Je rappellerai à mes collègues de l’opposition un petit détail. Le montant de la dette contractée chaque année n’est que très marginalement la conséquence du déficit annuel : c’est principalement la conséquence du remboursement des emprunts qui ont été contractés bien avant, avec une maturité moyenne de six ou sept ans. Lorsque l’on emprunte une année, on finance marginalement le déficit de l’année et principalement le renouvellement des emprunts contractés six ou sept ans auparavant. C’est incontestable, aussi devriez-vous utiliser cet argument avec prudence.
Au-delà des interprétations de la presse, des commentaires divers et variés, il ressort tout de même des faits et des chiffres que la France connaît, depuis quelques années, un redressement de ses finances publiques tout à fait exceptionnel en raison d’un effort que l’on n’avait pas enregistré, sans doute, depuis plusieurs décennies. Il ne s’agit pas de faire la comparaison avec la précédente législature, qui a été confrontée, c’est incontestable, à la récession mondiale, alors que la présente législature a connu une période de stagnation. Relativisons les choses de tous côtés.
On constate jusqu’à présent un respect incontestable du cadre de la loi de programmation des finances publiques pour 2014-2019, en particulier si l’on observe le tableau de comparaison des trajectoires qui figure à la page 39 du rapport préparatoire. Si je comprends bien ce rapport, on prévoit de s’écarter de l’objectif en 2018-2019, même si le déficit continue d’être en réduction régulière.
Plus importants peut-être sont les programmes qui, année après année, tendent à améliorer l’efficience de nos finances publiques. On peut en donner deux exemples. Ainsi, le montant des redressements fiscaux est en augmentation, avec pas moins de 21 milliards d’euros en 2015, soit une augmentation de 10 % en un an, sans parler de la facilité avec laquelle aujourd’hui un contribuable peut satisfaire à ses obligations déclaratives et au paiement de sa contribution en quelques clics informatiques. Le deuxième exemple concerne la politique immobilière de l’État, qui correspond aujourd’hui à ce que l’on peut attendre d’une optimisation du patrimoine public.
Face à ces résultats globalement tangibles, les risques d’écarts, qui restent pour le moment hypothétiques mais qui incontestablement existent, sont tout de même marginaux. Qu’il s’agisse de mesures nouvelles ou des conséquences d’une sous-budgétisation, ils ne portent que sur quelques milliards d’euros, c’est-à-dire quelques dixièmes de point du PIB.
Si l’on regarde plus finement les choses, on se rend compte que ces risques, ces écarts, ces dépassements, peuvent être regroupés sous trois catégories.
D’abord, des allégements de charges devraient conduire logiquement, dès l’année n+1, à des surplus d’activité donc de recettes.
Ensuite, des dépenses incontournables entraînées par un consensus politique fort, par exemple pour les interventions militaires, alors que le resserrement budgétaire joint à l’augmentation des missions et de leurs coûts conduisait à une impasse, et, dans un premier temps et pour quelques-uns des exercices précédents, à une présentation acrobatique, pour ne pas dire insincère, de notre budget de la défense nationale. Aujourd’hui, ce budget est ce qu’il est et correspond à un consensus sur à peu près tous les bancs de cette assemblée.
Enfin, des remises à niveau qui ne pouvaient tout de même pas être différées éternellement même si le rattrapage reste modeste et raisonnable, comme pour la variation du point d’indice de la fonction publique dont M. Mariton lui-même a reconnu qu’il était au fond inéluctable.
Reste que nous vivons dans une immense incertitude quant au contexte économique et financier mondial.
En premier lieu, le risque de crise financière généralisée est de plus en plus prégnant. Il provient, un peu partout dans le monde, de la bulle immobilière, et on le voit ces jours-ci à Londres. Il existe aussi sur les marchés obligataires à haut rendement – le marché des junk bonds –, qui sont en train de « turbuler ». Il existe également sur des marchés financiers d’autant plus volatils qu’ils sont très largement surévalués. Il tient enfin aux menaces multiples qui pèsent sur une des premières économies de la planète, l’économie chinoise. En effet, on observe les indices d’un début de récession, ou au moins de ralentissement spectaculaire de l’activité économique en Chine – de même, d’ailleurs, qu’aux États-Unis. Bien loin des chiffres officiels, qui se situent vers 6 % de croissance, l’évolution du PIB chinois est évaluée objectivement entre 0 % et 3 % par les observateurs spécialisés.
