La séance est ouverte à quatorze heures dix.
Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.
La Délégation examine un rapport d'information sur l'égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte, à la suite d'une mission effectuée, du 10 au 14 novembre 2015, par Mmes Catherine Coutelle, Virginie Duby-Muller et Monique Orphé, rapporteures d'information.
Nous examinons aujourd'hui le rapport d'information sur l'égalité entre les femmes et les hommes à Mayotte, suite à la mission que nous avons effectuée, avec Virginie Duby-Muller et Monique Orphé, corapporteures, du mardi 10 au samedi 14 novembre 2015.
Cette mission est intervenue à la demande de M. Ibrahim Aboubacar, député de Mayotte, qui avait participé à l'élaboration du document stratégique « Mayotte 2025 », signé en juin 2015, avec « l'ambition d'achever la départementalisation, de définir les axes de développement stratégiques du territoire et d'en déterminer les priorités ». Celui-ci prévoyait en particulier l'élaboration d'un plan d'action transversal pour l'égalité femmes-hommes, qui restait à décliner précisément, en soulignant qu'il s'agit d'une question cruciale pour l'avenir de Mayotte, qui « ne pourra se réaliser sans les femmes ».
Notre déplacement a eu lieu, par un hasard de circonstances, en même temps que la visite de la ministre des Outre-mer, Mme George Pau-Langevin, visite qui a suscité une certaine effervescence, et un mouvement social a un peu entravé nos déplacements et nous a notamment empêchées de nous rendre, ainsi que nous le souhaitions, dans certains établissements scolaires. Nous sommes donc restées pour l'essentiel dans les environs de Mamoudzou et notre programme a dû être adapté.
Nous avons été très bien reçues par la préfecture de Mayotte, et nous avons pu discuter très librement avec nos différents interlocuteurs et les membres de l'administration sur place, accompagnées par la déléguée régionale aux droits des femmes, Noera Mohamed.
Dans le cadre de sa départementalisation, intervenue en mars 2011, Mayotte est engagée dans un mouvement d'harmonisation de ses politiques qui doit composer avec les spécificités de l'île, dont la première est qu'il s'agit d'une société matrilocale, mais non dénuée d'ambivalences quant à la place réservée aux femmes.
Dans une société matrilocale, ce sont les femmes qui héritent. Ainsi, à Mayotte, les filles sont dès leur naissance dotées d'un terrain pris sur les terres familiales où on leur construit une maison afin qu'elles s'y installent une fois mariées, sachant qu'il est quasiment impossible pour une Mahoraise qui n'est pas mariée, même si elle est trentenaire, de vivre seule, hors de la maison parentale. Une fois mariée, elle s'installera avec son époux dans la maison dont elle a hérité, certes, mais qui, d'une certaine manière, la maintient dans le giron familial, ce qui n'est pas toujours gage d'indépendance.
La seconde spécificité de Mayotte est le fort poids qu'y ont l'Islam et ses traditions, ainsi que la persistance d'un droit local, malgré les réformes en cours. Ainsi, même si la polygamie n'y est plus autorisée depuis les réformes intervenues en 2003 et 2010, ceux qui vivaient sous un tel statut avant le changement de régime, peuvent le conserver. La justice cadiale – rendue par les cadis –a en revanche été supprimée au profit de la justice ordinaire, les cadis n'ayant plus désormais qu'un rôle de médiateurs.
Au plan linguistique, le français n'est pas la première langue parlée à Mayotte, où l'on parle prioritairement le shimaoré et le kibushi ; seule une personne sur dix a le français comme langue maternelle. C'est une donnée importante car les campagnes d'information, lancées par les ministères – par exemple les campagnes en faveur de la contraception – reposent souvent sur des messages écrits, alors qu'une partie de la population est illettrée ; elles sont d'autre part le plus souvent en français, langue que beaucoup de Mahorais ne maîtrisent pas. Il est donc important que ces campagnes d'information se fassent aussi en shimaoré, afin qu'elles puissent toucher leurs destinataires.
Il faut enfin insister sur l'importante pression démographique. Mayotte, où la densité de population atteint 570 habitants au kilomètre carré, est le département le plus jeune de France. En effet, 50 % de la population y a moins de dix-sept ans, et elle est passée d'environ 20 000 à 212 000 personnes entre 1960 et 2012. Cette progression s'explique par un fort taux de fécondité malgré les campagnes en matières de maîtrise des naissances comme la campagne « 1, 2, 3 bass » – 1, 2, 3, ça suffit –, incitant à limiter le nombre d'enfants à trois par femme. Cette croissance démographique tient également à l'immigration en provenance des Comores, et les femmes étrangères ont en moyenne plus que trois enfants.
Cette immigration clandestine est pour beaucoup dans les tensions que j'ai évoquées au début de mon propos, tensions qui semblent s'être aggravées depuis. Les Mahorais ont en effet une position ambiguë par rapport à l'immigration comorienne, dans laquelle il puisse de la main d'oeuvre, tout en dénonçant l'afflux de clandestins qui pèse sur l'économie du département. Il y a aussi de nombreux liens de parenté à Mayotte et dans les Comores.
