La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.
Nous examinons ce matin le rapport de la mission d'information sur la crise ukrainienne et l'avenir des relations entre la Russie et l'Union européenne et la France. C'est un rapport extrêmement important, fouillé, très précis et très informatif. C'est généralement le cas de nos rapports, mais cela témoigne du fait que nous travaillons beaucoup sur la question de l'Ukraine et de ses relations avec ses grands voisins depuis plusieurs années.
Nous vous présentons aujourd'hui le résultat des travaux que nous avons menés depuis un an et qui nous ont notamment amenés à nous rendre en Ukraine et en Russie avec plusieurs autres membres de la mission. Je rappelle qu'outre Thierry Mariani et moi-même, ceux-ci étaient Jean-Luc Bleunven, Philippe Cochet, Jean-Claude Mignon, Marie-Line Reynaud et Odile Saugues.
Le rapport comprend trois parties consacrées respectivement à l'Ukraine, confrontée à une double crise nationale et économique, à la Russie, un partenaire difficile mais incontournable, enfin au rôle que peut jouer la France : plus que jamais, notre pays doit aider au rétablissement d'un partenariat européen avec la Russie. Ce rapport s'inscrit dans la continuité de celui que Chantal Guittet et Thierry Mariani avaient présenté début 2014. Il y a eu des événements majeurs depuis, la révolution de Maïdan en février 2014, puis l'annexion russe de la Crimée, puis le conflit du Donbass et tout ce qui s'en est suivi. Mais la question de nos relations avec la Russie n'en reste pas moins centrale, et c'est pourquoi, deux ans après, un nouveau rapport s'imposait.
En préalable, je souhaite souligner quelques points que nous devons garder à l'esprit. Les Ukrainiens ont fait, en février 2014, leur révolution en brandissant le drapeau européen et ont ensuite mis en place un nouveau pouvoir qui a commencé d'engager plus de réformes qu'aucun de ceux qui l'avaient précédé pour mettre fin à la mauvaise gouvernance, à la corruption et aux abus des oligarques qui ont malheureusement caractérisé les vingt premières années de l'Ukraine indépendante. Les blocages et les lenteurs que nous regrettons aujourd'hui ne doivent pas le faire oublier.
Second point, la politique menée par la Russie à l'encontre de l'unité de l'Ukraine à partir de février 2014 n'est pas acceptable. L'annexion unilatérale de la Crimée constitue une violation très grave, sans précédent en Europe depuis 1945, des règles de base du droit international. Quant au conflit du Donbass, il n'a certes pas été déclenché directement par l'action des autorités russes, mais celles-ci lui ont permis de durer par leur soutien massif aux séparatistes et n'ont pas imposé, jusqu'à présent, un réel cessez-le-feu dont on peut pourtant penser qu'elles auraient les moyens. Il y a eu plus de 10 000 morts, 20 000 blessés, près de deux millions de déplacés.
Pourtant, le ministre Jean-Marc Ayrault l'a redit devant notre commission il y a quelques semaines, la Russie reste pour nous un partenaire, même si c'est un partenaire difficile. C'est un grand pays, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, donc doté du droit de veto, et aussi d'une puissance militaire restaurée. Géographiquement, la Russie est le plus vaste et le plus peuplé des pays du continent européen, même en ne prenant en compte que sa partie européenne, sans la Sibérie. C'est aussi un pays avec lequel se maintient, malgré les difficultés et les crises, une large interdépendance énergétique. Les flux de gaz et de pétrole depuis la Russie vers l'Europe n'ont pas été affectés, à court terme, par la crise politique. C'est enfin un pays qui partage avec nous le défi d'avoir à affronter les dramatiques crises du Proche-et-Moyen-Orient et leurs sous-produits, terrorisme et flux de réfugiés. L'Europe et la Russie sont en première ligne sur ces crises, à la différence par exemple des États-Unis et des pays asiatiques, pour des raisons de voisinage géographique et de présence d'importantes communautés d'origine musulmane.
La Russie est donc un partenaire incontournable. Malheureusement, la question des relations avec elle est souvent traitée avec un excès de passion. Il ne faut ni surestimer, ni sous-estimer la Russie, mais la comprendre et mieux l'intégrer dans les relations internationales. Je ne crois pas que son régime actuel justifie ni l'engouement, ni le rejet. La popularité du président Poutine est incontestable et il n'est pas douteux qu'il bénéficie du soutien d'une grande majorité de son peuple. Mais il faut être conscient qu'il s'en donne les moyens, notamment à l'aide de législations de plus en plus rigoureuses à l'encontre de ceux qui ne pensent pas comme lui. Nous avons des différences d'appréciation sur les valeurs démocratiques. Ce printemps, par exemple, un opposant a été condamné à deux ans et demi de prison pour le seul fait d'avoir tenu plusieurs manifestations solitaires, des piquets silencieux en tenant des affiches hostiles au régime.
Mais je ne crois pas non plus que la Russie actuelle justifie les déclarations de ceux qui y voient une sorte de réincarnation de l'URSS et la plus grande menace à laquelle les démocraties européennes seraient confrontées. Ce tout simplement car la Russie actuelle, malgré ses ambitions, n'est plus et ne redeviendra probablement pas la superpuissance qu'elle était au temps du monde bipolaire.
Ce d'abord pour des raisons économiques. N'ayant pas su moderniser et diversifier ses activités, la Russie a créé une économie de rente pétrolière qui subit depuis 2014 la chute des cours du pétrole, à laquelle s'ajoute l'effet des sanctions occidentales et la chute consécutive du rouble. En termes de PIB global, le pays a été rétrogradé au 14ème rang mondial. Il est dépassé par des pays tels que l'Espagne, la Corée du Sud ou l'Australie.
Cela se voit aussi dans nos échanges bilatéraux. Traditionnellement, la Russie était le 3ème marché à l'export de la France hors Union européenne et Suisse, derrière les États-Unis et la Chine. En 2015, elle a régressé au 9ème rang à cet égard : outre les États-Unis et la Chine, la Turquie, le Japon, l'Algérie, Singapour, la Corée du Sud et le Brésil ont absorbé l'année dernière plus d'exportations françaises que la Russie. Cela traduit bien sûr l'effet des difficultés politiques et économiques et des sanctions, mais aussi la montée de tous ces nouveaux partenaires dans un monde de plus en plus multipolaire.
