Intervention de Catherine Coutelle

Réunion du 28 juin 2016 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle, corapporteure, présidente :

Nous examinons aujourd'hui le rapport d'information sur l'égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte, suite à la mission que nous avons effectuée, avec Virginie Duby-Muller et Monique Orphé, corapporteures, du mardi 10 au samedi 14 novembre 2015.

Cette mission est intervenue à la demande de M. Ibrahim Aboubacar, député de Mayotte, qui avait participé à l'élaboration du document stratégique « Mayotte 2025 », signé en juin 2015, avec « l'ambition d'achever la départementalisation, de définir les axes de développement stratégiques du territoire et d'en déterminer les priorités ». Celui-ci prévoyait en particulier l'élaboration d'un plan d'action transversal pour l'égalité femmes-hommes, qui restait à décliner précisément, en soulignant qu'il s'agit d'une question cruciale pour l'avenir de Mayotte, qui « ne pourra se réaliser sans les femmes ».

Notre déplacement a eu lieu, par un hasard de circonstances, en même temps que la visite de la ministre des Outre-mer, Mme George Pau-Langevin, visite qui a suscité une certaine effervescence, et un mouvement social a un peu entravé nos déplacements et nous a notamment empêchées de nous rendre, ainsi que nous le souhaitions, dans certains établissements scolaires. Nous sommes donc restées pour l'essentiel dans les environs de Mamoudzou et notre programme a dû être adapté.

Nous avons été très bien reçues par la préfecture de Mayotte, et nous avons pu discuter très librement avec nos différents interlocuteurs et les membres de l'administration sur place, accompagnées par la déléguée régionale aux droits des femmes, Noera Mohamed.

Dans le cadre de sa départementalisation, intervenue en mars 2011, Mayotte est engagée dans un mouvement d'harmonisation de ses politiques qui doit composer avec les spécificités de l'île, dont la première est qu'il s'agit d'une société matrilocale, mais non dénuée d'ambivalences quant à la place réservée aux femmes.

Dans une société matrilocale, ce sont les femmes qui héritent. Ainsi, à Mayotte, les filles sont dès leur naissance dotées d'un terrain pris sur les terres familiales où on leur construit une maison afin qu'elles s'y installent une fois mariées, sachant qu'il est quasiment impossible pour une Mahoraise qui n'est pas mariée, même si elle est trentenaire, de vivre seule, hors de la maison parentale. Une fois mariée, elle s'installera avec son époux dans la maison dont elle a hérité, certes, mais qui, d'une certaine manière, la maintient dans le giron familial, ce qui n'est pas toujours gage d'indépendance.

La seconde spécificité de Mayotte est le fort poids qu'y ont l'Islam et ses traditions, ainsi que la persistance d'un droit local, malgré les réformes en cours. Ainsi, même si la polygamie n'y est plus autorisée depuis les réformes intervenues en 2003 et 2010, ceux qui vivaient sous un tel statut avant le changement de régime, peuvent le conserver. La justice cadiale – rendue par les cadis –a en revanche été supprimée au profit de la justice ordinaire, les cadis n'ayant plus désormais qu'un rôle de médiateurs.

Au plan linguistique, le français n'est pas la première langue parlée à Mayotte, où l'on parle prioritairement le shimaoré et le kibushi ; seule une personne sur dix a le français comme langue maternelle. C'est une donnée importante car les campagnes d'information, lancées par les ministères – par exemple les campagnes en faveur de la contraception – reposent souvent sur des messages écrits, alors qu'une partie de la population est illettrée ; elles sont d'autre part le plus souvent en français, langue que beaucoup de Mahorais ne maîtrisent pas. Il est donc important que ces campagnes d'information se fassent aussi en shimaoré, afin qu'elles puissent toucher leurs destinataires.

Il faut enfin insister sur l'importante pression démographique. Mayotte, où la densité de population atteint 570 habitants au kilomètre carré, est le département le plus jeune de France. En effet, 50 % de la population y a moins de dix-sept ans, et elle est passée d'environ 20 000 à 212 000 personnes entre 1960 et 2012. Cette progression s'explique par un fort taux de fécondité malgré les campagnes en matières de maîtrise des naissances comme la campagne « 1, 2, 3 bass » – 1, 2, 3, ça suffit –, incitant à limiter le nombre d'enfants à trois par femme. Cette croissance démographique tient également à l'immigration en provenance des Comores, et les femmes étrangères ont en moyenne plus que trois enfants.

Cette immigration clandestine est pour beaucoup dans les tensions que j'ai évoquées au début de mon propos, tensions qui semblent s'être aggravées depuis. Les Mahorais ont en effet une position ambiguë par rapport à l'immigration comorienne, dans laquelle il puisse de la main d'oeuvre, tout en dénonçant l'afflux de clandestins qui pèse sur l'économie du département. Il y a aussi de nombreux liens de parenté à Mayotte et dans les Comores.

Les crédits de la délégation aux droits des femmes de Mayotte ont sensiblement progressé depuis 2010, avec notamment à une augmentation significative en 2012, et il est important que ses moyens soient renforcés, car la délégation est un vecteur très important de l'amélioration de la condition des femmes.

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