Les crédits de la délégation aux droits des femmes de Mayotte ont sensiblement progressé depuis 2010, avec notamment à une augmentation significative en 2012, et il est important que ses moyens soient renforcés, car la délégation est un vecteur très important de l'amélioration de la condition des femmes.
La seconde partie du rapport est consacrée aux priorités identifiées par la mission et aux différentes mesures sectorielles susceptibles d'être mises en oeuvre en vue de faire progresser les droits des Mahoraises et l'égalité entre les femmes et les hommes.
Ces priorités sont les suivantes : l'éducation et l'accès à l'emploi, d'une part, pour soutenir l'autonomie des femmes ; la santé et la lutte contre les violences faites aux femmes, d'autre part, pour garantir le respect de leurs droits les plus élémentaires.
S'agissant de la nécessité d'améliorer le système éducatif à Mayotte, nous avons pu constater, lors de notre déplacement sur l'île, qu'elle se heurtait à de nombreuses difficultés, même s'il faut souligner les importants progrès intervenus depuis plusieurs années dans ce domaine. Ainsi, entre 1973 et 2014, les effectifs scolarisés dans le premier et le second degrés ont été multipliés par trente, passant de 2 884 en 1973 à environ 87 500 élèves en 2014, alors que, dans le même temps, la population de l'île était multipliée par cinq.
Des moyens importants ont été consacrés au développement rapide des infrastructures scolaires : sur dix ans, le budget de l'État consacré à l'éducation nationale est passé de 107 à 377 millions d'euros, soit une hausse de 251 %.
Néanmoins, de gros retards demeurent par rapport à la métropole, notamment dans le domaine de l'accueil des enfants : ainsi, bien qu'ayant doublé en dix ans, le taux de scolarisation en maternelle s'élève à 63 %, contre 100 % en métropole, un système de rotation des classes ayant par ailleurs dû être mis en place. Les résultats aux examens nationaux, baccalauréat et brevet, restent également, malgré une progression sensible, très inférieurs à ceux de la métropole, du fait notamment d'une insuffisante maîtrise du français.
S'agissant plus particulièrement des jeunes filles, elles se heurtent à des difficultés liées à leur orientation et au poids des représentations sociales. Par ailleurs, les femmes, scolarisées plus tardivement, sont surreprésentées parmi les personnes ne maîtrisant pas les compétences de base à l'écrit en français, ce qui représente à l'évidence un handicap en termes d'insertion professionnelle.
Compte tenu de cette situation et à la lumière des différentes initiatives locales intéressantes menées depuis quelques années – je pense par exemple au programme « Marraines en action », auquel participe des femmes actives et qui s'adresse à des jeunes filles scolarisées, en formation ou en recherche d'emploi –, nous préconisons, outre le renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine, plusieurs mesures, au premier rang desquelles, le développement de la scolarisation en maternelle, afin que les enfants s'immergent le plus tôt possible dans un bain linguistique français. Il importe pour cela de maintenir les efforts engagés notamment en matière d'infrastructures afin de faire cesser les rotations.
Il faut également poursuivre et amplifier les actions engagées afin de mieux faire connaître les différents métiers, organiser pour cela des campagnes d'information régulières – parcours Avenir ou invitation de cheffes d'entreprises en milieu scolaire, entre autres – pour aider les jeunes filles à diversifier leurs choix d'orientation.
Le développement de l'éducation civique et l'apprentissage des valeurs de la République, parmi lesquelles le respect de l'autre et l'égalité, sont enfin essentiels.
En matière d'emploi ensuite, l'un des points positifs est que les Mahoraises sont davantage présentes sur le marché du travail et également très actives dans la création d'entreprises : Mayotte est ainsi le deuxième département français pour l'entreprenariat féminin. Mais elles sont plus souvent confrontées au chômage que les hommes, et leur taux d'emploi n'est que de 28 %, contre 46,5 % pour les hommes.
Poux lever les freins à l'emploi, il est d'abord nécessaire de développer les services, en matière notamment d'accueil du jeune enfant, de façon souple et diversifiée compte tenu des besoins des familles – assistantes maternelles, crèches municipales ou parentales, etc. –, afin de s'adapter aux besoins des familles. Nous formulons plusieurs pistes concrètes en ce sens, ainsi qu'en matière d'accueil des personnes en situation de handicap et des personnes âgées dépendantes.
Parallèlement, les actions de lutte contre l'illettrisme doivent être développées, ainsi que l'accès à la qualification et à la formation professionnelle continue. La question de la mobilité est aussi essentielle : il faut faciliter l'accès au permis de conduire et développer les transports en commun.
D'autres mesures pourraient également être envisagées en matière de logement social, ou encore pour soutenir le développement économique durable du territoire – nous pensons notamment à la valorisation du potentiel touristique ou au développement des infrastructures numériques.