Même dans le domaine énergétique, la puissance de la Russie ne doit pas être surestimée, notamment s'agissant de l'interdépendance avec l'Union européenne. Les flux d'hydrocarbures de la Russie vers l'Union représentent certes un gros tiers des approvisionnements de l'Union, ce qui est considérable, mais aussi les trois cinquièmes des exportations russes d'hydrocarbures, ce qui les rend bien plus vitaux pour la Russie. Leur valeur représente 8 % du PIB russe en 2015, contre seulement 0,7 % du PIB de l'Union, bien plus élevé. Et dans le contexte énergétique actuel, marqué tout à la fois par la mise en exploitation des gaz et pétroles de schiste et par le mouvement de décarbonation acté par la COP21, nous savons bien qu'il est peu probable que les exportateurs traditionnels de pétrole retrouvent le pouvoir économique structurel qui était le leur durant les quarante dernières années, même si les cours remonteront peut-être.
Enfin, l'URSS s'appuyait sur un réseau de pays alliés ou vassalisés et exerçait une grande influence, ce que l'on appellerait un soft power, grâce au soutien inconditionnel de millions de Communistes dans le monde. La Russie contemporaine a au contraire peu d'alliés et est en fait assez isolée. Elle n'a réussi à rallier à son idée d'Union eurasiatique qu'une minorité des anciennes républiques soviétiques – cinq ou à terme six sur quinze – et le pivot vers l'Asie qu'elle a essayé de développer pour contrebalancer la crise avec l'Europe et les États-Unis conduit tout au plus à un partenariat d'intérêts avec la Chine, sans véritable confiance réciproque. Quant à l'attrait culturel et idéologique de la Russie, que le président Poutine cherche à renforcer en se présentant comme le héraut des valeurs conservatrices et autoritaires face à nous qui serions décadents, il reste malgré tout limité.
Le tableau général est donc celui-là. La Russie actuelle reste un grand pays, mais n'est ni un modèle, ni une sorte de nouvelle URSS surpuissante et maléfique. C'est simplement un partenaire nécessaire pour l'Union européenne, que nous devons traiter de manière plus juste et plus équilibrée. C'est dans ce sens, d'ailleurs, que va la voie de la diplomatie française, car nous avons su à tous les niveaux, jusqu'à celui des chefs d'État, garder depuis deux ans des relations bilatérales aussi bonnes que la situation générale le permettait.
Quels sont, dans ce contexte, les recommandations de la mission ?
La pleine application des accords de Minsk en est le premier point. La diplomatie française doit rester fidèle à une politique dont elle a été l'initiatrice, puisque c'est le Président de la République qui a organisé en juin 2014, lors de la commémoration du Débarquement, les premières rencontres à quatre qui ont donné ce que l'on appelle le « format Normandie ». Le principe de continuité des politiques que l'on engage est un premier motif évident de garder la priorité à la mise en oeuvre des accords de Minsk.
Par ailleurs, il ne faut pas sous-estimer les premiers résultats obtenus, même si les blocages actuels font douter certains. En effet, le processus de Minsk est certainement l'une des médiations extérieures les plus abouties dans un conflit de cette nature. Rien de comparable n'a été mis en place dans les autres conflits « gelés » de l'ex-URSS, en Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud, Haut-Karabakh. Dans l'ex-Yougoslavie, la paix est certes revenue, mais dans un contexte tout à fait différent. Dans le processus de Minsk, la France, l'Allemagne et l'OSCE s'en tiennent à une mission de « bons offices ». Les résultats de ce processus ont été obtenus grâce à une implication exceptionnelle, en France comme en Allemagne, des plus hauts responsables politiques et derrière eux des diplomates. Ils ont ensuite été en quelque sorte endossés par le reste de l'Union européenne, notamment lors du sommet des 19 et 20 mars 2015 où un lien explicite a été établi entre les sanctions européennes concernant la Russie et la mise en oeuvre des engagements de Minsk. C'est pourquoi le rapport que je vous présente ne recommande pas une levée des sanctions avant que les accords ne soient pleinement appliqués.
La mise en oeuvre des accords de Minsk nécessite des actes de bonne volonté de la part de la Russie comme de l'Ukraine. Le rapport est à cet égard équilibré.
La première ne peut pas continuer à prétendre qu'elle n'est en rien impliquée et aurait une position de médiatrice comparable à celle de la France et de l'Allemagne : la Russie a pris des engagements ; et il est évident qu'elle a une forte capacité d'influence pour obtenir des dirigeants séparatistes du Donbass le respect effectif du cessez-le-feu et le retrait des armes lourdes – qui, dans les accords de Minsk, sont le préalable des développements politiques prévus. Le rapport invite la Russie à s'investir davantage, y compris par des gestes unilatéraux, dans l'amélioration de la situation sécuritaire dans le Donbass.
Quant à l'Ukraine, elle doit évidemment tenir les engagements politiques qui ont été pris : définition d'un « statut spécial » du Donbass permanent et conforme aux textes signés, constitutionnalisation de ce statut, amnistie, organisation des élections locales après avoir débattu de la loi électorale aves les représentants des séparatistes.
L'application intégrale des accords de Minsk peut donc impliquer l'exercice de pressions politiques sur l'Ukraine et sur la Russie.
S'agissant de l'Ukraine, le rapport met en avant la possibilité de conditionner le versement des aides financières de l'Union européenne, qui sont considérables, à la poursuite des réformes, qu'il s'agisse des réformes de la gouvernance et de l'économie qui permettent au pays de se rapprocher de nos standards, ou même des réformes politiques prévues par les accords de Minsk. À partir du moment où l'Union européenne a endossé ceux-ci, il est légitime qu'elle subordonne ses aides au respect de son agenda politique.
S'agissant des sanctions contre la Russie, le rapport appelle à les réévaluer progressivement en tenant compte de l'action des différentes parties, puisqu'il y a des blocages chez les uns et les autres. De mon point de vue, les sanctions économiques générales ne peuvent pas être globalement levées tant que la paix ne sera pas revenue dans le Donbass, puisque l'Union européenne et plus spécifiquement la France et l'Allemagne se déjugeraient et donc se décrédibiliseraient. Il faut aussi conserver l'unité européenne. Mais une levée partielle de certaines sanctions, notamment les sanctions individuelles concernant des parlementaires russes, qui interdisent largement les contacts interparlementaires, pourrait être une piste à étudier.
Cela devrait aussi dépendre des gestes de bonne volonté que ferait de son côté la Russie, par exemple concernant son embargo contre la viande de porc européenne. Je rappelle que cet embargo, bien que décidé dans un contexte de fortes tensions politiques juste avant la révolution de Maïdan, a officiellement un motif sanitaire, de sorte qu'il est politiquement possible de le traiter en dehors du paquet des sanctions et contre-sanctions.