Il existe également une incertitude majeure sur les taux d’intérêt et la politique monétaire. Les banquiers centraux savent que la liquidité qu’ils ont apportée au monde de la finance engendre des bulles spéculatives, mais hésitent malgré cela à lancer un mouvement inverse qui, à l’évidence, peut provoquer une nouvelle crise financière. Voilà bientôt plus d’un an que la banque centrale américaine tient en haleine tous les analystes de la plomberie financière, parlant toujours de refermer le robinet – on a même forgé le mot tapering à cette occasion – sans l’avoir fait jusqu’à présent. D’ailleurs, le simple fait d’approcher la main du robinet crée de telles turbulences qu’on y renonce aussitôt.
Compte tenu de leur âge moyen, je suppose que les banquiers centraux dans cette situation, qui sont des économistes de grand talent, se disent chaque jour : « Je ne changerai probablement rien à la politique monétaire, mais j’espère que Dieu fera que l’explosion de la bulle financière ne se produira pas avant mon départ à la retraite. »
On a beaucoup parlé de reprise, de lendemain de crise, de perspectives encourageantes. La réalité, c’est que la croissance mondiale reste atone et que les prévisions la concernant sont plutôt en diminution, avec comme indice ou, comme on voudra, comme conséquence, des prix de l’énergie plutôt bas, des prix de l’acier terriblement déprimés et une absence quasi générale d’inflation.
En conséquence, tout ce que commentateurs, analystes, Gouvernement, services de prévision disent et écrivent peut être remis en cause par des évolutions brutales dont la probabilité s’accroît à mesure que le temps passe.
Je voudrais pour conclure avouer mon incompréhension ancienne et toujours actuelle des politiques d’encadrement budgétaire dans un contexte d’expansion monétaire débridée. Nous raisonnons, dans un pays comme le nôtre – c’est d’ailleurs tout à fait légitime et le Gouvernement ne peut que s’y conformer –, sur des comparaisons de projection et de résultats qui, dans le pire des cas, montreront un écart de l’ordre de 10 milliards, c’est-à-dire de l’ordre d’un demi-point de PIB.
Pendant ce temps-là, dans la zone euro, dont le PIB global est de l’ordre de cinq fois celui de la France, les autorités monétaires injectent chaque année, par le biais de prêts gratuits sans cesse renouvelés, des montants qui correspondent peu ou prou à 5 % à 10 % du PIB, ce qui représente 500 à 1 000 milliards par an d’injections de liquidités monétaires.
Nous accordons une importance démesurée à un dérapage portant sur 0,5 % du PIB, et j’ai choisi une fourchette très large – ce n’est pas un dérapage mais un résultat moins bon que celui qui était prévu – et nous passons sous silence des injections de liquidités dix à vingt fois supérieures.
Sur le plan macro-économique, l’impact des deux types de mesures est quantitativement le même. Il s’agit, d’une manière ou d’une autre, de donner des moyens à l’économie. La grande différence est qualitative : le déficit budgétaire alimente plutôt l’économie réelle, via la dépense publique, les ménages, l’investissement ou tout ce que vous voudrez, tandis que l’injection monétaire de liquidités gonfle plutôt les bulles spéculatives et n’a jamais eu, à ce jour et dans aucun pays, même si cela peut changer, d’impact mesurable sur les économies réelles. Elle a sans doute évité une crise financière plus grave et évité le trou noir absolu que nous avons connu en 1929, mais elle n’a pas produit, c’est absolument certain, d’augmentation de la croissance de l’économie réelle.
Je redoute aujourd’hui que le déséquilibre vienne de l’excès spectaculaire des politiques monétaires plutôt que de modestes dérapages de budgets qui sont, finalement – et pour ce qui concerne la France –, rigoureusement tenus.