Intervention de Manuel Burnand

Réunion du 10 mai 2016 à 14h00
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte

Manuel Burnand, directeur général de la Fédération des entreprises du recyclage :

Il est possible de réduire de 10 % la production de déchets ménagers d'ici à 2020 : il suffit d'en avoir la volonté et de prévoir des débouchés supplémentaires pour consommer les matières premières de recyclage.

Le recyclage des bouteilles de gaz est très délicat, car leur manipulation est extrêmement dangereuse. Trop de bouteilles se retrouvent sur les chantiers de ferraille et sont la cause d'accidents mortels, passant dans les broyeurs qui provoquent des explosions plus ou moins graves. Ayant dirigé pendant des années la commission « broyeurs » de la FEDEREC, je peux vous dire qu'il s'agit d'un problème récurrent. Il existe des solutions, mais elles sont extrêmement coûteuses. La reprise des bouteilles de gaz n'est pas généralisée. Primagaz et Butagaz jouent le jeu et les reprennent gratuitement. On peut aussi faire venir des spécialistes qui demandent 50 euros pour faire exploser une bouteille. Mais, sur les chantiers, on hésite à franchir le pas, et on stocke d'importantes quantités, en espérant que la reprise sera organisée un jour.

Vous nous avez interrogés sur les DEEE et les contrats avec les éco-organismes. Un tel système peut en effet améliorer la reprise. Les éco-organismes ont la capacité financière et le mandat pour organiser les choses. Toutefois, le système a une limite : en matière de recyclage des pneumatiques, par exemple, le producteur met une certaine quantité de pneus sur le marché, fait une commande de reprise et arrête la collecte quand il a atteint son quota. Les détenteurs, quant à eux, se plaignent souvent que personne ne vienne chercher leurs pneus.

Ce sujet concerne aussi les DEEE. En dehors de Récylum pour les tubes et lampes, les principaux acteurs de la filière sont Eco-systèmes, l'éco-organisme européen ERP (European recycling platform) et Ecologic. L'agrément d'ERP n'ayant pas été renouvelé, il a interrompu son activité mais gardé l'argent des metteurs sur le marché, si bien que les deux autres éco-organismes ont récupéré son activité sans forcément disposer des financements. Aussi, des tensions apparaissent, notamment du côté d'Ecologic.

Le système peut tenir, mais la question de la capacité financière de l'éco-organisme se pose, ainsi que celle des difficultés inhérentes au marché. Dès lors qu'il y a plusieurs éco-organismes sur un même terrain de jeux, des surenchères sont à prévoir, tirant les prix vers le bas. Certes, on peut se dire que la concurrence est une bonne chose, mais elle peut avoir des effets pervers, tels que la dégradation de la prestation environnementale et celle des marges des opérateurs. L'objectif des éco-organismes étant souvent de faire leur marge sur le dos des opérateurs, on peut arriver à une situation de blocage. N'oublions pas, en outre, que les éco-organismes subissent eux-mêmes les effets de la baisse du coût des matières premières. Ils paient au même prix le service de recyclage mais récupèrent une matière dévalorisée, ce qui affecte leur budget. Ecologic se demande ainsi comment il pourra poursuivre sans recettes. Le principe est bon, mais la question de l'organisation globale des éco-organismes se pose. Quand les prix sont élevés, tout va bien, mais il faut rester vigilants et regarder ce qui se passe dans les autres pays.

En ce qui concerne les pièces de réemploi, l'application de la disposition est prévue à compter du 1er janvier 2017. Dans les faits, on note quelques difficultés, s'agissant notamment des pièces automobiles, qui font l'objet d'un gros marché à l'export. Or les opérateurs se sont retrouvés soumis à des contraintes importantes. Nous avons préconisé une sortie du statut de déchet implicite dès lors qu'il y a qualification de pièce de réemploi. Cela dit, on ne peut pas inonder les pays d'Afrique de vrais déchets. Comment bien arbitrer en la matière et faire en sorte qu'on exporte vraiment une pièce de réemploi et non un déchet ?

Par ailleurs, ouvrir le marché du réemploi, c'est aussi accepter la pièce de réemploi dans la réparation des voitures. Cela nécessite de passer des conventions avec les compagnies d'assurance. La France n'est pas très en avance en la matière, car ce n'est pas l'intérêt des constructeurs, dans la mesure où ce sont des marges en moins pour les réseaux et pour les marques. C'est un sujet délicat au plan commercial.

En ce qui concerne le BTP, y a-t-il suffisamment de sites commerciaux ? Concrètement, un centre commercial, qui vend différents matériaux, peut installer un petit box pour récupérer quelques déchets, mais cela ne sera pas réaliste sur le long terme, surtout si les clients déposent tout dans le même box. Il vaudrait mieux passer des accords avec des centres acceptant plusieurs types de déchets.