Dans des domaines connexes, le rapport suggère enfin plusieurs mesures pour rétablir le dialogue avec la Russie. D'abord au niveau de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a suspendu depuis janvier 2015 la plupart des prérogatives, comme le droit de vote ou celui d'être rapporteur, des délégués russes. Une assemblée est un lieu de dialogue qui ne peut pas fonctionner si l'on écarte certains de ses membres au motif que l'on est en désaccord, même si ce désaccord est fondamental.
Ensuite, dans le contexte présent du sommet de l'OTAN et dans la continuité des positions traditionnelles de notre diplomatie, il faut éviter les propos provocateurs sur une éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'organisation.
Enfin, le rapport propose plusieurs recommandations qui s'inscrivent dans une optique plus générale d'apaisement des relations de l'Union européenne avec la Russie.
L'une d'entre elles est de reconnaître officiellement l'Union économique eurasiatique comme partenaire d'éventuelles négociations économiques et commerciales. Je rappelle que l'Union économique eurasiatique est le fruit d'un processus d'intégration en cours entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Arménie, le Kirghizstan et, potentiellement, le Tadjikistan. La reconnaître serait une position logique puisque cette Union bénéficie de transferts de souveraineté dans les domaines économiques, comme l'Union européenne. De plus, le rôle modérateur de pays tels que la Biélorussie et le Kazakhstan, qui ont adopté des positions prudentes et cherché à favoriser l'apaisement dans la crise russo-ukrainienne, doit être pris en compte : même si la Russie a évidemment un rôle prédominant dans l'Union eurasiatique, la présence de partenaires plus modérés dans celle-ci est susceptible d'en faire un acteur politique plus flexible.
Une autre recommandation concerne les grands principes de l'action de l'Union européenne vis-à-vis de la Russie. Les ministres des affaires étrangères des États membres se sont entendus, le 14 mars dernier, sur cinq principes directeurs dont certains peuvent apparaître comme inutilement provocateurs ou réducteurs. Il y a notamment le principe dit de l'« engagement sélectif », qui prétend limiter la recherche de partenariats avec la Russie aux seuls domaines intéressant l'Union européenne, par exemple la Syrie ou l'Iran. Il devrait pourtant aller de soi qu'une politique extérieure ne peut pas ignorer les demandes et les priorités de l'autre protagoniste en refusant d'en discuter. Bien sûr, la possibilité de revenir vers une politique de partenariat global dépendra aussi de l'attitude de la Russie, qui doit s'impliquer plus positivement dans la résolution du conflit du Donbass et, elle-aussi, éviter les prises de position provocantes. Mais il n'est pas possible de promouvoir durablement l'engagement dit « sélectif ».
Dernier point à souligner, la nécessité de disposer d'une Politique européenne de voisinage, ou PEV, plus pertinente. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses critiques émises dans nos commissions par nos collègues Pierre-Yves Le Borgn', Joaquim Pueyo et Marie-Louise Fort, contre cette politique de l'Union et en particulier son volet destiné à l'Europe orientale, le Partenariat oriental. Sans revenir longuement sur ces critiques, il est clair que c'est l'absence d'adaptation à leurs spécificités des offres faites aux « partenaires orientaux » et l'oubli total des intérêts des pays tiers qui ont amené l'Union européenne à proposer à l'Ukraine un accord d'association dont le volet économique remettait en cause son imbrication économique avec la Russie. Et c'est cela qui a placé l'ex-président Ianoukovytch dans une situation intenable dont il n'a pu se sortir, ce qui a débouché sur sa chute, puis tous les événements que l'on sait. La PEV est en cours de réforme. Il faut qu'elle soit recentrée sur un moins grand nombre de priorités, au premier rang desquelles la sécurité et la stabilisation, soit plus différenciée pour mieux tenir compte des intérêts propres des « voisins » ainsi que des pays tiers, et associe mieux les diplomaties des États-membres. Nous devons promouvoir un véritable partenariat de paix adapté à un monde qui change.
Je salue le travail des membres de notre groupe, en premier lieu du rapporteur. Dans tout rapport, il y a des idées et on comprendra que je puisse être en désaccord avec un certain nombre de points pour des raisons qui n'ont rien de technique mais qui tiennent à des choix personnels. Vous comprendrez que j'aie pour cette raison demandé à pouvoir compléter le rapport d'une contribution afin d'être en cohérence avec mes engagements.
Je voudrais ici faire trois remarques qui devraient être consensuelles.
En premier lieu, nous faisons face en Europe, malheureusement, à une fracture durable et à un conflit gelé qui devrait durer. Je ne vois en effet pas d'issue à moyen terme et encore moins à court terme sur ce dossier. Ce conflit a fait pour l'instant 10 000 morts. Je rappelle que le conflit de Transnistrie, où j'étais il y a dix jours, a fait selon les estimations entre 200 et 1 000 morts. Par ailleurs, nous sommes dans une situation qui ne laisse entrevoir aucune porte de sortie. La seule solution est sans doute, comme on le répète, celle des accords de Minsk, mais on exige du côté ukrainien que le cessez-le-feu soit respecté à 100 % tandis que, du côté russe, on exige que soient rapidement votées des lois sur l'amnistie, les élections locales et l'autonomie.
L'entretien de ce matin avec l'ambassadeur de France en Ukraine confirme que, d'ici la fin de l'actuelle législature en Ukraine, la plupart de ces lois ne seront pas votées parce qu'il n'y a pas de majorité pour cela. S'il y a eu cet affrontement en août dernier devant la Rada, au cours duquel des policiers ont trouvé la mort, c'est justement parce que la majorité avait essayé d'avancer dans un de ces domaines. Les prochaines élections auront lieu en 2019. D'ici-là, nous continuerons donc à faire des rapports demandant que les accords de Minsk soient appliqués, les Russes se plaindront de ce que les Ukrainiens ne votent pas ces lois et les Ukrainiens se plaindront du non-respect du cessez-le-feu.
Je crains en outre que la situation actuelle n'arrange certains de nos partenaires occidentaux, comme les États-Unis et une partie des Européens, qui voient dans ce scénario un moyen d'affaiblir la Russie, de même qu'elle arrange une partie des Russes qui voient là le moyen d'avoir une sorte de zone grise, avec ce que cela signifie : on peut s'inquiéter non seulement à propos des droits de l'homme, mais également des conditions sanitaires qui règnent dans le Donbass. Malheureusement, les deux camps ont presque intérêt à ce que cette situation perdure. Je crains donc qu'au Haut Karabakh, à la Transnistrie et à l'Ossétie ne se soit ajoutée une nouvelle fracture durable.
