réforme territoriale et la réforme du code du travail.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

La discussion avec l'Europe ne s'est pas passée ainsi. Nous n'avons pas échangé un délai supplémentaire contre des réformes. Au même moment, nous présentions un programme de réduction des déficits et un programme de réformes. Tous les pays, même l'Allemagne, ont un programme de réformes. L'Allemagne est considérée en situation de déséquilibre car elle est en excédent excessif. Et il est vrai que ce déséquilibre présente un certain danger vis-à-vis des autres pays. Des mesures sont donc préconisées en fonction des situations budgétaires, mais aussi du fonctionnement du marché du travail.

S'il nous avait été demandé sous la contrainte de réduire nos déficits trop vite, nous aurions totalement tué la croissance, et l'ensemble européen – pas seulement la France – en subirait les conséquences. La politique européenne a consisté à passer d'une politique restrictive au niveau global à une politique neutre : pendant que certains pays continuent à diminuer leur déficit, d'autres ont un peu plus de possibilités. Aujourd'hui, sur l'ensemble européen, la politique est légèrement expansive, pour accompagner la reprise de l'activité et de la croissance.

La remarque de M. Alauzet sur les 3 % est exact, c'est pourquoi l'année prochaine, nous allons stabiliser l'endettement avec un objectif de déficit à 2,7 %. Avec une très faible inflation et une croissance potentielle plus faible que celle que nous avons connue autrefois, le point d'équilibre est plus bas.

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Avec un déficit à 2,7 %, l'endettement est stabilisé ?

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Absolument. Les 3 % sont une moyenne de longue période, nous n'allons pas changer le chiffre tous les ans en fonction du niveau de l'inflation ou de la croissance potentielle.

Il est évident que le taux d'intérêt est plus faible car plus d'investisseurs veulent acheter des obligations. Mais cette demande tient à deux choses : la confiance, qui explique pourquoi l'on prête plus facilement aux uns plutôt qu'aux autres et l'abondance de liquidités. Quand la Banque centrale européenne déverse des liquidités, il y a plus d'argent à placer, ce qui fait baisser les taux d'intérêt. Aujourd'hui, la BCE ne peut plus baisser ses taux directeurs car ils sont déjà au plus bas. Pour continuer à soutenir l'activité et éventuellement la reprise de l'inflation, elle a recours au quantitative easing et à des politiques non-conventionnelles.

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Ils font la même chose aux États-Unis, mais cela fonctionne.

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Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics

Nous ne sommes pas dans les mêmes cycles économiques. Cela fait trois ans que la croissance est de 3 % aux États-Unis. J'aimerais connaître cette croissance, et j'aimerais que les taux d'intérêt remontent. Le jour où les taux d'intérêt remonteront, c'est que l'activité économique sera plus forte.