Intervention de Jean-Pierre Dufau

Réunion du 29 juin 2016 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Dufau, rapporteur :

Si ce rapport ne comprend pas de recommandation sur la Crimée, c'est pour une raison simple : il n'est pas possible, sur le plan du droit international, de reconnaître l'annexion de la Crimée. Mais cela s'est dit ici et je peux le dire très tranquillement : chacun sait, compte-tenu de l'histoire et des rapports de force, du referendum auquel vous avez fait allusion et de la réalité des faits, que la Crimée restera russe, même si elle ne sera pas forcément reconnue comme telle par les États. C'est le cas d'un certain nombre de pays dans le monde : il y a là un état de fait avec lequel on est obligé de composer. C'est la raison pour laquelle cela ne figure pas dans le rapport. Les accords de Minsk et la feuille de route, par sagesse peut-être, ne font pas état de la Crimée et sont limités au Donbass.

La France continue d'avoir avec la Russie des rapports privilégiés. Elle entretient depuis 2014 des rapports politiques de haut niveau, et plus fréquents que jamais, avec la Russie comme l'Ukraine. À titre d'exemple, le président Hollande et le président Poutine se sont rencontrés ou parlés 24 fois en 2015. C'est aussi la France qui est à l'origine du « format Normandie » auquel s'est associée l'Allemagne. De même, il y a des rapports forts avec le président Porochenko, avec sept rencontres en deux ans.

C'est à titre d'exemple que j'ai choisi le cas des navires Mistral. La Russie aurait pu faire de cet épisode un conflit beaucoup plus dur, faire traîner l'affaire et imposer des arbitrages juridiques, ce qu'elle n'a pas fait. C'est donc plutôt en creux que l'on observe l'absence de volonté russe d'aggraver les choses.

L'impact des sanctions est regrettable pour tout le monde. D'après les études, c'est certainement la Russie qui a le plus perdu du fait des sanctions, peut-être de 1 % à 1,5 % de son PIB, tandis que pour la France, le manque à gagner serait de 300 à 600 millions d'euros d'exportations, soit entre 0,015 % et 0,03 % de notre PIB. Il faut relativiser les choses, sans pour autant se satisfaire de la situation : ce n'est pas la France qui en Europe subit le plus les conséquences de ces sanctions. Cela dit, on peut discuter l'efficacité politique des sanctions. Nous partageons indéniablement la volonté de trouver au plus vite les accords qui permettront de lever les sanctions européennes.

Je l'ai dit, je le répète et je ne l'oublie pas : la Russie – l'Union soviétique à l'époque – fait partie des vainqueurs de 1945. Nous n'avons pas, globalement, mesuré l'importance et les conséquences qu'entraînerait la chute du mur de Berlin lorsqu'elle s'est produite. Certains s'y sont engouffrés avec plus de précipitation que d'autres. Force est de constater qu'à l'époque, François Mitterrand étant Président de la République, la France faisait partie des nations les plus circonspectes, que ce soit à propos de l'ex-Yougoslavie ou des pays de l'est de l'Europe. Il est vrai les choses se sont peut-être emballées, que l'évolution a été trop rapide, mal préparée, et n'a pas permis d'appréhender les problèmes que cela pourrait entraîner.

Personne ne nie l'importance de la Russie. Ce pays ne correspond plus à la superpuissance qu'était l'URSS, mais la diplomatie russe est extrêmement active et présente, et est quelquefois très habile, dans la mesure où elle parvient à s'immiscer en creux lorsque les États-Unis se montrent absents de certains dossiers. Par exemple, la façon dont le dossier iranien a été traité témoigne d'une coopération internationale exemplaire à laquelle la Russie a été associée. Ainsi, lorsque des intérêts vitaux sont en jeu, il peut y avoir une conjonction internationale de très haut niveau. Il est toutefois regrettable que cela se produise de manière sélective, sans approche globale. C'est pour cette raison que je condamnais tout à l'heure la politique sélective que propose l'Union européenne.

Pour revenir à la question ukrainienne, personne ne tait ou ne cache les difficultés de l'Ukraine elle-même en termes économiques, d'inflation, d'endettement, sur ces dernières années. Il faut cependant reconnaître que cela n'est pas exclusivement lié à la crise ukrainienne et que cela renvoie aussi à une vingtaine d'années d'incurie.

La feuille de route de Minsk est vue comme un voeu pieu, mais jamais personne n'a proposé autre chose ; il n'y a pas de « plan B ». Les accords de Minsk ont le mérite d'exister, au moins a minima : l'objectif est de permettre un cessez-le-feu effectif, le retrait des armes lourdes – la Russie a là un rôle éminent à jouer ici – et le déploiement des observateurs de l'OSCE de part et d'autres de la ligne de cessez-le-feu, afin d'exercer un contrôle effectif et en retour d'exiger de l'Ukraine les élections locale, le statut spécial du Donbass et sa constitutionnalisation.

Quant à l'intérêt de la France au sein de l'Europe, comme la situation actuelle le démontre, la forme actuelle de l'Europe rend difficile de combiner identité européenne et intérêts nationaux. La volonté de mener une politique européenne de sécurité, sans en avoir les moyens, pour s'en remettre ensuite à des États pour proposer des solutions, créé un décrochage. Il y a là une véritable contradiction, soulignée par le rapport, qui en démontre à la fois la complexité et la difficulté, et qui explique les critiques que vous avez formulées.

Ce rapport aurait pu être plus audacieux sur un certain nombre de propositions, c'est tout à fait possible et j'en prends acte. Mais sur certains points, et notamment le fait de lier les aides européennes versées à l'Ukraine à l'application effective des accords de Minsk, il propose un élément nouveau et fort.

Nous n'avons pas tous la même analyse. On connaît la position du président Thierry Mariani sur la levée des sanctions. Sur cette question, je vous suggère de prendre connaissance du document élaboré par le Sénat, qui va dans le même sens que la résolution de l'Assemblée nationale, mais qui est plus développé.

Mon travail sur ce rapport m'a appris beaucoup de choses et permis de voir la complexité des problématiques rencontrées. Nous n'avons pas abordé dans le détail toutes les questions. Il y a beaucoup de sujets que l'on pourrait développer. Cela démontre que nous sommes dans un monde qui évolue très vite et que la situation internationale est beaucoup plus fluctuante qu'elle ne l'était il y a quelques années.

Quant à la Russie, nous continuons d'avoir avec elle des relations qui dépassent le seul cadre économique, car elles sont aussi culturelles. Le lycée français Alexandre Dumas de Moscou fonctionne bien, même si nous rencontrons quelques difficultés à Saint-Pétersbourg. De très belles expositions organisées par la fondation Vuitton et portant sur les impressionnistes vont avoir lieu à Saint-Pétersbourg et à Moscou.

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