Deuxième point, je pense comme les autres membres de la mission qu'on a besoin d'une politique plus indépendante. François Rochebloine, avec qui je siège au Conseil de l'Europe dans le même groupe politique, sera probablement d'accord pour estimer qu'il y a aujourd'hui en Europe deux sortes d'États : ceux qui ont souffert dans un passé proche du poids de l'Union soviétique et les autres, qui ont tourné la page de l'histoire depuis longtemps. Pour ceux qui siègent comme nous dans certaines institutions européennes, il est visible que les Baltes ou les Polonais, que je comprends, ont une revanche à prendre dès qu'on parle de la Russie, contrairement à nous. L'Europe est ainsi, malheureusement, poussée par les nouveaux entrants vers une politique qui ne peut pas nous amener à la conciliation, la règle du consensus nous poussant vers l'esprit de revanche plutôt que de partenariat.
Je le regrette parce que la France avait un rôle à jouer. Comme l'a dit Jean-Pierre Dufau, la Russie était notre troisième partenaire économique hors Europe et a reculé, notamment du fait des sanctions qui ont un certain poids et un certain impact.
Troisième et dernier point, je pense que la Russie est de retour. Un État, ce n'est pas uniquement un taux de croissance et un produit intérieur brut. Si les taux de croissance faisaient frémir les peuples, je connais des États qui seraient restés au sein de l'Europe. Même si le budget militaire russe est sans commune mesure avec celui des États-Unis ou de la Chine, ce budget est aujourd'hui un peu supérieur à celui de l'Arabie Saoudite. En outre, la Russie a commencé à comprendre les règles du Soft power. La « révolution orange » a été un choc, et la Russie a compris qu'aujourd'hui, il ne suffit plus de masser des forces militaires à la frontière ou des forces de police et qu'il y a des choses que l'on ne peut heureusement plus faire aujourd'hui. L'influence dans les médias a aujourd'hui une importance et il y a aujourd'hui de la part de la Russie, comme le souligne le rapport, une politique médiatique très offensive dans un certain nombre de pays.
Comme l'a dit le rapporteur, cette politique est soutenue par l'opinion publique. L'ambassadeur de France, lors d'un entretien, nous disait que l'opposition libérale progressait et pourrait atteindre 6 ou 8 %, ce qui donne une mesure du soutien populaire aux dirigeants actuels. Je rappelle que le président Poutine, dans l'échiquier politique russe, est un centriste. L'opposition, c'est d'abord le parti communiste de M. Ziouganov, puis l'extrême droite – ou la droite nationaliste, comme on voudra – de M. Jirinovski. Le président Poutine incarne le milieu et, de plus en plus, les classes moyennes, même si elles sont déçues.
On a malgré tout un pouvoir stable en Russie. La liberté n'y est pas aux standards européens mais internet est libre et la liberté existe à un degré supérieur à d'autres pays.
Enfin, qu'il n'y ait pas de malentendu concernant l'Ukraine : j'ai présidé le groupe d'amitié France-Ukraine pendant cinq ans et j'ai passé mon premier mandat, de 1993 à 1997, à faire des cours de formation en Ukraine avec Claude Goasguen pour des fondations européennes. Je suis cependant consterné par l'évolution de ce pays qui s'enfonce de plus en plus, peut-être parce qu'il n'a pas la classe politique qu'il mérite. La corruption n'y choque personne, la situation économique ne fait qu'empirer et le pays payera lourdement cette instabilité qu'on laisse s'installer. Les premiers mois de la « révolution de Maïdan » ont été très mal gérés, avec une partie du pays qui a fait sécession, tandis qu'une autre a été annexée ou a demandé à être rattachée à la Russie. Cette situation va durer et l'Ukraine sera durablement un pays tampon, mais surtout un pays malade. Je ne vois pas comment on pourrait ne pas le soutenir, puisque nous n'avons aucun intérêt à avoir un pays malade au milieu de l'Europe, mais je ne vois pas non plus comment ce pays pourrait, à court terme, s'en sortir.
Vous venez d'exprimer vos opinions et celles-ci nous sont connues puisque vous les avez affirmées de manière répétée devant la commission. Nous avons eu des débats sur l'objet du rapport, et je ne partage pas tout ce que vous exprimez, mais c'est une question d'appréciation.
Je rappelle que le vote de la commission ne vise qu'à autoriser la publication du rapport, et qu'il ne vaut pas approbation ni de sa teneur, ni des opinions qui viennent d'être exprimées par M. Mariani.
Je voterai pour la publication du rapport, qui est excellent, même si je ne partage pas toutes les opinions qui y sont exprimées.
Je suis membre de la mission d'information et je tiens à saluer d'emblée le rapporteur de la qualité de son travail, dont je suis les conclusions. Je précise aussi que j'approuve en partie ce que vient de dire Thierry Mariani.
Lorsque l'on va en Ukraine, on est frappé par l'ampleur des problèmes, qu'il s'agisse notamment du poids des oligarques et de l'omniprésence de la corruption. Ce n'est pas un pays facile à stabiliser. Lorsque nous avons été dans le Donbass, et nous avons été les seuls parlementaires à le faire, nous avons pu constater l'état catastrophique du pays, qu'il s'agisse de ses installations industrielles ou de ses infrastructures routières. Sur place, la situation reste très tendue et les observateurs de l'OSCE nous ont indiqué que le cessez-le-feu n'était pas respecté des deux côtés. C'est un conflit qui s'enlise.
Il faut que l'accord de Minsk soit appliqué pour que la situation se débloque, mais il y a beaucoup à faire pour y parvenir. La grande incertitude est la durée du conflit. La conditionnalité des aides européennes est une bonne piste.
Je suis également membre de la mission d'information et je tiens à remercier le rapporteur et le président. Le rapport est équilibré, mais il est difficile de parvenir à des conclusions qui fassent l'unanimité.
La situation de l'Ukraine est complexe, et il n'y a pas « les bons » d'un côté et « les méchants » de l'autre. L'accord de Minsk n'est respecté ni d'un côté ni de l'autre et le conflit peut ainsi durer.
L'Union européenne et la France, davantage que l'Europe d'ailleurs, peuvent jouer un rôle. Il est nécessaire de retisser les liens avec la Russie et indispensable de retrouver une existence propre et de ne pas suivre une voie qui n'est pas celle de nos intérêts.
Je retrouve mes positions dans l'équilibre du rapport et je comprends la position du président de la mission d'information, car c'est une analyse sur laquelle la France pourrait fonder son approche et sa politique.