Pour ce qui est du cahier des charges des éco-organismes, je fais référence aux débats que nous avons sur Eco-Emballages, l'arrivée de Valorie et d'ERP. Nous avons quelques craintes concernant la fuite des déchets vers l'Allemagne. Par ailleurs, pour être plus compétitif, Ecologic veut envoyer ses déchets en Espagne, où la mise en décharge est moins onéreuse. Il paraît délicat de facturer le consommateur français pour envoyer des déchets en Espagne ou en Allemagne.

En Europe, la fiscalité n'est pas déclinée de la même manière dans tous les pays. Il faut faire preuve de vigilance. Cela étant, nous craignons de retrouver le même système que pour les DEEE, avec des effets pervers. Le principe de la concurrence entre éco-organismes est excellent, mais ses conséquences peuvent être dommageables pour la France. Si nous perdons des déchets qui partent vers l'Allemagne, nous perdons de la valeur, de la ressource et du pouvoir calorifique.

En ce qui concerne la nécessité de mettre en place des systèmes de contrôle, la loi est ambitieuse, mais il nous faudra tout de même réfléchir à la façon de mesurer et de contrôler, ce qui n'est pas simple.

S'agissant des pièces issues de l'économie circulaire qui pourraient remplacer les pièces neuves, on peut, à mon avis, en rester aux définitions existantes.

Concernant le principe de proximité, la FEDEREC estime que cela réduit les coûts logistiques, et donc l'empreinte CO2. Cependant, les capacités ne sont pas toujours en place. L'industrie papetière, par exemple, peut consommer 60 % des déchets de papier. Il faut donc exporter le reste, à moins de recréer de la capacité industrielle en France. Même chose pour les ferrailles : 40 à 50 % d'entre elles quittent la France, où la consommation industrielle est insuffisante. En tant que tel, le principe est sain, mais on ne peut l'imposer dans les faits. Il faut faire preuve d'un peu de réalisme industriel.

La gouvernance des filières REP est un sujet très important. En même temps que les éco-organismes montent en puissance au fil des ans, en termes de compétences, de moyens et de recherche-développement (R&D), les opérateurs s'appauvrissent et deviennent des exécutants, ce qui est préoccupant. Nous souhaitons que les fédérations soient actives au niveau de la gouvernance et représentatives au sens de la loi de mars 2014, c'est-à-dire qu'elles aient une ancienneté supérieure à deux ans, un vécu d'implantation territoriale, une certification des comptes, une audience significative et une convention collective. Il ne faut pas laisser n'importe qui s'exprimer sur ces sujets.

L'extension des consignes de tri est une mesure saine. Cela étant, dans la réalité, on va consommer beaucoup, en termes d'énergie électrique et de logistique, à vouloir séparer tous les déchets par catégorie. Est-ce réaliste dans tous les cas et dans tous les contextes économiques ? Dans certains cas, plutôt que de vouloir recycler à tout prix, il vaut mieux faire un bon combustible solide de récupération (CSR).

En ce qui concerne l'éco-conception, nous avons encore beaucoup à faire. Il faut que les opérateurs qui traitent les produits soient mis dans la boucle. Je suis surpris que les éco-organismes décident seuls de l'éco-modulation. Nous, qui faisons le travail, devons pouvoir dire ce qu'il en est.

Enfin, il faut renforcer la lutte contre les sites illégaux. Depuis quelques années, des bandes organisées internationales se livrent au vol de métaux. La France a pris l'initiative d'interdire les achats en espèces. La démarche était bonne, mais les ventes se font maintenant dans les pays frontaliers, et nous avons bien du mal à imposer ce principe au niveau européen. Tout reste à inventer et, même si FEDEREC est très impliquée dans les relations avec les douanes, le sujet est délicat.

Par ailleurs, il est nécessaire de produire des CSR. Or, par rapport à l'Allemagne, la France part de loin. La cimenterie a de gros avantages : elle prend peu d'argent, toutes les cendres vont dans le clinker et se retrouvent dans le béton, ses traitements à haute température entraînent peu d'émissions. Toutefois, si l'on veut faire un traitement correct, maîtriser les cendres et les rejets, cela a un coût et, de toute façon, la filière cimentière ne peut pas tout éliminer. La FNADE a mené des travaux sur ce sujet, mais, aujourd'hui, il faut trouver les solutions industrielles adéquates. Deux logiques s'affrontent : soit on fait du traitement de proximité avec des petites unités, soit on met en place, « à l'allemande », des structures de 600 000 tonnes et on va chercher les déchets plus loin – ainsi, les Allemands aimeraient bien venir chercher les déchets en France.

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