Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 5 juillet 2016 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur :

Mes chers collègues, j'ai grand plaisir à vous retrouver pour vous présenter mon rapport en vue de l'examen, en nouvelle lecture, de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, que j'ai déposée avec Bruno Le Roux et de nombreux collègues du groupe Socialiste, écologiste et républicain. Ainsi que vient de le rappeler le président, la CMP réunie le 14 juin dernier pour examiner ce texte n'est pas parvenue à un accord.

Sur les trente et un articles que comporte la proposition de loi, vingt et un restent en discussion pour cette nouvelle lecture. Le Sénat a voté, le plus souvent d'ailleurs à l'initiative du Gouvernement, quelques dispositions opportunes, en matière de numérotation logique des chaînes de télévision – c'est le nouvel article 10 ter –, ainsi qu'en matière de sécurisation juridique, d'une part, des décisions de la commission du réseau du Conseil supérieur des messageries de presse et, d'autre part, des compétences de la commission des droits d'auteur des journalistes – il s'agit respectivement des articles 11 octies et 11 nonies.

Cependant, nos divergences avec la Haute Assemblée demeurent nombreuses et, avouons-le, profondes. Le Sénat a en effet substantiellement modifié le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, et certaines des mesures qu'il a retenues constitueraient une régression par rapport au droit positif, notamment en matière de protection du secret des sources des journalistes.

Ainsi, comment ne pas regretter que le Sénat ait circonscrit le droit d'opposition reconnu à l'ensemble des journalistes par l'article 1er aux seuls actes contraires aux chartes déontologiques de l'entreprise qui les emploie ? Qu'il ait nié le rôle des représentants des journalistes dans la négociation, puis l'adoption des chartes déontologiques de l'entreprise ou de la société éditrice ? Qu'il ait supprimé les garanties dont l'Assemblée nationale avait assorti ce droit ? Je pense à la consultation annuelle du comité d'entreprise sur le respect du droit d'opposition et à la sanction de sa violation par la suspension des aides publiques à la presse.

On ne peut que regretter également la suppression, par le Sénat, de toute référence au respect du droit d'opposition des journalistes dans l'appréciation que fait le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de l'indépendance des médias, alors même que l'infraction à ce droit figure parmi les indices les plus criants de l'intrusion des intérêts particuliers dans l'information.

De même, le dispositif généralisant les comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes, que l'Assemblée nationale n'avait volontairement pas appelés « comités de déontologie », a été très profondément modifié, au point que ces comités risquent de perdre toute crédibilité. Les rigoureuses règles d'indépendance définies par l'Assemblée nationale ont disparu, à l'instar de la possibilité de saisine par toute personne.

Enfin, on ne peut qu'être surpris par l'initiative sénatoriale visant à limiter l'exonération d'impôt sur le revenu dont bénéficient, entre autres, les journalistes. En tout état de cause, cette dernière mesure relève davantage d'une loi de finances que de la présente proposition de loi.

Il me paraît donc indispensable de retrouver l'esprit qui a inspiré l'exposé des motifs de la proposition de loi et animé les débats ayant conduit à l'adoption par l'Assemblée nationale, en première lecture, d'un texte opportunément amendé.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un certain nombre d'amendements visant notamment à faire de la « conviction professionnelle » du journaliste le fondement de son droit d'opposition ; à rétablir le principe selon lequel les chartes déontologiques devront être rédigées conjointement par la direction et les représentants des journalistes ; à récrire intégralement l'article 1er ter, qui renforce la protection du secret des sources des journalistes, en revenant strictement à la rédaction que l'Assemblée nationale avait adoptée en première lecture, sous réserve de quelques précisions rédactionnelles tendant à harmoniser les modifications apportées à la loi du 29 juillet 1881 avec celles qui ont été introduites dans le code de procédure pénale ; à rétablir les dispositions imposant au CSA de veiller à ce que les conventions qu'il conclut avec les éditeurs de services de radio et de télévision garantissent le respect du droit d'opposition reconnu à l'ensemble des journalistes ; à récrire intégralement l'article 7, qui généralise le dispositif des comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes, en revenant au texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture ; à supprimer l'article 11 sexies A, adopté par le Sénat contre l'avis du Gouvernement, qui a pour objet de limiter le bénéfice de l'exonération d'impôt sur le revenu prévue au profit des journalistes, rédacteurs, photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et musicaux.

Ces amendements me paraissent essentiels si l'on veut renouer avec la démarche des auteurs de la proposition de loi, lesquels avaient choisi d'emprunter un chemin original : relever les défis de la concentration actuelle en faisant confiance aux journalistes et aux médias eux-mêmes et en les encourageant à instiller des gages d'indépendance dans tous les rouages de l'information.

Il s'agit de mieux garantir et de mieux protéger les droits des journalistes et de confier au CSA, dont c'est déjà l'une des missions les plus évidentes, le soin de mieux assurer l'indépendance des médias audiovisuels.

En jetant le trouble sur la réelle liberté d'investigation dont disposent les journalistes à l'égard des actionnaires des entreprises qui les emploient, de récents événements ont montré avec acuité à quel point l'enjeu de la garantie de la liberté et de la crédibilité de nos médias était crucial.

Dans le prolongement de la loi de 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, je vous invite donc, mes chers collègues, à poursuivre le travail que nous menons depuis le début de la législature pour renforcer l'expression démocratique des idées et des opinions.

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