Les sanctions sont-elles utiles ? C'est la première question à se poser. Visiblement, ce n'est pas le cas. Elles n'atteignent pas leur objectif. Elles n'influencent pas la politique de la Russie vis-à-vis de l'Ukraine, qui n'a pas été modifiée. Elles ont même des incidences négatives pour l'Union européenne et elles sont de plus dommageables pour son image vis-à-vis du peuple russe, qui était assez favorable à l'Europe et très francophile. De même que pour le Proche-Orient ou pour les conséquences du Brexit, il y a matière à une initiative française pour desserrer l'étau d'une politique qui est selon une expression qui a été récemment employée, à « l'ouest de l'ouest », pour la repositionner vers l'Est, regardant vers nos voisins plutôt que de se préoccuper d'une politique d'outre-Atlantique qui préserve assez peu, voire rarement, nos intérêts.
Je voudrais reprendre une formule de Thierry Mariani qui a dit : « ça va être un conflit gelé ». C'est pire qu'un conflit gelé. C'est un conflit qui vient du fonds des âges et qui a une protohistoire. Et pour avoir lu l'ouvrage extraordinaire « Vie et Destin » de Vassili Grossman sur les relations entre l'Union soviétique et l'Ukraine, je peux rappeler que lorsque les armées soviétiques sont de nouveau entrées en Ukraine pendant la Seconde guerre mondiale, elles ont constaté l'horreur, à savoir que des Ukrainiens avaient massacré les Juifs, et cela pèse dans l'histoire et dans les relations entre les Russes et les Ukrainiens. Il y avait certes eu auparavant les déportations faites par Staline avant la guerre, mais le fait est que lorsque les troupes nazies sont entrées en Ukraine, elles ont été accueillies en libératrices. Tous ces éléments sont intégrés dans une psychologie très lourde à porter entre les deux peuples.
Aujourd'hui, il ne s'agit pas d'absoudre les Russes : je ne suis ni pro-russe, ni pro-américain, mais pro-français. Il s'agit de voir où sont nos intérêts. Mais nous avons fait une série de fautes vis-à-vis de la Russie. Premièrement, il y a eu ces fameuses conclusions du sommet de Bucarest…
..lorsqu'il a été dit que l'Ukraine et la Géorgie pouvaient adhérer à l'OTAN, ce qui est une aberration monumentale sur le plan géostratégique. Deuxièmement, et là vous ne serez peut-être pas tout à fait d'accord, Mme la Présidente, le Président de la République s'est abstenu d'être présent le 9 mai 2015 aux commémorations de la victoire, alors que la Chancelière allemande y est allée, le 10. Je n'ai jamais compris pourquoi. S'il n'y avait pas eu l'armée soviétique à l'Est et les 27 millions de morts du pays, les Américains n'auraient pas eu la même situation sur les plages de Normandie. Il faut reconnaître la part de l'URSS, des Russes, dans la victoire sur le nazisme.
Enfin, une autre faute a été mentionnée par Philippe Baumel, c'est l'illusion des sanctions contre la Russie. Cela n'a pas de sens. C'est comme si l'on prenait des sanctions contre les États-Unis ou contre la Chine. Il faut une autre politique. Il faut sortir de ce suivisme des ultra-européens et de ce suivisme vis-à-vis de nos amis américains qui, en la matière, poursuivent des objectifs qui, à mon sens, sont dangereux. Au passage, je voudrais dire que Mme Hilary Clinton n'est pas la pacifiste que l'on nous présente. Il faut être très attentif. Elle a des positions extrêmement dures vis-à-vis de la Russie. Et nous sommes repartis pour une Guerre froide qui est véritablement contraire à nos intérêts. C'est la raison pour laquelle je prône une totale indépendance de notre politique étrangère et juge nécessaire que nous sortions de cette impasse dans laquelle nous nous sommes mis volontairement ou par faiblesse.
Il faut quand même souligner que les États membres de l'Union européenne ont refusé de livrer des armes à l'Ukraine.
Je suis tout à fait d'accord avec les positions exprimées par mes collègues Mariani, Baumel et Myard. Je trouve votre rapport très nourri, mais je n'y vois aucun examen rétrospectif de la politique de la France depuis le début de la crise ukrainienne. Il aurait fallu faire un travail d'introspection sur ce que nous n'avons pas fait. En réalité, au début, nous ne nous sommes préoccupés ni de la Russie, ni de l'Ukraine. Pendant la révolution de Maïdan, aucun ministre français ne s'est rendu en Ukraine, alors que les Européens l'ont fait. Le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius est arrivé tout à la fin, pour la signature de l'accord.
Je trouve aussi que ce rapport devrait être plus critique sur la Politique de voisinage de l'Union européenne. Il y a un véritable divorce entre la nouvelle Europe, très atlantiste, et l'ancienne. Et nous nous alignons sur les positions de cette nouvelle Europe en mettant en place des mesures de réassurance, une défense anti-missile et en prévoyant le retour de forces stationnées sur le territoire des États baltes et orientaux. Comme s'il n'y avait pas d'autres priorités que de rejouer la guerre froide en Europe !
Enfin, il est regrettable que les conclusions de ce rapport ressemblent à un communiqué de presse du Quai d'Orsay. Elles reprennent l‘éternelle incantation sur l'application des accords de Minsk. Vous esquissez parfois une position, par exemple sur l'octroi des visas aux Ukrainiens ou sur l'aide financière européenne, mais alors vous ne tranchez pas. Il faut être beaucoup plus incisif. Il faut appuyer l'idée que la France veut réévaluer les sanctions en fonction d'un calendrier de sortie de crise. La condition de l'application des accords de Minsk nous condamne à un renouvellement automatique des sanctions tous les six mois sans aucune porte de sortie. Nous devrions plutôt prévoir des mesures de confiance à mettre en oeuvre de trois mois en trois mois en séquence avec une levée progressive des sanctions. Il est temps que la France se réinvestisse dans le règlement diplomatique de la crise ukrainienne et ce, au-delà du « format Normandie ». Nous ne devons pas nous contenter de suivre les Américains. Eux-mêmes ne s'embarrassent pas toujours de nous, comme l'avait crûment exprimé la diplomate américaine Victoria Nuland avec son inoubliable « Fuck the European union » !
Vous avez raison de chercher les moyens d'une sortie de crise progressive en Ukraine. Mais à ce stade, heureusement que nous avons les accords de Minsk. C'est une voie de médiation extrêmement précieuse alors que la situation est très compliquée. Je pense que nous devons faire attention à préserver la position de médiation qui permet à notre pays de peser dans la résolution de certains conflits. Si nous quittons cette position, nous accentuerons la division entre Européens, et nous risquons d'abandonner la proie pour l'ombre.
