Intervention de Bertrand Lapostolet

Réunion du 22 juin 2016 à 16h30
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

Bertrand Lapostolet, responsable de programme à la Fondation Abbé Pierre :

La dimension sociale de la transition énergétique est aujourd'hui vraiment reconnue, la justice climatique devant compter parmi les préoccupations essentielles dans ce domaine, en France.

L'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) a publié dans son premier rapport, en octobre 2014, le chiffre consolidé et accepté par tous de 5,1 millions de ménages, représentant plus de 11 millions de personnes, touchés en France par la précarité énergétique. Il vient de mettre à jour ce chiffre, qui atteint dorénavant 5,8 millions de ménages, sur le fondement de l'enquête nationale logement de 2013 ; on vient de passer le cap de 20 % des ménages concernés par la précarité énergétique.

Le DNTE avait mis en lumière l'importance de se doter d'un système d'action pour lutter efficacement contre la précarité énergétique. Il faut agir sur ses causes, principalement les passoires thermiques subies par des ménages modestes, tout en traitant les effets afin de détendre la contrainte représentée par la dépense énergétique pour certains foyers, certains d'entre eux étant conduits à se priver de chauffage.

Le coeur de l'action doit porter sur la rénovation massive et ciblée des logements s'avérant des passoires thermiques. On a fixé un objectif de 500 000 rénovations thermiques par an, dont 50 % de logements occupés par des ménages modestes. Si l'on enlève les rénovations conduites chaque année dans le parc des habitations à loyer modéré (HLM), il reste 130 000 logements à traiter dans le parc privé. Là réside l'enjeu principal, parce que les passoires thermiques se rencontrent principalement dans ce parc. L'annonce de l'augmentation du programme « Habiter mieux » de 50 000 – niveau atteint depuis deux ans – à 70 000 logements rénovés dès cette année, puis à 100 000 l'an prochain va dans le bon sens. Nous restons néanmoins vigilants sur deux points : ne pas exclure les ménages les plus précaires des travaux exige de se montrer attentif au reste à charge même si l'optimisation des aides est positive, car leur accès au crédit pour boucler leurs budgets s'avère très limité, et maintenir le financement du programme dans la durée. On a constaté des phénomènes de stop and go dans la mise en oeuvre de ce programme, qui ont été néfastes sur le terrain. Le programme « Habiter mieux » est un gros paquebot, et sa lisibilité dépend du fait d'assurer son financement. Il s'agit là d'un enjeu prioritaire.

On souhaitait que les CEE soient davantage orientés vers la lutte contre la précarité énergétique ; la loi et les décrets, mis en oeuvre dans les temps, portent une évolution positive en posant l'obligation de lutter effectivement contre la précarité énergétique en 2016 et 2017, même si les volumes fixés sont insuffisants et si les moyens supplémentaires ne se retrouvent pas sur le terrain. En effet, l'évolution des obligations générale et spécifique pour 2016 n'est toujours pas connue à la moitié de l'année, si bien que le déploiement de projets s'avère complexe. Au total, les moyens de lutte contre la précarité énergétique sont tendanciellement tirés vers le bas.

Les aides publiques et les incitations aux travaux sont importantes, mais ne suffisent pas. Les acteurs sont tous d'accord pour affirmer qu'il faut renforcer la contrainte. L'article 12 de la loi intègre la performance thermique parmi les critères de décence d'un logement placé dans le parc locatif et prévoit un calendrier échelonné de mise en oeuvre. Le projet de décret que nous avons récemment pu consulter nous a beaucoup déçus ; on l'a qualifié d'indécent car il fait apparaître un grand décalage entre l'ambition affichée, l'intention du législateur et l'application prévue. On espère que ce texte évoluera – deux versions ont déjà été présentées – car le système actuel serait compliqué, peu ambitieux et peu lisible. Or le message adressé aux bailleurs doit être simple et lisible ; il faut ainsi affirmer que l'on ne pourra plus louer de passoire thermique à partir de telle date. Je tiens à insister fortement auprès de vous sur l'importance de ce décret.

Le programme « Habiter mieux » et l'action collective ont réussi à s'adresser aux propriétaires privés, mais il faut toucher l'habitat collectif mêlant les statuts de copropriétaires occupants et de locataires. On dispose de moins d'outils pour agir dans ce domaine où il faudra faire évoluer les aides et les incitations. Il faudra envoyer un signal normatif, en plus de jouer sur les incitations.

Le chèque énergie vise à aider les gens à payer leur facture d'énergie. Il s'agit d'une solution temporaire, le véritable règlement du problème résidant dans la suppression des passoires thermiques. Comme cela prendra du temps, il faut aider les ménages par solidarité, mais surtout, pour éviter qu'ils se privent de chauffage, ce qui menacerait leur santé. Le chèque énergie constitue une avancée en termes d'équité par rapport aux tarifs sociaux, puisqu'il concerne toutes les énergies de chauffage. En revanche, le montant moyen du chèque, 125 euros par an, s'avère bien trop faible ; en effet, la facture énergétique moyenne des ménages entre 2012 et 2014 s'élève à 1 800 euros par an. Afin d'obtenir un effet, le chèque devrait atteindre 400 euros par an au minimum. Cela représente certes une dépense importante, mais qui, elle, aura des effets ; on va engager des moyens non négligeables, mais ils n'auront pas d'impact.

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