Intervention de Thierry Mariani

Réunion du 29 juin 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani, président de la mission :

Il n'est pas surprenant qu'un des points de désaccord concerne la Crimée. Cette région est historiquement et culturellement russe. S'il y avait eu un referendum, organisé dans les formes, le résultat aurait été celui qu'il a été, c'est-à-dire massivement favorable.

Nous sommes allés en Crimée avec Jacques Myard et devrions y retourner dans quatre semaines. Un Français expatrié sur place m'a raconté comment la population de Sébastopol a accueilli avec des petits drapeaux russes la marine russe revenant de Géorgie en 2008. Je n'approuve pas l'intervention en Géorgie, mais en clair, la population était présente pour accueillir ses soldats, même si c'étaient ceux d'un pays dit étranger. Donc on a l'hypocrisie de ne plus parler de ce sujet, mais la messe est dite. Néanmoins, on ne reconnaîtra pas l'annexion, et cela peut durer encore très longtemps. D'autre part, quand on évoque les grands principes, il faut les respecter éternellement. Je n'ai pas l'impression que les grands principes d'intangibilité des frontières ont été respectés au Kosovo et en Serbie. Nous condamnons l'intervention russe en Syrie, mais, par exemple, le faisons nous aussi énergiquement pour l'intervention américaine en Irak, qui a été faite en se basant sur des preuves fausses ? Nous avons ainsi une politique de double standard. La Crimée est désormais à nouveau russe, et cela me semble un fait incontestable.

S'agissant des sanctions, personnellement, je trouve que c'est une aberration. C'est un peu comme l'état d'urgence, et je le dis sans aucune arrière-pensée politique. C'est bien quand on y rentre, mais après on ne sait plus comment en sortir. Je prends le pari que dans six mois, les sanctions seront reconduites. On nous expliquera que l'ancien président américain n'est pas encore parti et que le nouveau n'est pas encore installé, et qu'il est donc trop tôt. De plus, on ne voudra pas se désolidariser de nos amis européens. Cela durera donc encore des années. Dans le même temps, la France est en train de perdre des marchés notamment dans le domaine agricole, où elle avait une bonne position. Les Russes profitent d'une situation d'économie protégée pour développer une production de qualité équivalente.

La Russie n'est pas isolée. Lors du défilé du 9 mai 2015, étaient présentes l'Inde, la Chine et une trentaine d'autres pays. Il faut donc arrêter de faire de l'eurocentrisme.

L'Europe tolère pour les pays Baltes ce qu'on ne tolérerait jamais ailleurs, c'est-à-dire une politique de discrimination d'une partie de la population. 10 % des personnes qui vivent en Lettonie n'ont même pas le droit de vote, parce qu'ils sont nées en Russie ou ont eu des parents russes. L'Europe, qui fait des résolutions sur les droits des migrants, ferme totalement les yeux sur ces sous-citoyens dans ses propres pays. C'est cela que la Russie dénonce. Il ne faut pas s'étonner si la minorité russe dans les pays baltes se sent maltraitée et que la Russie veuille exercer une sorte de protection sur cette population menacée.

Comme me le disait un ancien diplomate, le seul intérêt pour le groupe de Minsk – celui concernant l'Arménie et l'Azerbaïdjan – est de se réunir, et cela est déjà un succès. J'ai l'impression qu'à terme, pour les accords de Minsk, ce sera la même chose, c'est-à-dire le fait d'exister et de donner un horizon lointain et inatteignable. Car, avec chaque jour qui passe, et qui rajoute des morts – maintenant 10 000 –, on arrivera plus à cicatriser les blessures.

S'agissant de l'opinion publique ukrainienne et de la guerre, il y a un paradoxe fréquent dans les pays en guerre, que j'ai constaté récemment à Damas : alors que j'y étais, la seule chose qui préoccupait la ville était la remise du prix du concours hippique. C'est une manière d'oublier la guerre. En Ukraine, c'est la même chose.

Enfin, nous critiquons souvent la liberté des médias en Russie et il est vrai que ce pays n'a pas les mêmes standards que nous avons en France. Mais en Ukraine, la situation n'est pas meilleure. Certains médias y ont été fermés manu militari.

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