Je suis d'accord avec ce qu'ont dit mes collègues. C'est une évidence, nous devons lever cet embargo qui pénalise tout le monde. Je crois aussi, comme Jacques Myard, que nous devons accentuer notre ouverture vers l'est. Et je dois dire que je ne partage pas certaines de vos conclusions. Je pense que la Russie est en train de renaître. Vous dites que l'annexion de la Crimée est « une violation très grave, sans précédent en Europe depuis 1945, des règles de base du droit international », mais vous ne développez absolument pas. Vous dites que nous devons malgré tout maintenir de bonnes relations avec la Russie et vous argumentez sur le thème de la priorité à la lutte contre le terrorisme : cette forme de marchandage me semble un peu légère. Enfin, vous mentionnez le règlement à l'amiable sur la question des BPC Mistral : il me semble que ce n'était vraiment pas un grand moment de la politique extérieure de la France.
À rebours de mes collègues, je vais donner un satisfecit au rapporteur. Comme tout le monde, je souhaite la levée progressive des sanctions contre la Russie, mais elle doit évidemment être subordonnée à la mise en oeuvre d'une solution pérenne dans le Donbass. Nous devons rappeler la Russie à ses devoirs.
Par ailleurs, vous ne faites pas explicitement mention de la Crimée dans vos recommandations, alors qu'il me semble que nous ne pouvons pas prendre acte de son annexion qui constitue une violation caractérisée du droit international. Autre point, avez-vous traité de la situation des minorités russes dans les États baltes ?
Enfin, le président de la mission a mis en exergue la liberté d'internet en Russie. Elle m'a valu d'être menacé de mort pour la position que je viens d'exprimer devant vous.
Mes félicitations au président et au rapporteur pour leurs conclusions et recommandations, notamment les n°11 et 12.
Néanmoins, je voudrais faire part de mon étonnement à la lecture du début des conclusions. La mission d'information me semble être sortie de son rôle en évoquant la représentativité de la Russie. Je ne pense pas que l'on aille ainsi dans la bonne direction en matière d'apaisement des relations. Permettez-moi de vous lire le passage en question : « la Russie n'est plus la superpuissance qu'elle a été et a peu de chance de le redevenir, quels que soient la volonté de ses dirigeants actuels (…) : son économie n'est pas assez puissante, ni surtout assez diversifiée et dynamique ; sa capacité d'influence et d'attraction (…) restent relativement limités ; dans le système international, elle est un acteur incontournable, mais finalement assez isolé, dont les vrais alliés (anciens et fidèles) se comptent sur les doigts d'une main et ne sont ni puissants, ni toujours très "recommandables" ». Je souhaiterais que l'on revoie ce paragraphe. Je me demande quelle serait la réaction de la France si une mission russe, après un séjour sur notre territoire, portait un tel jugement sur nous
J'ajoute que j'avais voté en faveur de la levée des sanctions.
Notre ambassadrice en Ukraine, que nous avons reçue ce matin, nous disait que l'on parle finalement peu à Kiev de la guerre à l'est. L'opinion ne s'émeut guère du non-respect du cessez-le-feu, en particulier le retrait des armes lourdes, qui est pourtant un préalable. Par ailleurs, les observateurs de l'OSCE disent ne plus pouvoir faire leur travail et affirment que l'on ne peut pas dire qui tire le premier. Avec les moyens techniques qui existent de nos jours, cela paraît tout de même incroyable.
Au risque d'être un peu provocateur, je crois que cela arrange tout le monde. Le contexte est connu : le sommet de Varsovie dans quelques jours et bientôt le rapport de Mme Mogherini sur la stratégie européenne. Ce rapport est arrivé avant celui de Federica Mogherini, même s'il est déjà constitué, voire sorti. Il était d'abord prévu qu'il soit disponible à la fin du premier trimestre, mais ce sera peut-être pour le mois de juillet. Il faut dénoncer cette non-transparence.
S'agissant des relations avec la Russie, la Politique de voisinage a été évoquée. Si la Russie a plutôt fait l'objet d'un partenariat à part depuis 2003, on peut se demander pourquoi l'Allemagne et la France n'en ont pas fait davantage en 2008 à Bucarest. On peut toujours dire qu'on n'était pas là à Maïdan, mais en 2008 non plus. J'y vois une raison de la montée des pays Baltes et de l'est au sein de l'OTAN.
Pour ma part, je mettrais peut-être les recommandations 12 et 11 avant la 10ème, afin de bien montrer que l'Union européenne a manqué à ses obligations et surtout à ses orientations politiques.
Avec la Crimée, nous sommes au coeur d'une très vieille affaire. Cela fait très longtemps que la Russie veut aller vers les mers chaudes, la Méditerranée et l'Orient, pour des raisons qui tiennent à la religion et à l'histoire. Les tensions sur les lieux saints sont en grande partie entre les chrétiens d'Orient et les autres. Rappelons aussi qu'il y a eu une guerre de trois ans extrêmement sanglante à propos de la Crimée, entre la Russie d'une part, et toute une coalition, comprenant notamment la France, le Royaume-Uni et l'Empire ottoman, ce qui n'est pas neutre. Le Royaume de Piémont-Sardaigne en a très habilement profité pour se pousser sur la scène à très peu de frais. La Crimée, annexée au XVIIIème siècle, est très largement russe depuis cette époque, même s'il existe une population tatare minoritaire. Son intégration administrative à l'Ukraine en 1954 est tout à fait circonstancielle – passons sur le détail des soirées de beuverie de Nikita Khrouchtchev. Cette intégration s'est faite sur la base d'une double autonomie, administrative et linguistique, et même, à certains égards, militaire, avec un statut encore plus particulier pour Sébastopol. Il est donc très compliqué d'affirmer que la Crimée n'a rien de russe ou qu'elle a été brutalement annexée.
Un referendum a eu lieu. On peut tout contester, mais il ne fait de doute pour personne que, même s'il s'était déroulé dans des conditions absolument idéales et parfaites, il aurait donné à l'évidence une majorité en faveur du rattachement à la Russie. Sans revenir sur ce qui s'est passé pendant la guerre, car ce serait verser dans l'horreur, l'Ukraine elle-même n'est pas un modèle en général, et en particulier sur le statut de la langue russe par rapport à l'ukrainien.
Nous avons des intérêts nationaux et, jusqu'à la preuve du contraire, nous avons besoin de la Russie, notamment en Syrie. Je ne suis pas certain de savoir où nous en serions dans ce pays si nous n'y avions pas la Russie comme alliée sur le plan militaire. C'est une réalité incontestable.
Ensuite, je voudrais faire une comparaison avec la Chine. Il y a sûrement beaucoup de critiques à adresser à la Russie, en particulier sur le plan des droits de l'homme et de la moralité publique, mais on reste très loin de la réalité chinoise. Il n'y a pas la moindre trace de démocratie dans ce dernier pays, la corruption est largement plus développée et il y a aussi l'agressivité de la Chine, notamment en mer de Chine méridionale. Et ne parlons pas des guerres intérieures au Xinjiang et au Tibet, dont personne ne dit jamais rien.