Un mot enfin sur nos principales conclusions en matière de santé et de violences faites aux femmes, domaines dans lesquels nous avons pu constater un certain nombre d'initiatives locales particulièrement intéressantes.
Une enquête sur la santé des femmes est nécessaire, mais aussi la publication tous les cinq d'un « Baromètre santé Mayotte », comme celui que l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) réalise pour la métropole.
Des mesures s'imposent également pour développer l'attractivité du territoire en direction des professionnels de santé libéraux, trop peu nombreux sur l'île, mais aussi soutenir l'action du planning familial, encourager la création de centres de planification et renforcer les centres de protection maternelle et infantile (PMI), sachant qu'au niveau du département, nous avons pu observer que le fléchage et l'utilisation des fonds n'est pas toujours optimal…
Il convient par ailleurs d'améliorer l'information des femmes en matière de santé sexuelle et reproductive, et en particulier leur accès à la contraception. Des associations comme REDECA, réseau de dépistage des cancers, et REPEMA, en matière de périnatalité, sont très dynamiques sur le terrain, mais il faut poursuivre les efforts pour développer des actions d'information et d'éducation à la santé bien adaptées aux spécificités locales. Dans ce sens, une médecin que nous avons rencontrée lors de notre visite du centre hospitalier de Mamoudzou a évoqué un projet de série télévisée locale en format sitcom, Limbala, évoquant entre autres la question des violences faites aux femmes et l'éducation à la santé, avec le soutien notamment de l'hôpital et de l'agence régionale de santé (ARS) et
En matière de violences faites aux femmes, nous devons également prévoir la déclinaison à Mayotte de l'enquête nationale VIRAGE, veiller à la mise en place d'une unité médico-judiciaire (UMJ) ainsi qu'au fonctionnement de la ligne téléphonique locale – 55-55 – et ouvrir pour les victimes des places d'hébergement d'urgence.
Il faut enfin que soient mises en oeuvre les dispositions de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées, intensifier la lutte contre les réseaux, encourager la mobilisation des associations autour de cette problématique, liée à la question de l'immigration clandestine depuis les Comores.
Après notre déplacement, j'ai reçu à Paris la porteuse du projet de telenovela, et fait connaître au ministère le soutien que nous apportons à ce projet. Je confirme que les professionnels de santé de l'hôpital de Mamoudzou sont très engagés auprès des femmes, sachant qu'avec sept mille naissances par an, sa maternité est la plus importante de France. Ces professionnels ont en particulier attiré notre attention sur l'ampleur du phénomène des grossesses précoces : on m'a ainsi cité le cas d'une fillette d'une dizaine d'années qui commençait une grossesse. Il est d'autant plus essentiel de renforcer la protection des filles que, dans la plupart des cas, si la grossesse résulte d'un rapport sexuel intrafamilial, la famille préfère ne pas porter plainte et procéder plutôt à un arrangement.
Je tenais à dire pour conclure à quel point cette mission a été intéressante et combien elle est importante pour rappeler que les territoires d'outre-mer ne doivent pas être les laissés-pour-compte de la lutte pour l'égalité entre les femmes et les hommes et contre les violences sexistes. Les politiques et les lois en vigueur en métropole doivent également s'appliquer outre-mer.
Nous avons rencontré des jeunes femmes mahoraises revenues vivre à Mayotte, après avoir fait leurs études en France, pour que leurs enfants grandissent sur l'île. C'est une des raisons pour lesquelles nous insistons sur le fait qu'il faut doter l'île en infrastructures scolaires, en particulier de la maternelle au collège. C'est indispensable au développement de Mayotte, sachant que plus l'île se développera, plus le déséquilibre sera important avec les régions voisines, les Comores et Madagascar, et plus les phénomènes d'immigration risquent d'être importants.
Je me félicite du travail mené dans le cadre de cette mission particulièrement intéressante, et notre collègue Ibrahim Aboubacar nous a beaucoup aidées, ainsi que toutes les personnes qui nous ont très chaleureusement reçues. Nous avons notamment rendu visite à des femmes travaillant dans des salines et dans l'artisanat.
Air Austral vient d'ouvrir un vol direct pour Mayotte, ce qui devrait contribuer, entre autres, au développement des échanges et du tourisme.
Les infrastructures restent malheureusement très en-deçà pour le moment des standards du tourisme contemporain. Ce qui est dommage car le développement du tourisme s'accompagnerait nécessairement de créations d'emploi. À cet égard, si la formation doit être calibrée pour répondre aux besoins de l'île, on peut également recommander qu'elle s'ouvre aux métiers du tourisme, quand bien même il n'y aurait pas aujourd'hui une forte demande, de façon à favoriser une offre, les personnes formées pouvant ensuite initier des projets touristiques.
La délégation adopte le rapport d'information.
La séance est levée à quatorze heures trente-cinq.