Je voudrais donc demander à nos collègues pourquoi ils n'ont pas davantage nuancé ce qu'ils écrivent de la Crimée, dont plus personne ne parle car on a pris acte. Vous écrivez ceci : « l'annexion unilatérale de la Crimée constitue une violation très grave, sans précédent en Europe depuis 1945, des règles de base du droit international ». Mais il ne s'est quand même pas rien passé dans l'ex-Yougoslavie et je ne suis pas sûr que tout cela soit juridiquement exact. Les règles de base du droit international, qui permettent la sécession, exigent simplement que cela ne se fasse pas contre la volonté des peuples. Il faudrait a minima expliciter votre position – mais vous l'avez peut-être fait ailleurs dans le rapport.
Il n'est pas surprenant qu'un des points de désaccord concerne la Crimée. Cette région est historiquement et culturellement russe. S'il y avait eu un referendum, organisé dans les formes, le résultat aurait été celui qu'il a été, c'est-à-dire massivement favorable.
Nous sommes allés en Crimée avec Jacques Myard et devrions y retourner dans quatre semaines. Un Français expatrié sur place m'a raconté comment la population de Sébastopol a accueilli avec des petits drapeaux russes la marine russe revenant de Géorgie en 2008. Je n'approuve pas l'intervention en Géorgie, mais en clair, la population était présente pour accueillir ses soldats, même si c'étaient ceux d'un pays dit étranger. Donc on a l'hypocrisie de ne plus parler de ce sujet, mais la messe est dite. Néanmoins, on ne reconnaîtra pas l'annexion, et cela peut durer encore très longtemps. D'autre part, quand on évoque les grands principes, il faut les respecter éternellement. Je n'ai pas l'impression que les grands principes d'intangibilité des frontières ont été respectés au Kosovo et en Serbie. Nous condamnons l'intervention russe en Syrie, mais, par exemple, le faisons nous aussi énergiquement pour l'intervention américaine en Irak, qui a été faite en se basant sur des preuves fausses ? Nous avons ainsi une politique de double standard. La Crimée est désormais à nouveau russe, et cela me semble un fait incontestable.
S'agissant des sanctions, personnellement, je trouve que c'est une aberration. C'est un peu comme l'état d'urgence, et je le dis sans aucune arrière-pensée politique. C'est bien quand on y rentre, mais après on ne sait plus comment en sortir. Je prends le pari que dans six mois, les sanctions seront reconduites. On nous expliquera que l'ancien président américain n'est pas encore parti et que le nouveau n'est pas encore installé, et qu'il est donc trop tôt. De plus, on ne voudra pas se désolidariser de nos amis européens. Cela durera donc encore des années. Dans le même temps, la France est en train de perdre des marchés notamment dans le domaine agricole, où elle avait une bonne position. Les Russes profitent d'une situation d'économie protégée pour développer une production de qualité équivalente.
La Russie n'est pas isolée. Lors du défilé du 9 mai 2015, étaient présentes l'Inde, la Chine et une trentaine d'autres pays. Il faut donc arrêter de faire de l'eurocentrisme.
L'Europe tolère pour les pays Baltes ce qu'on ne tolérerait jamais ailleurs, c'est-à-dire une politique de discrimination d'une partie de la population. 10 % des personnes qui vivent en Lettonie n'ont même pas le droit de vote, parce qu'ils sont nées en Russie ou ont eu des parents russes. L'Europe, qui fait des résolutions sur les droits des migrants, ferme totalement les yeux sur ces sous-citoyens dans ses propres pays. C'est cela que la Russie dénonce. Il ne faut pas s'étonner si la minorité russe dans les pays baltes se sent maltraitée et que la Russie veuille exercer une sorte de protection sur cette population menacée.
Comme me le disait un ancien diplomate, le seul intérêt pour le groupe de Minsk – celui concernant l'Arménie et l'Azerbaïdjan – est de se réunir, et cela est déjà un succès. J'ai l'impression qu'à terme, pour les accords de Minsk, ce sera la même chose, c'est-à-dire le fait d'exister et de donner un horizon lointain et inatteignable. Car, avec chaque jour qui passe, et qui rajoute des morts – maintenant 10 000 –, on arrivera plus à cicatriser les blessures.
S'agissant de l'opinion publique ukrainienne et de la guerre, il y a un paradoxe fréquent dans les pays en guerre, que j'ai constaté récemment à Damas : alors que j'y étais, la seule chose qui préoccupait la ville était la remise du prix du concours hippique. C'est une manière d'oublier la guerre. En Ukraine, c'est la même chose.
Enfin, nous critiquons souvent la liberté des médias en Russie et il est vrai que ce pays n'a pas les mêmes standards que nous avons en France. Mais en Ukraine, la situation n'est pas meilleure. Certains médias y ont été fermés manu militari.
Si ce rapport ne comprend pas de recommandation sur la Crimée, c'est pour une raison simple : il n'est pas possible, sur le plan du droit international, de reconnaître l'annexion de la Crimée. Mais cela s'est dit ici et je peux le dire très tranquillement : chacun sait, compte-tenu de l'histoire et des rapports de force, du referendum auquel vous avez fait allusion et de la réalité des faits, que la Crimée restera russe, même si elle ne sera pas forcément reconnue comme telle par les États. C'est le cas d'un certain nombre de pays dans le monde : il y a là un état de fait avec lequel on est obligé de composer. C'est la raison pour laquelle cela ne figure pas dans le rapport. Les accords de Minsk et la feuille de route, par sagesse peut-être, ne font pas état de la Crimée et sont limités au Donbass.
La France continue d'avoir avec la Russie des rapports privilégiés. Elle entretient depuis 2014 des rapports politiques de haut niveau, et plus fréquents que jamais, avec la Russie comme l'Ukraine. À titre d'exemple, le président Hollande et le président Poutine se sont rencontrés ou parlés 24 fois en 2015. C'est aussi la France qui est à l'origine du « format Normandie » auquel s'est associée l'Allemagne. De même, il y a des rapports forts avec le président Porochenko, avec sept rencontres en deux ans.
C'est à titre d'exemple que j'ai choisi le cas des navires Mistral. La Russie aurait pu faire de cet épisode un conflit beaucoup plus dur, faire traîner l'affaire et imposer des arbitrages juridiques, ce qu'elle n'a pas fait. C'est donc plutôt en creux que l'on observe l'absence de volonté russe d'aggraver les choses.
L'impact des sanctions est regrettable pour tout le monde. D'après les études, c'est certainement la Russie qui a le plus perdu du fait des sanctions, peut-être de 1 % à 1,5 % de son PIB, tandis que pour la France, le manque à gagner serait de 300 à 600 millions d'euros d'exportations, soit entre 0,015 % et 0,03 % de notre PIB. Il faut relativiser les choses, sans pour autant se satisfaire de la situation : ce n'est pas la France qui en Europe subit le plus les conséquences de ces sanctions. Cela dit, on peut discuter l'efficacité politique des sanctions. Nous partageons indéniablement la volonté de trouver au plus vite les accords qui permettront de lever les sanctions européennes.
Je l'ai dit, je le répète et je ne l'oublie pas : la Russie – l'Union soviétique à l'époque – fait partie des vainqueurs de 1945. Nous n'avons pas, globalement, mesuré l'importance et les conséquences qu'entraînerait la chute du mur de Berlin lorsqu'elle s'est produite. Certains s'y sont engouffrés avec plus de précipitation que d'autres. Force est de constater qu'à l'époque, François Mitterrand étant Président de la République, la France faisait partie des nations les plus circonspectes, que ce soit à propos de l'ex-Yougoslavie ou des pays de l'est de l'Europe. Il est vrai les choses se sont peut-être emballées, que l'évolution a été trop rapide, mal préparée, et n'a pas permis d'appréhender les problèmes que cela pourrait entraîner.
Personne ne nie l'importance de la Russie. Ce pays ne correspond plus à la superpuissance qu'était l'URSS, mais la diplomatie russe est extrêmement active et présente, et est quelquefois très habile, dans la mesure où elle parvient à s'immiscer en creux lorsque les États-Unis se montrent absents de certains dossiers. Par exemple, la façon dont le dossier iranien a été traité témoigne d'une coopération internationale exemplaire à laquelle la Russie a été associée. Ainsi, lorsque des intérêts vitaux sont en jeu, il peut y avoir une conjonction internationale de très haut niveau. Il est toutefois regrettable que cela se produise de manière sélective, sans approche globale. C'est pour cette raison que je condamnais tout à l'heure la politique sélective que propose l'Union européenne.
Pour revenir à la question ukrainienne, personne ne tait ou ne cache les difficultés de l'Ukraine elle-même en termes économiques, d'inflation, d'endettement, sur ces dernières années. Il faut cependant reconnaître que cela n'est pas exclusivement lié à la crise ukrainienne et que cela renvoie aussi à une vingtaine d'années d'incurie.
La feuille de route de Minsk est vue comme un voeu pieu, mais jamais personne n'a proposé autre chose ; il n'y a pas de « plan B ». Les accords de Minsk ont le mérite d'exister, au moins a minima : l'objectif est de permettre un cessez-le-feu effectif, le retrait des armes lourdes – la Russie a là un rôle éminent à jouer ici – et le déploiement des observateurs de l'OSCE de part et d'autres de la ligne de cessez-le-feu, afin d'exercer un contrôle effectif et en retour d'exiger de l'Ukraine les élections locale, le statut spécial du Donbass et sa constitutionnalisation.
Quant à l'intérêt de la France au sein de l'Europe, comme la situation actuelle le démontre, la forme actuelle de l'Europe rend difficile de combiner identité européenne et intérêts nationaux. La volonté de mener une politique européenne de sécurité, sans en avoir les moyens, pour s'en remettre ensuite à des États pour proposer des solutions, créé un décrochage. Il y a là une véritable contradiction, soulignée par le rapport, qui en démontre à la fois la complexité et la difficulté, et qui explique les critiques que vous avez formulées.
Ce rapport aurait pu être plus audacieux sur un certain nombre de propositions, c'est tout à fait possible et j'en prends acte. Mais sur certains points, et notamment le fait de lier les aides européennes versées à l'Ukraine à l'application effective des accords de Minsk, il propose un élément nouveau et fort.
Nous n'avons pas tous la même analyse. On connaît la position du président Thierry Mariani sur la levée des sanctions. Sur cette question, je vous suggère de prendre connaissance du document élaboré par le Sénat, qui va dans le même sens que la résolution de l'Assemblée nationale, mais qui est plus développé.
Mon travail sur ce rapport m'a appris beaucoup de choses et permis de voir la complexité des problématiques rencontrées. Nous n'avons pas abordé dans le détail toutes les questions. Il y a beaucoup de sujets que l'on pourrait développer. Cela démontre que nous sommes dans un monde qui évolue très vite et que la situation internationale est beaucoup plus fluctuante qu'elle ne l'était il y a quelques années.
Quant à la Russie, nous continuons d'avoir avec elle des relations qui dépassent le seul cadre économique, car elles sont aussi culturelles. Le lycée français Alexandre Dumas de Moscou fonctionne bien, même si nous rencontrons quelques difficultés à Saint-Pétersbourg. De très belles expositions organisées par la fondation Vuitton et portant sur les impressionnistes vont avoir lieu à Saint-Pétersbourg et à Moscou.
S'agissant du rapport, je ne souscris pas à tout ce qui est dedans. Nous faisons de la politique, nous avons le droit d'avoir des opinions divergentes. Néanmoins, je voterai la publication, car le travail est sérieux et complet.
Je souhaite juste revenir sur les origines de la situation en Ukraine, avec un peu d'ironie car cela le mérite. Tout a commencé le jour où le président de l'époque, M. Ianoukovytch, a déclaré du jour au lendemain qu'il ne pourrait pas appliquer l'accord d'association avec l'Union européenne. Et les gens se sont soulevés pour imposer l'accord d'association. L'Union européenne a soutenu cette révolution. Or, quelle a été ensuite l'une des premières décisions de la nouvelle majorité ? Repousser au 1er janvier 2016 l'application de l'accord d'association…
Il ne faut pas être naïf, l'implication de certains de nos amis européens et américains dans le début de cette affaire est flagrante. Les écoutes téléphoniques, dévoilées par les Russes, le montrent clairement : on se souvient de Mme Nuland expliquant qui devrait ou non être membre du nouveau gouvernement ukrainien. En réalité, je crains que pour réaliser la prédiction M. Brezinski, conseiller de plusieurs présidents américains, on n'ait réussi à créer une nouvelle fracture en Europe, qui nous affaiblit tous.
Je rappelle que ce qui est mis aux voix est simplement l'autorisation de publier ce rapport, complété de l'opinion dissidente du président. Il ressort du débat que nous avons eu et qui sera retranscrit que ce rapport est excellent. Tout le monde n'est pas d'accord sur tout, mais la qualité du travail des membres de la mission, de son président et de son rapporteur, doit être soulignée.
La commission autorise la publication du rapport d'information à l'unanimité.
La séance est levée à onze heures quinze.